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Zaz

Après dix ans de succès, la française a tout arrêté. «Pour m’occuper de moi», dit-elle. Elle revient avec une tournée et un album sensible et organique – la bande originale du film de sa vie.

Qui est zaz? qui est isabelle bourgeois? Lorsqu’on passe une demi-heure au téléphone  avec elle(s), la question se glisse souvent dans la conversation. À croire que l’artiste nage en pleine schizophrénie. Mais, elle le dit avec sa gouaille habituelle, Isa a traversé une sérieuse crise d’identité après dix ans d’un succès indiscutable. En 2010, elle débarquait en effet avec son hymne anti-consumériste et sa voix «rauque un peu cassée», sans prévenir, et depuis, elle enchaîne albums et tournées autour du globe avec gourmandise. Un jour, pourtant, sa tête dit stop. Et si elle avait encore des doutes sur ses intentions, la crise sanitaire se charge de les lui rappeler…

Deux ans après, Zaz est de retour avec un disque, magnifique, sensible, organique. Il y est question d’amour, de tolérance, mais surtout de remise en question. Intitulé Isa, tout simplement, cet album lui permet de retrouver un équilibre entre ces deux femmes qui, en fait, n’en sont qu’une seule. Pendant ce long silence (son dernier album date de 2018), Isabelle a trouvé l’amour, elle est devenue la belle-mère de Jayna, la fille de son compagnon à qui elle dédie une chanson (Ce que tu es dans ma vie), elle a accompagné son père en EMS et vidé la maison familiale, un exercice qui a fait remonter des émotions (Comme tu voudras). Ces vingt-quatre mois lui ont surtout offert un plongeon enrichissant au plus profond de son être (Tout là-haut, Exister). Elle a certes arrêté «de boire, de fumer et de manger des animaux», mais elle a aussi trouvé des réponses à certaines de ses questions existentielles. Avant de commencer sa tournée, pleine d’énergie et d’envies, Zaz évoque cette période, difficile mais si instructive, avec sincérité. Sans jamais se départir de son humour. À 40 ans, cette artiste généreuse et spontanée a certainement passé un cap important dans sa carrière. Mais rien ne pourra effacer toutes ces influences qui ont nourri sa musique depuis ses débuts, ces expériences de vie qu’elle emmène avec elle dans ses valises et qu’elle se fera un plaisir de partager avec ses fans suisses, à Genève, Lucerne et Zurich. Prêt pour le voyage?


OFF: Votre nouvel album est sorti en octobre. Quels retours avez-vous reçu depuis?
ZAZ: Cet album a été pensé comme une œuvre en soi, c’est en tout cas comme ça que nous avons travaillé avec Reyn (ndlr. un réalisateur néerlandais qui a notamment travaillé avec Vanessa Paradis et Stephan Eicher). Tout a été samplé, même les bruits de mon corps, il y a des fonds qui reviennent dans chaque chanson, cela donne une cohérence à l’album de la première à la dernière mélodie. Je le vois comme la bande originale du film de ma vie. Les gens l’ont compris, ils me disent qu’il est différent, plus personnel, dans les sonorités, dans les arrangements et les couleurs.

OFF: Vous aviez prévenu que ce disque serait plus intime. Est-ce difficile de se dévoiler, de mettre ses tripes sur la table?
ZAZ:
J’ai toujours eu l’impression de chanter des sujets assez intimes. Même quand les sujets semblent légers, on trouve toujours quelque chose de plus profond dedans. Sur cet album-là, il y a une fragilité, une énergie plus vulnérable. Je pousse moins la voix, je suis plus intérieure.

OFF: Avez-vous changé votre façon de chanter?
ZAZ: Non. Mais j’avais choisi, avant le confinement, de m’arrêter. Et, quand la pandémie est arrivée, cela a conforté ma décision. Je n’avais plus le choix. J’avais besoin de m’arrêter pour me concentrer sur Isa. Zaz est sur le devant de la scène depuis longtemps, elle prenait toute la place. J’ai ressenti un déséquilibre. J’étais dans l’intensité, tout le temps, et j’avais besoin de m’occuper de ma vie personnelle. J’ai aussi rencontré quelqu’un, j’avais envie de prendre du temps pour vivre ça.

Zaz sur la scène de la Villette à Paris. L’artiste française se sent à sa place au milieu des musiciens. «J’ai de la joie à partager la musique avec le public,  à chanter, j’ai toujours beaucoup d’énergie.» Photo by David Wolff – Patrick/Redferns

«Zaz est sur le devant de la scène depuis longtemps, elle prenait toute la place. J’ai senti un déséquilibre.»

OFF: Zaz est-elle devenue un peu trop envahissante? À l’image de ces écrivains qui rêvent de tuer leur double pour exister…
Zaz:
Je suis passé par un moment où j’avais envie que Zaz meurt, oui. C’est une question de nature. Moi, je suis quelqu’un d’excessif dans ce que je fais ou dans ce que je vis. À partir du moment où je sature de quelque chose, il faut que je retrouve mon équilibre. J’étais beaucoup tournée vers l’extérieur, à donner, à mettre de l’énergie, partout et tout le temps, j’ai simplement ressenti le besoin de regarder un peu plus vers l’intérieur.

OFF: Depuis le succès de «Je veux», il y a dix ans, vous n’avez jamais tiré sur le frein. Est-ce ce manque qui a fini par peser?
ZAZ:
Non. J’ai toujours énormément d’énergie, j’aime faire beaucoup de choses en même temps. J’adore quand ça bouge. En plus, j’ai aussi eu du succès à l’international, tout est donc multiplié par le nombre de pays où nous allons: les promotions, les voyages, les concerts… Franchement, ça me convenait! J’ai vécu des rêves éveillés. J’ai rencontré des gens incroyables, j’ai découvert d’autres cultures, j’ai eu accès à tout un tas de choses auxquelles je n’aurais jamais pensé. J’ai tout bouffé, en fait! (rires) J’ai mangé tout ce qu’on me proposait. Au début, avec la notoriété, il y a beaucoup d’intensité, car on ne s’attend jamais au succès, on n’est pas préparé à ça. C’était difficile à gérer, je ne m’autorisais jamais à dire non à quoi que ce soit, j’avais le sentiment de vivre quelque chose d’incroyable, il fallait donc que je profite… Avec l’expérience, on apprend à se respecter, on se rend compte que, si on dit oui à tout, on ne se sent pas bien.

OFF: Le succès est venu d’un coup, dites-vous. Était-ce si compliqué de garder les pieds sur terre?
ZAZ:
C’est comme tous les événements dans ta vie, ça arrive par pallier. Quand tu arrives à prendre conscience de quelque chose, avec le temps, tu le maîtrises mieux, comme si ta conscience s’élargit. Cela prend un autre sens, une autre forme. La notoriété, c’est un peu ça! Je réalise; des fois, j’oublie complètement… (rires) Ce sont les gens qui me le rappellent. Avec le masque, c’était génial, parce que je pouvais sortir n’importe où sans problème. À moins que je me mette à parler, et là, c’est foutu. Mais j’ai pu me rendre à des endroits que j’évitais, parce que je me sentais oppressée, observée, regardée.

OFF: Vous avez chanté en Amérique latine, au Japon, en Russie, en Turquie… Comment expliquez-vous l’amour de ces pays non francophones pour votre musique?
ZAZ:
Quelqu’un a eu cette phrase dans une conversation: on ne comprend pas ce qu’elle dit, mais on reçoit ce qu’elle donne… C’est la plus belle chose qu’on m’ait dite! J’ai de l’énergie, j’ai de la gouaille, de la joie à être sur scène, à partager la musique, à chanter. Je me sens à ma place au milieu des musiciens. Je m’amuse, j’aime les gens et je suis profondément française, malgré moi. Je représente donc quelque chose pour ce public qui apprécie notre culture. Le nom d’Edith Piaf revient souvent dans les discussions. Mais, aujourd’hui, ils apprécient une chanson française plus contemporaine. Peut-être que mon côté jazz, qui fait partie de mon ADN, leur plaît également.

OFF: Vous revendiquez d’ailleurs d’autres influences que la chanson française…
ZAZ:
J’ai écouté tellement de choses. Mon premier groupe jouait du blues (ndlr. Fifty Fingers). Ensuite, j’ai touché à la musique espagnole (ndlr. avec le groupe Don Diego, aux influences afro, latino et arabo-andalouses), j’ai fait du jazz. La chanson française est arrivée bien plus tard. Sortie de formation, j’ai travaillé directement, mais les gens demandaient tout le temps de la chanson française. J’ai donc appris au fur et à mesure.

OFF: D’où vient cet intérêt pour ces rythmes d’ailleurs?
ZAZ:
Il y a plein de chanteurs au Brésil ou en Argentine, en Espagne aussi, que j’ai écoutés. J’aime ça, c’est très riche harmoniquement. J’apprécie également la musique du bassiste Richard Bona. Ma mère était prof d’espagnol et, quand j’étais petite, nous allions parfois en Espagne. Je suis tombée amoureuse des gens, parce qu’ils ne me parlaient pas à moi comme à un enfant, mais comme à une personne. Cela m’avait marqué.

OFF: Et la musique a été une évidence très tôt dans votre existence?  Vous êtes entrée au conservatoire de Tours à l’âge de 5 ans…
ZAZ:
Ben oui! C’était une évidence, mais j’ai dû provoquer le destin. J’ai décidé de devenir chanteuse à l’âge de quatre ans. On m’a fait passer un radio-crochet à sept ans, j’avais gagné le deuxième prix, tout le monde disait que j’avais une jolie voix. Mais, voilà, je n’ai jamais forcé les choses, je n’ai même pas joué d’un instrument par la suite… En revanche, je chantais tout le temps. J’avais été embauchée dans une cuisine et, le premier jour, je suis arrivée, je me suis mise à chanter. Avec le recul, je me demande comment j’ai pu faire un truc pareil: tu n’entres pas chez les gens et tu te mets à chanter! (rires) C’était ma manière de communiquer. Et, à 20 ans, à la mission locale, comme je chantais tout le temps dans les couloirs, un éducateur a fait une demande de bourse d’études au Conseil général d’Aquitaine. J’ai reçu 26’000 francs, c’était énorme à l’époque, ce qui m’a permis d’entrer directement en deuxième année au CIAM à Bordeaux (ndlr. Centre d’informations et d’activités musicales). Cette filière est destinée aux professionnels, elle te donne toutes les clés pour en faire ton métier. Et, à ce moment-là, je me retrouve entourée de musiciens qui me font écouter plein de choses. Il y a des scènes ouvertes, des concerts, j’entre dans un groupe où nous faisons des reprises de blues, j’ai des cours de gospel, d’afro, de jazz. C’était fou.

OFF: Vous avez aussi découvert plusieurs manières de faire de la scène, entre café-concert, cabaret et piano bar…
ZAZ:
J’ai beaucoup expérimenté, c’est vrai. Je suis sortie de formation, j’ai passé une audition et j’ai tout de suite été embauchée dans un orchestre, Izar Adatz, basé au Pays basque, on reprenait les classiques dans les bals populaires. Nous nous rendions dans le sud de la France et nous participions à toutes les fêtes de village, pendant cinq heures d’affilée, avec des robes à paillettes, à faire des chorégraphies qu’évidemment, je faisais à l’envers. J’étais payée pour chanter et je trouvais ça dingue. C’était épuisant, parce que nous montions et démontions tout notre matériel nous-mêmes. On finissait au petit matin, on était explosé, et puis, on recommençait. Parfois, je prenais le train et j’arrivais à Paris, au lieu de Bordeaux, et il fallait expliquer au contrôleur que je m’étais endormie. (rires)

«Avec le masque, c’était génial, parce que je pouvais sortir n’importe où, sans problème.»

Photo: Yann Orhan/Warner Music

OFF: Avez-vous été surprise de l’impact de la chanson «Je veux»?
ZAZ:
C’est un peu bizarre de dire ça, mais j’ai toujours su, depuis toute petite, que je serais connue. Je l’avais d’ailleurs dit à ma mère – qui était super inquiète à l’idée que ça n’arrive jamais. Mais j’avais cette sensation que ça allait arriver. Pourtant, je ne cherchais pas forcément à percer. J’allais là où la vie me guidait. Je provoquais le destin, mais de manière détournée. Je cherchais d’abord à chanter, à travailler. Et, quand je ne trouvais pas de boulot, j’allais dans la rue.

OFF: Dix ans après sa sortie, et avec tout ce qui s’est passé avec la pandémie, cette chanson est toujours aussi actuelle, non?
ZAZ:
Je veux ne pourra jamais être désuète. Quand tu gagnes bien ta vie, elle a encore plus de force. Avoir de l’argent, pouvoir s’acheter des choses, c’est agréable. Mais, en fait, ça ne règle jamais tes problèmes. On a besoin d’argent pour manger, avoir un toit, à moins que tu cherches à vivre en marge. Mais ce n’est pas une finalité en soi. Cette chanson est d’autant plus actuelle aujourd’hui qu’avec le confinement, les gens ont pris du recul sur tout un tas de choses et se sont rendu compte que l’essentiel n’était pas forcément là où on plaçait le curseur.

OFF: Et vous, qu’avez-vous appris au cours de ces deux années d’arrêt?
ZAZ:
Waow! J’avais décidé de m’occuper de moi. J’avais un urgent besoin de m’arrêter et de m’observer. Il y a plein de choses, dans sa vie, que l’on fuit, sans s’en rendre compte, il y en a d’autres que l’on fait par automatisme. Forcément, avec cette période, tout allait changer. D’un côté, il y avait les émotions que je vivais au fond de moi, ces prises de conscience, ces révélations sur mon histoire. Mais j’avais l’impression que ce chamboulement intérieur trouvait un écho à l’extérieur, avec tous ces gens qui prenaient position sur des questions d’identité ou d’abus. Tout devenait plus intense avec l’arrêt de la vie sociale. On ne pouvait plus fuir, on prenait tout en pleine tête. Et ce n’est pas facile de découvrir des choses – qu’on n’avait pas vues jusque-là – sous cet angle. C’est ce que raconte ma chanson Tout là-haut: prendre de la hauteur, changer de perspective, pour mieux comprendre. Cela fait un bien fou, parce que tu conscientises des choses et, du coup, tu libères des émotions, des souvenirs. Cet album raconte ce voyage, cette rencontre avec moi-même.

OFF: Un périple qui a pris tout son sens…
ZAZ:
Effectivement. Quand tu es dans l’intensité de la scène, quand le public t’applaudit et t’aime, il y a beaucoup d’énergie. Là, c’était à moi de m’apporter cette énergie, cette bienveillance, cette douceur. Or, ce n’est pas quelque chose d’inné chez moi, j’ai dû déconstruire des choses. Mais on ne peut pas changer du jour au lendemain, cela demande du temps. Il faut aussi accepter qu’on n’arrive pas toujours à lâcher prise, mais continuer à vivre et à avancer. Cet album, c’est ça, se laisser traverser par la vie. J’avais une perte totale de repères, je dirais même une perte d’identité. Je me suis demandé qui j’étais sans Zaz. J’ai dû réapprendre à chanter, à chercher à l’intérieur de moi comment exprimer mes émotions, comment trouver l’énergie, comment vivre tout simplement. J’ai repris des cours de chant, de danse, de théâtre, pour me provoquer. Pour voir ce qui allait sortir.

OFF: Avez-vous pensé à un moment changer de non et vous appeler Isa?
ZAZ:
Oui. J’avais dit à ma maison de disque que Zaz ne s’appellerait plus Zaz. Je me serais appelé Isa ou Issa. Mais, finalement, j’ai traversé tout ça pour réaliser que je me trompais sur l’image véhiculée par Zaz. À mes yeux, elle devait toujours être joyeuse, positive, parce que c’est ce que mes chansons exprimaient. En discutant avec des amis musiciens, je me suis rendu compte que c’est moi qui me mettais cette pression-là, d’être toujours de bonne humeur. Je me prenais pour une sorte de superhéros qui voulait sauver les gens et je m’en voulais quand je n’arrivais pas à les aider. Mais on ne peut pas être là pour tout le monde, c’est impossible! On peut écrire des chansons qui vont soutenir, accompagner, c’est tout. Quand les gens te disent qu’on leur a sauvé la vie, c’est faux, c’est la personne elle-même qui s’est sauvée ou soignée à travers quelque chose qu’elle a entendu, un message qu’elle a su entendre. Il y a juste quelqu’un qui a nommé sa souffrance. C’est pourquoi la musique et l’art en général sont thérapeutiques: ça soigne, ça fait du bien, c’est nécessaire à la vie! 

Zaz

1980 Naissance le 1er mai à Tours.
2000 Reçoit une bourse d’études du Conseil général d’Aquitaine et entre au CIAM de Bordeaux.
2010 Sortie de la chanson Je veux, titre-phare de son premier album.
2011 Les Français élisent Je veux comme Chanson de l’année. Zaz fait son entrée chez les Enfoirés.
2013 Deuxième album, Recto Verso.
2015 Fait une mini tournée de 8 dates en Amérique latine.
2018 Sortie de son quatrième album, Effet Miroir.
2021 Après trois ans de silence, elle présente son dernier opus, Isa.
1980 Naissance le 1er mai à Tours.
2000 Reçoit une bourse d’études du Conseil général d’Aquitaine et entre au CIAM de Bordeaux.
2010 Sortie de la chanson Je veux, titre-phare de son premier album.
2011 Les Français élisent Je veux comme Chanson de l’année. Zaz fait son entrée chez les Enfoirés.
2013 Deuxième album, Recto Verso.
2015 Fait une mini tournée de 8 dates en Amérique latine.
2018 Sortie de son quatrième album, Effet Miroir.
2021 Après trois ans de silence, elle présente son dernier opus, Isa.