Lorsqu’Alexander emménage en face de chez lui, Elias est immédiatement attiré. Mais, le jeune garçon de 14 ans ignore comment gérer ces sentiments nouveaux et comment faire face au regard des autres. Si Alexander, qui vient de Bruxelles, ne voit pas de problème à dire au grand jour qu’il aime les garçons, pour Elias, qui a grandi dans ce village des Flandres, c’est une autre histoire… Réalisé avec une grande tendresse et transcendé par des acteurs impeccables, Young Hearts est une fiction positive, feel-good, qui finit bien et qui fait du bien au cœur. « Pouvoir vivre un tel amour au grand jour, faire du vélo avec mon amoureuse entourées de nos camarades comme ils le font, c’est quelque chose qui n’était pas possible lorsque j’avais leur âge et c’est quelque chose que je ne connaîtrai jamais », réagit une spectatrice émue lorsque les lumières se rallument dans la salle. Venu présenter son premier long métrage à Genève, le réalisateur belge Anthony Schatteman explique avoir fait Young Hearts « pour dire à la plus jeune version de moi-même que c’est OK d’être gay et que l’amour est universel ». Et de poursuivre : « Toute ma vie, j’ai cru que j’étais seul, car dans le petit village où j’ai grandi, je n’avais pas d’exemple. Moi qui me posais beaucoup de questions sur mon identité et ma sexualité, je ne trouvais pas de réponses. Pour moi, Young Hearts n’est pas un film gay, c’est juste un film romantique qui parle d’amour, et ça fait du bien de raconter des histoires heureuses aux gens. » On sort de la salle les yeux embués de larmes, sans savoir à ce moment-là que quelques jours plus tard, le film remportera le prix du public.
Seul festival de cinéma queer en Suisse romande, Everybody’s Perfect met en avant les expressions LGBTIQ+ – lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes et queers – du monde entier. Si les longs et les courts métrages projetés – le plus souvent en première suisse ou sans date de sortie prévue sur nos écrans – sont l’essence de l’événement, les autres formes d’art queer qui gravitent autour le sont tout autant. En dehors des salles obscures, Everybody’s Perfect met un point d’honneur à proposer performances, expositions, concerts, cabarets et autres soirées festives, avec l’objectif de libérer les expressions et de permettre à tous de partager ses ressentis. « Ces moments sont très importants, ils visent à faire sortir les gens de leur routine, à ouvrir les esprits, à mélanger les clubbers, les amoureux des arts, les générations », soutient Sylvie Cachin, directrice d’Everybody’s Perfect. « Pour nous, le cœur du festival est de donner l’amour du cinéma aux gens, mais aussi de voir la communauté queer se rassembler et de réunir des publics variés. »
Ainsi, après la projection de Young Hearts aux Cinémas du Grütli, les festivités se poursuivent à la Gravière, pour la grande fête d’ouverture du festival. Les artistes du cabaret parisien La Bouche investissent la grande salle de la boîte de nuit, bondée, pour proposer leurs propres versions des tubes de Céline Dion, Mylène Farmer ou Dave, alternant avec des morceaux technos et des compositions originales. Juste après, le résident berlinois Boris Day du projet SADO OPERA s’empare des platines pour partager ses « love songs » préférées avec un public survolté. Dans la salle d’à-côté, un karaoké voit le micro passer de mains en mains et les voix s’égosiller jusqu’au bout de la nuit…
« Le cœur du festival est de donner l’amour du cinéma et de voir la communauté queer se rassembler. »
Manque de représentations homosexuelles
Le lendemain, on fait un tour au café Le Phare pour découvrir l’exposition Histoires & intimités saphiques, de Jenifer Prince. Invitée d’honneur du festival, l’artiste brésilienne de 32 ans fait fureur sur Instagram (plus de 300 000 abonnés) avec ses illustrations érotiques et romantiques de femmes lesbiennes, inspirées des comics des années 1950. Sur les murs du bar gay de la rue Lissignol, deux cow-girls à dos de cheval s’embrassent. À côté, deux femmes marchent sous la pluie en s’abritant sous un manteau, tandis que, sur le mur d’en face, deux autres en sous-vêtements discutent au lit en buvant un verre de vin. Les œuvres sont sublimes. Notre préférée représente trois sirènes sur un rocher qui sauvent une humaine de la noyade, alors qu’un bateau coule en arrière-plan… Comme chez le réalisateur Anthony Schatteman, le manque de représentations homosexuelles résonne dans le parcours de Jenifer Prince : « Que ce soit dans les films, dans les médias ou dans la vraie vie, je ne trouvais pas, ou très peu d’exemples », nous confie celle qui est venue au festival accompagnée de sa femme, Natalia. « À cause de cela, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’étais ‹différente› et j’avais du mal à l’accepter. » À travers ses illustrations, la Brésilienne explique vouloir montrer des histoires qui existent, ou qui pourraient exister, ainsi que les « innombrables possibilités d’être une femme qui aime une autre femme librement ».
Une vision parfaitement en accord avec le thème de cette édition : la joie lesbienne. « Nous avons tenté de trouver des œuvres qui représentent des femmes lesbiennes de façon positive, et nous avons réalisé que cette entreprise n’était pas si évidente », explique Sylvie Cachin. Quoi qu’il en soit, la directrice du festival note toutefois que la programmation du festival n’a cessé d’évoluer depuis sa création : « Au début, il y avait beaucoup de documentaires militants, beaucoup de malheurs et de luttes. Nous essayons d’aller chercher davantage de choses positives, je crois qu’il est important que le militantisme s’en nourrisse. Mais, surtout, nous sélectionnons les œuvres pour leur qualité : il est hors de question de prendre des films prétextes pour remplir une sélection simplement parce qu’ils sont queers. »
Des paillettes plein la tête
Au fil des films que l’on découvre, aussi beaux soient-ils, on réalise que joie et légèreté ne sont pas les premiers mots que l’on emploiera pour en parler. Et l’on repense à cette phrase de Sylvie : « Peut-être qu’un peu inconsciemment, nous avons développé les fêtes pour équilibrer les constats dramatiques et parfois insupportables des ‹LGBTIQ+phobies› dans le monde. » Nées à La Paillette, lieu central du festival situé à la Maison des arts du Grütli, les fêtes ont rencontré un succès grandissant et se sont étendues à d’autres lieux, tels que les Bains de l’Est l’an passé ou le Groove et le Musée d’ethnographie de Genève cette année. La Paillette justement, où l’on se surprend à traîner de plus en plus longuement au fil des jours, est un lieu idéal pour échanger et partager à la sortie des salles avec les autres spectateurs et spectatrices ou les artistes, dans une atmosphère conviviale. Ici, chaque personne vient comme elle est, habillée comme elle le souhaite, libre d’être qui elle est et d’aimer qui elle veut, sachant qu’elle ne sera pas jugée.
Pour la touche fun et festive, Everybody’s Perfect organise régulièrement des soirées à thèmes : glamour & chic, country, frites & bières belges, ou, comme ce soir-là, paillettes, lumières & karaoké. « Allez, c’est à vous de chanter », lance Indiana Juice, après avoir elle-même performé sur Libertine, inventant ses propres paroles. Perchée sur ses hauts talons, vêtue d’une sublime robe pailletée et d’une couronne argentée qu’elle a fabriqué elle-même, la drag queen a bien l’intention de mettre le feu à cette soirée : « Je suis là pour m’amuser, pour faire rire, et surtout pour rappeler à tous que la vie est bien trop courte pour se prendre au sérieux », lance cette tornade de bonne humeur, originaire d’un coin fantasque où les conventions n’ont jamais existé. Pleine d’audace et de malice, celle qui se décrit comme un mélange de sirène, de cow-girl et de danseuse explique prendre plus de trois heures pour se maquiller lorsqu’elle est de sortie. « Si l’on compte le choix des tenues qu’il faut à la fois trouver et assumer avec style, et les séances de shopping pour refaire son stock de make-up, tout ça prend beaucoup de temps ! Et, à chaque fois, il me faut au moins un jour de récupération pour me remettre de mes douleurs musculaires, tellement je me dandine ! »
La bonne énergie d’Indiana fonctionne : le karaoké fait fureur, on peine à se frayer un chemin dans La Paillette. Les tubes se succèdent, d’ABBA à Cher en passant par Katy Perry et Bonnie Tyler. Membre du jury des jeunes, Émilie lâche le micro quelques instants : « Je travaille à côté, donc ces dix jours de festival sont plutôt chargés », sourit la comédienne de 25 ans. « En même temps, je passe beaucoup de temps aux soirées qui suivent la dernière projection chaque jour… Que voulez-vous, quand on me propose un karaoké et des paillettes, je n’arrive pas à dire non ! Et puis, c’est surtout l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes avec qui échanger et partager. » Plus tard, alors que les chanteuses et chanteurs d’un soir ont laissé la place à DJ Gali aux platines, Indiana a troqué sa robe à strass contre une polaire, enlevé sa perruque, et s’appelle désormais David. « Ça fait quatre ans que je viens au festival et je l’attends chaque année avec impatience », raconte ce dernier. « Everybody’s Perfect représente pour moi un espace d’exploration et de célébration de la diversité, où les différences sont exaltées plutôt que simplement tolérées. »