CinémaReportage

NIFFF : vous avez dit fantastique ?

Après avoir battu son record de fréquentation en 2022, le Festival du film fantastique de Neuchâtel lance sa 22e édition le 30 juin, avec un jury présidé par Josiane Balasko. En deux décennies, la manifestation s’est imposée comme l’une des spécialistes du genre sur la scène internationale.

Neuchâtel a un pouvoir bien réel en matière de cinéma : celui de se transformer chaque été en capitale internationale du film de genre grâce au Neuchâtel International Fantastic Film Festival ou NIFFF, son petit nom depuis sa naissance en 2000. Déclinant le fantastique et les genres connexes dans toutes leurs variations durant neuf jours, le NIFFF a su s’imposer sur la scène internationale comme l’un des pôles de compétence, offrant une programmation pointue et diversifiée. Il met aussi en valeur un cinéma à l’avant-garde avec une section images digitales, créée en 2004, ainsi qu’une section historique consacrée au cinéma asiatique, avec sa compétition propre. Solide sur ses trois piliers, la manifestation a battu, pour son retour à la normale l’an dernier après deux éditions en digital et en hybride, son record de fréquentation en accueillant 50 000 festivaliers dans ses infrastructures, dont 35 000 dans ses trois salles de projections et son Open air.

Festival du Film Fantastique de Neuchâchel
Fascinée par la science-fiction fantastique, Josiane Balasko a accepté exceptionnellement la présidence du jury du NIFFF.

Un succès comme un signe de bienvenue pour Pierre-Yves Walder, directeur général et artistique de la manifestation depuis 2022. Mais il s’agissait davantage de retrouvailles : il avait officié au NIFFF en tant que responsable presse de 2008 à 2010, avant d’intégrer l’équipe de programmateurs jusqu’en 2015. Également passé par les festivals Cinéma tout écran, Visions du Réel, Locarno, FIFDH, ainsi qu’à la RTS et à Pro Helvetia, le spécialiste de cinéma a amené avec lui des nouveautés qui seront reconduites cette année. « Dans la programmation, nous avons par exemple instauré des explorations socioculturelles du fantastique », explique Pierre-Yves Walder. « En 2022, nous l’avons fait à travers une rétrospective, Scream Queer, qui était importante parce que le cinéma fantastique est souvent associé à l’image de l’homme hétéro. Je voulais explorer les représentations queers dans ce genre, depuis le début du cinéma, pour voir comment les identités ont été représentées, que ce soit consciemment, inconsciemment, en sous-texte métaphorique, etc. Cette programmation a vraiment bien marché. »

Pour l’édition 2023, à vivre dans une dizaine de lieu de Neuchâtel (30 juin-8 juillet), la rétrospective s’intitulera Female Trouble et se penchera sur les archétypes féminins à travers des films comme Yes, Madam avec Michelle Yeoh, Dans ma peau, Daisies, Let’s Scare Jessica to Death ou encore Rebecca d’Alfred Hitchcock. « Les femmes sont aussi, comme les queers, en dehors de la catégorie que le cinéma a le plus représenté, avec son côté patriarcal qui a formaté des fantasmes et des stéréotypes de femmes qui dépendent toujours d’un homme, qui doivent séduire un homme », rappelle Pierre-Yves Walder. « Le cinéma fantastique n’est pas très bon élève à ce niveau-là et nous allons explorer cela, en recontextualisant certains films qui sont un peu limite, par exemple dans le rape and revenge (ndlr. viol et vengeance en français). » Souhaitant tendre un miroir à ce sous-genre très controversé, il a programmé le contemporain The Nightingale, présenté en 2018 à la Mostra de Venise, et réalisé, pour une fois, par une femme. « C’est un thriller très brutal, mais qui reste intéressant, car la réalisatrice Jennifer Kent, s’est réapproprié les codes de ces films violents et raconte vraiment une histoire. »

PHOTO: NIFF / DR

John McTiernan dans le jury

Le nouveau directeur a également misé sur des jurés d’exception. Monument du cinéma français, Josiane Balasko succèdera ainsi, en tant que présidente du jury international et invitée d’honneur, à la légende de la littérature américaine Joyce Carol Oates. L’année dernière, la présence de l’auteure prolifique, deux mois avant la première mondiale de la très attendue adaptation de son best-seller Blonde par Andrew Dominik, avait offert une magnifique vitrine au NIFFF. « C’était un statement de l’avoir, car elle a fait du fantastique et du gothique, mais elle fait bien plus que ça et la littérature est très importante dans le cinéma de genre. Je trouvais également important d’avoir une femme à la présidence du jury et, surtout, je l’adore ! »

À Neuchâtel, Josiane Balasko se plongera dans un univers qu’elle affectionne tout particulièrement : « Elle est fascinée par la science-fiction fantastique, raison pour laquelle je l’ai contactée. Elle m’a dit qu’elle n’acceptait quasiment jamais les présidences de jury, mais là, je pense qu’elle était intéressée justement parce qu’il s’agit de fantastique. Elle parlera également de son travail d’écrivain au forum littéraire. »

Pour départager les films en compétition internationale, dont Animalia, Perpetrator, Piove et White Plastic Sky, siégeront notamment, aux côtés de l’actrice française, l’illustrateur américain culte Charles Burns, le réalisateur de Swagger, Olivier Babinet, et John McTiernan, à qui l’on doit la saga Die Hard avec Bruce Willis, Rollerball ou encore Last Action Hero.« Un jury incroyable », s’exclame Pierre-Yves Walder. « Ce sont des personnes très différentes, issues de domaines très différents, et je me réjouis de voir comment ils vont se rencontrer et collaborer. »

Une petite structure en coulisses

Depuis 2008, Pierre-Yves Walder a été le témoin privilégié de l’évolution de la manifestation neuchâteloise. Il l’a vu grandir, en taille et en réputation : « Le NIFFF s’est développé en même temps que l’innovation numérique. Il a instauré davantage de sections, comme l’Ultra Movies et la section non-compétitive Third Kind, qui présentent des films à la limite du fantastique. Le forum littéraire a été créé en 2010. On a développé l’importance du pôle cinéma asiatique, des conférences, les labels NIFFF Extended sur le futur du cinéma, le programme gratuit NIFFF Invasion et le NIFFF On Tour qui permet de valoriser le genre auprès du grand public tout au long de l’année grâce à des projections spéciales. »

Mais outre son déploiement, le festival s’est également imposé sur la scène internationale grâce au flair de ses fondateurs, estime l’actuel directeur : « Le cinéma fantastique était un peu en perte de vitesse à la fin des années 90 avant de redevenir important dès 2000. Je pense que le NIFFF, né cette année-là, a profité de cela au niveau international, car il a été l’un des premiers à se dédier entièrement au fantastique. Il s’est ainsi placé dans le calendrier des festivals européens et petit à petit, il a attiré beaucoup d’invités prestigieux. » Parmi eux, citons John Landis, Dario Argento, David Cronenberg, John Carpenter, Terry Gilliam, Jean Dujardin ou encore Joe Dante.

Pourtant, derrière le rideau, ce sont seulement sept personnes fixes qui œuvrent tout au long de l’année pour mettre sur pied ce festival au budget avoisinant 2,1 millions de francs en 2022. Elles sont rejointes, de janvier à juillet, par deux personnes à la programmation. Puis l’équipe grandit encore quatre-cinq mois avant l’ouverture, avec l’entrée en piste de quelques CDD, avant d’être renforcée par plusieurs centaines de personnes durant le NIFFF. « L’année dernière, sur la durée du festival, il y a eu en tout 85 CDD et 350 bénévoles », détaille Roxane Fleury, responsable communication du NIFFF, engagée à l’année. Arrivée en 2018 en tant que responsable de la communication digitale, elle a repris la tête du service en 2022 : « Il y a du travail toute l’année entre la préparation de l’événement, les bilans, le rapport d’activité. Il faut aussi rendre des comptes à tous nos soutiens publics, sponsors et renégocier les contrats pour l’année suivante. » Sans oublier que le NIFFF vit toute l’année à travers le NIFFF On Tour.

Chaque édition, le visuel créé par les graphistes donne le ton à l’ensemble de l’événement. Sur l’affiche 2023, le visage d’un humanoïde aux traits féminins, « tantôt inquiétante, tantôt envoûtante », incarne l’intelligence artificielle. Elle s’appelle D.IA.NE, pour « dispositif d’intelligence artificielle neuchâtelois », en a décidé l’équipe. La 22e édition s’articule autour d’elle : « On s’amuse à créer tout un univers autour du visuel, à raconter une histoire et à amener les festivaliers à rêver avec nous », commente Roxane Fleury. Le visage de D.IA.NE sur l’affiche rappelle également que la rétrospective cette année est consacrée aux femmes, mais aussi que le cinéma de genre, qui est un cinéma d’exploration, a toujours évolué avec les nouvelles technologies. « Dans notre programme NIFFF Extended, il y aura ainsi notamment une conférence sur l’intelligence artificielle dans la création artistique », souligne Pierre-Yves Walder.

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1500 films à visionner

Le travail à l’année consiste évidemment en heures de visionnage. Cette année, le NIFFF a reçu près de 1000 soumissions, dont 130 longs-métrages et 788 courts. Avec les films vus en prospection, l’équipe a ainsi regardé environ 1500 films en tout pour faire sa sélection. « On commence réellement en janvier, puis le rythme s’accélère en février quand on va au European Film Market de la Berlinale. Avec Cannes, Berlin est le marché du film le plus important pour nous », explique Pierre-Yves Walder. « On se rend aussi à FILMART à Hong Kong, à l’American Film Market à Los Angeles. Cette année, on est également allés à Ventana Sur à Buenos Aires. Nous sommes aussi régulièrement au Far East Film Festival à Udine. »

Josiane Balasko - NIFFF
Fascinée par la science-fiction fantastique, Josiane Balasko a accepté exceptionnellement la présidence du jury du NIFFF.

Le directeur et les deux autres programmateurs se répartissent les films. « Ils me font ensuite remonter ceux que je dois absolument voir. Un autre collaborateur et notre stagiaire visionnent aussi des films. Et nous avons en parallèle une commission de sélection externe, composée de professionnels défrayés, qui regardent surtout les soumissions spontanées. » Le passionné trouve-t-il encore le temps d’apprécier des films en privé ? « C’est vrai que pendant une période, je ne vais plus au cinéma ! Mais je regarde encore des films et des séries. Je regarde de tout, des films de genre, des films d’auteurs français, des comédies américaines, du cinéma asiatique. En fait, j’aime un peu tout ce qu’on fait au NIFFF. »

Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF), du 30 juin au 8 juillet 2023. Informations et programmation sur www.nifff.ch.

Le NIFFF

2000 Naissance du festival neuchâtelois fondé par un groupe de passionnés, dont Anaïs Emery, Pierre-Yves Jeanneret, actuellement vice-président du NIFFF, et Olivier Müller, aujourd’hui responsable marketing et communication de Plateforme 10.
2006 Anaïs Emery devient directrice artistique du NIFFF.
2018 L’Open air déménage du quai Ostervald à la place des Halles et augmente sa capacité.
2021 Départ d’Anaïs Emery, nommée directrice générale et artistique du Geneva International Film Festival (GIFF).
2022 Pierre-Yves Walder (photo) gère sa première édition en tant que directeur général et artistique.
2021 Première saison de la série Neumatt. Elle sera diffusée sur Netlfix.
2022 Sortie de la série Hors Saison avec Marina Hands et Sofiane Zermani, tournée à Champéry.
2000 Naissance du festival neuchâtelois fondé par un groupe de passionnés, dont Anaïs Emery, Pierre-Yves Jeanneret, actuellement vice-président du NIFFF, et Olivier Müller, aujourd’hui responsable marketing et communication de Plateforme 10.
2006 Anaïs Emery devient directrice artistique du NIFFF.
2018 L’Open air déménage du quai Ostervald à la place des Halles et augmente sa capacité.
2021 Départ d’Anaïs Emery, nommée directrice générale et artistique du Geneva International Film Festival (GIFF).
2022 Pierre-Yves Walder (photo) gère sa première édition en tant que directeur général et artistique.
2021 Première saison de la série Neumatt. Elle sera diffusée sur Netlfix.
2022 Sortie de la série Hors Saison avec Marina Hands et Sofiane Zermani, tournée à Champéry.