Alpe d’Huez : Rires et cinéma sous la neige
Souvent snobée et peu honorée, la comédie reste le genre le plus populaire et le plus fédérateur du septième art. La preuve avec l’édition 2023 du festival de la station savoyarde, qui a fait salle comble tous les soirs. Reportage.
L’arrivée à l’Alpe d’Huez est épique, ce lundi de janvier : des flocons tourbillonnent dans le ciel, la visibilité est très réduite, on croise quelques véhicules coincés dans la montée. Dans la station, perchée à 1860 mètres, le sol est recouvert d’une quantité de poudreuse comme on n’en a pas vue depuis longtemps. « Je ne vous conseille pas de sortir du bus ! », se marre le chauffeur. Après avoir posé les bagages à l’hôtel et récupéré l’accréditation qui permettra d’accéder à toutes les projections, il est déjà l’heure de filer au Palais des sports pour la cérémonie d’ouverture. Tout d’abord, passage obligé au QG, une salle où se retrouvent chaque soir professionnels de l’industrie cinématographique, journalistes et équipes de films. Ça papote et ça trinque, dans une ambiance conviviale. Dans un coin canapé, Gérard Jugnot discute avec Arielle Dombasle. Tous deux sont au casting d’Alibi.com 2, film d’ouverture de la 26e édition du Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez.
Dehors, la neige continue de tomber à gros flocons. Le jury fait son entrée : Karin Viard, la présidente, suivie de son équipe, Bérengère Krief, Stéphane Fœnkinos, Camille Chamoux et Antoine Bertrand. C’est l’heure pour eux de passer devant les photographes et de prendre la pose sous les crépitements des flashs – version miniature du tapis rouge cannois – avant d’aller répondre aux questions des médias. « Je n’ai lu aucun synopsis, car j’aime ne rien savoir et me laisser porter par les histoires », affirme Antoine Bertrand, qui avait glané ici-même le prix d’interprétation masculine en 2020 avec Au revoir le bonheur. « J’ai hâte de vivre cette semaine avec un jury haut en couleurs, sans la pression de présenter un film et d’être jugé », lance Bérengère Krief, venue en 2016 présenter Adopte un veuf (prix spécial du jury). De son côté, Karin Viard s’indigne contre ceux qui se bousculent pour la voir et la photographier : « Excusez-moi, je ne suis pas un animal dans un zoo ! »
Au tour de l’équipe d’Alibi.com 2 de passer devant la presse. Alors que Didier Bourdon essaie de déconcentrer Gérard Jugnot en plein interview, Arielle Dombasle s’extasie : « J’ai été élevée sous les tropiques, je n’avais jamais vu ça, cette tempête de neige, c’est si romantique ! » Le réalisateur Philippe Lacheau est, quant à lui, un poil moins détendu : « Mes acteurs n’ont pas encore vu le film, alors s’ils n’aiment pas et si personne ne rit, je vais me sentir très mal. J’espère qu’ils me diront toujours bonjour après la projection ! » En réalité, le cinéaste est dans son élément à l’Alpe d’Huez: son premier long-métrage, Babysitting, avait été primé en 2014, et il est venu présenter tous ses films depuis : « C’est le meilleur festival du monde, tu portes des boots et tu manges de la raclette, tu ne peux pas te la raconter… »
Tandis qu’un message tourne en boucle dans les haut-parleurs (« Les amis, l’apéro est fini ! ») et enjoint tout le monde à rejoindre la salle de projection, nous attrapons Gad Elmaleh au vol : « Le fait qu’il y ait des tragédies ou qu’il y ait eu le Covid ne rend pas la comédie complexe. Au contraire, on doit prendre du recul et apporter du rire là où il y a de la souffrance », estime-t-il.
19h45. Coup d’envoi de la cérémonie d’ouverture. Blocs de glace, fauteuils en peau de bêtes et cheminée ornent la scène. Les membres du jury arrivent au son de Toutes les femmes de ta vie des L5, et se lancent dans une chorégraphie surprise sous les acclamations du public. Une performance qui restera assurément dans les annales. Au tour de Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, de venir encenser la comédie : « C’est le premier de tous les genres, ça a débuté avec L’arroseur arrosé en 1895. C’est l’un des genres les plus nobles et les plus difficiles qui soient. » Après les éclats de rire provoqués par une diffusion d’extraits de grands classiques (Le Dîner de cons, La Grande vadrouille, Les Bronzés font du ski), les lumières s’éteignent, le silence se fait. C’est le moment de découvrir la suite des aventures de Greg (Philippe Lacheau), Flo (Elodie Fontan) et de l’agence Alibi.com…
« Un rayonnement fort pour la station »
Mardi, on retrouve l’équipe d’Alibi.com 2 pour un shooting dans la neige devant l’hôtel Au Chamois d’or, en haut du village, repère des célébrités pendant le festival. Hormis les soirées très select qui s’y organisent, la manifestation répand ses vibes positives dans toute la station. Un aspect primordial pour les directeurs, Frédéric Cassoly et Clément Lemoine, qui, avec leur agence ATG, bossent aussi sur les festivals de Cannes, de Marrakech et le Festival Lumières, à Lyon : « On veut livrer un événement bienveillant et plein de sourires. L’altitude fait baisser les ego de tout le monde. » Ceux qui considèrent l’Alpe d’Huez comme « le bébé » de l’agence travaillent dessus toute l’année et rappellent que « sans les comédies, le box office ferait davantage la tête ». Unique événement en Europe à se focaliser sur le film d’humour, le festival est né en 1997. Cette année-là, La vérité si je mens avait raflé le prix du public, tandis que Les randonneurs, avec Karin Viard, remportait le prix spécial du jury. « C’est un rayonnement fort pour l’Alpe d’Huez, indique Laura Heurteloup, qui travaille au service de presse de la station et vient filer un coup de main sur le festival. Avec Tomorrowland Winter (ndlr. la 3e édition vient d’avoir lieu à guichets fermés, du 18 au 25 mars), c’est l’événement le plus important de la saison hivernale. »
Le soir, le palais appelle les festivaliers avec ses faisceaux lumineux. Excepté un chasse-neige qui passe, la station, toujours étouffée sous les flocons, est étrangement silencieuse. Dans la salle grouillante du QG, c’est une autre ambiance : Franck Dubosc et Patrick Timsit se taquinent. « Je t’envie, je te jalouse ! », lance le premier. « Pourquoi ? », demande un journaliste. Et Patrick Timsit de répliquer : « Pour mon âge, pour mon physique, regardez, il a raison d’être jaloux ! » Vient ensuite la projection de La plus belle pour aller danser, premier film de Victoria Bedos (l’un de nos coups de cœur de cette édition), qui raconte l’histoire d’une adolescente qui se déguise en garçon afin d’exister aux yeux de ses proches.
De la tendresse et des échanges
Le lendemain, il faut se lever tôt, car les interviews s’enchaînent. Alors que Philippe Katerine avoue que les montagnes l’angoissent, Melvin Boomer, jeune star du film Sage-homme, s’extasie du « cadre magnifique. Les gens sont plein d’amour, c’est le feu ! Là, je viens de faire du snowboard, j’ai tapé de belles chutes ! » « On est à l’aise ici, c’est tranquille, comparé au Festival de Cannes où c’est blindé de gens en costume et où c’est tout le temps la course », confie quant à lui Riadh Belaïche, alias l’influenceur Just Riadh, qui tient le rôle d’un jeune pâtissier, dans À la belle étoile. La pétillante Victoria Bedos mentionne aussi l’ambiance bon enfant : « Il n’y a pas ce truc guindé qu’inspire parfois le cinéma, qui est un milieu parfois coriace et solitaire. Ici, on se regarde avec tendresse et on échange sur nos métiers, sans aucun esprit de compétition. » Et d’évoquer son père, Guy Bedos, qui citait Kierkegaard : « L’humour est la politesse du désespoir ». « C’est une phrase qui m’est restée. Je pense que la comédie peut aborder des sujets parfois douloureux par le prisme du rire, et rendre le tout plus digeste. »
Le mercredi, c’est aussi la journée jeunesse. Quelque 800 élèves de la région viennent assister à des projections, discuter avec les équipes de film et travailler sur les métiers du cinéma. Un moment très important pour le festival, qui espère créer des vocations chez les jeunes. « C’est incroyable de voir des films toute la journée, de pouvoir poser des questions aux équipes et de voir les acteurs de si près ! », s’exclament trois adolescentes, sourires éclatants aux lèvres. Aure Atika, qui donne la réplique à Franck Dubosc dans 10 jours encore sans maman, rappelle que les jeunes sont leur premier public : « On était donc très à l’affût de leurs réactions et de leurs rires pendant le film. Ensuite, c’était drôle, car c’était un mélange de questions parfois un peu naïves, et parfois très techniques et pointues sur la fabrication du film. »
« La comédie, c’est l’un des genres les plus nobles et les plus difficiles qui soient. »
Ski, soleil, apéro, baignade
Enfin, on a le temps de suivre les traces de Melvin Boomer et d’aller descendre quelques pistes. Après trois jours de chutes de neige, le soleil brille dans un ciel sans nuage. Ce qui est bon à prendre, lorsqu’il fait – 15 degrés. La station aux 250 kilomètres de pistes se targue de posséder la plus longue piste noire d’Europe : la Sarenne, qui démarre à 3330 mètres d’altitude au Pic Blanc et descend sur 16 kilomètres jusqu’aux Gorges de la Sarenne, à 1650 mètres.
La neige, le froid… et, ensuite, la piscine ! Voilà une idée bien originale que l’aqua-comédie. Après Les crevettes pailletées en 2022, c’est Luca qui est programmé cette année. Il y a quelque chose de magique à regarder ce merveilleux film d’animation qui se déroule dans la mer de Ligurie, installé dans une bouée gonflable, alors que dehors les pics enneigés disparaissent progressivement dans l’obscurité. Le soir, comme Fabrice Luchini vient présenter Un homme heureux, film dans lequel il joue un maire réac qui n’accepte pas que sa femme ait entamé une transition pour devenir un homme, tout le monde lui demande s’il est heureux. « C’est déprimant comme question », lance l’acteur de 71 ans avec sa verve habituelle. « Si j’étais heureux, je me serais arrêté plus tôt. Je suis inapte au jardinage, inapte aux petits enfants, inapte à tout ce qu’un esprit sain est capable de pratiquer. Moi, ça ne va pas bien, donc je fais le métier de comédien ! » Voilà qui a le mérite d’être clair.
Le lendemain, c’est un tout autre style de comédie qui fait les honneurs de la soirée de gala : BDE, de et avec Michaël Youn, qui consiste grossièrement en une beuverie géante ininterrompue. « Je suis de retour ici vingt ans pile après la présentation de La Beuze, c’est fou », commente le cinéaste, qui prépare actuellement une relecture de L’homme invisible, version comédie de Noël. Helena Noguerra, elle, insiste sur la température glaciale sur le tournage : « – 17°. Je n’oublierai jamais. »
Gratuit pour le public, le festival prône un accès à la culture pour tous et offre une vraie proximité avec les équipes des films. Ce qui motive de nombreux spectateurs à faire la queue dans le froid. Samedi, soir de la clôture, ceux qui sont en tête de file attendent depuis 2h30. « En attendant on papote et on fait des connaissances, c’est très convivial », lance une dame avant de s’engouffrer à l’intérieur au moment où les portes s’ouvrent. Plus loin, deux jeunes filles ignorent quel film passe ce soir, mais peu importe, « on veut voir l’ambiance, les invités ».
Après les L5, les Spice Girls
La salle est pleine à craquer, la cérémonie de clôture peut commencer. Attendus au tournant après leur exceptionnelle danse sur les L5, les membres du jury – y compris Camille Chamoux, affublée d’une attelle au genou après s’être blessée en skiant – arrivent en se déhanchant sur Wannabe, des Spice Girls. Bien vu ! Côté palmarès, l’OVNI 38,5° Quai des Orfèvres (un tueur en série laisse des alexandrins sur ses scènes de crime) s’empare du Grand Prix, tandis que Les petites victoires (une institutrice doit gérer un nouvel élève sexagénaire dans sa classe) réalise un doublé prix spécial du jury-prix du public. William Lebghil est sacré meilleur acteur pour son rôle de grand gentil dans Les complices, où il se lie d’amitié avec un impitoyable tueur à gages (François Damiens), et Brune Moulin, 15 ans, remporte le prix de la meilleure comédienne pour La plus belle pour aller danser. Et de lâcher en pleurs : « Je n’arrive pas à croire que je suis là, je veux dire, j’ai une éval de maths lundi ! »
« On veut livrer un événement bienveillant. L’altitude fait baisser les ego de tout le monde. »
Le dernier jour, l’heure est aussi au bilan. Que l’on fait avec Fred et Clément, sur la terrasse, au soleil. « On a rempli toutes nos salles, c’est enfin les retrouvailles avec le public après trois ans de crise sanitaire», se réjouissent les deux compères, racontant qu’ils rentrent de temps à autre dans les salles de projection «pour se faire des shots de rire et d’émotion ».
Au final, le FAH 2023 aura accueilli plus de 1700 professionnels accrédités. Toutes les séances du soir (1800 sièges) ont affiché complet et le nombre de spectateurs sur la semaine est estimé à 22 000. « La comédie aura toujours de beaux jours devant elle », lance Antoine Bertrand, avec son irrésistible accent québécois. « Est-ce qu’elle sera reconnue à sa juste valeur ? Je ne crois pas, car peu importe comment on frappe sur ce clou-là, il ne rentre pas. Mais on s’en fout, parce que ce sont les gens qui décident. Ils aiment ça et ils en redemandent, parce qu’ils en ont besoin ! »