CinémaInterview

Kad Merad

En tournée avec la piece de théâtre «Amis», le comédien renoue avec l’humour après plusieurs rôles sombres. Il est temps de faire le point…

Six jours avant notre rendez-vous téléphonique, Kad Merad a eu la douleur de perdre son père, Mohamed, dit Rémy, décédé «après avoir lutté courageusement contre la maladie». Le comédien était très proche de lui, c’était son phare, sa source de motivation. Lors de la 44e cérémonie des César, il l’avait même fait monter sur scène pour remettre la statuette à son ami, Olivier Baroux, pour le film Les Tuches 3. Au moment d’entendre sa voix, à l’autre bout du fil, je n’ai pas pu faire comme si de rien n’était. Je lui ai sobrement présenté mes condoléances. Kad Merad m’a remercié. Sobrement aussi. Après un silence de circonstance, l’interview a pu commencer. The show must go on, avait chanté Freddie Mercury…

Kad Merad s’apprête ainsi à partir en tournée avec une pièce de théâtre, Amis, que la pandémie lui a à peine permis de jouer à Paris. Le pitch? Banquier d’affaires, snob et parisien, Pierre voit débarquer dans sa vie Serge qui prétend être son meilleur ami: selon l’application Amitic, leur compatibilité atteindrait 100%.  Aux côtés de Lionel Abelanski (Serge) et Claudia Tagbo (Martine, la femme de Pierre), Kad Merad campe cet homme suroccupé qui manie l’ironie en virtuose. Après plusieurs projets plus sombres – Acting au théâtre, Un homme d’honneur à la télévison, Un Triomphe sur grand écran – il revient à ses premières amours: la comédie. Cet humour qui lui a permis, en quinze ans, de devenir l’un des comédiens les plus populaires dans l’Hexagone. Et, s’il a complété sa palette d’acteur, en interprétant notamment un homme politique magouilleur ou un procureur manipulateur, il n’est jamais aussi irrésistible que dans la peau de l’amuseur public.



OFF: Pourquoi avoir choisi cette pièce?
Kad Merad: C’était un projet qui traînait un peu, il est passé entre plusieurs mains. Un jour, le producteur, Richard Caillat, m’en a parlé. J’avais envie de revenir sur les planches, mais je cherchais quelque chose de léger. Je sortais d’Acting, une pièce un peu noire, dure, donc j’imaginais plutôt un vaudeville moderne, où l’on ne se prend pas trop la tête. J’ai lu cette pièce et j’ai tout de suite aimé le texte d’Amanda Sthers et de David Foenkinos, sur l’amitié, les réseaux sociaux, un mélange de courants d’aujourd’hui et du passé. L’écriture est moderne, vive, intelligente. J’ai proposé de la jouer et de la mettre en scène, ce qui a été accepté. Cela m’a encore plus motivé pour remonter sur les planches.

OFF: Créer cette pièce en pleine pandémie n’a pas dû être facile?
KM:
C’est le moins qu’on puisse dire. On a terminé la mise en scène le 3 mars, je crois, et on s’est arrêté le 13… On a joué huit soirées à Paris, au théâtre de la Michodière. Cela se passait très bien, il y avait une grosse demande. On faisait partie des pièces qui démarraient le mieux. Il a fallu ensuite rentrer à la maison comme tout le monde en attendant des jours meilleurs. En fin de compte, on n’a jamais pu la reprendre à Paris: le théâtre n’a pas pu nous garder, car il avait d’autres engagements. La tournée qui arrive sera en quelque sorte comme une première pour nous. On sera moins dans la routine.

OFF: Vous avez quand même choisi de jouer la pièce sur Canal Plus en décembre 2020. Pourquoi?
KM: J’étais totalement frustré par la situation. Je me rendais au théâtre, tout était éteint, il y avait les décors  sur la scène. J’ai alors proposé au producteur de faire une captation. Cela se faisait beaucoup l’hiver dernier, justement pour que les pièces vivent. Sauf que, là, on nous a proposé de faire de la VOD: jouer la pièce en direct et à la demande. On ne l’a donc jouée qu’une seule fois, sans spectateurs. Il y avait un côté «générale» assez marrant.

Kad Merad avec Claudia Tagbo et Lionel Abelanski sur la scène du théâtre de la Michodière à Paris. Photo: Céline Nieszawer

«Je n’ai jamais calculé mes choix. Cela m’a d’ailleurs joué des tours, de ne pas trop réfléchir…»

Dans la pièce Amis écrite par Amanda Sthers et David Foenkinos, Kad Merad joue Pierre, un banquier snob qui n’a pas besoin d’amis… Photo: Céline Nieszawer

OFF: Vous faites partie de cette génération qui regardait «Au théâtre ce soir» avec Jacqueline Maillan… Observons-nous un retour de flamme de la TV pour cet art?
KM:
Le théâtre et la télévision ont toujours été liés. Passer à l’antenne donne plus de vie, plus de visibilité au spectacle. Et puis, les gens ne vont pas tous au théâtre. En revanche, ils sont plus souvent devant leur petit écran. Je trouve ça assez excitant de jouer pour la télévision. Dans la mesure où il y a des spectateurs dans la salle, évidemment…

OFF: Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le théâtre?
KM:
C’est une bonne question, ça. (rires) Quand j’ai eu envie de devenir comédien, c’était pour faire rire sur scène. C’était ma première intention. J’ai commencé à l’école. Et ça m’a tellement plu que j’ai voulu en faire mon métier. J’ai pris des cours de théâtre, j’ai monté un nombre incalculable de pièces, dans l’anonymat le plus total, dans des salles à Paris et en banlieue. J’ai adoré ça. Même si j’ai fait plus de cinéma, la scène est indispensable à ma carrière d’acteur. Le rapport avec le public est incroyable. C’est un stress très court, au début, mais ensuite, vous sentez le plaisir de jouer qui monte au fil des actes et des répliques, la complicité avec les autres comédiens se bâtit en direct, le spectateur vous voit des pieds à la tête, sans gros plan… C’est un vrai théâtre vivant. Et puis, ça ne dure qu’une heure et demie, c’est un instantané de notre métier, alors que le cinéma, vous jouez peu et vous attendez beaucoup.

OFF: Le cinéma est-il donc entré dans votre vie par hasard?
KM:
Oui, on peut le dire. J’adorais le cinéma, mais je ne pensais pas devenir un acteur tel que je le suis aujourd’hui, c’est-à-dire populaire, reconnu, avec des rôles et des propositions. Je voulais être un comédien, j’aurais été aussi heureux si je n’avais bâti ma carrière qu’au théâtre, mais le cinéma a pris un peu plus de place. (rires)

OFF: C’est ce qui explique la raison pour laquelle on vous voit moins souvent sur les planches?
KM:
Tout à fait. Lorsqu’on est au théâtre, comme à la radio d’ailleurs, on est contraint d’y rester tous les soirs. Il m’est arrivé parfois de combiner les deux: un tournage la journée, une pièce le soir. Mais il faut que le film se passe à Paris ou pas très loin. Cela vous enlève pas mal de projets. Après, le théâtre, on a le sentiment qu’on pourrait en faire jusqu’à 90 ans. Moi, je suis plutôt hyperactif et j’ai encore de grands rêves de théâtre. Je rêve de monter une pièce classique, comme Le Misanthrope, par exemple… Je sais que ce n’est pas simple, mais j’espère y arriver un jour.

OFF: Vous parlez de Molière, mais vous avez toujours cette image du Kad Merad amuseur public qui fait des vannes sur les plateaux…
KM:
C’est ma nature, mon tempérament. (rires) Mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas faire autre chose. Depuis Baron noir, j’ai accès à des rôles beaucoup plus sombres, plus noirs. À l’image de celui que j’interprète dans mon dernier film, Un Triomphe, qui remporte un succès dans le monde entier et gagne des prix à tout-va. Il n’a pas très bien marché en France, mais c’est un classique, hein? Je reste néanmoins d’une nature joyeuse, cela peut être parfois un problème. Je ne prends pas toujours les choses au sérieux. Et il n’y a rien de pire que d’être sérieux à la télévision, ça ne m’intéresse pas. C’est comme l’école pour moi.

OFF: Il y a néanmoins ce point de bascule dans votre carrière, avec le film de Philippe Lioret, «Je vais bien, ne t’en fais pas»… Est-ce vrai que vous avez hésité à le faire?
KM:
Pas vraiment. Je me suis simplement demandé comment j’allais jouer un père de famille de 50 ans, alors que j’en avais à peine 40. Je ne me sentais pas prêt. Mais je l’ai fait quand même, parce que j’aime prendre des risques. Et puis, ce n’est pas trop mal, apparemment, c’est ce qui se dit. (sourire)

OFF: Le fait d’être un comique vous a-t-il fait croire que vous ne pourriez pas être légitime dans ce genre de rôle?
KM:
Je vais vous dire la vérité, je n’ai jamais vraiment calculé mes choix. Je ne me suis même jamais enfermé. Cela m’a d’ailleurs joué des tours, de ne pas trop réfléchir, de ne pas penser à ma carrière. J’ai la chance de travailler, les gens me demandent, j’ai donc pris le parti de favoriser le côté plaisir plus que l’aspect carrière ou récompenses. Cela peut être casse-gueule. La comédie est casse-gueule. Mais je me dis qu’on n’a pas assez de temps sur terre pour choisir. D’ailleurs, j’aime bien cette phrase de Philippe Noiret: «La vie est courte, autant la faire en première classe.»

OFF: Depuis «Baron Noir», on sent néanmoins que le regard des gens a changé. Un sentiment  confirmé par le  film «Un Triomphe» ou la série sur TF1, «Un homme d’honneur». De nouvelles perspectives pour vous?
KM:
Je continue d’être inclassable. Les gens se demandent encore si je suis un acteur comique, si je suis sérieux… Mais, c’est vrai, beaucoup de portes se sont ouvertes, moins dans la comédie grand public comme on le fait en France, mais plus dans des projets d’une autre tonalité. Dans une série, par exemple, vous avez le temps de déployer toutes les facettes de votre talent: vous avez le rôle principal et vous passez par tous les états d’âme de votre personnage; les gens vous découvrent alors comme un acteur complet qui sait émouvoir, faire peur ou faire pleurer. Ce n’était pas le cas avant, parce que, dans une comédie, on vous voit seulement comme un acteur comique. Mais, encore une fois, je n’ai rien choisi, j’ai eu la chance de rencontrer ce rôle. Quand j’ai eu le scénario de Baron Noir dans les mains, j’ai hésité à le faire. Je ne suis pas bon en politique. Il a fallu que j’invente ce personnage, que je le mette dans mes pas. Je ne me suis pas inspiré d’un homme politique en particulier, mais de tous. La plupart du temps, ce sont ces rencontres avec certains rôles qui font la réputation d’un acteur. Et moi, je n’ai pas eu beaucoup de vraies rencontres.

«J’ai encore de grands rêves en théâtre, j’ai envie de jouer «Le Misanthrope» de Molière, par exemple.»

En 2019, lors de la cérémonie des César, Kad Merad invita son père (à gauche) à remettre la statuette à son meilleur ami, Olivier Baroux, pour Les Tuches 3. Photo: Céline Nieszawer

OFF: Cela signifie-t-il qu’on vous verra plus souvent à la télévision?
KM:
Il y a de plus en plus de séries qui se tournent. Malheureusement, le cinéma a pris un vrai coup dans la gueule avec cette pandémie. Le redémarrage est dur. Depuis la rentrée, et je suis bien placé pour le savoir, le taux de fréquentation a beaucoup baissé. Il y a 20 à 30% de spectateurs en moins dans les salles en France, parce que les gens n’ont pas retrouvé l’habitude du cinéma. Aujourd’hui, on se tourne vers les plateformes et, logiquement, il y a plus de projets de séries que de longs-métrages. Il va falloir faire quelque chose, car le cinéma reste indispensable à notre vie. Partager un film dans une grande salle, ça n’a rien à voir avec son salon à la maison.

OFF: Vous parliez de rencontres avec des rôles. On ne peut pas ne pas évoquer «Bienvenue chez les Ch’tis». Avec le recul, comment expliquer un tel succès?
KM:
Si je le savais, on ferait des films un peu plus sûrs (rires) À mon avis, le succès est lié à Dany. C’est un film d’auteur, en fait, de quelqu’un qui raconte sa vie, sa région, avec ses clichés, et qui le maîtrise à la perfection. C’est de la pure comédie, avec de vraies situations comiques. Je l’ai revu, il n’y a pas longtemps, à la télévision, il a encore fait plus de 6 millions de téléspectateurs, ce qui est encore énorme. Il y a toujours cette magie dans le film, je continue à rigoler… Dany est vraiment au sommet de son art, dans l’écriture, dans le rythme, dans le jeu. Il y a mis tellement de sa vie, de son cœur, que c’est une comédie sincère. Vous savez, quand le film est sorti, j’étais déjà parti en Afrique du Sud, je n’ai donc pas vécu le succès en France. Quand je suis rentré, au bout de deux mois, je n’étais plus le même acteur. (rires)

OFF: Contrairement à vous, Dany Boon s’est moins engagé sur le terrain sérieux…
KM:
C’est une discussion que j’ai eue avec lui, il n’y a pas longtemps. Il est coproducteur du Triomphe, je sais qu’il a adoré le pitch, le personnage que j’y joue. Il aurait été formidable dans ce rôle-là. Et je sens qu’il est en train de changer un peu son avis, son idée, sur la question. Il n’a pas fait que de la comédie, il avait été nommé aux César pour son rôle dans Joyeux Noël, dans un rôle dramatique. J’ai certes plus creusé ce terrain que lui, mais sa carrière n’est pas terminée. Il va y venir, j’en suis sûr. Je lui ai donné envie avec Le Triomphe et il était jaloux…

OFF: Si on revient au sujet de la pièce, votre personnage dit qu’il n’a pas besoin d’amis. Quels sont les vôtres?
KM:
C’est un mélange. J’ai des vieux amis d’enfance qui ne sont pas du tout dans la profession. Il y a des musiciens avec lesquels j’ai commencé à faire de la musique il y a 35 ans, qui ne sont pas forcément des stars. Et puis, j’ai rencontré des gens comme Florent Pagny ou Olivier Baroux qui sont devenus de vrais amis. J’ai un peu tous les niveaux socio-professionnels. Je n’ai pas trop d’amis dans le milieu du cinéma, ça reste difficile. J’ai plutôt des potes. Évidemment, il y a Dany Boon: on ne s’est jamais quitté depuis les Ch’tis, on s’appelle régulièrement, et pas seulement pour parler de travail.

OFF: Est-ce plus difficile de se faire des amis quand on est connu?
KM:
On est surtout plus méfiant, forcément. Moi qui suis quelqu’un d’assez généreux et ouvert, je pourrais me faire avoir par une sorte d’amitié naissante. Mais, c’est bon, j’ai passé l’âge maintenant. C’est difficile d’avoir de nouveaux copains quand vous êtes devenu un acteur populaire. Mais, c’est bon, j’ai mes potes, j’ai du monde! (rires)

OFF: Il doit y en avoir quelques-uns parmi les Enfoirés… Vous en êtes l’un des piliers depuis 2007. Pourquoi est-ce important pour vous?
KM:
C’est le but de cette soirée qui me plaît. Derrière tous ces rires, derrière cette ambiance bon enfant, il y a des résultats. Je pense toujours aux bénévoles, aux anonymes qui sont dans la rue, après, et passent l’hiver à servir à manger grâce à nous. C’est assez valorisant pour les petites personnes que nous sommes. Parce qu’on a toujours envie de faire quelque chose pour le monde. Nous, on a de la chance, on fait un travail qu’on a choisi, on a les moyens de réaliser certains rêves. Mais on ne sait pas comment partager… Là, je ne suis qu’un maillon de la chaîne, mais j’ai l’impression de faire quelque chose et que cela sert à quelqu’un.

Kad Merad

1964 Naissance le 27 mars à Sidi Bel Abbès, en Algérie.
1991 Rencontre avec Olivier Baroux sur Oüi FM. Le duo Kad et Olivier est né.
2004 Second rôle dans Les Choristes de Christophe Barratier.
2007 César du meilleur acteur dans un second rôle pour le film Je vais bien, ne t’en fais pas.
2008 Donne la réplique à Dany Boon dans Bienvenue chez les Ch’tis. C’est un triomphe, avec plus de 20 millions d’entrées!
2016 Tient le rôle de Philippe Rickwaert dans la série de Canal Plus, Baron noir.
2019 Maître de cérémonie de la 44e édition des César.
2021 Un homme d’honneur sur TF1.
1964 Naissance le 27 mars à Sidi Bel Abbès, en Algérie.
1991 Rencontre avec Olivier Baroux sur Oüi FM. Le duo Kad et Olivier est né.
2004 Second rôle dans Les Choristes de Christophe Barratier.
2007 César du meilleur acteur dans un second rôle pour le film Je vais bien, ne t’en fais pas.
2008 Donne la réplique à Dany Boon dans Bienvenue chez les Ch’tis. C’est un triomphe, avec plus de 20 millions d’entrées!
2016 Tient le rôle de Philippe Rickwaert dans la série de Canal Plus, Baron noir.
2019 Maître de cérémonie de la 44e édition des César.
2021 Un homme d’honneur sur TF1.