Éric Linder – « Je recherche des lieux de dingues… »
Codirecteur, cofondateur et programmateur du festival Antigel, il prépare sa prochaine cuvée, en grand explorateur, à la recherche de lieux en (re)devenir. Rencontre dans sa grotte, sans réseau, de là où émergent créativité et idées.
Antigel n’est pas encore sous cloche, « tout peut changer, on est dans ce moment de l’année (ndlr. début octobre) où l’on a 200 projets, pour une centaine qui se réaliseront. On aimerait faire un made in dans un lieu dingue, mais, pour l’instant, on ne l’a pas. Antigel, c’est une centaine de spectacles dans une cinquantaine de lieux dont au moins la moitié se renouvelle d’année en année. » Parmi ces nouveaux lieux qui font déjà rêver, les serres de l’École d’horticulture de Lullier. « Mais les projets sont soumis à des financements, on attend des réponses pour aller de l’avant. Aujourd’hui, on a beaucoup de bureaux vides à Genève, mais peu de halles industrielles dans lesquelles on pourrait faire des trucs fous. » L’année dernière, l’un de ces lieux, c’était le centre de vaccination de la gare des Eaux-Vives, qui faisait office de bar central. « Pas si fou, mais pas si mal pour une première édition post-Covid », estime Éric Linder, qui se réjouit d’avoir pu effacer quelque peu le souvenir de shots de vaccins grâce à des shots de vodka. Pour l’édition 2024, lui et sa codirectrice Thuy-San Dinh aimeraient investir le chantier du futur quartier des Vernets. « J’adore l’idée de ce terrain vague qui, dans quelque temps, sera habité par des centaines de personnes. »
Éric Linder partira aussi à la recherche de ses souvenirs onésiens, en imaginant un parcours dans son ancienne école d’Onex Parc. Il aime qu’un lieu d’études devienne un lieu de loisir, profitant qu’Antigel se déroule en partie pendant les vacances de février. L’occasion peut-être de rajeunir le public du festival. « Les habitudes ont changé depuis le Covid, le nouveau truc, c’est de se retrouver dans un parc, un parking souterrain, entre copains, amener sa musique, ses boissons. » Pour retrouver les jeunes, être à leur écoute, Éric compte notamment sur le bar central de la manifestation. Il envisage aussi des marches, des spectacles itinérants dans les quartiers sous tension. « On veut avoir plusieurs angles de témoignages, inviter le public à réfléchir, lire des textes, aller là où l’on s’est sentis désemparés face à la montée de la violence. »
Éric Linder est aussi un compositeur à fleur de peau, inspiré ou transpercé par le monde tel qu’il va, qui n’est plus parvenu à écrire depuis qu’il a vécu l’horreur dans les rues de Paris, autour du Bataclan. Il pensait que la musique le sauverait toujours de tout, qu’il trouverait à traduire en mots tantôt sa vie intérieure, tantôt le monde, mais cette « déchirure émotionnelle-là », il n’a pas pu. Le choc a en revanche conduit à « un besoin de collectif », de projets communs, de rapprochements entre humains. Il chante les mots de son ami Fabrice Melquiot. Le dramaturge et metteur en scène lui écrit des chansons où l’absurde, la drôlerie, se mêlent souvent à une joyeuse mélancolie. Et il travaille, en ancien champion de course à pied, à ses festivals, Antigel, mais aussi celui qu’il a organisé à Abid-jan sur le même modèle, ou Hyper Ouest, dont la première édition a eu lieu à Lausanne. « Pour la programmation, on essaie de faire les choses au plus proche du temps réel », pour coller au monde, en directeur d’Antigel, avant de retrouver sa grotte d’artiste en création et en questionnements.