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Cæcilia Charbonnier

Sa réussite n’a rien de virtuelle.

Espoir du tennis suisse, la Genevoise a dû mettre un terme à sa carrière à l’age de 18 ans. Considérée comme la pionnière de la réalité virtuelle, elle a séduit Hollywood avec ses attractions immersives.

Comment rebondir lorsque le destin vous claque la porte au nez au moment où vous commencez à effleurer votre rêve du bout des doigts? Cette question a sûrement effleuré l’esprit de Cæcilia Charbonnier en 1999, le jour où elle a choisi, la mort dans l’âme, de mettre un terme à sa carrière sportive. Considérée comme un talent du tennis suisse, la Genevoise n’avait alors que 18 ans, mais, cette saison-là, elle avait passé un cap. Elle venait de gagner son premier titre à Swansea, dans le pays de Galles, et d’intégrer l’équipe de Suisse en Fed Cup, contre la Slovaquie. Elle pouvait logiquement prétendre à vivre pleinement l’aventure pro sur le circuit WTA. Et là, patatras! Son épaule droite a lâché. Son médecin décela une usure inhabituelle pour son jeune âge. Passée entre les mains d’un chirurgien, et, malgré des semaines de rééducation, elle est cependant contrainte de jeter l’éponge.

Le tennis regorge de cas comme celui de Cæcilia. L’Australien Patrick Rafter et l’Argentin Juan Martin Del Potro en sont deux parmi d’autres. À la différence qu’eux, ont eu le plaisir d’inscrire leur nom au palmarès d’un tournoi du Grand-Chelem – l’US Open à chaque fois (1997 et 1998 pour le premier, 2009 pour le second). Comment renoncer à ses ambitions d’enfant? Ne pas s’égarer dans les regrets éternels?

Co-fondatrice de Dreamscape Immersive, Cæcilia Charbonnier tenait à ouvrir un centre chez elle à Genève. «Cela nous permettra de tester des attractions en primeur…»

Rencontres en laboratoire

«Ma mère m’a toujours encouragée à poursuivre mes études à côté du tennis», raconte-t-elle, toujours avec cette franchise qui la caractérise. «Étudier rend plus intelligent sur le court…» La Genevoise passe sa matu. S’inscrit à l’Université. «J’avais hésité avec la médecine, mais comme mes parents et mon frère avaient déjà choisi cette voie, je me suis dit qu’il fallait que je change un peu.» Pour elle, ce sera l’informatique et les relations internationales. Deux licences pour le prix d’une! «En tant que sportive d’élite, j’étais habituée à un rythme de travail soutenu, cela ne m’a posé aucun problème de suivre ces deux filières en même temps.»

À ce moment-là, Cæcilia Charbonnier n’a aucune idée de ce que sera son avenir professionnel. Elle ne se projette pas. «C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche», a dit l’artiste Pierre Soulages. Une citation qui correspond parfaitement au parcours de la Genevoise. Une rencontre a néanmoins servi de catalyseur: celle avec Nadia Magnenat-Thalmann, fondatrice et directrice de MIRAlab. «J’ai eu la chance de faire un stage dans son laboratoire. En optant pour l’informatique, je ne m’imaginais pas écrire des lignes de codes pendant toute ma vie. Ce n’est pas très fun! Mais j’étais déjà attirée par la 3D et la création visuelle.» Cela tombe bien, Nadia Magnenat-Thalmann est l’une des pionnières en réalité virtuelle. Elle ne pouvait pas trouver de meilleure inspiration. Du coup, pour son travail de doctorat, elle décide de marier ses trois dadas: le sport, l’informatique et la médecine. «Je me suis intéressée aux problèmes de hanches chez les danseuses du Grand-Théâtre», précise-t-elle. «Nous avons d’abord capté leurs mouvements, puis, avec un simulateur 3D, nous avons reconstitué leur anatomie et pu ainsi observer les articulations des danseuses pendant leurs exercices.» L’objectif était d’essayer d’expliquer l’apparition de l’arthrose chez certaines athlètes, et pas chez d’autres…

Dans le centre Dreamscape de Genève, on peut voler sur le dos d’un dragon ou voyager dans
le temps et croiser le général Dufour et James Fazy à Genève en 1850.

Mais, dans ce même laboratoire, Cæcilia Charbonnier croise un autre personnage-clé dans son existence: Sylvain Chagué. Lui aussi étudiant en informatique, il deviendra son compagnon dans la vie, mais aussi son… associé, lorsqu’elle émet l’idée de voler de ses propres ailes, une fois sa thèse en poche, et de créer son laboratoire. «Afin de pouvoir bénéficier du soutien financier d’une autre fondation, bien connue sur la place de Genève, nous avons aussi choisi la forme juridique de fondation à but non lucratif pour Artanim.» À Meyrin, elle poursuit ses recherches sur les technologies de captures de mouvement en collaboration avec les hôpitaux, mais aussi avec les écoles. «La médecine et l’éducation représentent 80% de notre activité», ajoute-t-elle. «Avec ça, nous pouvons contribuer à poser des diagnostics, à établir une planification de prothèse ou à mesurer les progrès d’un patient dans sa rééducation.» Se rappelant ses semaines de convalescence, à répéter des exercices parfois ennuyeux en dépit de la douleur, elle estime même que la réalité virtuelle peut offrir «un environnement plus fun et addictif» pendant ces étapes vers la guérison…

Le soutien de Hollywood

La Genevoise reste néanmoins une compétitrice dans l’âme: elle ne peut jamais se satisfaire de la routine. «J’ai besoin d’améliorer les choses, de faire toujours mieux que les autres. C’est un peu le propre de la recherche, non?» Ainsi, lorsque la porte de la réalité virtuelle s’est ouverte, elle n’a pas hésité à mettre le pied et à s’y engouffrer. Par curiosité. Par défi. «Cette technologie existe depuis les années 60. Mais ça n’avait rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. La résolution était mauvaise et tu finissais en général avec de violents maux de tête.» L’expérience, elle, se limitait à se regarder soi-même, assis sur une chaise. «Il n’y avait aucune interaction sociale, ni même d’interaction avec des objets.» En 2015, les casques de réalité virtuelle réapparaissent sur le marché et laissent entrevoir des possibilités infinies. Avec Sylvain Chagué, elle développe alors un premier prototype d’immersion virtuelle: l’exploration d’un tombeau égyptien par deux aventuriers équipés d’une torche. La nouveauté? Le duo peut entretenir un lien social dans ce monde parallèle. «Nous l’avons présenté à Siggraph (ndlr. l’une des plus grandes conférences sur les technologies interactives aux États-Unis), les gens ont halluciné. Nous avons été sélectionnés parmi les trois meilleures installations du moment.» Le conte de fée ne s’arrête pas là: quelques mois plus tard, direction Sundance, dans l’Utah, pour confronter leur technologie au monde du cinéma. Bingo! Producteur de Gladiator,  Arrête-moi si tu peux ou Minority Report, Walter Parks mord à l’hameçon et convainc d’autres poids lourds de Hollywood, tels que Steven Spielberg et Hans Zimmer de se joindre au projet: la création de la société Dreamscape Immersive, basée à Los Angeles, afin de développer des attractions de réalité virtuelle pour le grand public.

«Nous proposons un nouveau médium où tu deviens acteur de ton expérience», analyse Cæcilia Charbonnier. «Aujourd’hui, avec le succès des plateformes de streaming comme Netflix ou Disney et l’apparition des écrans géants dans les salons, les gens boudent les salles de cinéma.» Dreamscape a peut-être trouvé un remède pour les faire revenir dans les malls et les multiplexes. En s’associant avec les principales «majors» de Hollywood (Warner, MGM, Century Fox), elle s’offre aussi un catalogue de franchises alléchantes à adapter dans ce monde virtuel. C’est le jackpot! La levée de fonds permet de réunir la somme de 80 millions de dollars en trois fois. Il a pourtant fallu attendre deux ans pour fêter l’ouverture du premier centre à Los Angeles. Suivront Dubaï, Dallas et Genève…

«Nous proposons un nouveau médium où tu peux devenir acteur de ton expérience.»

Pour Cæcilia Charbonnier, il était logique que la Cité de Calvin figure sur la carte de Dreamscape. Déjà parce qu’elle-même continue d’y habiter, dans le quartier des Pâquis. «Avec Sylvain, il n’a jamais été question de déménager en Californie, ce n’était pas le plan!» Mais les raisons sont aussi pratiques: en s’installant à Confédération Centre, cela lui donne l’opportunité de tester des attractions en primeur, de les améliorer en temps réel, de développer des nouvelles technologies in situ… Pour l’instant, le public peut voyager dans le temps, à Genève en 1850, et y croiser le général Dufour et James Fazy; s’envoler sur le dos d’un dragon; ou visiter l’Alien Zoo, une station spatiale réunissant des espèces en voie de disparition. «Cette attraction est inspirée d’un scénario original de Steven Spielberg. Mais l’objectif est de proposer régulièrement des nouveautés.» Dans le pipeline? Men in Black, The Blu: Deep Rescue, qui propose une immersion dans le grand bleu, ou Curse of the Lost Pearl, une aventure digne d’Indiana Jones. «Nous sommes aussi en négociations pour acquérir les droits de deux expériences avec Harry Potter», dit-elle, avec des étincelles dans les yeux.

Cæcilia Charbonnier prend-elle le temps parfois de mesurer tout le chemin parcouru depuis 1999? Si elle continue de taper dans la balle pour le fun (toujours sans servir!), elle n’a gardé aucun contact dans ce milieu – à l’exception de Christelle Fauche, désormais directrice adjointe de la FER. Était-ce délibéré? Elle ne s’en souvient plus. En revanche, elle a conservé cette humilité, cet esprit pragmatique, qu’elle affichait déjà sur les courts. Quand on lui fait remarquer qu’elle, avec sa technologie, a réussi à devancer tout ce que la planète compte comme start-ups, aux États-Unis ou au Japon, elle ne le prend pas pour sa gloriole personnelle. Pourtant, l’exploit est certainement aussi retentissant que d’avoir soulevé la Coupe Suzanne Lenglen sur le Central de Roland-Garros…

Cæcilia Charbonnier

1981 Née le 7 décembre à Genève.
1999 Remporte son premier tournoi de tennis à Swansea. Retraite sportive.
2010 Présente sa thèse intitulée «Extreme Hip Movements Based on Optical Motion Capture».
2011 Création de la Fondation Artanim avec Sylvain Chagué et Emmanuel Lo.
2016 Elle est l’une des fondatrices de la société Dreamscape Immersive.
2018 Inauguration d’un premier centre à Los Angeles.
2022 Ouverture du premier centre Dreamscape à Genève.
1981 Née le 7 décembre à Genève.
1999 Remporte son premier tournoi de tennis à Swansea. Retraite sportive.
2010 Présente sa thèse intitulée «Extreme Hip Movements Based on Optical Motion Capture».
2011 Création de la Fondation Artanim avec Sylvain Chagué et Emmanuel Lo.
2016 Elle est l’une des fondatrices de la société Dreamscape Immersive.
2018 Inauguration d’un premier centre à Los Angeles.
2022 Ouverture du premier centre Dreamscape à Genève.