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Antonin Niclass : Un Bafta, et après?

Étudiant à la National Film & Télévison School, le lausannois à tourné «Do not feed the pigeons» en stop motion pour son travail de master. Le court-métrage vient d’être primé à Londres, au Royal Albert Hall.

Les bafta sont au cinéma anglais ce que les Oscars sont à Hollywood: une récompense prestigieuse qu’il fait bon avoir sur sa cheminée! Cette année, au Royal Albert Hall, Will Smith a complété sa collection de statuettes; Jane Campion a (enfin) été récompensée avec son film The Power of the Dog; quant à Dune, de Denis Villeneuve, il a quitté Londres avec quatre masques d’or. Au milieu de ce palmarès étoilé, on trouve un jeune réalisateur suisse qui s’y est glissé, discrètement, avec son court-métrage: Do Not Feed the Pigeons. Antonin Niclass a en effet brûlé la politesse à quelques pointures du film d’animation pour s’emparer du trophée. Un exploit d’autant plus imprévisible que cette œuvre de neuf minutes, tournée en stop motion, constituait son travail de master à la National Film and Television School (NFTS), à Beaconsfield.

«C’est une petite bourgade au milieu de la campagne anglaise», décrit le lauréat. «On n’y trouve que des golfs, des manoirs et des EMS…» Pour le Lausannois, cette école représentait pourtant le Graal. L’endroit rêvé pour apprendre  tous les secrets du cinéma d’animation. «On y forme tous les corps de métiers: les décorateurs, les compositeurs, les scénaristes, les créateurs d’effets spéciaux.» Mieux: de cette institution, fondée en 1971, est sorti Nick Park, le «père» de Wallace & Gromit et Chicken Run. «Il y a un immense Gromit à l’entrée de l’école, afin de rappeler que le premier court-métrage avait été tourné là.»

Dans «Do Not Feed The Pigeons», des voyageurs fatigués et solitaires attendent le dernier bus dans une gare routière délabrée… Photo : Antonin Niclass
Passionné par l’art du stop motion, Antonin Niclass aime se retrouver au milieu du décor, entouré de tous ses personnages. Photo : Antonin Niclass

Première étape: Bruxelles!

Passionné d’animation depuis sa tendre enfance, Antonin Niclass n’avait donc qu’une seule idée en tête: entrer dans cette école reconnue. «Mais il fallait obtenir son bachelor avant de pouvoir présenter son dossier à Beaconsfield», précise-t-il. À 20 ans, il boucle ses valises et part pour Bruxelles. Il s’inscrit à l’Institut des Arts de Diffusion, empoche le précieux sésame, quatre ans plus tard, avec un court-métrage qui raconte l’histoire d’un homme qui se transforme en panda. Tiens, déjà une histoire d’animaux! Le Vaudois restera dans la capitale belge pendant sept ans. Il travaille comme assistant réalisateur sur des clips musicaux. Crée des capsules de 60 secondes pour Tataki, le média en ligne créé par la RTS en 2017. Et, déjà, le stop motion est sa marque de fabrique. Ce n’est pas la technique la plus simple. «C’est sûr, ça prend plus de temps que dessiner sur sa tablette», admet Antonin Niclass. «Mais c’est ce qui me plaît le plus! Je ne suis pas toute la journée sur l’ordinateur, j’aime aussi me retrouver au milieu du décor, entouré de mes personnages et garder le contrôle total sur tous les mouvements que l’on est capable  d’imaginer.» Son plus grand bonheur? Voir ses personnages prendre vie après trois heures de tournage minutieux, image par image.

En 2019, il est temps de concrétiser son rêve de gosse: Antonin traverse la Manche et s’installe dans le Bucking-hamshire. Rien à voir avec la reine d’Angleterre! La National Film and Television School accepte sa candidature. «La première année, on nous confie de nombreux projets à réaliser, afin que nous puissions rencontrer tous les étudiants de l’école. Nous sommes plus de 150 à suivre le même cursus…» Lors d’un atelier, dans un musée de Londres, le Genevois d’origine fait la connaissance de Vladimir Krasilnikov, un Russe venu en Angleterre pour apprendre le métier de scénariste. «Nous avons tout de suite eu des affinités: nous apprécions les mêmes tableaux et nous avions la même vision sur la manière de raconter des histoires.» Logiquement, lorsqu’il a fallu composer son équipe pendant son année de master, Antonin Niclass a tout de suite pensé à Vladimir. C’est lui qui a écrit cette histoire de pigeons, pleine de mélancolie, avec cette galerie de personnages fatigués et solitaires qui attendent le dernier bus dans une gare routière délabrée, à deux heures du matin.

Photo : Antonin Niclass

Une nuit à la gare routière

«Nous avons passé toute une nuit à Victoria Coach Station pour faire nos repérages», raconte le Vaudois. «Comme nous sommes tous des étrangers dans l’équipe, nous connaissions assez bien cette gare routière pour y avoir pris un bus. Il y a les gens qui passent, ceux qui y habitent… Nous avions nos carnets de croquis, nos appareils photos, nous notions tout ce qui était susceptible de nous inspirer.» Les pigeons, eux, sont des protagonistes à part entière du court-métrage: grâce à eux, tous ces voyageurs vivront une parenthèse d’harmonie et de poésie. «Détestés universellement, ils sont là pour révéler la beauté cachée, pour nous permettre de regarder au-delà de ces murs, au-delà de ce lieu triste et sale.»

Pour créer ses personnages, Antonin Niclass a utilisé de l’aluminium recouvert d’une fine couche de toile. «Mon père est chef décorateur (ndlr. Ivan Niclass, notamment nominé aux Césars pour les décors du film «Home» d’Ursula Meier) et, pendant le confinement, je suis tombé sur un de ces rouleaux à la cave, chez mes parents, il s’en sert pour reproduire des cavernes», raconte-t-il. Faire vivre ces voyageurs – et tous ces pigeons! – tient pourtant du sacerdoce: pour chaque prise, il s’agit de plier et déplier l’alu, peindre les visages, attendre que ça sèche… Sept mois ont été nécessaires pour tourner les neuf minutes du court-métrage. La récompense est à la hauteur des efforts fournis.

Photo : Antonin Niclass
Photo : Antonin Niclass

La vie de festivalier

La vie d’Antonin Niclass a-t-elle changé depuis le mois de mars? Le Vaudois sourit. Non, le téléphone ne s’est pas mis à sonner jour et nuit. Et, non, il ne croule pas sous les propositions. Il vient d’accepter un stage d’assistant animateur sur le projet de film d’Elie Chapuis, prévu pour 2023. Son titre de travail? Le canard. Encore une histoire d’animaux! De retour à Lausanne par amour, le Vaudois cherche désormais à présenter son court-métrage dans un maximum de festivals. «Cela prend énormément de temps», souffle-t-il. «Comme je n’ai pas de distributeur ou de manager, je fais tout par moi-même.»

Après l’Animafest à Zagreb (6-11 juin), où la NFTS a reçu le prix de la meilleure école d’animation, Antonin Niclass a participé au Festival international du film d’animation à Annecy (13-18 juin), dont la Suisse était l’hôte d’honneur. Il nous montre alors son tableau Excel où il note scrupuleusement la réponse de tous les festivals contactés: ses pigeons auront l’esprit voyageur au cours des prochains mois. L’effet BAFTA? Certainement. En revanche, lui ne sera pas toujours dans leur sillage. «En règle générale, il est rare que nous soyons invités par les organisateurs. Nous devons donc payer nous-mêmes notre billet d’avion et notre séjour sur place. Cela représente un budget que je n’ai pas forcément à disposition…»

Comment imagine-t-il son avenir? Antonin est conscient que ce prix, même prestigieux, n’est pas une garantie de reconnaissance éternelle. «À Beaconsfield, une dizaine d’élèves ont reçu un BAFTA par le passé. Certains sont désormais vendeurs dans un supermarché, d’autres ont tourné un film en stop motion pour Netflix (ndlr. «The House»). Il n’y a donc pas de parcours idéal.» Évidemment, le Lausannois rêve d’un long-métrage, avec la même équipe. Mais il faut un scénario, trouver des fonds, créer un pilote. L’idée doit faire son chemin. Cela prendra du temps. Forcément. Comme Vladimir Krasilnikov est retourné chez lui, en Russie, il sera aussi plus compliqué de s’immerger, à distance, dans un projet de cette envergure. Et la situation géopolitique n’arrange rien.

«Nous avons passé toute une nuit à Victoria Coach Station, à Londres, pour faire nos repérages.»

Pour l’instant, Antonin Niclass ne ferme aucune porte. Finalement, du haut de ses 31 ans, il se dit encore en phase d’apprentissage. Maîtriser l’art de manier ces «marionnettes» en silicone, chères à Mackinnon & Saunders, as en la matière, fait partie de ses priorités. Travailler pour la pub est aussi une piste à creuser. «En Suisse, malheureusement, le stop motion n’est pas encore dans notre culture, au contraire de l’Angleterre, où des entreprises comme la BBC ou Marks & Spencers envisagent toute leur communication de Noël autour de cette technique d’animation. Cela tient au fait que, là-bas, Aardman (ndlr. les studios qui ont produit Wallace & Gromit) est considéré comme un trésor national.» Mais le Vaudois reste serein. Depuis le triomphe de Ma Vie de Courgette de Claude Barras, en 2016, l’Helvétie s’est aussi signalé pour son savoir-faire. Et Antonin Niclass en est désormais l’un des ambassadeurs. 

www.antoninniclass.com

Photo : Antonin Niclass

Bio

1991 Naissance à Meyrin.
2011 Entre à l’Institut des Arts de Diffusion (INSAS) à Bruxelles. Il obtient son bachelor en 2015
2007 Crée des clips d’animation pour Tataki.
2019 Il s’inscrit à la National Film & Television School en Angleterre.
2022 Remporte le BAFTA du meilleur film d’animation avec Do Not Feed The Pigeons.
1991 Naissance à Meyrin.
2011 Entre à l’Institut des Arts de Diffusion (INSAS) à Bruxelles. Il obtient son bachelor en 2015
2007 Crée des clips d’animation pour Tataki.
2019 Il s’inscrit à la National Film & Television School en Angleterre.
2022 Remporte le BAFTA du meilleur film d’animation avec Do Not Feed The Pigeons.