Molière est-il un imposteur ? A-t-il réellement écrit de sa main ces classiques du théâtre : L’École des femmes, L’Avare ou Le Bourgeois gentilhomme ? Ou a-t-il profité du talent de Pierre Corneille ? La question ulcère ses disciples. Forcément. Elle ne date pas d’hier, puisqu’elle fut initiée par Pierre Louÿs, poète et romancier français, au début du XXe siècle. L’homme s’est demandé comment ce comédien, à la fois tapissier du roi et directeur d’une troupe de théâtre, présumé sans éducation littéraire, pouvait-il être le père de ces chefs-d’œuvres. Il fonde sa théorie sur un fait historique : au XVIIe siècle, la tragédie est considérée comme le genre noble et ses auteurs signent toujours leurs œuvres, au contraire de leurs comédies qu’ils préfèrent vendre au plus offrant. Or, à cette époque, il était monnaie courante d’écrire à quatre mains.

Ces arguments suffisent-ils à installer Jean-Baptiste Poquelin sur le banc des accusés ? Non. Mais ses détracteurs relèvent également une certaine ressemblance entre les pièces de Molière et celles de Corneille. Et font remarquer qu’il n’a laissé aucun manuscrit ou ébauche de pièce à la postérité. Ce débat a continué d’échauffer les esprits dans l’Hexagone entre les pro- et les anti-Molière. Pour Jean-Laurent Cochet, pensionnaire de la Comédie-Française et professeur de théâtre reconnu, le doute n’est pas permis : « Molière n’a pas écrit un mot ». Historien, Franck Ferrand date même le début de l’imposture à 1658, année de la première rencontre entre Jean-Baptiste et Pierre. Depuis ce jour, son style d’écriture change du tout au tout. Pour les amoureux de Molière, Francis Huster en tête, cette « affaire » n’est qu’une fable, bâtie sur une addition de légendes, plus farfelues les unes que les autres. Une argutie que les dernières études réalisées grâce à l’intelligence artificielle semblent corroborer: les pièces de Molière porteraient bien sa signature. Clap de fin !

La méticulosité d’un enquêteur

Cette histoire, véridique, est le pitch de départ du dernier projet théâtral de Jacques Sallin, intitulé Le Miracle Molière. Un spectacle itinérant qui a tourné dans la campagne genevoise pendant tout l’été, s’arrêtant chez les vignerons à Jussy, Peney ou Peissy pour une expérience forcément singulière. L’homme est coutumier du fait. En 2023, et pour la troisième fois, il avait proposé une balade dans un tramway historique, Tram’Drames, afin de raconter les faits divers sanglants qui ont fait trembler la cité de Calvin. Et, un an plus tôt, il s’était inspiré des contes et des légendes du canton pour écrire Le Charroi de la Michée et, là encore, l’emmener sur les routes. « C’est l’ADN même du théâtre, d’être itinérant, d’aller vers les gens », rappelle le metteur en scène. « Il s’est ensuite embourgeoisé pour s’enfermer entre quatre murs. J’aime cette idée, de sortir, de bouger, d’offrir quelque chose de différent aux spectateurs. ».

« C’est l’ADN du théâtre, d’être itinérant, d’aller vers les gens. J’aime cette idée de sortir, de bouger… »

Mélangeant musique, cirque, arts visuels et activités ludiques, le festival sierrois se démarque par son atmosphère intimiste et son décor unique. Nous vous emmenons au cœur d’une 17e édition épique, dans l’écrin idyllique du lac de Géronde.

Par Marine Gillain   Photos David Zuber Photography  

Photos : David Zuber Photograph

Lorsque l’eau turquoise du lac de Géronde apparaît sous nos yeux quelques mètres après avoir passé l’arche d’entrée, un sentiment de dépaysement et de quiétude nous envahit immédiatement. Sur l’eau, Léon et Letizia sympathisent avec Bird Force One. Les premiers sont des flamants roses, l’autre est un cygne. Trois pédalos, avec lesquels festivaliers et festivalières embarquent pour une balade au fil de l’eau. Tout près, un paddle s’approche du phare rouge et blanc au bout du ponton, emblème du festival. Des transats rayés font face au plan d’eau, des hamacs arrivés tout droit de Colombie sont accrochés entre les peupliers, tandis qu’à gauche, des équipes de potes, du nom de Pink Ladies, La Fessée ou encore Les Bretons Savoyards s’affrontent dans un tournoi de pétanque bon enfant. Derrière les platines de la scène, Flamingo Nest, les DJ de Terres de Groove, diffusent une musique parfaite pour peaufiner l’ambiance « vacances les pieds dans l’eau ». Le décor est planté : bienvenue dans le chill et cosy festival Week-end au bord de l’eau.

Cette année, la neige au sommet des montagnes sublime le lac de Géronde, petit coin de paradis à 20 minutes à pied du centre de Sierre. Voilà dix-huit ans que ce lieu magique a inspiré une équipe de jeunes du coin, mus par un fort désir de faire bouger la ville. L’idée naît lors d’une discussion de bar durant le marché de Noël à Sion. Le « Club des cinq » fait ses armes en s’unissant à l’association Artsonic pour organiser des soirées à l’Hacienda. Quelques mois plus tard, les 29 et 30 juin 2007, environ 2000 personnes découvrent le premier Week-end au bord de l’eau, un festival gratuit, qui se déroule sur deux soirées. Pour installations principales, un bar à cocktails et un bus VW avec des platines à l’extérieur où mixent les DJ. « Nous avons eu Bonobo comme tête d’affiche, ce qui n’était pas des moindres », lance Michaël Pont, coordinateur de la Fondation du Week-end au bord de l’eau.

Pieds nus, le Valaisan tourne sur le site durant les quatre jours de l’événement, avec la mission d’avoir une vue à 360° sur tout ce qu’il s’y passe. « Durant les dix premières années, le festival a grandi, mais pas trop », poursuit-il. « Nous avons toujours voulu garder cette atmosphère relax, familiale, mélangeant concerts, street art et animations pour enfants. Au bout de dix ans, nous nous sommes demandé si l’on continuait ou si l’on s’arrêtait en beauté. Ce fut la première option… Entourés d’une famille et d’un comité opérationnel sans qui rien ne serait possible, nous avons créé la fondation pour professionnaliser et pérenniser le festival, et c’est cette même année que le logo du phare est né. » Les cinq oiseaux qui volent au-dessus du phare représentent ainsi les cinq membres de la fondation : Christophe Zwissig, programmateur, Julien Berthod, Manu Salamin, Olivier Ganzer et Michaël Pont.

La suite ? Une édition passe à la trappe durant le Covid, le festival s’agrandit en 2022 avec un chapiteau qui accueille les arts du cirque, et se déroule pour la première fois sur quatre jours au lieu de trois en 2023. « On avait fait venir un humoriste le jeudi, mais nous avons souffert d’une très mauvaise météo », note Michaël. « On a dû baisser le budget et se serrer la ceinture pour cette édition. On n’a rien à gagner, on veut juste que les gens viennent, qu’ils soient heureux, qu’ils kiffent et que ça vive. C’est ce qui fait la beauté du festival : on est une bande de potes, on vient de nulle part et on est toujours là au bout de dix-sept ans, malgré tous les rebondissements. »

« On n’a rien à gagner, on veut juste que les gens viennent, qu’ils kiffent et que ça vive. »

Un petit air de vacances flotte autour du lac de Géronde. Transats rayés face au plan d’eau, hamacs tendus entre les peupliers, parties de pétanque… L’ambiance du festival valaisan se veut relax et familial.
Photos : David Zuber Photography

Une histoire de rencontres

Lorsque la nuit tombe sur cette première soirée de festival, Inês, alias Vulcana Flow, originaire des Açores, embrase les lieux avec son spectacle de feu, dansant et maniant les flammes et les cerceaux avec une certaine classe. Le dancefloor se remplit, les oiseaux de nuit sont sortis, certains se sont enguirlandés de petites lumières LED pour mieux briller. « Ici, la musique rencontre la nature et c’est juste magnifique », s’extasie Marjo, Valaisanne qui découvre le festival. « J’adore l’ambiance ‹bord du› valaisanne : raclette, jeux, arts, pédalos, transats où l’on peut boire l’apéro, tout en découvrant des artistes d’ici et d’ailleurs… Les flamants roses, le phare et le requin dans le lac sont un joli clin d’œil décoratif et festif ! »

Un petit air de vacances flotte autour du lac de Géronde. Transats rayés face au plan d’eau, hamacs tendus entre les peupliers, parties de pétanque… L’ambiance du festival valaisan se veut relax et familial.
Photos : David Zuber Photography

Au festival Week-end au bord de l’eau, pas de grosses stars qui rameutent les foules, mais une programmation pointue, vers laquelle on peut se diriger les yeux fermés. « Beaucoup de gens viennent sans regarder la line-up », assure Michaël Pont. « Ils viennent pour l’expérience, pour s’immerger dans cette atmosphère de détente, de vacances. Le spot y est pour beaucoup et surtout, il y a une vraie âme. » Cette âme, elle, semble en partie provenir des rencontres et des affinités qui se tissent au gré des ans. « J’ai rencontré Christophe, le programmateur, lors d’une randonnée à la Réunion », raconte Maxans, qui en est originaire. « Il marchait derrière moi et m’a demandé quelle musique j’écoutais. » Le courant passe, et cela fait désormais quatre ans que le jeune homme vient à Sierre pour faire de la peinture ou du mapping vidéo : « Le Week-end au bord de l’eau est conçu pour les familles, on le sent, mais c’est aussi le cas dans l’équipe. On est très unis, des affinités s’installent et ça donne une belle énergie tout autour. » Lui qui aimerait concevoir son propre festival à la Réunion dit se sentir inspiré par cette philosophie.

Improvisation sans son

Les concerts du vendredi démarrent avec deux groupes du cru. Loris Mittaz & Friends ouvrent le feu. Dès les premières notes, le talentueux pianiste malvoyant attire le public comme un essaim, et sa reprise parfaite de Sofiane Pamart laisse bouche bée. Juste après, le groupe Kalpetrane monte sur scène. La chanteuse et ses musiciens se sont rencontrés au collège à Brigue. La bande a commencé à jouer dans des restaurants et des bars pour le fun, avant de décider de se lancer plus sérieusement, visant les salles de concert et les festivals.

Face au lac, Tami et Juliana peignent des tableaux. Ceux-ci seront ensuite exposés dans la galerie du Week-end au bord de l’eau, qui regroupe les œuvres des artistes ayant collaboré avec le festival. « J’ai déjà dessiné en public, mais c’est la première fois que je fais ça sans avoir rien prévu en avance », raconte Tami, Brésilienne installée à Vevey. « Je voulais me laisser inspirer par les lieux. En arrivant face à ces flamants roses en plastique dans le lac, j’ai eu l’envie de dessiner l’histoire d’un oiseau qui tombe follement amoureux d’une bouée en plastique. » L’artiste peintre, illustratrice et tatoueuse, découvre sur place le mélange des disciplines artistiques, qui donne une énergie « hyper vivante » au lieu. Justement, tout près, des artistes de cirque amusent petits et grands avec des numéros de clowns, notamment en soufflant des bulles de savon géantes.

Un câble mal branché fait sauter le système de son. Pat Kalla & The Super Mojo poursuivent leur concert en acoustique au milieu de la foule.
David Zuber Photography

Il est temps d’embarquer sur Letizia avec Pat Kalla pour une interview au fil de l’eau, quelques heures avant qu’il ne monte sur scène avec ses compères du Super Mojo. « J’ai l’impression que je vais croiser le monstre du Loch Ness… Vingt dieux, un requin ! », lance le chanteur, peinant à garder sa concentration, alors que ses acolytes quittent le navire pour sauter dans l’eau rafraîchissante et regagner les coulisses à la nage. « Nos chansons abordent les choses de la vie, parfois certains points sensibles, mais toujours avec légèreté », souligne Pat Kalla. « C’est comme si l’on réunissait les gens à une table et qu’on leur disait que dans la vie, il ne faut pas s’en faire. » Le Lyonnais, originaire du Cameroun, est aussi conteur dans les écoles, les hôpitaux ou les maisons de retraite : « Si je faisais uniquement de la musique, il me manquerait quelque chose et il y aurait un risque à être trop autocentré. »

Durant le concert, un câble mal branché fait sauter le système de son. Pat Kalla & The Super Mojo descendent de scène et improvisent en acoustique, au milieu d’une foule ravie qui les encourage sans faillir. Le son rétabli, le groupe remonte sur scène, plus enflammé que jamais : « On n’a jamais vécu un concert de la sorte, c’est complètement fou, on s’en souviendra toujours ! »

Dans un monde de poissons dorés

La nuit est tombée. Des lanternes, fabriquées durant l’après-midi, flottent sur le lac, offrant un spectacle enchanteur. Le duo sud-africain Goldfish monte sur la scène décorée de méduses, poissons et algues colorées, pour l’unique date européenne de leur tournée. « C’est si bon d’être de retour dans ce coin du monde, après notre premier passage en 2011 », nous avaient-ils confié un peu plus tôt, large sourire aux lèvres. « Tout ressemble à une carte postale, c’est si accueillant ! » Ceux qui se sont rencontrés lorsqu’ils étudiaient le jazz à l’université de Cape Town et qui se sont produits à Coachella et au Burning Man assurent qu’un tel événement intimiste leur fait le plus grand bien, au milieu de grands festivals parfois « too much ». Pour ne rien gâcher, les musiciens profitent de leur séjour en famille, en randonnant dans les vignobles ou encore en allant déguster des raclettes à Château de Villa : « C’était une expérience légendaire ! Et comme on adore tester des spots de surf partout dans le monde, demain on va aller surfer à Alaïa Bay. C’est génial de penser qu’on va surfer en Suisse ! »

Retour au concert. De Moonwalk Away à If Summer Was a Sound, les titres du duo transportent le public dans une autre dimension. Entre flûte traversière et contrebasse électrique, les solos au saxo font tout leur effet. « J’ai adoré ce mix dj-instrumental », s’enthousiasme Marjo. « Ces deux artistes nous ont fait rêver, danser, ils nous ont emmenés hors du temps dans un monde de poissons dorés. » « Je ne connaissais pas ce festival et je me suis vite senti comme un poisson dans l’eau ici, pris dans un courant de bonne humeur et de gentillesse », confie pour sa part Samael, un Breton qui porte un costume de licorne multicolore. « L’atmosphère est envoûtante, c’est un flow continu de rencontres et de partage au rythme des vibes et des basses… »

Le lendemain, des cœurs seront brisés. Le site sera évacué en début de soirée à cause de rafales de vent, rouvert à 22 heures avec un programme musical réduit, avant d’être évacué une seconde fois vers 2 heures et annulé le dimanche, à cause du débordement du Rhône. Une semaine après ces crues historiques, il était encore trop tôt pour évoquer l’avenir du festival, alors incertain. « C’est un coup dur pour nous, mais il y a des gens qui ont perdu bien plus, ce qui nous fait relativiser », réagit Michaël Pont. « Ça restera dans tous les cas une édition riche en émotions, que l’on n’oubliera pas ! » Quant à nous, nous suivrons les pas de Goldfish, direction Château de Villa, pour éponger la déception et rêver d’une prochaine édition.

Déjà utilisé en 2022 pour le spectacle Le Charroi de la Michée, le char à foin s’est transformé en scène de théâtre ambulante, en écho à L’Illustre Théâtre cher à Molière. 
Photos : Simon Chamay
Molière (Chaquib Ibnou Zekri) et Corneille (Olivier Sidor) face-à-face. Jean-Baptiste Poquelin acceptera-t-il le marché proposé par l’auteur du Cid ? Là est toute la question !
Photos : Simon Chamay
Fondateur de la Compagnie La Mouette, Jacques Sallin s’est imposé un défi supplémentaire : il a écrit son spectacle en alexandrins.
Photos : Simon Chamay

Cette fois, Jacques Sallin s’est donc penché sur le cas de Molière. Il connaissait l’existence de cette controverse autour de ses écrits. Comme chaque fois qu’il a un projet en tête, il s’est mis à « ronger son os ». Avec la méticulosité d’un enquêteur. Une « routine » qu’il cultive avec une passion intacte malgré ses quarante ans de carrière. « Mes idées naissent toujours en fonction de ce qui m’influence sur le moment ou de mes envies. Je les nourris ensuite en regardant des films, en lisant des livres… C’est ce qui me permet de construire la base de l’histoire. » Il compte à peu près un an d’écriture pour effleurer un certain idéal: quatre mois pour terminer le premier jet, celui qui donnera la ligne conductrice du récit, puis huit mois, à raison de quatre heures par jour, chaque matin, pour corriger, élaguer, condenser… « Au bout de huit mois, je taris ! En règle générale, nous avons toujours tendance à écrire trop pour les comédiens. Laissons-les donner des émotions, des intentions ! » Pour Le Miracle Molière, le metteur en scène s’est imposé une difficulté supplémentaire : il a écrit son spectacle en alexandrins. « En simple phrasé, dans un style contemporain », tient-il à préciser, c’est-à-dire loin de leur forme classique et, souvent, rigide. « Cette écriture offre de la drôlerie, du rythme dans la controverse, de l’émotion dans les personnages », justifie-t-il dans ses notes d’intention. Il s’est également inspiré des comédies-ballets inventées par Molière lui-même, un genre qui déclina après sa mort, en saupoudrant les scènes de théâtre de danse et de musique baroque. Des « extensions » qui permettent de prolonger le plaisir des yeux. Finalement, le but du théâtre n’est-il pas de divertir ?

« Nous devons nous adapter, changer le rythme, arriver avec des phrases plus courtes, qui claquent. »

D’Argot à La Mouette

Jacques Sallin, lui, est tombé dans la marmite, dans sa jeunesse, au Collège Calvin. « J’ai sauvé l’humanité en descendant de scène », rigole-t-il. « Je n’étais pas fait pour être comédien. Il a fallu que je trace mon chemin dans l’écriture, dans la mise en scène, dans la production… » Il lui est pourtant arrivé de remplacer un comédien au pied levé, notamment dans Le Charroi de la Michée. « Je suis apparu sur scène avec mon texte dans les mains, habillé en noir, alors que les autres étaient en costumes. Cela justifie mon personnage et donne un capital-sympathie auprès du public. Je reste le remplaçant. » Devenir metteur en scène, en revanche, ne répondait pas à un plan de carrière. C’est venu sur le tas, au gré des rencontres ! « J’ai eu mes mentors, comme André Steiger, Danièle Morsa, Roger Cunéo, Michel Buchs… Mais, une fois qu’ils vous ont transmis ce qu’ils savaient, il a bien fallu se lancer, avec les déconvenues que cela peut entraîner. » Là encore, le Fribourgeois finit par trouver sa place, sa manière de faire, sa touche personnelle. « Mais je reste influencé par ce que font mes collègues. Alexis Michalik a raison quand il dit que les yeux du public se calent sur la télévision et sur les téléphones portables. Nous devons nous adapter, changer le rythme, arriver avec des phrases plus courtes, qui claquent. Aujourd’hui, si vous envoyez une scène de huit minutes, vous êtes sûr de perdre le public. Chez moi, il est rare que mes répliques dépassent les trois lignes. » En créant le Théâtre Argot en 1985, Jacques Sallin s’offrit une formidable plateforme pour peaufiner son savoir-faire et, dans le même élan, récolter quelques prix pour quelques-unes de ses pièces (Putain d’histoire d’amour, Mémoire des plaisirs de bouche). « Argot, c’est vingt-cinq ans de ma vie professionnelle, avec un taux de production et des soucis énormes. Vous ne vous rendez pas compte du nombre de zéros dans cette histoire… » L’aventure s’est arrêtée en 2008. Et le metteur en scène s’est promis qu’on ne l’y reprendrait plus ! « Je suis d’accord de faire du théâtre, mais plus à ce prix-là. » Le projet de La Mouette est né ainsi, en 2017. Cette compagnie n’a pas de lieu à elle, juste une adresse, à Genève, et cette envie de voler en toute liberté de projet en projet, sans pression excessive, avec une troupe qui mêle amateurs chevronnés et professionnels intrépides.

Interprétée par Myriam Siluvangi, Marie Corneille était très amoureuse de son dramaturge de mari. Jusqu’à l’inciter à pactiser avec Molière ?
Photos : Simon Chamay

« Ce sont des gens du métier, avec lesquels, pour la plupart, je travaille depuis longtemps », explique-t-il. « Mais cela reste une troupe en évolution. Ce sont toujours les rôles qui décident de la distribution, pas moi ! » Parfois, le metteur en scène engage « des petits qui sortent du conservatoire ». « Nous ne devons jamais oublier de tendre la main aux jeunes qui débutent. Il faut bien commencer quelque part… » Jacques Sallin sait également que ses spectacles – et c’est encore plus vrai pour Le Miracle Molière – n’iraient pas très loin sans ses techniciens. « Cette année, ils doivent monter et démonter les décors tous les soirs, car, en été, on n’est jamais à l’abri du petit orage à deux heures du matin. Ils sont une pièce essentielle du puzzle. » À près de 70 ans, le Fribourgeois mesure le bonheur de pouvoir encore assouvir cette passion pour le théâtre. « Il y a des gens qui ont confiance en ce que je peux imaginer dans le huis-clos de mon bureau. Et ça, c’est déjà magnifique ! »

Le Domaine de la Vigne Blanche, à Cologny, est l’un des sept domaines viticoles du canton de Genève à avoir accueilli Molière et « son » spectacle.
Photos : Simon Chamay

À L’AFFICHE DE L’AMOUR OUF DE GILLES LELLOUCHE, EN SALLE EN OCTOBRE, LE COMEDIEN TRACE SON CHEMIN DANS LE CINEMA FRANÇAIS, AVEC AUTANT DE FLAIR QUE DE PUDEUR.

PAR Marine Guillain

C’est sur le tournage du film de Jacques Audiard, Un prophète, que Karim Leklou envisage le métier de comédien comme une réalité.

Il est tout aussi crédible dans la peau de grands gentils que dans ceux de petites frappes ou de caïds. Karim Leklou, 42 ans, semble passer d’un rôle à un autre avec un naturel déconcertant. À chaque film, sa douceur et sa profondeur de jeu laissent une empreinte quelque part. Son premier rapport avec le cinéma, il l’a eu essentiellement à travers des VHS enregistrées, qu’il regardait enfant, après l’école. « Voir des films m’aérait l’esprit et me sortait de mon quotidien, ça m’emmenait dans un ailleurs qui me détendait », confie-t-il. Il découvre des longs métrages de styles variés, avec une petite préférence pour le cinéma d’action des années 1990. Parmi les œuvres qui l’ont marqué, il cite Rocky ou Do the Right Things, de Spike Lee. « Il y a aussi eu L’armée des ombres, de Jean-Pierre Melville : l’interprétation de Simone Signoret et de Lino Ventura m’avait rendu dingue ! Parfois, les silences disent plus que les mots, et je trouve que l’art du regard et du silence est une chose extrêmement puissante au cinéma. »

L’idée d’embrasser une carrière d’acteur vient plus tard. Karim a environ 25 ans, enchaîne les petits boulots, notamment dans le télémarketing, et s’inscrit à des cours de théâtre, le soir, pour se changer les idées. Environ deux ans plus tard, il est repéré lors d’un casting sauvage pour le film carcéral Un prophète, d’un certain Jacques Audiard… Mené par la révélation Tahar Rahim, le long métrage sort en 2009 et remporte le succès qu’on lui connaît. Karim Leklou joue un membre des Barbus, le clan des Musulmans de la prison. Ennemi déclaré de Malik (Tahar Rahim), il devient vite l’un de ses alliés. « C’était un petit rôle », souligne l’acteur. « Il m’a ouvert sur l’idée que c’était un métier magnifique et que j’avais envie de continuer à travailler dans cet univers. Je me suis dit que le temps passait vite et qu’il fallait l’utiliser au maximum pour faire des choses qui nous plaisent dans la vie. »

Après cette expérience, il trouve un agent, passe beaucoup de castings et continue de travailler régulièrement, décrochant notamment plusieurs seconds rôles dans le cinéma d’auteur européen. Le moyen métrage Marseille la nuit (2012), de Marie Monge, sera un déclic pour la suite de son parcours. Karim y interprète un jeune lascar qui zone dans la grisaille de Limoges avec son meilleur pote, en rêvant d’une autre vie. Le film tourne dans les festivals, est nommé aux Césars, et cette visibilité importante permet au comédien d’obtenir son premier rôle principal sur Coup de Chaud. Dans ce polar de Raphaël Jacoulot, il joue un semeur de troubles légèrement déficient mentalement, qui perturbe la tranquillité apparente d’un village et voit tout le monde se retourner contre lui. Cette expérience renforce en lui l’idée qu’il est nécessaire de travailler les rôles bien en amont et en osmose avec les réalisateurs ou réalisatrices, afin d’entrer dans leur grammaire.

Les projets se suivent…

Karim Leklou poursuit son bonhomme de chemin, s’illustrant en chirurgien dans le sublime Réparer les vivants de Katell Quillévéré en 2016, avant de jouer un petit dealer, fils d’Isabelle Adjani, dans Le monde est à toi de Romain Gavras (2017) : une comédie d’action hilarante au casting savoureux. Il sera ensuite le médecin Arben Bascha dans la série Hippocrate (la saison 3 sera diffusée d’ici la fin de l’année !), avant de jouer un flic, futur papa, qui patrouille dans les quartiers nords avec ses collègues François Civil et Gilles Lellouche, dans le controversé Bac Nord de Cédric Jimenez (2020).

« J’aime bien me balader d’univers en univers, je ne veux pas me cantonner à une façon de faire, ça m’ennuierait de refaire toujours les mêmes types de rôles. Ce qui m’intéresse, c’est essayer de nouvelles choses, à travers différentes thématiques, différentes époques et différentes personnes. Je suis curieux de l’autre ! », relève celui qui compare son métier à un voyage intérieur, dans lequel on s’enrichit sans cesse. Lors de notre rencontre au Festival de Cannes en 2022 pour Goutte d’or, un polar mystique et violent de Clément Cogitore, Karim nous avait expliqué qu’il choisissait les projets « qui [l]’interpellent et [le] questionnent ». « Ensuite, je me concentre uniquement sur le film que je fais, sans penser à la suite. »

La violence sera encore plus forte dans le film suivant : Vincent doit mourir, de Stéphan Castang. Dans ce thriller fantastique réjouissant, le comédien joue un type qui, du jour au lendemain, se fait agresser sans raison par de plus en plus de gens qui cherchent à le tuer : « Le monde est violent, donc, forcément, ça se retrouve dans les histoires. Cela faisait depuis Le monde est à toi que je n’avais pas lu un scénario aussi original, on voit rarement ça dans le cinéma français : prendre part à une comédie romantique dans laquelle tout le monde se tape dessus, ça m’amusait beaucoup. Il est rare de traverser une telle expérience de cinéma dans une carrière, où tout le monde veut vous tuer. Mais il y a surtout une vision très forte et le film montre brillamment l’aspect nul et pathétique de la violence. »

Tordre le cou aux clichés

Après Vincent doit mourir, virage à 180 degrés pour Karim qui rejoint le casting du Roman de Jim, des frères Larrieu. Après s’être pris des coups physiques au premier degré, il se prend cette fois des coups au cœur, avec une forte capacité à encaisser : rôle principal du long métrage, sélectionné au Festival de Cannes et sorti le 14 août sur nos écrans, le comédien incarne Aymeric, un homme qui vit dans le Haut-Jura et tombe amoureux de Florence (Laetitia Dosch), enceinte de six mois. Présent lors de l’accouchement, Aymeric éduquera et aimera Jim comme un fils. Tous trois passeront de belles années ensemble… jusqu’à ce que le père biologique de Jim débarque dans leur vie et bouleverse leur équilibre.

Quelques jours avant la fin du processus de casting, Arnaud et Jean-Marie Larrieu prennent un café avec Karim, qu’ils rencontrent pour la première fois. Au bout de trois minutes, ils se regardent et savent déjà : ce sera lui. Le comédien évoque une rencontre « étonnante » et une lecture « émouvante » du scénario, adapté du roman éponyme de Pierric Bailly : « J’ai été très touché par ce personnage, qui fait face aux choses qui lui arrivent, qu’il n’a pas anticipées, et qui a simplement pour ambition d’essayer de vivre. Le récit s’étalant sur vingt-cinq ans, ce projet m’a permis d’aller dans la diversité, dans la complexité, et de jouer une grande palette d’émotions. Et puis, ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’il s’agit d’un type de personnages rarement mis en avant dans le cinéma : les hommes doux. Aymeric est un résilient, un gentil, j’avais très envie de le défendre. » Et le comédien de décrire avec amour le regard bienveillant des frangins réalisateurs, l’efficacité de l’équipe sur le tournage, le personnage de Florence, anticliché de la femme montagnarde, qui interroge la vie de façon permanente avec l’honnêteté de vivre comme elle l’entend, ou encore le traitement intelligent – « c’est un mélo qui ose l’humour et n’a pas volonté d’être un tire-larmes » – des questions autour de la paternité, du sentiment d’illégitimité ou du lien et de l’amour.

Dans le film des frères Larrieu, Le Roman de Jim, Karim Leklou incarne Aymeric, « un résilient, un gentil, qui a simplement pour ambition d’essayer de vivre ». « J’ai été très touché par ce personnage », avoue le comédien français.

Nouveau virage avec L’amour ouf, aussi présenté au Festival de Cannes, qui sortira en salle le 16 octobre. Dans cette flamboyante histoire d’amour mise en scène par Gilles Lellouche, Karim Leklou incarne cette fois un père alcoolique et violent. Sur le tournage, il retrouve une bonne partie de l’équipe de Bac Nord : des techniciens, le chef opérateur, François Civil, Adèle Exarchopoulos et, bien sûr, Gilles Lellouche : « Je n’avais que quelques jours de tournage, mais j’ai beaucoup apprécié le retrouver, cette fois en tant que metteur en scène. C’est un gars ultra généreux, le plateau était rempli d’énergie et c’était très plaisant de servir son histoire. »

Des rencontres qui nourrissent

De Romain Gavras à Gilles Lellouche en passant par Cédric Jimenez, Clément Cogitore, Rachid Ami et les frères Larrieu – pour ne citer qu’eux – Karim Leklou ne tarit pas d’éloges sur ces cinéastes avec qui il estime avoir eu la chance de travailler. « Je leur dois beaucoup. Vous savez, je crois qu’un acteur est réellement nourri par les metteurs en scène qu’il rencontre et les plateaux qu’il traverse. Il n’y a pas un tournage qui ressemble à un autre, chaque personne et chaque propos a sa singularité. » Jugeant son métier comme un « privilège », l’acteur confie être totalement passionné par son travail. « J’adore préparer un rôle, j’adore jouer en étant dans l’intensité du moment présent, sans penser à la scène d’après. Et puis, j’aime les gens, l’échange et le partage. »

Outre la troisième saison d’Hippocrate, Karim Leklou sera prochainement à l’affiche du thriller historique sur Charles de Gaulle, d’Antonin Baudry, déjà tourné. Il incarnera un ouvrier polonais, « très humain dans cet univers militaire », qui va se faire embrigader dans la France libre pour devenir une sorte de secrétaire particulier pour De Gaulle. Et de conclure : « Le film étant ciblé sur les années 1939-1942, il va fortement résonner avec l’actualité européenne. »

Sous les traits de Laurence Francisoz, Martine, la narratrice espiègle et piquante, guide le public dans cette intrigue qui implique Molière et Corneille.
Photos : Simon Chamay

Dans la cour de la Vigne Blanche

On retrouve tout ce petit monde au Domaine de la Vigne Blanche, à Cologny. Jacques Sallin scrute le ciel avec inquiétude. Tapote sur son portable à la recherche d’infos rassurantes. « Je n’ai jamais autant regardé la météo », fait-il remarquer. La faute à un été capricieux et à son cortège, aléatoire, de précipitations. Il a fallu parfois repousser le début du spectacle, en attendant la fin de l’orage, ou alors tout annuler au dernier moment, comme ce fut le cas en juillet, pour échapper au déluge. Ce soir-là, les dieux semblent être du côté de Molière : pas un nuage à l’horizon ! La soirée s’annonce (enfin) radieuse. « Une première », s’exclame le metteur en scène. Dans la cour, un food-truck propose des mezzés libanais aux spectateurs, ravis de pouvoir croquer un morceau avant les trois coups. Sarah Meylan, qui a repris le domaine familial en 2014, fait goûter ses vins. Son père, Roger, n’est jamais loin, toujours prompt à alimenter le stock de bouteilles. « Comme nous n’organisons pas de mariages, nous essayons de faire vivre les lieux », explique-t-elle. « Nous y avons déjà accueilli un opéra, le Théâtre de Poche… » On croise Christian Lüscher, avec sa femme et ses deux filles, avocat, ex-conseiller national sous la Coupole, à Berne, mais surtout passionné de théâtre. « Je connais deux comédiennes (ndlr. Laurence Francisoz et Nathalie Gantelet) avec lesquelles j’ai joué récemment dans la pièce Silence on tourne au Théâtre de l’Espérance », révèle-t-il. « Arrêtez de picoler ! », lance Serge Clopt à la cantonnade, en rejoignant les coulisses. Le comédien se glissera bientôt sous la perruque de La Grange, homme de confiance de Molière. Sa phrase sonne comme un avertissement : il est temps de rejoindre son siège et de se projeter au XVIIe siècle. On est en 1673, le 17 février pour être précis. Sur la scène du Palais-Royal, Molière joue Argan dans Le Malade imaginaire pour la quatrième et – il ne le sait pas encore ! – dernière fois. Il mourra une dizaine d’heures plus tard, à son domicile de la rue de Richelieu, emporté par la maladie. Quatre jours plus tard, Pierre Corneille suivra, de sa fenêtre, le cortège funéraire qui emmène, de nuit, le corps du dramaturge vers le cimetière de Saint-Joseph. Le spectacle commence ainsi. Pendant plus d’une heure et demie, guidé par une narratrice à la fois espiègle et piquante, le public remontera ensuite le fil d’une supercherie – dont l’origine n’est pas forcément celle que l’on croit.

Jacques Sallin

1985 Création du Théâtre Argot.
1991 Reçoit le Prix René Habib et le Prix Romand pour sa pièce Putain d’histoire d’amour.
2005 Prix SSA pour Mémoire des Plaisirs de Bouche.
2006 Prend la direction du Théâtre Les Salons.
2008 Fin de l’aventure du Théâtre Argot.
2017 Crée la Compagnie La Mouette.
2019 Première de Tram’Drames à Genève.
2024 Le Miracle Molière.
1985 Création du Théâtre Argot.
1991 Reçoit le Prix René Habib et le Prix Romand pour sa pièce Putain d’histoire d’amour.
2005 Prix SSA pour Mémoire des Plaisirs de Bouche.
2006 Prend la direction du Théâtre Les Salons.
2008 Fin de l’aventure du Théâtre Argot.
2017 Crée la Compagnie La Mouette.
2019 Première de Tram’Drames à Genève.
2024 Le Miracle Molière.

Et si les femmes, Marie Corneille et Madeleine Béjart, avaient elles-mêmes incité leurs conjoints à tremper leurs plumes dans le même encrier ? Et si c’était Corneille qui avait proposé ce marché fallacieux à Molière ? Jaloux du talent de son cadet, en mal de liquidités, il aurait vu dans cette alliance un moyen de concrétiser ses ambitions premières : écrire des comédies. Un rêve duquel le triomphe du Cid, en 1637, le priva. Le fin mot de l’histoire ? Il n’y en a pas. Évidemment. Il ne reste qu’une vérité : Molière est l’inventeur du théâtre tel que nous le connaissons ; le père de ce que l’on nomme aujourd’hui l’acteur, retirant perruques et masques pour que l’émotion soit la plus authentique possible. De Chaquib Ibnou Zekri à Olivier Sidor, de Myriam Siluvangi à Maryline Bornet, ils en sont les fiers héritiers.

L’histoire de la gastronomie

Jacques Sallin, lui, continuera de servir l’esprit de Molière. Il fourmille de projets. Il a d’ailleurs levé un coin de voile sur le thème de l’an prochain : une pièce policière, une scène de crime, un quatrième juré… « Je ne sais pas encore si je reviendrai chez les vignerons en 2025. Pourquoi ne pas investir les châteaux du canton, à Jussy, à Dardagny ou à Maison Forte? Ils feraient de magnifiques scènes de crime. » Le metteur en scène envisage d’ailleurs de se rapprocher des communes. « Je reçois des demandes, nombreuses, pour que La Mouette se pose chez elles, mais on est parfois empêché pour des raisons de logistique. » En revanche, dans deux ans, Jacques Sallin promet de mettre tout le monde à table, en racontant l’histoire de la gastronomie depuis la Révolution française jusqu’à Auguste Escoffier. L’idée est née le jour où il a découvert le film de Tran Anh Hung, La Passion de Dodin Bouffant, avec Benoît Magimel et Juliette Binoche, et l’image d’un magnifique carré de veau. Avec cette question: comment une recette peut-elle traverser les siècles sans perdre son âme ? Il y sera question de plaisir, de gourmandise et, forcément, de théâtre. Molière aurait applaudi des deux mains.

www.cielamouette.ch