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Ozan Yildirim, alias OZ

Ses beats ont séduit Drake et DJ Khaled

Depuis dix ans, le producteur zurichois a fait sa place dans le milieu du rap américain. Audemars Piguet lui a demandé de créer une chanson originale, «Showstopper», pour fêter l’inauguration de sa «AP House» à la Bahnhofstrasse.

Moment suspendu. Il est un peu plus de 22 heures à Zurich. La «AP House», sur la Bahnhofstrasse, s’apprête à vivre l’un de ces instants magiques que seul le hasard peut offrir. Les invités sont assis sur le sol, en tailleur. À la demande de François-Henry Bennahmias, CEO de la marque, ils ont tous rangé leur smartphone dans leur poche ou leur sac à main et restent étrangement silencieux. Pourtant, ce qu’ils sont en train de voir aurait provoqué une poussée d’hystérie dans n’importe quelle ville du monde: de passage sur les bords de la Limmat, avant son concert au Hallenstadion, Ed Sheeran (oui, le vrai!) interprète trois de ses tubes avec une guitare sèche comme seul accompagnement. Il est là, à quelques mètres de tous ces visages béats, simple, accessible, comme s’il participait à une soirée entre potes. Le bonheur total.

Cependant, et malgré tout le respect qu’on lui porte, la star de cette soirée si particulière n’était pas Ed Sheeran. La marque du Brassus avait en effet demandé au compositeur et producteur zurichois, Ozan Yildirim, alias OZ, de composer une chanson originale pour sa «AP House», la première inaugurée en Suisse, mais l’une des plus grandes du monde avec sa superficie de 700 m2. Intitulé Showstopper, ce morceau a été interprété ce soir-là en avant-première par Trésor, un artiste afro-pop congolais, qui a pu poser ses paroles et sa voix sur la mélodie.

Ozan Yildirim, alias OZ, dans la AP House, à Zurich.
Entendre sa chanson jouée lors de la soirée d’inauguration a été un moment fort en émotions.

«Une immense fierté»

«Pour la première fois, j’ai dû sortir de ma zone de confort», admet Ozan Yildirim. «Mais Audemars Piguet m’a fait une confiance totale: j’avais carte blanche, on ne m’a posé aucune limite, je pouvais rester moi-même.» Entendre ses notes, au cœur du Leuenhof, ce haut-lieu du patrimoine zurichois, a néanmoins provoqué un sentiment très fort au fond de son cœur. «Ce moment, dans ma ville, a été très spécial à mes yeux, j’ai ressenti une immense fierté…» Cette aventure a commencé par une rencontre, avec Laurence Rochat, «ambassadrice» de la marque pour la Suisse, puis par une visite de la manufacture dans la vallée de Joux. OZ (prononcez «Ozzie») a fini par déjeuner avec François-Henry Bennahmias. «Je lui ai raconté mon histoire, comment je suis arrivé là où je suis aujourd’hui. Il est vraiment passionné par la musique, notre discussion a été très inspirante.»

Au cours de cette journée au Brassus, le Zurichois a rapidement tiré des parallèles entre l’horlogerie et la musique. «Vous avez besoin de gens talentueux pour atteindre vos objectifs et créer un produit – une montre ou une chanson – de qualité», analyse-t-il. «Pour Audemars Piguet comme pour un artiste, vous devez toujours vous entourer des meilleurs dans votre domaine.» Mais, parfois, il faut un peu de chance pour forcer le destin et pour concrétiser son rêve. C’est ce qu’Ozan Yildirim a réussi à faire il y a une dizaine d’années, lorsqu’il est parvenu à obtenir l’adresse e-mail de Meek Mill, un rappeur américain, afin de lui envoyer quelques beats…

Et là, vous vous demandez qui peut bien être ce compositeur et producteur zurichois dont on vous dresse le portrait, n’est-ce pas? C’est vrai, le nom d’OZ n’est pas très connu de ce côté-ci de la Sarine. Ou alors, seulement dans le cercle restreint des «professionnels de la profession». Le «röstigraben» est ainsi fait: il est parfois compliqué de tirer des ponts entre nos deux régions linguistiques. Pourtant, Ozan Yildirim est un maître dans son art. Depuis 2012, il travaille avec quelques-uns des rappeurs les plus réputés de la planète, tels que Drake, DJ Khaled, Future ou Travis Scott. En 2021, le magazine Forbes l’a même classé parmi les trente personnalités européennes de moins de 30 ans les plus influentes dans le monde de l’entertainment. Un honneur qui n’a pas manqué de le surprendre!

Garder les pieds sur terre

«Franchement, je ne m’attendais pas du tout à figurer dans cette liste. Cela m’a permis de mesurer tout le chemin parcouru depuis dix ans. Mais ça n’a rien changé à ma vie…» Il est comme ça, Ozan! Les compliments glissent sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Malgré le succès, il a su rester humble. Accessible. «Le fait de rester en Suisse me permet de garder les pieds sur terre», admet-il. «Je ne me suis jamais senti plus important que les autres. Je continue de voir mes amis – les mêmes que dans mon enfance – et de jouer aux jeux vidéo, je me balade en famille. Pourquoi aurais-je changé?»

«Je ne me suis jamais senti plus important que les autres. Je continue de voir mes amis et de jouer aux jeux vidéo.»

Le regard des gens, lui, a évolué. Forcément. On l’admire, on l’applaudit, on le jalouse peut-être. Certains ont même peur de l’aborder dans la rue ou de lui demander un selfie, craignant de le déranger, pensant qu’il refuserait. «Je suis un type sympa», dit-il, ponctuant sa phrase d’un sourire généreux. «Je reçois beaucoup de messages de personnes qui me disent combien je les inspire. Je suis fier et heureux de leur donner cet espoir de pouvoir réaliser tout ce qu’ils rêvent de faire dans leur vie.»

Ozan Yildirim est en effet un bel exemple de réussite. D’origine turque, il est né dans le Toggenbourg, dans le canton de Saint-Gall. Petit, il aimait la musique – un peu comme nous tous. «Mais je ne savais pas que cette passion pouvait se vivre autrement que comme simple auditeur», raconte-t-il. «C’est un ami, en Allemagne, qui m’a ouvert les yeux, il m’a dit que je pouvais créer mes propres sons. J’avais alors 13 ans…» Il télécharge un programme, le même qu’il utilise encore aujourd’hui, Fruity Loops, commence à composer avec. OZ n’a jamais fréquenté d’école de musique, il ne sait pas lire une partition, mais il apprend sur le tas, mois après mois. De là à en faire son métier… Pendant ces années d’apprentissage, il continue de travailler comme vendeur dans un magasin d’électroménagers et profite de chaque minute de loisir pour s’enfermer dans son mini-studio, au sous-sol de la maison familiale, au milieu de ses hauts-parleurs, son ordinateur et son clavier. Ses sources d’inspiration? Eminem, Justin Timberlake et le taulier du rap américain, 50 Cent.

«Aujourd’hui, je continue de travailler à la maison, parce que toute l’énergie est là, avec ma femme et mes enfants. Évidemment, j’ai du meilleur matériel, mais je n’avais pas envie de louer un autre lieu, plus impersonnel, plus industriel, cela n’aurait aucun sens. J’ai besoin de sentir des bonnes ondes pour créer de la bonne musique.» Ozan a d’ailleurs toujours refusé de s’installer aux États-Unis. À quoi bon? Il peut travailler où il veut, de nuit comme de jour, et il se sent plus épanoui en Suisse. «Je préfère être seul, dans mon studio, et créer à mon rythme. J’ai parfois besoin de plusieurs heures pour trouver le son que je recherche, je n’ai pas envie que les artistes attendent sur moi que je leur livre la marchandise.» Le privilège des grands? Certainement.

Comme Super Mario

En dix ans, Ozan Yildirim a changé de statut dans le milieu du rap. Lorsqu’il transmit ses sons à Meek Mill, en 2012, il n’avait que deux rêves en tête: pouvoir vivre de sa musique; nourrir sa famille et payer ses factures à la fin du mois. En 2022, s’il est parvenu à les concrétiser, sa réputation a largement dépassé les rives de la Limmat. «C’est un peu comme dans le jeu de Super Mario: j’ai passé les niveaux les uns après les autres», s’amuse-t-il. «Mon nom a commencé à circuler dans les studios, je me suis rendu quelques fois aux États-Unis pour rencontrer des producteurs et, puis, de fil en aiguille, une chanson a ouvert une autre porte qui a amené à un autre projet de chanson, et ainsi de suite…» Ozan Yildirim croise alors la route de Drake – dont le logo est apparu en octobre sur le maillot du FC Barcelone pour célébrer ses 50 milliards d’écoute sur Spotify – DJ Khaled, Future ou Travis Scott. Des artistes avec lesquels le Zurichois continue de collaborer.

Né le 11 janvier 1992 à Zurich, Ozan Yildirim a des origines turques. Il a commencé dans un mini-studio, situé au sous-sol de la maison familiale. «Désormais, j’ai du meilleur matériel, mais je continue de travailler chez moi», précise-t-il.

«Ils me font confiance et me laissent faire ce que je veux», déclare-t-il. «Mais la concurrence est rude, il y a énormément de producteurs aux États-Unis, au Canada et en Europe. Mon défi quotidien est d’être meilleur qu’eux.» Est-ce cela désormais, son objectif? «Rester dans la Ligue des Champions» – comme il le dit lui-même? Il souhaiterait travailler notamment pour Justin Bieber, Beyoncé, Kendrick Lamar ou 50 Cent. Même s’il ne comprend pas (encore) les paroles, il observe aussi ce qui se passe sur la scène du rap tricolore. «J’aimerais avoir des chansons françaises dans mon catalogue», ajoute-t-il, citant PNL ou Hamza parmi ses préférences.  Mais, à bien y réfléchir, Ozan partage un rêve plus… terre-à-terre pour l’avenir: «progresser en tant que musicien, en tant que père et en tant qu’être humain». «J’aimerais être une meilleure personne que je ne l’étais hier», précise-t-il. «Voilà mon but pour les prochaines années!» On parie qu’il l’atteindra aussi?