Nadia Tereszkiewicz « Le cinéma peut créer des liens très forts »
Le cinéma français ne peut plus se passer d’elle. Après les succès de Mon crime et des Amandiers et son César en février dernier, l’actrice de 27 ans poursuit son ascension fulgurante. Rencontre avec une Finlandaise d’origine qui ne perd pas le nord.
Elle arrive tout droit de la gare et pénètre avec un grand sourire dans le bar de l’hôtel lausannois où nous avons rendez-vous. On se fait la bise, on se tutoie, on commande un thé… Comme deux copines qui ne se sont pas vues depuis longtemps et qui se réjouissent d’avoir un moment pour papoter ensemble. Mais c’est uniquement d’elle que nous allons parler. Car Nadia Tereszkiewicz est LA comédienne qui monte et le nom à retenir de ce premier semestre 2023.
Après avoir sillonné toute la France pour la promo de Mon Crime, de François Ozon, l’actrice met les pieds en Suisse pour la première fois. Sa dernière ligne droite avant de s’envoler pour présenter le film à Rome, à Barcelone et en Finlande, dont elle est originaire. Un rythme effréné qui risque de durer, surtout depuis qu’elle a gagné le César du meilleur espoir féminin en février pour son excellente performance dans Les Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi.
« Dans la famille du cinéma »
D’ailleurs, comment l’actrice vit-elle cette soudaine célébrité ? « C’est davantage les autres qui m’en parlent ! Recevoir le César m’a extrêmement touchée, car il donne de la valeur au travail fait pour Les Amandiers. On s’est battus pour faire ce film, qui a beaucoup souffert (ndlr. au moment de la sortie en novembre dernier, l’acteur principal Sofiane Bennacer a été mis en examen pour viols et le film s’est retrouvé au cœur d’une polémique, se voyant notamment déprogrammé de certaines salles). Cette récompense est aussi une dose de stress en moins pour moi, car on est tout le temps plein de doutes, et désormais, j’ai été accueillie dans la famille du cinéma. »
Pleine d’enthousiasme, Nadia Tereszkiewicz assure être bien entourée et soutenue, autant par ses parents, son frère et sa sœur que par ses amis: un groupe de danseurs qu’elle connaît depuis des années et qu’elle considère comme sa famille. Le jour de la cérémonie des Césars, ceux-ci sont venus exprès depuis Berlin et ont attendu leur amie sous sa fenêtre : « Ils avaient la musique à fond à 6 heures du matin avec des confettis, des pancartes et des ballons, et ils avaient même fabriqué un faux César pour le cas où je ne l’aurais pas gagné ! »
Depuis son sacre, il arrive souvent que les gens reconnaissent celle qui pourrait avoir des liens familiaux avec Brigitte Bardot et Sandrine Bonnaire et l’arrêtent dans la rue, dans le métro… ou dans la salle d’attente du médecin : « C’est généralement pour me féliciter, donc ça me fait plaisir. Tout à l’heure, je suis allée aux toilettes dans le train, et quand je suis revenue, il y avait un mot sur ma table qui disait Bravo pour le film. C’était hyper mignon ! »
Cannes : des Amandiers à Rosalie
La nouvelle pépite du cinéma français a fait ses premiers pas à l’écran en 2016 dans La danseuse, de Stéphanie di Giusto. Elle tourne ensuite dans Sauvages de Dennis Berry, Persona non grata de Roschdy Zem, Seules les bêtes de Dominik Moll, Babysitter de Monia Chokri… Côté télévision, elle apparaît dans deux épisodes de la série à succès Dix pour cent et tient le rôle principale de la mini-série Possessions. Mais c’est dans Les Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi, que Nadia Tereszkiewicz explose aux yeux de la critique et du grand public. Pour ce film, la réalisatrice s’est nourrie de son expérience à l’École des Amandiers de Patrice Chéreau, où elle s’est formée dans sa jeunesse, et a utilisé ses souvenirs, retravaillés et fictionnés. Le personnage campé par Nadia Tereszkiewicz, Stella, est donc directement inspiré de Valeria Bruni-Tedeschi. Fait cocasse : les deux actrices s’étaient données la réplique dans Seules les bêtes, où elles étaient amantes…
« J’ai fait un gros boulot sur le corps et l’émotionnel pour ce film et depuis, j’aborde le travail différemment », explique Nadia. « Par exemple, avant, je pensais à ma vie et à mes drames personnels pour pleurer, alors que maintenant, j’arrive à croire en la situation. Mon corps parvient à imprimer une souffrance et une tristesse qui ne sont pas les miennes et je m’y réfère. » Et de donner l’exemple de la femme à barbe, qu’elle interprète dans Rosalie, de Stéphanie di Giusto, présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes – pile un an après Les Amandiers : « Beaucoup de choses me bouleversent dans sa vie. Je me suis créé mes propres souvenirs du personnage, je lui ai imaginé une enfance solitaire, j’ai imaginé qu’elle avait été rejetée à l’école et que personne ne lui parlait. Ça m’a émue, et c’est à ça que je pensais pour pleurer. Valeria m’a permis de me connecter émotionnellement très vite et c’est grâce à elle que j’ai trouvé cette méthode. C’est plus agréable pour le jeu. »
Exploration de la féminité
Avec Rosalie, la jeune Française a donc monté les marches pour la seconde fois sous l’égide d’une metteuse en scène. Sa filmographie l’atteste : elle a bossé avec autant de réalisatrices que de réalisateurs. « J’alterne ! Mais je ne calcule rien, c’est le hasard des projets. Il se trouve que j’ai la chance de rencontrer des hommes et des femmes passionnants, qui offrent des rôles complexes et explorent une féminité qui m’intéresse. » Ainsi, la belle est passée d’une babysitter qui joue avec les clichés sexy pour Monia Chokri, à une mère de trois enfants, femme de militaire, pour Robin Campillo.
Entre les deux, dans Mon Crime, elle a été une actrice en devenir qui se retrouve accusée du meurtre d’un célèbre producteur et qui découvre le féminisme, dans les années 1930. « Je trouve génial que François Ozon ait réussi à insuffler ce vent MeToo dans une comédie qui résonne terriblement avec l’actualité. Il célèbre l’amitié et la sororité à travers ce duo de femmes, qui ont envie de s’émanciper d’une société pleine de mâles blancs et de vieux cochons ! Oh mon Dieu, je crache en parlant, l’enfer ! », s’esclaffe la comédienne avec ses yeux pétillants.
Elle ne manque pas d’évoquer Dominik Moll, qui l’a dirigée dans Seules les bêtes : « Il a un regard extraordinaire sur les femmes et il le prouve bien avec La nuit du 12 (ndlr. grand gagnant des derniers Césars avec six prix). Il fait un film où il n’y a que des hommes et dans lequel les femmes n’ont jamais été aussi présentes. » Et de revenir sur le fait qu’il n’y a pas eu de femmes nommées dans la catégorie Meilleure réalisatrice, se disant « choquée » et « dévastée ».
Mille vies en une
Après ce premier semestre 2023 tonitruant, Nadia Tereszkiewicz sera encore à l’affiche de L’île rouge, de Robin Campillo (120 battements par minute), qui doit sortir d’ici la fin de l’année. Il s’agit de l’histoire d’un petit garçon et de ses parents à la fin des années 60 à Madagascar. L’actrice – qui joue la mère de trois enfants dont un de 15 ans – a été un peu vieillie pour le film. Elle s’étonne encore que le cinéaste l’ait choisie pour le premier rôle, alors qu’elle n’avait encore « aucun nom ». « Avec Quim Gutiérrez, qui incarne mon mari, et les enfants, nous avons passé beaucoup de temps ensemble, comme une vraie famille. Ça a nourri notre jeu. Le cinéma peut parfois créer des liens très forts, on s’est tellement projetés dans cette fiction que j’ai l’impression qu’on a partagé une vie. Ce sont de vrais voyages émotionnels dans le temps et dans l’espace. Je parle beaucoup, hein ? » La comédienne raconte encore qu’au-delà du tournage, la découverte de Madagascar l’a beaucoup marquée, autant par sa pauvreté et sa politique instable que par ses paysages – les plus beaux qu’elle ait vus de sa vie.
Directement après Madagascar, Nadia se rendait en Algérie pour le tournage de La dernière reine, sur nos écrans depuis le 14 juin. Elle se souvient en rigolant de son arrivée, avec ses vêtements légers: « Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie, alors que je suis Finlandaise ! » Là aussi, elle découvrait un pays dur, sans liberté d’expression, où les femmes n’ont aucun droit. Accueillie par la mère de la réalisatrice, elle a appris l’arabe (« Les langues permettent de voir le monde différemment ! ») et s’est fait de nombreux amis. Entre histoire et légende, le film de Damien Ounouri et Adila Bendimerad retrace le parcours et le combat de la reine Zaphira. « Il a été fait avec les tripes et un engagement total », lance Nadia, qui joue la maîtresse de Barberousse (incarné par Dali Benssalah), une femme scandinave « qui se bat et qui est pleine de courage ». De ces différents rôles qui traversent les époques, la comédienne dit avoir énormément appris et grandi. « J’ai l’impression d’avoir mille vies en une, c’est une chance folle ! » Et de rappeler humblement : « Mais je n’ai pas une grande expérience, je viens de commencer ». Lorsqu’au moment de la quitter, on lui demande comment elle voit la suite, elle répond sans hésiter : « J’ai envie d’un coup de foudre ».
« Avant, je pensais à ma vie et à mes drames pour pleurer. Maintenant, j’arrive à croire en la situation. »