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Mei Fa Tan ou l’art de filmer la musique

À l’origine de l’association Picture My Music, la réalisatrice nyonnaise n’a mis qu’une dizaine d’années pour s’imposer derrière la caméra. En janvier dernier, à Soleure, elle a remporté le prix du meilleur clip suisse de l’année.

«Silence, ça tourne!» Douce mais autoritaire derrière sa caméra, Mei Fa Tan dirige son prochain projet pour une chaîne de télévision suisse, dans une prison non loin d’Orbe. Entourée de ces murs sombres mesurant le quadruple de sa taille, elle pourrait paraître frêle et fragile, du haut de son mètre soixante-trois. Mais il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que ce brin de femme a déjà tout d’une grande. Trente ans et une expérience professionnelle à en rendre jaloux plus d’un; elle a déjà reçu plusieurs prix qu’elle ne sait plus où ranger sur ses étagères. «On la refait!», dit-elle haut et fort. Et son équipe de tournage se replonge au travail sans broncher, comme envoûtée par cette jeune femme, comme emportée à ses côtés dans une quête de perfection.

Mei Fa Tan, jeune réalisatrice nyonnaise, trace ainsi sa route dans le monde de la vidéo depuis plus de dix ans, en Suisse romande comme à l’étranger. Elle débute par une école de cinéma à Genève, dont elle obtient le diplôme en 2011, mais se rend vite compte que la théorie n’égalera jamais la pratique. Elle devient indépendante, sans hésitation, et se dirige rapidement sur des projets de tournage qui lui parlent, dont le concept et l’histoire lui offrent toute la créativité nécessaire pour faire passer ses messages. Le champ des possibles s’ouvre alors derrière son objectif. Tout est calculé, analysé, voire même testé à plusieurs reprises. Toujours postée derrière son moniteur vidéo, Mei Fa Tan scrute chaque prise, battant du pied un tempo des plus mesurés dans sa tête, imaginant la cadence d’une danse bien répétée. Telle une geek de l’image en mouvement, elle cherche l’excellence. Et c’est sûrement ce point-là qui fait sa réputation, tout comme ce style que l’on retrouve dans chaque film: image contrastée et épurée, gros plans sur les visages au message fort, mise en mouvement d’une rigueur teintée de souplesse. Son travail séduit, son succès en est la preuve.


Un tremplin pour les artistes
Mei Fa Tan est à l’origine de l’association Picture My Music, qui permet aux musiciens suisses d’obtenir un clip réalisé par la vidéaste, un projet développé en partenariat avec le festival Les Hivernales. «Il y a dix ans, alors que tous mes amis étaient en plein examens universitaires, je m’interrogeais sur le chemin à prendre. J’ai alors pris les devants, j’ai imaginé un tremplin pour les artistes suisses, afin de leur offrir un film pour accompagner leur musique.» Immédiatement, les candidatures affluent. Douze pour la première édition en 2013, 160 pour 2021…

Après une rude analyse des profils, pour la plupart excellents, Mei Fa Tan fait son choix, selon la musique, bien sûr, mais aussi selon la carrière du candidat et son ambition professionnelle. L’artiste suisse sélectionné et la vidéaste travaillent ensemble sur le projet, pendant plusieurs semaines. Le clip est ensuite présenté en avant-première au festival Les Hivernales, et l’artiste se produit ensuite sur la scène nyonnaise le soir même. De quoi susciter de l’intérêt dans toute la Suisse!

Pourtant, ce concours qu’elle crée, l’air de rien, – dans le seul dessein de mettre en lumière les musiciens suisses – finit par la propulser elle-même sous le feu des projecteurs. Plus les projets abondent, plus son œil critique se développe jusqu’à devenir une référence pour de nombreux groupes. Aujourd’hui, le monde musical suisse et français connaît son nom, et les propositions affluent de partout. On lui demande d’imaginer des clips pour des artistes internationaux. À cela s’ajoute les clips publicitaires, les reportages journalistiques, les courts-métrages… On l’a compris, la réalisatrice est tout aussi célèbre, voire plus, que les artistes qu’elle filme jour après jour.


Faire passer des messages
Forcément, la question du genre se pose, particulièrement dans le monde du cinéma. Mei Fa Tan, femme bien droite dans ses bottes, s’impose habilement dans ce milieu, sans tabou et sans revendication apparente. La trentenaire au doux regard ne désire qu’une chose: faire son travail de réalisatrice et mettre en images la vie et tous les messages essentiels qu’il est urgent de partager.

Toutefois, elle se rend vite compte qu’être une femme signe toujours l’exception: «Dans ce monde de l’audiovisuel, les réalisatrices sont encore minoritaires, mais cela ne doit pas nous décourager. Je ne pense pas à mon statut de femme réalisatrice, lorsque je travaille avec mes équipes, je suis simplement moi, et à aucun moment, j’estime que mon genre biologique doit avoir un impact sur la qualité du travail que je dois fournir.» Aussi, bien que cela ne soit pas un obstacle, elle constate qu’il y a encore des disparités dans les mœurs. «Il m’est arrivé de recevoir des commentaires scabreux ou déplacés. Bien que dits sur le ton de la plaisanterie, ils marquent un problème sociétal certain.» Elle finit par ajouter: «Ce n’était sûrement pas pour me rabaisser ou me dénigrer», mais les mots sont dits. Ils marquent les esprits, ralentissent le changement des mentalités. «Suis-je féministe? Toutes les femmes le sont par essence à mes yeux. Je le suis sans être une revendicatrice ou une révolutionnaire», précise Mei Fa Tan. Elle n’ira pas elle-même protester dans la rue. En revanche, elle sera la première à  filmer celles et ceux qui marcheront en revendiquant le droit à l’égalité. Elle le reconnaît ainsi avec certitude: elle apprécie ce pouvoir de faire passer un message via ses clips vidéos. Dénoncer la violence envers les femmes, toutes ces injustices subies par ces dernières, mais aussi faire avancer le débat vers une égalité des genres ou vers un meilleur respect de la femme dans la société… C’est notamment pour cette raison qu’elle a choisi, en 2020, de produire le clip vidéo Power de la Kenyane Muthoni Drummer Queen, réalisé dans le cadre de Picture My Music. Présentée dans la sélection de clips suisses aux Journées cinématographiques de Soleure en janvier 2021, elle a obtenu le prix du jury M4Music récompensant le meilleur clip suisse de l’année. Ce dernier, sublime et subtil hommage aux guerrières et aux combattantes, aux boxeuses et aux femmes du monde, dénonce la violence policière, le culte de l’argent et la corruption en politique dans son pays, le Kénya. Des sujets lourds que Mei Fa Tan a particulièrement apprécié de mettre en lumière.

Une personnalité qui compte
Alors que la vie s’est quelque peu ralentie suite à la pandémie du coronavirus, celle de Mei Fa Tan n’a pris que peu de retard. Les projets, et malgré les mesures sanitaires, ne se sont pas arrêtés non plus. Derrière sa caméra, la réalisatrice a dirigé de nombreux tournages pour le Montreux Jazz Festival, la télévision ou encore pour Picture My Music. Avec son directeur de la photographie, l’assistant-e de production, les comédiens et tout le reste de l’équipe, elle pousse toujours plus loin les limites de la réalisation, n’oubliant jamais de tourner chaque scène au minimum deux fois, en guise de sécurité. «Allez, on enchaîne le plan suivant», lance-t-elle à son équipe. Elle confesse que le tournage lui-même n’est pas la tâche la plus compliquée de son travail, mais tout ce qu’il faut préparer en amont. Réfléchir au concept, imaginer sa transposition à la caméra, trouver les bons plans, le tout dans un budget à ne pas dépasser… Cela relève parfois de l’impossible. Mais le résultat est toujours là, grâce à son savoir-faire.

C’est sûrement pour cela qu’elle s’est vue, en octobre dernier, figurer dans la liste des 100 personnalités de l’année au Forum des 100, rendez-vous incontournable en Suisse romande, organisé par le quotidien Le Temps.  Un nouveau palier qui sied à son parcours professionnel. 

À 31 ans, Mei Fa Tan est devenue une référence dans l’industrie musicale. Les demandes affluent de partout. Photo : Phil Latour
Sur le plateau, Mei Fa Tan sait être douce et autoritaire à la fois. Photo : Phil Latour; Mathieu Geser

«Suis-je féministe? Toutes

les femmes le sont par essence.

Moi, je le suis sans être

une revendicatrice.»

Tournage du clip «Sémantique» du groupe fribourgeois Baron.e à Aquatis, à Lausanne.. Photo : Phil Latour; Mathieu Geser

Mei Fa Tan

1990 Naissance le 9 novembre à Gland.
2009 Maturité en arts visuels à Nyon.
2011 Diplôme de cinéma à Genève.
2016 Engagée comme réalisatrice au Montreux Jazz Festival.
2018 Court-métrage Time Machinery à Montréal.
2021 Prix du «Best Swiss Video Clip» avec le clip Power de Muthoni Drummer Queen.
1990 Naissance le 9 novembre à Gland.
2009 Maturité en arts visuels à Nyon.
2011 Diplôme de cinéma à Genève.
2016 Engagée comme réalisatrice au Montreux Jazz Festival.
2018 Court-métrage Time Machinery à Montréal.
2021 Prix du «Best Swiss Video Clip» avec le clip Power de Muthoni Drummer Queen.