Samuel Grandchamp – « Le rêve américain, caméra au poing »
Arrivé au cinéma presque par hasard, le genevois compte parmi les talents les plus prometteurs de sa génération. Après un léopard d’or du court-métrage à Locarno en 2015, il revient avec breakaway, une série documentaire dédiée au Genève-Servette Hockey Club, sacré champion suisse la saison dernière.
Sourire large et poignée de main franche, Samuel Grandchamp a le contact facile de ceux qui ont passé un certain temps de l’autre côté de l’Atlantique. D’emblée, il avoue être peu rompu à l’exercice de l’interview. Ce qui ne l’empêche pas de répondre aux questions avec un enthousiasme dont il ne semble jamais se départir. Il faut dire que des histoires, le jeune homme de 33 ans en a des tonnes à raconter : à la tête de Converge Productions, la société qu’il a fondée entre New York et Genève il y a presque six ans, il cumule les casquettes de réalisateur, scénariste et producteur.
C’est sous cette dernière qu’il fait la promotion de Breakaway, une série documentaire consacrée au Genève-Servette Hockey Club. « Cyril de Bavier, membre du conseil d’administration du club, est un ami proche », explique-t-il. « Quand il a pris ses fonctions, il y a deux ans, on a eu envie de faire quelque chose ensemble. Mais le club était encore dans une phase de transition, avait encore des choses à construire, ce n’était pas le bon moment. On en a reparlé l’été dernier, le groupe était alors plus soudé, avait la volonté et la capacité d’ouvrir ses portes à une équipe de tournage. Nous avons donc décidé de tenter l’aventure. »
Le GSHC façon Netflix
Un pari gagnant, puisque le GSHC a terminé la saison par un sacre de champion suisse. Le premier de son histoire. « Le succès et la faisabilité du projet ne dépendaient pas de la victoire », assure Samuel Grandchamp. « Il y avait une très belle histoire à raconter s’ils perdaient aussi, mais c’est encore plus beau comme ça. Et puis, c’était plus un pari pour moi que pour eux. La seule chose que j’ai demandée, c’est l’accès total. Le club n’a pas mis un franc dans le projet, il n’a donc eu aucun droit de regard sur l’éditorial, à l’exception des éléments confidentiels. »
Un projet dynamique et léché, à l’image de ceux que l’on peut voir sur des plateformes telles que Netflix. Des vestiaires à la glace, en passant par le bus et les périodes de repos, le spectateur vit cette saison intense au plus proche des Grenats. Une série qui s’adresse autant aux fans qu’aux néophytes, les intervenants rappelant à intervalles réguliers les différentes règles qui régissent la discipline et le championnat. La RTS ne s’y est d’ailleurs pas trompée : les cinq épisodes seront diffusés dans le cadre de sa grille des fêtes, en marge de la Coupe Spengler. Une décision prise sur le tard. « La chaîne a acheté alors que la production était finie », avoue Samuel Grandchamp. « Ça s’est fait très vite, il a fallu s’adapter, notamment en termes de budget et d’organisation. Nous avons travaillé très différemment que si la série avait été estampillée RTS à la base. Mais ça nous a permis une liberté de ton totale et nous avons mené notre barque comme nous l’entendions .»
Allier les passions
Le documentaire sportif, Samuel Grandchamp s’y était déjà essayé avec Lamonfstory, une minisérie sur le retour du tennisman Gaël Monfils, en 2018. Un projet né par hasard. « Je l’ai rencontré à Miami, alors qu’il était blessé », se souvient le réalisateur. « Je lui ai demandé s’il avait envie de faire quelque chose sur ce cheminement. Ça s’est décidé sur un coup de tête, autour d’un plat de pâtes. Une expérience géniale qui m’a vraiment donné le goût des histoires que l’on peut raconter dans le sport. » Un premier aperçu des backstages sportifs, pas toujours aussi glamour que l’on pourrait imaginer. « J’ai été touché par cet athlète », poursuit-il. « Un homme bien plus profond que le simple boute-en-train des courts de tennis présenté habituellement. Si je n’avais pas été là, il aurait passé Noël seul, à travailler dans un appartement de Miami. »
À l’écouter parler de son métier avec autant de ferveur, on pourrait croire que Samuel Granchamp est né avec le cinéma dans le sang. Il n’en est rien. Il faudra attendre 2009 et Le grand détournement Artamis – un documentaire sur la fermeture du site alternatif genevois, réalisé dans le cadre de son travail de maturité – pour le voir mettre le pied à l’étrier.
« Mon père me montrait des films trop complexes pour mon âge, mais qui m’ont ouvert l’esprit. »
De Lausanne à New York
« Premier film, première fois que j’allume une caméra », se souvient-il. « Ça s’est assez bien passé, j’ai eu quelques chouettes retombées locales et un plaisir énorme à réaliser. » Persuadé d’avoir trouvé sa vocation, il s’inscrit à… HEC Lausanne, en macroéconomie ! « Mes parents n’ont pas du tout compris, mais ils ne m’ont pas arrêté », rit-il. « J’étais un garçon de 18 ans qui avait des rêves, mais ne savait pas trop ce qu’il voulait faire. L’école était réputée et ça permettait de partir m’installer à Lausanne, loin de papa et maman. »
Après cette première année lausannoise, et malgré une fascination avouée pour les maths, Samuel comprend très vite qu’HEC n’est pas faite pour lui. « Mais comme j’aime bien finir ce que je commence, je me suis dit que j’allais terminer ce bachelor le plus vite possible », se rappelle-t-il. « J’ai condensé deux semestres à Barcelone et puis, je me suis envolé à New York pour faire du cinéma. »
Il emménage au cœur de la Grande Pomme en 2012, pour y suivre un summer camp à la New York University pendant deux mois, afin de renouer avec sa branche fétiche. Dans le même temps, il est employé durant une saison au Tribeca Film Festival, connu pour être celui de Robert de Niro. « J’y ai épaulé Frédéric Boyer, le directeur artistique », poursuit le réalisateur. « Il ne parlait pas très bien l’anglais et il avait besoin d’un jeune. J’étais stagiaire, et tout à coup, j’ai pu bosser main dans la main avec un mec de son envergure ! »
Le rêve américain
Il postule ensuite pour le Graduate Film Program, un master enseigné à la Tisch School of the Arts, institut mondialement réputé pour avoir formé de nombreux réalisateurs et acteurs américains. « C’était un rêve absolu », s’enflamme-t-il. « Le seul moyen à mes yeux pour me permettre de faire du cinéma, même si plein de gens pensent qu’un iPhone suffit pour ça. »
Un choix probablement guidé par les goûts de son père, photographe et passionné de cinéma d’auteur. « Il me montrait des films beaucoup trop complexes pour mon âge, mais qui m’ont quand même ouvert l’esprit », sourit le réalisateur. « 2001, l’Odyssée de l’espace, vu à huit ans, m’a beaucoup marqué. Scorsese, qui était mon héros, est passé par cette école, ainsi que Jarmusch et tous les autres. C’était quelque chose d’arriver après eux et d’explorer leur monde. » Et comme pour boucler la boucle, il décrochera même la bourse Martin Scorsese Young Filmmakers.
C’est aussi durant ses années étudiantes qu’il écrit Le Barrage, un court métrage qui lui vaudra le Léopard d’Or à Locarno en 2015. Un film tourné en Suisse, basé sur un souvenir très précis. « Enfant, je voulais découvrir le barrage de la Grande Dixence », confie-t-il. « Mais on s’est tellement engueulés avec mon père que ça a été un week-end horrible. Si j’avais su à l’époque que j’allais en faire un film… » Touchant, le projet raconte le périple d’un garçon de 10 ans partant avec son père à la découverte du plus grand barrage d’Europe. Une aventure qui va mettre leur relation à l’épreuve. « C’est compliqué de rendre les histoires personnelles dramatiques et universelles », note le réalisateur. « J’étais certain que personne ne comprendrait Le Barrage. Pourtant, beaucoup de gens m’ont dit s’y être identifiés. »
New-Yorkais depuis douze ans, Samuel Grandchamp pourrait bientôt regagner le Vieux Continent. « C’étaient clairement les plus belles années de ma vie, mais j’arrive à un nouveau chapitre », reconnaît-il. « La vie à New York avec deux enfants en bas âge n’est pas très douce. Je bosse énormément et ma qualité de vie en pâtit. C’est vraiment dur, là-bas. La Suisse serait le choix logique. Le problème, c’est que je n’aime pas les voies toutes tracées. On verra… » En attendant de savoir où il posera ses valises, Samuel fourmille de projets, dont un qui le motive tout particulièrement. « Une série TV que je produirais. Je ne peux pas trop en dire pour le moment, disons simplement que l’histoire se déroule entre les États-Unis et la Suisse. » Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait bien entendu purement fortuite.