MusiqueReportage

« Je vais t’aimer » Michel Sardou forever

Sorte de «Mamma Mia» à la française, cette comédie musicale suit le parcours de vie de six personnages sur quatre décennies, avec les tubes de Michel Sardou comme bande-son. Alors qu’il entame sa tournée le 1er octobre à Genève, ce spectacle doit relancer un genre qui a connu des années compliquées. Explications avec Roberto Ciurleo, l’un des deux producteurs avec Frank Montel.

Le 12 avril 2018, michel sardou a donné son dernier concert à la Seine Musicale, à Paris. Un an et demi plus tôt, il avait annoncé au journal de TF1 qu’il ferait une ultime tournée pour remercier son public, fidèle depuis tant d’années. À 70 ans, il entendait se consacrer au théâtre – à ses premières amours, finalement. Cette «dernière danse» dura dix mois et réunit plus de 500 000 spectateurs. Un demi-million de fans désormais orphelins. Que restera-t-il de ce répertoire à l’avenir? Comment faire vivre ces 267 chansons sans son interprète principal, celui qui les a incarnées avec autant de foi? Quelle place gardera-t-il parmi les générations futures?

Depuis ses débuts, au milieu des années 60, Michel Sardou impose un style, un personnage. Beau gosse, viril, il devient vite un chanteur populaire, avec des textes francs, sans chichis, qui provoque de l’émotion et, parfois, des malentendus. En usant de la première personne pour raconter ses histoires, l’artiste suscite des critiques: certains confondent l’homme et le rôle qu’il joue sur scène. On l’affuble de quelques étiquettes peu amènes: misogyne, homophobe, raciste…  Dans les années 70, ses détracteurs manifestent et le couvrent d’insultes devant les salles de concerts. À Besançon, on lui tire dessus et, à Bruxelles, on trouve même une bombe sous la scène. Le Parisien, lui, s’est toujours défendu de donner son avis personnel: ses chansons sont des mises en abîme, des points de vue qu’il s’agit d’apprécier à travers un prisme grossissant. Certes, Michel Sardou est entier, frondeur, râleur, il se plaît à ne distiller ses sourires qu’avec parcimonie (il en fera d’ailleurs un sketch avec sa mère, Jackie!) et s’amuse même à brouiller les pistes. On le dit sexiste, il chante à la gloire de la gente féminine dans Femmes des années 80. On le traite d’homophobe, il traite de la difficulté du coming-out, en se glissant dans la peau d’un adolescent dans Le Privilège. Toujours cette volonté de raconter le point de vue de l’autre…

Trois ans pour le convaincre!

N’empêche, Michel Sardou a su toucher les générations. Le tube Les Lacs du Connemara continue de venir ponctuer les soirées, bien arrosées, des étudiants ou des jeunes mariés. Avec ce même titre, les Kids United ont permis à un nouveau public de découvrir son répertoire. Mais c’est surtout le film d’Éric Lartigau, La Famille Bélier, avec Louane et François Damiens, sortie en 2014, qui a permis de toucher la génération Z. Le personnage interprété par Éric Elmosnino y déclare d’ailleurs: «Michel Sardou est à la chanson française ce que Mozart est à la musique classique: intemporel!» On ne peut pas rêver de meilleur argument pour situer cet artiste majuscule dans le paysage culturel de la Francophonie. «Pour beaucoup d’entre nous, ses chansons rappellent une partie de notre vie et sont liées à des souvenirs de famille. D’autres adorent simplement sa liberté de ton qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. On attend de lui qu’il dise toujours ce qu’il pense dans ses interviews.»

«Pour beaucoup d’entre nous, les chansons de Sardou sont liées à des souvenirs de famille.»

Les six personnages principaux du spectacle se sont rencontrés lors de ces Bals populaires si bien décrits par Michel Sardou en 1970.
Jeunes mariés, Nicole et Léo, alias Sofia Mountassir et Boris Barbé, ont pris le France pour visiter l’Amérique, le pays de madame.

Ex-directeur des programmes sur NRJ, désormais producteur de spectacles, Roberto Ciurleo pose un regard sans concession sur Michel Sardou. Le jour où Franck Montel, un autre homme de radio, sur NRJ, puis sur RTL, lui propose de créer un spectacle autour de ses chansons, son esprit se projette immédiatement: il imagine une sorte de Mamma Mia à la française – en référence à cette comédie musicale, créée en 1999 et qui a donné une deuxième vie aux tubes d’ABBA. «Je n’ai pas hésité, tellement cette idée me paraisait évidente», avoue Roberto Ciurleo. «Mais, avant de nous lancer dans cette aventure, il nous fallait absolument l’accord du principal intéressé.» Trois ans sont nécessaires pour convaincre Michel Sardou. Sans intervenir dans la genèse du spectacle, il est mis au courant régulièrement de son évolution. Le choix du metteur en scène, Serge Denoncourt, la création du livret, le casting des interprètes… Ce point-là est essentiel à ses yeux: ses chansons sont compliquées à chanter, il fallait des voix capables de tenir la distance. «Son répertoire est vocalement très riche», explique Emji – qui tient le rôle de Louise. «On n’a pas l’impression que c’est aussi complexe au niveau des arrangements et de la voix. On ne fait plus trop ça aujourd’hui…» Gagnante de la Nouvelle Star en 2015, alors sur D8, la Normande découvre également des titres «francs, sans filtre», à l’instar de ce tube des années 70 qui donne son nom à la comédie musicale: Je vais t’aimer. «C’est plus qu’une chanson d’amour. Le texte est très hot, passionnel et super osé à chanter. À l’audition, je me suis demandé comment j’allais interpréter ça. Mais le défi m’a plu.»

Rassuré, Michel Sardou a donc fini par embarquer dans l’aventure. La première a eu lieu à Lille en octobre 2021, alors que le Covid-19 joue encore les trouble-fête. Mais, à l’exception de quelques dates repoussées, le spectacle trouve son public, tout en provoquant la surprise dans les tribunes. Car cette comédie musicale ne raconte pas la carrière de Michel Sardou. Non! L’histoire commence en 1962, sur le pont du paquebot France, lors de sa première traversée vers New York et invite le public à suivre le parcours de vie de six jeunes Français sur plus de quatre décennies. Quarante ans où les amours naissent, puis disparaissent; où les ambitions des uns défient les convictions des autres. Mais ce spectacle est aussi un coup de projecteur sur l’évolution d’une société prisonnière d’un engrenage inévitable: le progrès. On y croise furtivement John F. Kennedy, Martin Luther King, les barricades de mai 68, l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, les luttes syndicales sur le port du Havre… Confortablement installés dans leur fauteuil, les spectateurs voyagent ainsi dans le sillage de ces personnages et visitent les rues de Broadway, les toits blanchis de Ghardaïa, en Algérie, et les landes irlandaises. Portés par les textes de Michel Sardou qu’ils redécouvrent dans un contexte totalement différent.

Le film La Famille Bélier a donné une fausse lecture de la chanson Je vole de Michel Sardou: il s’agit d’abord d’un texte sur le suicide. C’est ainsi que Hobbs, alias Mike dans la comédie musicale, l’interprète dans une scène poignante. Ou comment le rêve américain tourne au cauchemar…

«Je vais t’aimer, c’est plus qu’une chanson d’amour. Le texte est très hot et super osé à interpréter.»

Des tubes, et encore des tubes!

«Le choix des chansons a été le travail le plus compliqué», explique Roberto Ciurleo. «J’ai envoyé une première liste à Serge Denoncourt. Il est canadien, il ne les connaissait pas toutes. Il a aussi cherché d’autres titres que Sardou lui-même avait oubliés. Et il a eu l’idée du livret en écoutant Le Prix d’un homme, un texte, datant de 1978, qui raconte un kidnapping…» S’il n’a pas pu éviter le Connemara, le metteur en scène québécois s’est largement servi dans ce répertoire pharaonesque. Il n’y a pas tous les tubes, malgré les 150 minutes de spectacle. Mais des Vieux Mariés à la Maladie d’amour, des Ricains au Chanteur de jazz, les inconditionnels de Sardou y retrouveront la plupart de ses chefs-d’œuvres. «On s’est construit nos propres émotions, nos propres souvenirs, avec ces chansons, il faut savoir se détacher de tout ça pour basculer dans l’histoire!»

Avec La Java de Broadway, les spectateurs se retrouvent plongés en plein cœur de Manhattan.

La magie opère. On se laisse embarquer par ces destins singuliers qui oscillent entre joies et peines. Michel Sardou a-t-il vu la comédie musicale? «Il est venu à Caen, un samedi soir, je l’ai annoncé au dernier moment à la troupe», raconte Roberto Ciurleo. «C’était une journée particulière, avec pas mal de stress. Nous ne savions pas comment il allait réagir. Mais, dès le premier tableau, il a pris ses propres chansons en pleine figure et il a ressenti une vive émotion que tous les artistes, sur scène, ont pu observer.» Au moment de rejoindre les dix-sept protagonistes en coulisses, la star a eu cette phrase qui résume parfaitement sa pensée: «Vous m’avez eu!». «Nous sommes très fiers d’avoir réussi à respecter cette œuvre et à en faire quelque chose de différent», résume le producteur.

Interview

EMJI

« Je déteste les comédies musicales… »

PARIS Emji s’est usé les cordes vocales dans le métro parisien pendant deux ans, avant de remporter, en 2015, la 11e saison de la Nouvelle Star. Dans ce spectacle, elle incarne Louise, une femme indépendante et déterminée. Un peu à son image.

Sept ans après la «Nouvelle Star», êtes-vous satisfaite de votre parcours?
Lorsque j’ai participé à cette émission, je me posais des questions: est-ce que je vais réussir un jour? Aujourd’hui, je vis de mon métier: j’ai une communauté qui me suit, j’ai développé une activité de coaching vocal et, en parallèle des comédies musicales, je peux travailler sur mes projets personnels.

Quels sont vos objectifs?
Je veux devenir une artiste éclectique et accomplie. Je découvre l’acting avec ce spectacle et cela m’a donné envie d’apprendre encore plus dans ce domaine. Plus je vieillis, plus je cherche à retrouver la gamine en moi.

Est-ce que vous êtes fan des comédies musicales?
Pas du tout. Je déteste ça. (rires) D’ailleurs, lorsque Roberto Ciurleo m’avait appelé, en 2016, pour jouer Milady dans Les Trois Mousquetaires, j’ai mis six mois à me décider, tant je ne voulais pas y aller…

VINICIUS TIMMERMANN

« J’étais attiré et effrayé par la scène »

PARIS Né au Brésil, de parents belges, Vinicius Timmermann a grandi à Toulouse. Est-ce ce qui explique ce besoin de toucher à tout? Théâtre, comédie musicale, série TV: il a attendu la fin de ses études de… designer en produits écologiques pour devenir saltimbanque. Il est Thomas, syndicaliste et fougueux défenseur du France.

Qu’est-ce que le chant vous a apporté dans la vie?
Il m’a permis de naviguer dans la période sombre de l’adolescence. J’ai commencé le chant à 12-13 ans. Ensuite, j’étais le chanteur d’un groupe de pop rock à Toulouse. À l’époque, j’avais peu confiance en moi.

Et le théâtre? Était-ce un passage obligé?
J’étais à la fois attiré et effrayé par cet art. Sur scène, vous êtes visible, vulnérable… C’est une prof de français qui m’a encouragé à me lancer. J’étais très mauvais dans cette matière. Mais la tirade d’Antigone de Jean Anouilh m’avait rapporté un 19/20.

Pourquoi avoir attendu vos 25 ans pour vous lancer?
Une fois mon diplôme en poche, j’ai eu un mouvement de panique. Je n’avais plus la sécurité de l’école en point de mire. Il me manquait quelque chose dans ma vie: je suis reparti de zéro et je me suis inscrit au cours Florent, à Paris.

2000-2015: l’âge d’or

Roberto Ciurleo est un fan absolu de comédies musicales. Cette passion a commencé lorsque Dove Attia, Albert Cohen et Kamel Ouali sont venus toquer à sa porte de directeur d’antennes à NRJ pour lui parler de leur projet autour du Roi Soleil. À cette époque, et malgré le triomphe des Dix commandements, avec Daniel Lévi,en 2000, cet art ne s’est pas encore totalement imposé dans l’Hexagone. Mais le sujet, le roi Louis XIV, séduit l’homme de radio. «J’ai participé au choix des chansons, au casting des interprètes… Il ne faisait aucun doute que ça deviendrait ma vie!» Il crée une start-up, Goom, s’installe à New York pendant trois ans et fréquente le haut lieu de la comédie musicale: Broadway. Il revient en France transformé: il a trouvé son nouveau job. Monter des spectacles. Défendre des projets. Raconter des histoires en chanson. Cela tombe plutôt bien: avec le succès du Roi Soleil – qui a notamment lancé les carrières d’Emmanuel Moire et, surtout, de Christophe Maé, la comédie musicale vit son âge d’or.

C’est la période faste du duo Cohen-Attia. Bercés par les notes légendaires de Starmania (1979), ils ont profité de la brèche ouverte par Notre-Dame de Paris, chef d’œuvre de Luc Plamondon et Richard Cocciante (1998) pour emmener le public français dans ce tourbillon de spectacles toujours plus ambitieux: Mozart, l’opéra rock, 1789, les Amants de la Bastille, La Légende du Roi Arthur… Les décors sont somptueux. Les histoires sont fédératrices et nourrissent la mémoire collective. Si Kamel Ouali a aussi contribué à cette frénésie, avec Cléopâtre (2009), puis Dracula (2011), Roberto Ciurleo n’est pas en reste: avec Robin des Bois, un spectacle créé en 2013, il réunit plus de 800 000 spectateurs en huit mois. Le fait d’avoir engagé Matt Pokora pour incarner le prince des voleurs a-t-il provoqué ce raz-de-marée? Il est le premier, en tout cas, à engager une star reconnue pour porter son spectacle.

«Beaucoup de gens ont tenté de m’en dissuader», se souvient le producteur. «On m’a dit que je commettais l’erreur de ma vie, que Matt n’attirait pas les familles et ne s’adressait qu’à un  jeune public.» Roberto Ciurleo a fait confiance à son instinct: il a eu raison. Pourtant, cet âge d’or a fini par se tarir. Présenté au Palais des Sports en 2016, le spectacle consacré aux Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas ne connaît pas le même succès. La raison? Aux yeux du producteur, cela s’explique par le contexte qui s’est radicalement tendu à Paris depuis les attentats de 2015. «On a vraiment observé un changement dès ce moment-là. Cela a totalement décroché, les gens ont perdu l’habitude d’aller au spectacle, au théâtre. Depuis, Paris a encore vécu d’autres événements qui ont plombé l’ambiance dans la capitale: les manifestations, les gilets jaunes, les grèves à répétition…» Ajoutez-y une pandémie de Covid-19, avec un milieu culturel jugé «non essentiel» par le gouvernement, une période d’inflation et vous avez un aperçu de la tâche abyssale qui attend les organisateurs de spectacles aujourd’hui. «Le divertissement, en temps de crise, est la première chose que l’on sacrifie», rappelle-t-il. «Et, avec le streaming et le télétravail, les gens ont pris certaines habitudes. Il y a des villes qui se remettent mieux que d’autres. Pour Paris ou Bruxelles, c’est clairement plus dur!»

Bernadette superstar

Cependant, Roberto Ciurleo reste optimiste. Si, après une pause de trois mois, le spectacle Je vais t’aimer entamera sa tournée à Genève, à l’Arena, le 1er octobre prochain, le producteur est également impatient de reprendre la route avec cette autre création, produite notamment avec Gad Elmaleh et Gilbert Coullier: Bernadette de Lourdes. Annoncé en mars 2023 à Genève, cette comédie musicale a longtemps été impactée par la crise sanitaire. Spectacles annulés, dates reportées… Malgré tout, ce thème fort et inspirant autour de la foi a su trouver son chemin dans le cœur des gens.

«C’est un véritable tournant dans ma carrière. J’ai besoin d’amener du sens dans mes spectacles et je me dirige plus vers le théâtre musical. Je veux du chant, de la danse et du jeu!» Avec Je vais t’aimer, Roberto Ciurleo poursuit son exploration dans ce format qui s’inspire de ce qui se fait à Broadway. Alors qu’il travaille sur un spectacle mêlant documents d’archives et parties vivantes, pour les 80ans du débarquement en Normandie, en 2025, le producteur prépare également plusieurs adaptations de «sa» Bernadette à destination de l’Italie, des États-Unis et de l’Amérique latine. «Savez-vous qu’il existe un million de reproductions de la grotte de Lourdes recensées dans le monde? Elle est déjà une superstar!»

Roberto Ciurleo, ex-directeur des programmes sur NRJ, est le producteur du spectacle «Je vais t’aimer».

«Je vais t’aimer», le samedi 1er octobre
à l’Arena de Genève. Billets sur TicketCorner.

Michel Sardou

1947 Naissance le 26 janvier à Paris.
1969 Eddie Barclay résilie son contrat. Il signe chez Tréma, le label créé par Jacques Revaux et Régis Talar.
1970 Premier succès commercial avec Les Bals populaires.
1975 Le titre Le France se vend à plus d’un million d’exemplaires.
1976 Nouveau succès avec Je vais t’aimer.
1981 L’album Les Lacs du Connemara entre dans le «Livre des records».
1996 Premiers pas au théâtre dans la pièce Bagatelle(s).
2018 Dernier concert de sa carrière à la Seine Musicale.
1947 Naissance le 26 janvier à Paris.
1969 Eddie Barclay résilie son contrat. Il signe chez Tréma, le label créé par Jacques Revaux et Régis Talar.
1970 Premier succès commercial avec Les Bals populaires.
1975 Le titre Le France se vend à plus d’un million d’exemplaires.
1976 Nouveau succès avec Je vais t’aimer.
1981 L’album Les Lacs du Connemara entre dans le «Livre des records».
1996 Premiers pas au théâtre dans la pièce Bagatelle(s).
2018 Dernier concert de sa carrière à la Seine Musicale.