CinémaInterview

Souheila Yacoub « J’aurais accepté Dune même pour être figurante »

De gymnaste d’élite au rôle de Shishakli dans le blockbuster Dune 2 en passant par le titre de Miss Suisse romande : retour sur le parcours d’une Genevoise qui sort du lot, et qui n’a jamais eu peur de se donner les moyens pour réussir.

Photo : Arno Lam.

L’année 2023, Souheila Yacoub l’a davantage passée à l’étranger qu’à la maison. Car si sa carrière a démarré en douceur, elle a pris ces derniers mois un sacré coup d’accélérateur. Après avoir montré son talent de comédienne et de danseuse dans le marquant Climax de Gaspar Noé en 2018, puis dans la palpitante série Les Sauvages en 2019, la Genevoise a tourné dans les festivals les plus prestigieux : la Berlinale en 2020 pour Le sel des larmes de Philippe Garrel, le Festival de Cannes en 2021 pour Entre les vagues d’Anaïs Volpé et De bas étage de Yassine Qnia, ou encore la Mostra de Venise en septembre dernier avec Making of de Cédric Kahn.

D’abord fidèle au cinéma d’auteur, Souheila Yacoub s’est ensuite illustrée dans des films plus populaires en tournant pour Cédric Kahn et Cédric Klapisch (En corps), avant de rejoindre le casting du titanesque blockbuster Dune : deuxième partie ; chose dont elle s’étonne encore aujourd’hui. « Je n’ai pas arrêté ces derniers mois, je suis allée à Budapest, en Jordanie, à Abu-Dhabi, au Maroc, puis à Grenoble, à Lyon, à Saint-Raphaël, à Marseille… Et me voilà enfin de retour chez moi après dix mois à l’étranger », nous confiait-elle en décembre dernier, lors de la journée presse pour Making of organisée à Paris.

Après Budapest et la Jordanie pour les post-synchro de Dune (ndlr. le réenregistrement en studio de dialogues dont la prise de son initiale n’est pas exploitable pour le mixage final d’un film, dans les mêmes conditions que lors du tournage), elle s’est envolée au Maroc pour le tournage de la saison 2 de No Man’s Land, qui sera diffusée sur Arte dans les mois à venir. Elle y joue une combattante kurde en Syrie : « Il y a une nouvelle trame, de nouveaux personnages. Moi, je deviens protagoniste, mon rôle est beaucoup plus complexe que dans la première saison, avec des doutes et des défauts, il est plus humain. »

« Pour Dune, je n’ai pas passé de casting, on m’a appelée directement et on m’a offert le rôle. »

Dans Dune : deuxième partie, Souheila Yacoub joue Shishakli, une guerrière Fremen et se retrouve au milieu d’un casting de stars internationales, à l’instar de Josh Brolin et Zendaya. Photo : Niko Tavernise.

Quatre jours après la fin du tournage, retour en France pour Planète B, un thriller d’anticipation mis en scène par Aude-Léa Rapin : « L’équipe avait commencé le tournage sans moi et m’attendait pour la suite ! », se souvient Souheila Yacoub en souriant. « J’ai eu trois jours pour relire le scénario à la maison et j’étais à nouveau sur un plateau. Planète B est une vraie proposition artistique et j’ai hâte de le découvrir. C’était un rêve de jouer avec Adèle Exarchopoulos, qui est une amie, mais aussi une actrice que j’admire énormément. » Juste après, la jeune femme se mettait dans la peau de Ruby, un personnage qu’elle définit comme étant « haute en couleur ». Cela pour le deuxième long métrage derrière la caméra de Noémie Merlant : Les femmes au balcon. La grève à Hollywood a ensuite légèrement calmé le rythme, la sortie de Dune 2 ayant été reportée de novembre 2023 au 28 février 2024.

OFF : Comment vous êtes-vous retrouvée au casting de Dune : deuxième partie ?

Souheila Yacoub : C’est lunaire. Encore aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est une énorme blague qui n’a aucun sens ! Je n’ai pas passé de casting, on m’a appelée directement et on m’a offert le rôle. Denis Villeneuve cherchait un personnage fort, qui pouvait tenir tête à Zendaya, Javier Bardem et Timothée Chalamet. J’ai eu un premier échange avec lui sur Zoom pour parler du rôle et il m’a rappelée quelques jours après en me disant : « C’est toi, Shishakli, s’il te plaît, lis le scénario et dis-moi si tu souhaites accepter ou refuser ! » Moi j’ai essayé de me montrer professionnelle, de dire que j’allais réfléchir, alors que j’aurais accepté même s’il m’avait proposé une seule réplique ou un rôle de figuration ! C’était hallucinant comme moment, j’en ai pleuré.

OFF : Quelle a été la suite des événements ?

SY : J’ai fait un aller-retour à Budapest, où sont tournées toutes les parties en studio, pour rencontrer Denis. Ensuite, on a fait une longue lecture du scénario en entier sur Zoom, avec les autres acteurs et actrices. J’étais très impressionnée de me retrouver au sein de cette équipe. Puis c’est allé très vite : je suis partie début juillet 2022 et le tournage a duré jusqu’en décembre. On a passé trois mois à Budapest, j’ai beaucoup tourné en Jordanie et à Abu Dhabi pour les décors désertiques dans lesquels vit ma tribu, les Fremen, et il y a eu encore quelques jours
en Italie.

OFF : Êtes-vous à l’aise en anglais ?

SY : Oui, j’ai déjà joué en anglais et j’adore tourner dans cette langue. Dans Dune, je joue essentiellement dans la langue des Fremen, le chakobsa. Le créateur de ce langage était d’ailleurs sur le plateau. Il y a un vrai alphabet, une structure et une grammaire spécifiques. J’ai été coachée pour ça, c’était un gros travail quotidien.

OFF : Avez-vous découvert sur ce tournage une facette du métier que vous ne connaissiez pas du tout ?

SY : Tout était décuplé, on se croyait sur une autre planète ! Il y avait tellement d’oscarisés sur le plateau, du chef opérateur à Hans Zimmer pour la musique… et puis, avec toutes ces stars, Zendaya, Florence Pugh, Austin Butler… les gens deviennent fous ! Il y avait des gardes du corps partout. C’était impressionnant et en même temps, la façon de travailler pour les acteurs et les actrices est la même, je les ai vus se chercher, ce sont des humains. Et puis la logistique n’a rien à voir : dans les films français, on te demande de poser ton verre après avoir parlé, pour ne pas que ça parasite le son. Là-bas, rien n’est un problème, ils se débrouillent ! Ce qui ne veut pas dire que j’ai eu plus de plaisir que sur un film comme Making of par exemple, où j’étais morte de rire tous les jours.

OFF : Puisqu’on en parle, Making of raconte avec humour un tournage de film catastrophe : avez-vous déjà vécu un tel tournage, où tout part en vrille ?

SY : Non, pas à ce point ! Ce qui est drôle, c’est que ce tournage a été l’un des moments les plus joyeux de l’année pour moi, alors que le film montre le contraire ! Toutefois, il y a eu pas mal de soucis, notamment beaucoup de cas Covid. Je l’avais eu juste avant, mais autour de moi, les gens sont tombés les uns après les autres. On a dû changer des scènes dans le planning, improviser des solutions de dernière minute. Sur certains plans, j’étais la seule actrice sur le plateau, car tout le monde était malade et je jouais avec un contre-champ vide !

OFF : Votre personnage, Nadia, fait face à un macho, incarné par Jonathan Cohen, qui l’écrase et veut prendre toute la place : qu’est-ce que ça vous évoque ?

SY : Ça, ça m’est déjà arrivé, deux fois. Rencontrer des acteurs avec de grands egos n’est jamais agréable. J’évite ces gens-là car selon moi, ce métier est justement très collectif, on est toutes et tous indispensables sur un tournage. Alors oui, certains privilégient leur carrière et leur image, il y a des hiérarchies, qu’on le veuille ou non, mais on trouve ça dans tous les métiers, ce n’est pas propre au cinéma.

OFF : Comme dans le film Entre les vagues, d’Anaïs Volpé, vous jouez à nouveau une actrice…

SY : C’est vrai. Une actrice qui joue le rôle d’une actrice qui joue un autre rôle… En fait, ça ne change pas vraiment ma manière d’aborder les personnages, j’essaie simplement d’être moi au plus sincère.

OFF : Comme dans cette scène, où vous hurlez en colère au milieu de la foule ?

SY : Ah, cette scène ! Elle a été tournée plutôt au début et j’étais super stressée, car être entourée d’autant de figurants et jouer face à Jonathan Cohen et Denis Podalydès, ça fait peur. En même temps, ils viennent comme moi du théâtre et je savais qu’ils n’allaient pas me juger. Eux, ils tentent plein de choses, que ce soit réussi ou pas, ils n’ont pas peur. J’ai appris ça avec eux. Je sais que je fais un métier bizarre, que je vais aussi jouer des choses qui ne m’appartiennent pas, et qu’il faut oser et voir ce qui sort.

OFF : Le film parle de la place de l’argent et de comment l’économie vient percuter la création : en tant qu’actrice, êtes-vous confrontée à ces questions ?

SY : Oui. Au début surtout, mais encore aujourd’hui, il arrive qu’on ne me choisisse pas pour un rôle, car je ne suis pas assez connue, pas assez bankable. Mais pour être connu, il faut bien qu’on nous prenne et qu’on puisse faire nos preuves… Parfois, c’est dur de convaincre la production, il faut attendre celui ou celle qui nous donnera notre chance, c’est ainsi.

Making of raconte avec humour un tournage de film catastrophe. Souheila Yacoub donne la réplique à Jonathan Cohen, un macho qui veut prendre toute la place… Photo : David Koskas.

OFF : Un personnage de Making of dit : « On n’arrête pas le cinéma, on meurt sur scène » : partagez-vous cette vision ?

SY : J’aime bien cette phrase. Certaines personnes disent que le cinéma est une drogue, que quand on en a trop, on fait une overdose, mais que quand on en est loin, il nous manque. J’adore la scène, c’est quelque chose de passionnant et passionnel, mais perso, je préfère mourir en famille !

OFF : Vous disiez tout à l’heure que le cinéma est une aventure collective… Avec sa part de solitude ?

SY : C’est vrai, c’est le métier le plus collectif au monde, mais parfois je me sens très seule. Je sors de Dune 2, une énorme machine avec 600 ou 900 personnes impliquées. Tout le monde a un poste précis pour le bien de l’art : c’est tellement grand, tellement beau, c’est inimaginable. Et ensuite, il y a le retour dans sa chambre d’hôtel et la solitude. J’ai passé dix mois d’affilée sur des projets professionnels, j’ai fait de nombreuses rencontres, mais ça reste du travail. Alors j’ai beau me trouver dans ma chambre d’hôtel merveilleuse, soudain je veux appeler ma famille, il y a le décalage horaire, mes proches continuent d’avancer dans leur vie… Et ce n’est pas toujours évident. On a beau être connecté au projet sur lequel on bosse, ça peut être déstabilisant. C’est une habitude à prendre, et c’est mon objectif pour cette année : savoir gérer la solitude !

OFF : C’est où chez vous ?

SY : Chez moi, c’est Paris, j’y suis installée avec ma famille : mon mec, mon chien et mes chats. J’aime profondément cette ville, le travail qu’elle me donne et ce qu’elle m’a apporté. Cela n’empêche pas que, dès que je mets un pied à la gare Cornavin, il y a quelque chose de fort qui se passe. Je suis très nostalgique de Genève et je sais que j’y viendrai chaque année, au moins pour voir ma mère et ma sœur. J’adore la Suisse et les Suisses. J’ai été dans l’équipe nationale de gymnastique, puis Miss Suisse romande, donc j’ai fait partie de l’histoire de ce pays jusqu’à mes 20 ans. Je suis très fière d’être suisse, c’est un pays qui a beaucoup de qualités.

OFF : Pourquoi avoir bougé à Paris alors ? Était-ce indispensable pour y mener une carrière d’actrice ?

SY : J’avais passé huit ans en équipe suisse de gymnastique, j’avais arrêté mes études pour me consacrer à la préparation des Jeux olympiques de Londres… Lorsque ce rêve s’est envolé en 2012, l’après-carrière de sportive a été très violente. J’avais toujours eu en moi cette envie d’exprimer quelque chose à travers la danse ou le théâtre… alors, je suis partie à Paris pour recommencer quelque chose ailleurs. J’ai cherché une école de théâtre là-bas au hasard, et ma première semaine de cours a été une révélation.

OFF : Vous parlez de l’après-carrière : faites-vous référence aux abus dont vous avez été victime lorsque vous étiez athlète (ndlr. En 2020, des anciennes gymnastes de haut niveau ont dénoncé dans la presse les mauvais traitements et humiliations qu’elles ont subis au sein de l’équipe suisse) ?

SY : Ce que nous avons vécu au sein de la fédération à Macolin a été horrible. Des coachs m’ont détruite physiquement et psychiquement. On avait peur d’eux, on se sentait seules… Un jour, on a fui ce milieu toxique avec deux autres gymnastes et je n’y suis plus jamais retournée, j’avais trop peur d’être encore manipulée et maltraitée. Je suis rentrée fragile, frêle, malheureuse. J’étais devenue un petit déchet, un légume, alors qu’à la base, j’avais du caractère. J’avais été lavée. J’ai dû me reconstruire et trouver qui j’étais, en tant que femme aussi. J’étais habituée à faire entre 45 et 52 heures de sport par semaine, je n’avais pas mes règles, je n’avais pas mangé de viande ou de pâtes depuis des années, il fallait gérer la prise de poids… Je n’avais pas de diplôme, et alors que l’on s’était occupé de nous tout ce temps, tout à coup je me retrouvais seule, sans rien, abandonnée. Personne n’était là pour nous entourer. J’ai fui cet état et j’ai fui à Paris.

OFF : Comment avez-vous réagi lorsque le scandale a éclaté dans les journaux en 2020 ?

SY : J’avais créé un vrai rejet et j’avais presque oublié ce qui m’était arrivé, alors ça m’a fait un grand contrecoup. J’aurai toujours des séquelles de ce qui s’est passé à Macolin, je ne suis pas encore apaisée. Mais je travaille sur mes traumas de gymnaste, j’essaie de faire en sorte que tout ça m’aide, et je vis ma revanche en étant heureuse aujourd’hui.

OFF : Et Miss Suisse romande dans tout ça ?

SY : Je me baladais dans un centre commercial avec ma sœur et on a vu des filles se faire maquiller pour un concours. J’étais encore fragile et malheureuse et ma sœur m’a proposé qu’on s’inscrive, elle voulait me remonter le moral. Elle m’a lâchée en cours de route, mais ce concours m’a permis de rencontrer des personnes « normales », qui ne venaient pas d’un milieu sportif, et ça m’a fait un bien fou de pouvoir parler et échanger avec elles, après avoir eu l’impression d’avoir vécu dans une secte. Cela n’a jamais été un rêve de faire ce concours et je ne le referais pas aujourd’hui, car mon avis là-dessus a changé. Mais j’ai gagné le concours de Miss Suisse romande en décembre 2012, ça m’a fait du bien et redonné confiance et j’étais prête à partir à Paris après toutes ces montagnes russes.

OFF : Vous n’avez pas eu peur de vous lancer dans le cinéma, alors que l’on sait que c’est difficile et instable ?

SY : Non, j’ai foncé tête baissée. Même face aux craintes de ma famille, même sans moyens, je n’ai eu aucun doute, j’ai su que je me débrouillerai. J’ai la chance de savoir ce que j’aime, ce que je veux faire aujourd’hui, et que ça marche bien. Je ne suis pas meilleure que d’autres, j’ai dans mon entourage des comédiens et comédiennes très doués mais qui ne percent pas, c’est simplement un métier injuste. À force d’essuyer les échecs, j’ai des amis qui ont tout arrêté. Et souvent, même celles et ceux qui y arrivent et qui sont des stars ont peur. Mais c’est la vie que l’on a choisie. C’est autant excitant qu’effrayant, mais à un métier plus confortable et régulier, je préfère vivre dans ce doute et faire ce que j’aime.

INTERVIEW

– Souheila Yacoub

Souheila Yacoub

1992 Naissance le 29 juin à Genève.
1996 Commence la gymnastique à l’âge de 4 ans. <br /> Elle rejoindra par la suite l’équipe suisse de gymnastique rythmique à Macolin, avant de voir ses rêves olympiques s’envoler en 2012.
2012 2012 Est élue Miss Suisse romande à Genève.
2013 Part s’installer à Paris. Elle suit le cours Florent, avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de l’Université de Paris sciences et lettres.
2017 Joue au théâtre la pièce Tous les oiseaux de Wajdi Mouawad.
2018 Tourne dans le clip Trop beau de Lomepal, et joue dans Climax de Gaspar Noé.
2022 Est à l’affiche de la comédie En corps de Cédric Klapisch.
2024 Sortie de Dune 2. Elle y joue le rôle de Shishakli, une guerrière Fremen.
1992 Naissance le 29 juin à Genève.
1996 Commence la gymnastique à l’âge de 4 ans. <br /> Elle rejoindra par la suite l’équipe suisse de gymnastique rythmique à Macolin, avant de voir ses rêves olympiques s’envoler en 2012.
2012 2012 Est élue Miss Suisse romande à Genève.
2013 Part s’installer à Paris. Elle suit le cours Florent, avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de l’Université de Paris sciences et lettres.
2017 Joue au théâtre la pièce Tous les oiseaux de Wajdi Mouawad.
2018 Tourne dans le clip Trop beau de Lomepal, et joue dans Climax de Gaspar Noé.
2022 Est à l’affiche de la comédie En corps de Cédric Klapisch.
2024 Sortie de Dune 2. Elle y joue le rôle de Shishakli, une guerrière Fremen.