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Joséphine Japy « Tapie, c’est un personnage de roman !»

À 29 ans, la comédienne parisienne incarne Dominique, l’épouse de l’homme d’affaires et ex-président de l’OM dans la série Tapie, réalisée par Tristan Séguéla. Si la famille Tapie s’est totalement désolidarisée du projet, ces sept épisodes pourraient propulser la jeune actrice dans une autre dimension. Entretien exclusif.

Lorsqu’on arrive à la joindre, Joséphine Japy est en vacances dans les Alpes. Notre premier rendez-vous, dans la matinée, avait d’ailleurs été repoussé par manque de réseau. La comédienne de 29 ans était en randonnée et, heureusement, il est encore possible d’être injoignable sur les sentiers de montagne. Avait-elle à ce point besoin de prendre de la hauteur ? À ce moment-là, la série Tapie, réalisée par Tristan Séguéla, n’était pas encore sortie sur Netflix, mais faisait déjà saliver la presse hexagonale. D’autant que la famille de l’homme d’affaires, décédé en 2021, s’est totalement désolidarisée du projet. Quelques mois avant sa disparition, Bernard Tapie, lui-même, avait pesté contre cette initiative. « J’étais contre », avait-il affimé au journal Var-Matin. « Le faire sans demander mon accord de principe, ce n’est pas très bien. Qu’il y ait des documentaires, c’est autre chose, mais emprunter mon nom, c’est un peu lourd. » Dominique, sa veuve, avait été encore plus claire : « Cette série, je ne la redoute pas, je la déplore ! », s’était-elle exclamée à Monaco-Matin.

Pour Joséphine Japy, y aura-t-il un avant et un après Tapie ? Cette série de sept épisodes – qui conte l’avènement de ce fils d’ouvrier chauffagiste, de ses premières réussites en affaires jusqu’à la fameuse affaire OM-Valenciennes qui lui valut six mois de prison ferme – permet certes à Laurent Lafitte, dans la peau de Bernard Tapie, de livrer une performance d’acteur impressionnante, mais il offre également un rôle en or à la comédienne parisienne : elle campe Dominique, l’épouse, la femme forte et intelligente qui tente parfois de ramener son mari à la réalité, le pilier qui lui permet de garder l’équilibre quand tout se délite autour de lui. Un personnage qui versera à coup sûr Joséphine dans une autre dimension.

Entrer dans la peau de Dominique Tapie n’a pas été simple pour Joséphine Japy : elle a eu du mal à trouver des informations sur elle. « Elle a donné très peu d’interviews, je ne trouvais rien : pas de documentaires, peu d’archives… ». Photo : Netflix / INDIA LANGE

OFF : Pourquoi avoir accepté d’embarquer dans cette aventure ?

Joséphine Japy : À la base, quand on m’a parlé du sujet, j’avais d’abord hâte de voir comment ils s’étaient emparés de ces personnages. J’avais reçu le scénario de quatre ou cinq épisodes et, pour le coup, je ne connaissais pas du tout l’implication et le rôle qu’avait joué l’épouse de Tapie dans sa vie. Elle était tellement discrète. Dès la première lecture, j’ai donc découvert une femme très intéressante. Et puis, j’ai vite rencontré Tristan Séguéla et Laurent Lafitte et je me suis dit que nous formions un super bon trio.

OFF : Vous êtes née en 1994, soit une année après la victoire de l’OM en Ligue des Champions et l’éclatement de la fameuse affaire à Valenciennes. Quel regard portez-vous sur cette période ?

JJ : Ce que je trouve dingue, c’est que cette histoire résonne encore fortement aujourd’hui. Quand je voyage dans le sud de la France, et que je dis avoir participé à ce projet, cela provoque une effervescence immédiate. Il a créé une sorte de Tapiemania, un truc qui a complètement traversé les années. Les gens qui laissent des traces derrière eux suscitent ce genre de réactions dans le public. Je n’ai peut-être pas vécu cette histoire, mais j’ai l’impression de la connaître.

OFF : Que pensez-vous de la personnalité de Bernard Tapie, justement ?

JJ : Il y a quelque chose de très contrasté. Ce personnage gardait sa dose de mystère, tout en ayant cette manière de parler, cette gouaille, et cette capacité à vous vendre des bûches même si vous n’aviez pas de cheminée. Tapie a un côté très romanesque, c’est un véritable personnage de roman. Alexandre Dumas aurait très bien pu l’écrire, avec tous ses contradictions, mais aussi ses aspects plus touchants. J’ai d’ailleurs senti une espèce d’intimité avec ce personnage à travers l’interprétation de Laurent. La première fois que je l’ai vu avec la fameuse chevelure qu’on connaît tous, j’ai eu un électrochoc. Donc, dans mon esprit, sans savoir ce qu’avait pu être sa jeunesse ou sa vie de ministre, j’avais une image très forte de qui il était.

OFF : À côté de ça, Bernard Tapie pouvait aussi être cassant et, parfois, imbuvable. C’est ce qui ressort de la série…

JJ : C’est justement le caractère nuancé du personnage qui fait qu’on a envie d’y aller… Si on n’avait que l’image d’Épinal du brave chevalier, ce serait moins intéressant. Là, il y a un tempérament, un caractère, cela crée des contrastes et c’est là que la fiction arrive : vous avez un personnage réel et il s’agit d’ajouter une partie cinématographique à tout ça.

OFF : Comment vous y êtes-vous prise pour entrer dans la peau de Dominique, une femme réelle et encore vivante ?

JJ : Je l’avais déjà fait sur un autre projet, Cloclo, où j’interprétais le rôle de France Gall, toujours vivante à l’époque. Ce n’est pas facile et assez intimidant, parce que cette personne a la possibilité de voir ce que j’ai fait d’une partie de sa vie. Mais, à un moment, on est obligé de se débarrasser de ce sentiment de blocage pour pouvoir s’approprier le personnage et s’en créer sa propre vision. Mais Dominique m’a donné du fil à retordre. J’adore travailler en amont et faire un maximum de recherches. Or, elle a donné très peu d’interviews, je ne trouvais rien : pas de documentaires, peu d’archives… Finalement, c’est ce qui m’a le plus parlé : il n’y a rien ! Alors qu’elle a passé sa vie sous le feu des projecteurs, elle a été capable de se préserver. Une fois que j’ai compris ça, cela m’a beaucoup aidée. Puis, j’ai fini par trouver quelques images. J’adore les photos, on peut imaginer plein de choses… Je les avais sur mon téléphone, à la maison, et je me racontais mes histoires autour.

OFF : Dans la série, Dominique Tapie apparaît comme un pion vital dans les affaires de son mari, à trouver des solutions, voire à le conseiller quand les caisses sont vides. Quelle est la part de vérité et de fiction ?

JJ : Ha, ha! Je vais vous révéler quelque chose : les trucs les plus fous dans la série sont parfois les plus vrais. Quand je lisais le scénario, il m’arrivait d’appeler Tristan et de lui dire qu’on ne pouvait pas raconter ça de cette façon, que ça paraissait trop dingue. Et il me répondait que ces passages étaient à peine transformés. Pour le rôle de Dominique, la série prend quelques libertés sur son implication dans les affaires de son mari. Mais j’ai trouvé une interview de Bernard qui racontait à quel point son avis comptait dans les décisions qu’il prenait, à quel point son instinct était juste. La série parle de ça. Tapie s’est vraiment appuyé sur sa femme pour créer tout ce qu’il avait à créer.

OFF : Avez-vous regretté le fait de ne pas la rencontrer ?

JJ : Cela m’aurait tétanisée, je pense, de me retrouver face à quelqu’un dont il fallait que je sois le miroir. A contrario, il y a une certaine curiosité : j’ai une sorte de connivence, d’empathie et de proximité avec cette femme et avec l’image que je me suis faite d’elle. Ce paradoxe est assez touchant, il me plaît bien. C’est un peu la malédiction de l’acteur qui doit vivre une intimité avec un personnage, puis, d’un coup, le laisser partir.

OFF : La famille Tapie dans son ensemble s’est désolidarisée de ce projet. Est-ce un problème pour vous?

JJ : Je peux comprendre que ça puisse générer une certaine peur. Si j’apprenais que quelqu’un prépare une série sur ma famille, je ne serais pas à l’aise avec l’idée… Mais il y a parfois des personnalités qui ont marqué les esprits et qui ont traversé la vie de tant de gens. Et c’est notre liberté d’acteur, de réalisateur ou de scénariste d’aller puiser dans la vérité de ces personnes-là. Cela fait de grands projets et de grands films. Alors, je comprends leur réticence, mais je crois que nous avons bien fait de le faire.

OFF : Le fait que ce soit Tristan Séguéla (ndlr. fils de Jacques Séguéla, un ami de la famille Tapie) qui réalise cette série change-t-il quelque chose?

JJ : C’est sûr, Tristan avait ce rapport de proximité lié à la famille. Bernard n’était pas un inconnu. Je crois cependant que ce qu’il a gardé dans tout ça, c’est l’envie de bien faire et de rendre honneur à ce personnage qu’il a croisé dans sa vie.

OFF : Quels souvenirs particuliers gardez-vous de ce tournage ?

JJ : C’est clairement le plus long de ma carrière. Avec les préparations, nous avons passé plus de sept mois ensemble. Cela crée une intimité avec son personnage, mais il y a aussi une belle routine qui s’installe. On n’a pas besoin de se demander ce qu’on va faire de sa journée… Est-ce que j’ai eu des moments plus difficiles que d’autres ? Alors que je n’ai jamais eu le mal de mer, pour la première fois, j’étais incapable de monter sur le bateau sans avoir envie de vomir. Les scènes sur le Phocéa étaient donc un sacré défi. Et un jour où nous devions tourner une scène de dispute avec Laurent, il faisait une chaleur de dingue, plus de 40 degrés : il fallait nous sécher au sèche-cheveux entre les prises avant de recommencer. Mais, en même temps, une fois que c’était dans la boîte, il y avait un sentiment génial : on avait réussi !

OFF : Vous avez commencé à tourner très tôt, à l’âge de 10 ans, dans le film d’Yves Angelo, Âmes grises. Comment le cinéma est arrivé dans votre vie ?

JJ : Ma famille n’est pas dans ce milieu. Je m’étais inscrite à un cours de théâtre et, un jour, une dame est venue me voir à la sortie pour me demander si je voulais faire du cinéma. Il fallait lui envoyer une lettre avec des photos pour un casting. Mon oncle, photographe, habitait près de chez nous. Je suis donc allée chez lui pour faire ces photos, je les ai mises dans une enveloppe et j’ai demandé à ma mère d’envoyer ma lettre. Elle l’a fait sans y croire, je pense… Une semaine après, je recevais un appel. J’ai eu de la chance, car j’ai commencé tout de suite avec d’immenses acteurs : Jacques Villeret, Denis Podalydès… Et c’est en voyant Jean-Pierre Marielle travailler que j’ai vraiment eu envie de faire ce métier.

OFF : Le rêve de jouer au cinéma était quand même bien présent, non? Sinon, vous n’auriez pas fait tout ça…

JJ : Le cinéma a été un grand réconfort pour moi. J’ai une petite sœur handicapée et sortir à l’extérieur de la maison demandait de l’organisation. Il a donc fallu que je trouve de quoi m’occuper. Le cinéma était donc une manière extraordinaire de m’évader sans bouger de chez moi. Comme mon père est cinéphile, je regardais absolument tout. Le premier DVD que j’ai acheté était Le mécano de la Générale de Buster Keaton. C’était très pointu ! Mais, avant de jouer, ce qui me plaisait le plus, c’était d’être sur un plateau. Arriver le matin, observer les maquilleurs, les coiffeurs, le réalisateur… J’avais une boulimie de ça. L’envie de jouer est venue plus tard.

OFF : Vous avez décidé de poursuivre vos études, vous avez même fait Sciences Po à Paris. Était-ce pour rassurer vos parents ?

JJ : Un peu, oui. Je l’ai dit, ils ne sont pas de ce monde-là, ils se posaient pas mal de questions : peut-on faire sa vie là-dedans ? Qu’est-ce que c’est comme milieu ? Aujourd’hui, ils vivent avec fierté le fait d’avoir une fille actrice, mais quand j’ai débuté, il y avait une sorte d’inquiétude. Après mon Bac, je suis donc entrée à Sciences Po et je l’ai fait à fond. Mais c’est vite devenu compliqué : le matin, je faisais une présentation sur les relations internationales pendant l’entre-deux guerres et le soir, je rencontrais un réalisateur pour un projet de film. J’ai appelé mon agent, je lui ai dit que j’arrêtais mes études… Elle m’a répondu : « Non, tu continues, je ne veux pas que tu commences ta vie d’actrice sur un échec. » Je suis donc allée jusqu’au bout grâce à elle.

OFF : Pourquoi Sciences Po d’ailleurs ?

JJ : Je suis passionnée d’histoire et de sociologie. Une passion que je partage avec le cinéma. À mes yeux, l’approche d’un sociologue est en effet très proche de celle d’un acteur face à son rôle. Surtout en amont. J’aime décortiquer, faire des recherches et, ensuite, oublier tout ça pour entrer dans quelque chose de plus instinctif. À quelque part, Sciences Po venait remplir cette case-là.

« On apprend à être acteur lorsque le téléphone sonne moins : cela demande une force de conviction absolue. »

OFF : Y a-t-il eu un moment charnière dans votre vie où vous vous êtes dit que vous pourriez faire carrière comme actrice ?

JJ : Une fois que j’ai terminé mes études… Avant, je pouvais me cacher, au pire, je pouvais faire un autre boulot. Mais j’ai vraiment pris ma décision lors des premiers mois. Je n’ai pas travaillé tout de suite, c’était une grosse rupture : mes journées étaient remplies à 126 % et puis, d’un seul coup plus rien… C’était dur. Mais on apprend à être acteur quand le téléphone sonne moins, car cela demande une force de conviction assez absolue.

OFF : Avez-vous eu des doutes par rapport à ce choix ?

JJ : Évidemment. On en a tous. Mais je n’ai jamais regretté ma décision. J’ai été tellement au bout de ce qu’aurait pu être ma deuxième vie… Je sentais que j’étais destinée à faire ça. En fait, c’est plus la vie autour de ce métier que je questionne : est-ce que j’ai les épaules assez solides pour tout ça ?

OFF : Vous parlez de la célébrité, du regard du public… ?

JJ : Exactement. Le rapport à l’image, à soi… C’est un métier où l’on se regarde beaucoup, parce que c’est nécessaire : il faut fouiller à l’intérieur de soi en permanence.

OFF : Mais, avec la sortie de la série, sur Netflix, vous changerez forcément de catégorie…

JJ : On y pense. Ce qui est bizarre, c’est que c’est la première fois que je découvre un projet ailleurs que dans une salle de cinéma. Tristan m’a envoyé les épisodes chez moi et je les ai visionnés sur mon canapé. Je n’ai jamais été aussi anxieuse de ma vie, je me suis rendue compte que le rapport de proximité avec le spectateur n’était plus le même : j’allais être dans la maison des gens, dans leur salon… C’est à la fois excitant et angoissant !

OFF : Pensez-vous que votre vie va changer avec la sortie de cette série ?

JJ : Je n’y pense pas. Il y a quelques années, j’avais tourné dans un film, Neuilly sa mère. J’avais 14-15 ans. Nous pensions faire une petite comédie confidentielle… J’étais partie à la montagne avec mes parents, sans wi-fi. Et puis, nous nous sommes arrêtés à une station service et là, trois jeunes de 16 ans commencent à me regarder. J’ai cru qu’ils essayaient de me draguer… Je ne savais pas que le film faisait un carton dans toute la France jusqu’à atteindre 3,5 millions d’entrées. Donc, jusqu’à être confrontée à ça, je ne me pose jamais la question. Sinon, on crée de la déception, de la désillusion et de l’amertume. Et je suis trop jeune pour être amère !

Dominique Tapie face à son mari sur le pont du Phocea. Pensionnaire de la Comédie-Française, Laurent Lafitte livre une performance impressionnante dans la peau de Bernard Tapie. Photo : Netflix / INDIA LANGE

Joséphine Japy

1994 Naissance le 12 juillet à Paris.
2005 Fait ses débuts au cinéma dans Âmes grises d’Yves Angelo
2012 Incarne le personnage de France Gall dans Cloclo de Florent-Emilio Siri.
2015 Nominée pour le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Respire de Mélanie Laurent.
2018 Termine ses études à Sciences Po Paris.
2023 Donne la réplique à Jean Dujardin dans le film de Denis Imbert, Sur les chemins noirs. La série Tapie est diffusée sur Netflix
1994 Naissance le 12 juillet à Paris.
2005 Fait ses débuts au cinéma dans Âmes grises d’Yves Angelo
2012 Incarne le personnage de France Gall dans Cloclo de Florent-Emilio Siri.
2015 Nominée pour le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Respire de Mélanie Laurent.
2018 Termine ses études à Sciences Po Paris.
2023 Donne la réplique à Jean Dujardin dans le film de Denis Imbert, Sur les chemins noirs. La série Tapie est diffusée sur Netflix