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Lambert Wilson « J’aspire au calme, mais je m’ennuie très vite… »

Épris d’un fort désir d’activité, l’acteur, metteur en scène et chanteur français était, entre mille autres projets, président du jury du 76e Festival de Locarno, en août dernier. Rencontre avec un touche-à-tout qui ne se départit jamais de son élégance.

Il a été le Mérovingien, Charles de Gaulle, Jacques-Yves Cousteau, l’abbé Pierre et même un extraterrestre : en 45 ans de carrière, Lambert Wilson a incarné des personnages éclectiques dans des films l’étant tout autant, ce qui lui a permis de se constituer une filmographie unique.

Lors du dernier Festival de Locarno, l’acteur français a eu la tâche importante de présider le jury de la compétition internationale, qui a remis le Léopard d’or au film Mantagheye bohrani (Critical Zone), du réalisateur iranien Ali Ahmadzadeh. Lors de cette 76e édition, Lambert Wilson a aussi présenté son nouveau film, Cinq hectares, d’Émilie Deleuse, qu’il a coproduit et dans lequel il joue le rôle principal : un scientifique français qui s’achète une maison à la campagne et qui débarque avec plein d’idées préconçues sur les cultivateurs. « C’est une sorte de voyage initiatique à la Don Quichotte sur un changement de vie et de perception », nous a indiqué Lambert Wilson. « Il s’agit d’une comédie pointue sur un sujet moderne et politique. »

Actuellement, le comédien tourne aussi une série pour Apple TV, La maison, sur le monde du luxe et de la mode. Forcée à se réinventer après la diffusion d’une vidéo impliquant le créateur star Vincent LeDu (Lambert Wilson), une célèbre maison de haute-couture centenaire ne tient plus qu’à un fil. « Je joue un designer chef de famille assez dur et autoritaire, qui doit descendre de son trône pour se remettre en question. » Scandale et rivalité seront au cœur de cette production, en tournage jusqu’au mois de novembre. Carole Bouquet, Zita Hanrot, Amira Casar, Pierre Deladonchamps, Antoine Reinartz et Anne Consigny sont aussi au casting.

Côté musique, l’artiste dit vouloir l’intégrer complètement dans son quotidien. Après un concert au Château de Tannay, le 24 août dernier, où il a interprété des textes de Lamartine mis en musique par Liszt, accompagné du pianiste Roger Muraro, il s’est produit dans les Alpes, puis à Bucarest. Il sera de retour en Suisse en fin d’année, pour chanter les cantates de Bach (le 28 décembre à Genève, le 29 et le 30 dans le Valais).

« Je me sens toujours comme le lycéen que j’étais, qui allait à l’école à vélo dans Paris.»

C’est au Belvédère, l’hôtel où résident les célébrités durant le plus grand festival de films en Suisse, que nous avons retrouvé Lambert Wilson. Déjà de bon matin, il est à la pointe de l’élégance, vêtu de bleu marine de la tête aux pieds. Il nous accueille et nous propose un café. « Nous allons parler de plein de choses », le prévient-on. « Tout ce que vous voulez », répond-il. Nous avons 30 minutes montre en main, et quatre pages de questions griffonnées dans un petit carnet. L’interview peut commencer.

Le président Lambert Wilson pose avec les membres du jury du Festival de Locarno : Matthijs Wouter Knol, Lesli Klainberg, Charlotte Wells et Zar Amir Ebrahimi (de gauche à droite). Photo : Samuel Golay Alessandro Crinar

OFF : Que ressent-on lorsque l’on préside le jury d’un festival d’une telle envergure ?

Lambert Wilson : Ce n’est pas vraiment le rôle qui compte, mais davantage la particularité du festival : c’est un endroit insensé ! Je suis allé dans d’autres grands festivals, comme Cannes, et on a toujours l’impression que les projections sont faites pour les gens du métier et que c’est très difficile d’y avoir accès. Alors qu’à Locarno, les salles sont bourrées d’amateurs de cinéma et de curieux qui s’intéressent à tout. Le large public est véritablement passionné et pour moi, c’est ça, le choc de Locarno.

OFF : Est-ce qu’il y a tout de même une forme de pression ?

LW : C’est impressionnant, car on sait que c’est un des festivals les plus importants au monde. La responsabilité en tant que président à notre époque, c’est que la mission est peut-être un peu plus politique qu’avant. Il y a des questionnements contemporains auxquels on doit répondre. Le cinéma passe avant tout, bien sûr, mais c’est difficile de ne pas se poser la question de la parité, du féminisme, de l’écologie, de la guerre et de la politique. C’est aussi le premier festival international qui se tient pendant la grève des syndicats des acteurs et auteurs aux États-Unis, il y a plein de sujets dans l’air, c’est excitant et à la fois, ça donne un peu le trac.

OFF : Comment se déroule une journée type ici ?

LW : On voit environ trois films par jour, on reste très groupés avec les autres membres du jury, on fonctionne comme une famille, on mange ensemble et on discute beaucoup. Et puis, on a l’impression d’être dans un film en permanence.

OFF : Allez-vous au cinéma le reste du temps ?

LW : Peu, là, je rattrape un peu de retard. Le reste de l’année, je dois me botter les fesses pour y aller car je travaille beaucoup et je n’ai pas le courage de sortir !

OFF : Vous venez aussi de célébrer vos 65 ans ici, le 3 août : qu’est-ce que ça représentait pour vous ?

LW : Je déteste fêter mon anniversaire, ah, je déteste ça ! L’organisation du festival avait prévu de me remettre un Léopard en public, mais j’ai annoncé le jour même que je ne voulais rien de spécial, alors ils ont annulé la cérémonie et le Léopard est arrivé directement dans ma chambre. Cela dit, c’est un anniversaire qui fait réfléchir.

OFF : Dans quel sens ?

LW : Le cinéma est une sorte de loupe sur la vie humaine et il y a, de manière générale, une fascination pour la jeunesse. En vieillissant, on a l’impression que les metteurs en scène sont de plus en plus jeunes. Ce qui est passionnant en voyant autant de films en 10 jours, c’est que ça brasse énormément de choses en soi-même, ça m’amène à me poser des questions : où en suis-je de ma vie, que fais-je de mon pouvoir de création, est-ce que j’aide à améliorer les choses ou suis-je recroquevillé dans mon coin ? Ce que je veux dire, c’est que les metteurs en scène sont généralement des citoyens engagés, des lanceurs d’alerte qui parlent du monde ou essaient d’en être témoin, alors qu’en tant qu’acteur, on est parfois tranquille dans son coin. Bref, toutes ces réflexions ont été brassées par cet anniversaire.

« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que j’ai fait, mais les rencontres avec les grands artistes.»

OFF : Et quel âge avez-vous dans votre tête ?

LW : 14 ans ! Je me sens toujours comme le lycéen que j’étais, qui allait à l’école à vélo dans Paris.

OFF : Qu’est-ce qui vous touche profondément dans un film ?

LW : C’est une réaction qui dépasse l’intellect. Lorsqu’on oublie le temps qui passe, qu’on oublie qu’on est sur un siège inconfortable, qu’on oublie la présence des autres et qu’on est ému face à un vrai sujet. Ce n’est pas forcément parce que le film aborde un sujet social ou politique, ce n’est pas un processus réflexif, ça a juste lieu et on le sent par toutes les cellules de son corps.

OFF : Avez-vous déjà regardé votre filmographie en entier ?

LW : Non, jamais, ça ne m’intéresse pas du tout ! Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que j’ai fait, mais les rencontres avec les grands artistes : ça, ce sont des trésors qu’on emporte avec soi. J’ai fait partie de la famille d’Alain Resnais, avec qui j’ai fait quatre films, mais c’est un peu une exception. Je suis plutôt solitaire, alors même quand je travaille avec quelqu’un, je me recroqueville dans ma tanière après. Non pas par mépris, mais parce que je suis un peu timide et asocial. Et puis, en 1982, j’ai joué dans Cinq jours, ce printemps-là de Fred Zinnemann, on a tourné en Suisse d’ailleurs, je jouais un guide de montagne. Fred Zinnemann avait été assistant à Berlin durant les années du cinéma muet. Je trouve complètement fou, en 2023, de penser que j’ai travaillé avec un metteur en scène qui a travaillé dans ces années-là, avant de partir en Amérique pour fuir le nazisme. J’ai eu quelques rencontres inouïes avec de grands artistes visionnaires et c’est ça qui compte, pas ce que j’ai fait. Si j’écris un livre un jour, c’est de ça que je parlerai.

Photo : IGOR SHABALIN

OFF : Vous vivez dans un moulin en Bourgogne, loin de l’agitation parisienne ; pourquoi ce choix ?

LW : J’aspire au calme, le problème, c’est que je n’arrête pas ! J’ai du mal à être immobile, même chez moi en Bourgogne, entre le travail et le jardinage, il faut tout le temps que je m’occupe. Je souffre d’un manque de capacité à la concentration. Je ne prends jamais de vacances, car je m’ennuie très vite. Le seul moment où je suis heureux et totalement en harmonie, c’est à la montagne, notamment en Suisse. Dans une prairie d’alpage, j’oublie complètement mon travail et mes préoccupations existentielles d’artiste. Je me sens totalement bien. Dès que je redescends dans la vallée, je suis repris par un désir d’activité. Mes amis se lamentent beaucoup parce qu’ils trouvent que je fais beaucoup trop de choses, que je suis toujours par monts et par vaux.

OFF : Comment expliquez-vous cela ?

LW : Ce n’est pas une boulimie, c’est une inquiétude. J’ai toujours l’impression que tout peut s’arrêter, surtout dans le métier d’acteur, et qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. J’en connais qui ont commencé avec moi et qui ne sont plus acteurs aujourd’hui. Quand on a du succès, c’est facile de se reposer sur ses lauriers et ne pas se remettre en question. Pourtant, c’est important de savoir se réinventer en permanence et de surprendre, pour continuer à créer le désir chez les metteurs en scène. Un acteur est vite associé à une tendance, à une mode, et il faut être très conscient que tout ça passe.

Dans le film d’Eric Besnard, Les Choses simples, Lambert Wilson donne la réplique à Grégory Gadebois. « Le seul moment où je suis heureux et totalement en harmonie, c’est à la montagne », avoue le comédien. Photo : PRAESENS FILM AG

OFF : Est-ce toujours aussi important pour vous aujourd’hui ?

LW : Oui, mais il y a un âge où j’arrêterai. À 80 ans, je pense…

OFF : Et vous écrirez votre biographie ?

LW : Non, je pense que je prendrai toutes les drogues de la Terre, je deviendrai une espèce de hippie, j’expérimenterai tout ce que je n’ai pas pu expérimenter au cours de ma vie, je ferai le tour du monde, je deviendrai un clochard… Je me retirerai la pression d’être en forme, sur le marché, je rattraperai le temps perdu de vraie vie.

OFF : Voilà un programme qui semble prometteur !

LW : Oui, je dis ça parce que j’ai observé quelque chose chez mon propre père, Georges Wilson, acteur et directeur de théâtre. Il est mort à 88 ans et les dernières années de sa vie, il avait trop de frustration de ne plus jouer, de ne plus être dans la lumière. J’ai vu ça comme une faiblesse. Mon père était uniquement concentré sur l’activité artistique et à la fin, ça le rendait triste, car il n’était plus demandé. Un acteur est tellement habitué à l’adrénaline de la performance que la vie peut paraître extrêmement ennuyeuse quand on est éloignés de cette dose, c’est comme une drogue. Je pense qu’il faut absolument trouver un équilibre et une nourriture loin du métier, sinon on a une vie déséquilibrée et on sombre dans les dépendances telles que l’alcool. La vie est aussi ailleurs, elle n’est pas que dans la création ou la représentation, elle existe dans la nature, avec les animaux, avec les gens qui font d’autres métiers…

OFF : Avec votre père acteur, la carrière artistique était-elle logique depuis tout jeune ?

LW : Je ne dirais pas que c’était logique. C’était davantage une fréquentation quotidienne d’un univers où je me sentais bien. Aller au théâtre, voir les acteurs, les costumes, la lumière, mon père qui se maquillait… J’aimais me déguiser et dans le théâtre de mon père, il y avait des milliers de mètres carrés de costumes accrochés, d’accessoires… Pour un enfant, c’est comme un palais de jeux surdimensionné, et je voulais en faire partie ! En revanche, mon père a essayé de m’empêcher d’être acteur au début.

OFF : Pourquoi ?

LW : Il m’a découragé, déjà car il devait payer mes études et aussi parce qu’il avait peur que je n’aie pas de talent, que je souffre. Mais plus il me donnait des raisons de ne pas devenir acteur, plus je voulais faire ça, pour le braver, un combat typique de père-fils. Mais au fond de moi, il y avait autre chose, qui était mon rapport à la musique, qu’il ne m’a pas laissé élucider. Mon frère, lui, ne s’intéressait pas au théâtre et il est devenu musicien. Si mon père m’avait demandé ce que j’aimais à cette époque, je serais peut-être parti dans cette voie musicale. Ado, j’écoutais les disques de Fred Astaire, j’adorais les comédies musicales… Je ne dis pas que je suis passé à côté de ma vie, mais que j’ai encore quelques années pour vivre ça plus pleinement. J’essaie de rattraper le temps perdu en intégrant la musique dans mon quotidien, en chantant, en donnant des concerts et en fréquentant des musiciens. Je travaille le chant à fond, je dis oui à tous les projets musicaux et je mets la musique au centre de toutes mes activités. J’aime toujours le cinéma, mais je privilégie la musique en ce moment.

OFF : Vous êtes-vous toujours senti légitime dans le cinéma ?

LW : Non, on se demande toujours si on n’est pas un usurpateur, tous les acteurs passent par là. Quand j’ai auditionné dans mon école à Londres, on m’a demandé ce qu’était le théâtre pour moi. Là, j’ai réalisé que je n’y avais absolument pas réfléchi. Je faisais comme mon père, je ne connaissais pas autre chose. Ça m’a complètement perturbé de n’avoir aucune réponse sur le moment et je me suis demandé ce que je faisais là. En fait à cette époque, c’était superficiel : je voulais que ça brille, être une star, avec un visage surdimensionné sur un grand écran ! Heureusement je suis passé par une école très dure, qui m’a bien mis les choses dans le système.

OFF : Pourquoi cette envie d’être une star et de briller ?

LW : Oh, c’est très adolescent, les ados sont fascinés par la célébrité et on est abrutis à cet âge, on ne voit que l’extérieur, on ne sait pas du tout en quoi ça consiste. On veut juste la récompense, on veut être aimé par le plus de personnes possible, on a un déficit d’estime de soi pour mille raisons liées à l’enfance alors on se dit « Je vais être adulé, super, je vais faire ça ! » On ne se dit pas qu’on veut être acteur, on se dit qu’on veut être aimé par la foule. C’est complètement enfantin et c’est souvent fondé sur des chagrins ou des manques de validations par son entourage. Ensuite, pour ma part, le cinéma que j’aimais voir ado, c’était le cinéma d’auteur américain, qui a disparu à partir de l’explosion de Lucas et Spielberg. C’est à ce cinéma-là que je voulais appartenir dans les années 1970, et au cinéma anglais : j’étais fasciné par Dirk Bogarde, Alan Bates, Oliver Reed… Des acteurs que plus personne ne connaît maintenant, mais moi je voulais faire partie d’eux.

Lambert Wilson

3 août 1958 Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1977 Première apparition au cinéma dans Julia, sous la direction de Fred Zinnemann.
1989 Enregistrement de son premier album, Musicals.
2003 Explose à l’écran dans le rôle du Mérovingien, face à Monica Bellucci, dans Matrix Reloaded et Matrix Revolutions.
2010 Interprète le personnage principal du film Des hommes et des dieux, succès critique et public pour lequel il est nommé au César du meilleur acteur.
2014 Déclare que les paroles de La Marseillaise sont trop violentes et doivent être modifiées.
2021 Lance son propre festival de musique, les Millésimes de Tonnerre.
2023 Président du jury au Festival de Locarno, tourne la série La maison et est à l’affiche de la comédie Cinq hectares.
3 août 1958 Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1977 Première apparition au cinéma dans Julia, sous la direction de Fred Zinnemann.
1989 Enregistrement de son premier album, Musicals.
2003 Explose à l’écran dans le rôle du Mérovingien, face à Monica Bellucci, dans Matrix Reloaded et Matrix Revolutions.
2010 Interprète le personnage principal du film Des hommes et des dieux, succès critique et public pour lequel il est nommé au César du meilleur acteur.
2014 Déclare que les paroles de La Marseillaise sont trop violentes et doivent être modifiées.
2021 Lance son propre festival de musique, les Millésimes de Tonnerre.
2023 Président du jury au Festival de Locarno, tourne la série La maison et est à l’affiche de la comédie Cinq hectares.