EDITION SPÉCIALE : Qui a tué Sarah Wilson ?
Stupeur au théâtre de l’Odéon ! Quelques heures après la première de la pièce « Pas d’orchidée pour Miss Blandish », la comédienne a été retrouvée inanimée sur la chaussée. Malgré la prise en charge rapide des ambulanciers, Sarah Wilson est décédée à l’hôpital.
Que s’est-il passé dans les loges à la suite de la représentation ? À qui profite le crime ? Alors que Lauryn Hagan, directrice du théâtre, a décidé de maintenir la pièce à l’affiche, la police est déterminée à faire toute la lumière sur cet odieux fait divers.
PAR JEAN-DANIEL SALLIN
Crédit : Simon Chamay / SC-PHOTO
« LE QUATRIÈME JURÉ »
UN HUIS CLOS POUR DÉMASQUER LE COUPABLE
Amateur de polars depuis sa tendre enfance, le metteur en scène genevois Jacques Sallin s’est inspiré des films d’Alfred Hitchcock et de Sidney Lumet pour cette nouvelle pièce itinérante. À découvrir autour d’un verre pendant tout l’été dans six domaines viticoles !
Comment faire éclater la vérité ? Quel est le meilleur moyen de conduire un individu à passer aux aveux ? Enfermez-le dans une pièce, avec d’autres protagonistes, et attendez que la température grimpe jusqu’au point de fusion ! Dans un huis clos, il n’y a aucune possibilité de fuite : on se montre sous son vrai jour, on argumente, on confronte ses valeurs, on cherche une solution ailleurs que dans l’esquive… Le rétrécissement de l’espace intensifie les tensions et provoque des réactions parfois véhémentes. Le cinéma et la littérature sont friands de cette mise en scène minimaliste, souvent pour le meilleur. On se souvient de ce face-à-face magnifique entre Lino Ventura et Michel Serrault dans Garde à vue de Claude Miller (1981) ou de cette gabegie familiale, orchestrée par un Patrick Bruel badin, dans Le Prénom d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (2012).
Pour sa nouvelle pièce itinérante, intitulée Le Quatrième Juré, Jacques Sallin a pourtant cherché son inspiration plus loin sur la ligne de temps. L’homme est d’abord un amateur de polars. « Ma culture de la pièce policière date de la Radio romande », explique-t-il. « Mon père m’envoyait au lit à 20 h 30, estimant sans doute que j’avais besoin de sommeil. Mais, c’était aussi le début de l’émission radiophonique Énigmes et Aventures. J’étais fidèle au rendez-vous, cela me permettait de rejoindre les bras de Morphée… » Écrite par Isabelle Villars, cette pièce policière, qui contait les enquêtes du détective Roland Durtal, interprété par René Habib, de Picoche et du commissaire Gallois, a captivé les auditeurs romands de 1946 à 1989. En 2004, le metteur en scène genevois, alors directeur du Théâtre Argot, en fit d’ailleurs une adaptation théâtrale aux Salons, saluée par la critique.
L’IMPORTANCE DES OBJETS
Aujourd’hui, s’il a totalement disparu des ondes, le polar remplit les rayons des librairies et la grille des programmes TV. Il se fait plus rare dans les théâtres. Jacques Sallin avait envie de rendre ses lettres de noblesse à cet univers noir, « avec ses règles où le désordre est provoqué par la peur, la solitude ou la surprise ». Un genre qu’il avait déjà exploré avec Tram’Drames, en 2017, un spectacle ambulant qui relatait les faits divers sanglants de la Cité de Calvin, le temps d’une course en tramway. Mais, pour Le Quatrième Juré, il rêvait d’un huis clos. Il a retrouvé, au fond de ses tiroirs, un texte qu’il avait écrit trente ans plus tôt et il l’a remis au goût du jour, avec des répliques plus incisives, plus courtes, et, si l’intrigue reste identique, il a changé le genre de certains personnages : c’est désormais une femme qui dirige le théâtre de l’Odéon, une femme qui est metteuse en scène…
Jacques Sallin tenait surtout à imprimer à sa pièce une atmosphère singulière : il situe son fait divers dans les années 50. Et, pour sortir de l’image du Cluedo, première référence de huis clos dans la mémoire collective, le Genevois a tiré son inspiration des films d’Alfred Hitchcock et de Sidney Lumet. « J’ai toujours apprécié cette rigueur, cette droiture, très américaine, chez James Stewart dans La Corde. Je suis évidemment tombé amoureux de Grace Kelly, de sa beauté et de sa robe à corolle blanche, dans Fenêtre sur Cour. J’ai souhaité retrouver cette élégance-là dans ma pièce, avec ces hommes en costume trois-pièces, petite pochette comprise. » La Corde lui a aussi servi d’inspiration pour affiner les mécanismes de son énigme jusqu’au coup de théâtre final. « Chez Hitchcock, certains objets sont présents depuis le début de l’histoire : on en parle peu, mais ils participent au suspense et justifient les péripéties du récit. »
Olivia Fenner
Sergent Thomas
Lauryn Hagan
Le concierge
Nora Fincher
SYDNEY LUMET DANS LE TITRE
Sidney Lumet, lui, a offert le titre à ce spectacle. « J’ai été fasciné par la pièce de théâtre, Douze hommes en colère, que j’ai vue pour la première fois, à la télévision, chez ma grand-maman, quand j’avais 10-11 ans », se souvient Jacques Sallin. « Le film de Lumet, sorti quelques années plus tard, était tout aussi merveilleux. Or, le quatrième juré est celui qui porte des lunettes et reste assis pendant toute la durée du film. Il est là tout le temps et il ne bouge pas ! On n’apprendra son nom qu’à la fin, lorsqu’il croisera Henry Fonda à la sortie de la salle d’audience… » Voilà qui devrait donner quelques pistes de réflexion aux fins limiers qui seront parmi les spectateurs !
L’intrigue ? Quelques heures après la première de la pièce de théâtre, Pas d’orchidée pour Miss Blandish, adaptation du roman de James Hadley Chase paru en 1939, Sarah Wilson est retrouvée inanimée sur la chaussée, devant le théâtre de l’Odéon. Amenée à l’hôpital, la comédienne y décèdera au petit matin. Directrice de la salle, Lauryn Hagan décide de poursuivre la production et d’engager Anna Borg pour reprendre le rôle principal. Un mois plus tard, dans l’après-midi qui précède la première représentation, la troupe est convoquée pour une réunion impromptue. Pourquoi ? Personne ne le sait. Se retrouvent alors dans une loge cinq personnes : Nora Fincher, la metteuse en scène de la pièce, Lauryn Hagan, Enoch Church et Olivia Fenner, deux des comédiens du casting, ainsi qu’un officier de police, chargé de l’enquête, le sergent Thomas… La porte se ferme. Le huis clos peut commencer.
LE CASSE-TÊTE DE LA SCÈNE RONDE
Le plus grand défi pour Jacques Sallin, c’était de reproduire un huis clos dans des lieux 100 % ouverts. Car, et c’est devenu une habitude à la Compagnie La Mouette depuis 2023, cette pièce de théâtre sera itinérante et se promènera dans la campagne genevoise pendant tout l’été, posant ses valises chez les vignerons entre Dardagny, Cologny et Soral. Comment donner une impression d’enfermement dans la cour d’un château ou d’une ferme ? Le metteur en scène a opté pour une scène ronde. Cela permettra d’abord aux spectateurs d’être proches de l’intrigue et, aussi, de bâtir une sorte de mur avec l’extérieur. « Le plateau fait six mètres de diamètre et sera délimité par quatre panneaux transparents », explique-t-il. « Les trois ouvertures, sur les côtés, correspondent à l’entrée de la loge, à l’entrée de la salle d’eau et à la fenêtre fatale qui donne sur l’extérieur du théâtre. »
Mais, qui dit scène ronde, dit autre manière de jouer et de s’adresser au public ! « Je n’avais jamais monté un spectacle comme ça », sourit Jacques Sallin. « J’avoue que, lors des premières répétitions, nous avons pataugé pendant deux semaines. Nous avons cherché, essayé, modifié… À un moment, nous avons même marqué des lettres sur le sol, comme dans un manège de chevaux, pour avoir nos repères. » Comédiens et metteur en scène ont fini par trouver un modus vivendi : ne jamais être statique, toujours rester en contact avec l’action, s’avancer si l’on souhaite s’exprimer… « De toute façon, à un moment ou à un autre, vous vous trouvez dos au public. Il n’y a qu’une seule chose qui ne change pas avec une scène traditionnelle : vous devez jouer avec le quatrième mur. Sauf que ce quatrième mur fait 360 degrés ! »
Afin de ne pas entraver la vision des spectateurs, tous les meubles – fauteuils, tables, objets de scènes – seront également translucides. Mais, la couleur ne sera pas totalement absente : un camaïeu de violet, la couleur du deuil, viendra surligner le décor çà et là. Quant au public, autre singularité de La Mouette, il sera une nouvelle fois mis à contribution : à l’acmé du suspense, il sera invité, par le tintement d’une clochette, à chausser des lunettes noires pour recréer l’obscurité désirée (on est en été, les journées sont plus longues… ) et découvrir la vérité. Alors, qui sera le coupable ?
Informations et billetterie sur www.cielamouette.ch