Palp : Le festival nature
Depuis onze ans, le PALP Festival, créé par Sébastien Olsen et Blaise Coutaz, emmène artistes et spectateurs aux quatre coins du canton du Valais pour découvrir des lieux insolites et des produits du terroir. Une manière originale et écologique de consommer de la culture!
Quatre hommes ont beaucoup œuvré pour la réputation de Martigny: Christian Constantin, inamovible président du FC Sion, Pascal Couchepin, conseiller fédéral de 1998 à 2009, Stéphane Lambiel, champion du monde de patinage artistique en 2005 et 2006, et Léonard Gianadda, président de la fondation d’art privé. Il existe cependant une autre institution qui ramène directement à la cité d’Octodure: la distillerie Morand. Son siège est là, au bord de la Dranse, depuis 1889. Cela en fait des litres de williamine et d’abricotine produits dans ces cuves depuis plus de 130 ans. Et on ne parle même pas des milliers de souvenirs, à l’armée ou entre amis, nés autour de ces eaux-de-vie typiques. Depuis trois ans, la distillerie Morand figure en bonne place dans la to-do liste de Sébastien Olesen, directeur du PALP Festival. Il avait envie d’installer une scène au cœur de ce site industriel, de le transformer en un jardin secret, peuplé d’épineux, et de faire chanter des artistes juste devant ces alambics, majestueux dans leur robe de cuivre.
Le Covid-19 a longtemps retardé ce projet. L’an dernier, alors que le PALP entrait en résistance, s’adaptant aux mesures sanitaires pour offrir des instants d’évasion à ses festivaliers, les organisateurs ont préféré rester aux portes de la distillerie. Histoire de ne pas tenter le diable. La patience est-elle la mère des vertus? 2022 a enfin permis de concrétiser ce doux rêve. En ouverture de la 12e édition, Vaudou Game, Pongo, puis Bon Entendeur, dans l’ordre d’arrivée, ont investi la cour intérieure convertie en forêt éphémère. Un partenariat avec un pépiniériste de la ville a permis d’amener des centaines d’essences différentes d’arbres en pot, afin de créer cette illusion parfaite. Des transats, floqués aux couleurs du festival, offrent des espaces de détente à l’entrée, en attendant que les premières notes de musique ne donnent des fourmis aux jambes. Sur la mezzanine, cinq fours à raclette se chargent de faire fondre les demi-meules de fromage AOP au lait cru qui se succèdent sous leur corps de chauffe. Au bar, de la bière au jus de fruit, on ne sert que du valaisan.
Communes en liste d’attente
Tout l’esprit du PALP est résumé dans ce jardin d’un soir: un lieu insolite, une atmosphère, des produits régionaux! Depuis onze ans, le festival s’est en effet démarqué par l’originalité de son concept. Son terrain d’expression ne se limite pas à une ville ou à un pâturage: il couvre l’ensemble du canton et rassemble toutes les communes qui souhaitent accueillir l’un de ces événements sur son sol. «Aujourd’hui, nous sommes victimes de notre succès», convient Sébastien Olesen. «Nous recevons beaucoup de demandes et nous avons été forcés d’établir une liste d’attente pour les communes.» Le festival dure pourtant pendant cinq mois et demi (jusqu’au 24 septembre) et, avec une moyenne d’un concert par week-end, cela représente une trentaine de dates, avec près de 200 artistes au programme. Mais cela ne suffit pas à satisfaire tout le monde…
Tout avait commencé simplement, sur la place centrale de Martigny. Programmateur et administrateur de Post Tenebras Rock à L’Usine, du côté de Genève, Sébastien Olesen avait reçu le mandat, avec Blaise Coutaz, d’organiser un événement dans la cité d’Octodure. «En 2011, la culture était moins développée en Valais», raconte-t-il. «J’avais l’envie de promouvoir le terroir et de revisiter nos traditions.» Après une première édition remarquée, l’idée de sortir des rails arrive assez vite sur la table. Pour exister face aux géants que sont le Montreux Jazz ou Paléo, pour ne pas se noyer dans la masse, le PALP devait être différent. Surprendre. Créer des instants uniques, tant pour le public que pour les artistes. Réunir les générations. En quelques années, Sébastien Olesen et son équipe sont parvenus à bousculer les conventions, à convaincre les plus réticents que, même farfelus, leurs projets n’en répondent pas moins à un besoin de vivre la culture autrement. Bal masqué au château de Venthône, brunch sur le télésiège de Champex-Lac ou disco silencieuse dans les Arsenaux de Sion… Rien ne semble impossible pour eux. Même lorsqu’il s’agit de créer des salons flottants sur le lac du Louché, à Lens, avec tout ce que cela implique comme règles de sécurité, ils ne reculent pas. «Nous avons passé des centaines d’heures avec la police de navigation pour tout tester», explique le président. «Sur place, il y aura trois plongeurs, un bateau de sauvetage, on ne peut pas jouer avec la santé des spectateurs.»
Cet exemple montre néanmoins que le PALP Festival a désormais les moyens de ses ambitions. «Au début, notre budget se montait à 120’000 francs environ. Aujourd’hui, nous tournons autour des trois millions. Nous avons aussi une structure pour nous permettre de concrétiser nos projets et, également, d’innover pour ne pas lasser.» Il y a néanmoins des incontournables dans le programme. Comme la Rocklette qui associe rock et raclette, pendant une semaine, dans le Val de Bagnes (du 6 au 14 août). Le public accède aux différents sites à pied, à vélo ou en télécabine. Les artistes, eux, se produisent dans les pâturages, sans scène, avec la montagne comme toile de fond. Dépaysant! «Nous avons à chaque fois près de 1500 personnes qui assistent à ces concerts», s’enthousiasme Sébastien Olesen. «Comme nous voulons conserver le côté humain de notre festival, c’est la limite que nous nous sommes fixés…» Depuis quatre ans, le PALP organise aussi une drôle d’exposition d’art, Beauty and Room, à Sion: les œuvres sont en effet présentées dans une quinzaine d’appartements privés du centre-ville. Et ce sont les habitants eux-mêmes qui jouent les guides. «Nous, nous offrons l’apéro!» Le concept plaît. Les visiteurs accourent. «Je les soupçonne de venir plus pour l’intérieur de ces maisons que pour les œuvres d’art», s’amuse le président. «Mais cela crée des liens et cela se termine souvent en fête improvisée dans l’appartement.»
«Au début, notre budget se montait à 120’000 francs. Aujourd’hui, nous tournons autour des 3 millions.»
Une vitrine pour les producteurs locaux
Comment déniche-t-il ces lieux si atypiques? Où va-t-il puiser ces idées parfois fantasques? S’il peut s’appuyer sur une équipe d’intrépides, peu avares en fantaisie, Sébastien Olesen tire aussi son inspiration des communes elles-mêmes. «Nous ne sommes pas leur office du tourisme. Quand elles prennent contact avec nous, nous attendons qu’elles nous amènent des propositions. À nous de monter un concept autour!» Chaque commune sélectionnée devient alors partenaire du festival. «Les fonds publics représentent un tiers de notre budget», indique le Valaisan. «Les deux autres tiers proviennent, à part égale, de la billetterie et du sponsoring.» Ce modèle d’affaire, plutôt pertinent, a le mérite d’impliquer tous les acteurs. Et chacun y trouve son compte! Les communes se paient une tranche de visibilité et ajoutent une animation à leur offre touristique d’été. Le PALP poursuit son exploration des sites pittoresques dans le canton. Quant aux producteurs locaux, qu’ils soient fromagers, vignerons ou brasseurs, ils profitent d’une vitrine exceptionnelle pour promouvoir leurs produits.
«Nous avons le soutien total de l’interprofession de la raclette et des vins du Valais», souligne Sébastien Olesen. «Nous considérons tous ces producteurs comme des ambassadeurs du festival. Ils ne sont pas tous familiers de la scène musicale, mais ils défendent le projet et les mêmes valeurs que nous.» Avec son équipe, le Valaisan partage d’ailleurs une démarche volontairement durable: encourager le changement des comportements dans une société qui doit se préparer à une transition écologique inéluctable. «À titre personnel, je n’ai plus envie de me retrouver au milieu de 10’000 personnes à manger de la cuisine chinoise», sourit-il. «Quand nous choisissons d’acheter un raclette AOP au lait cru, évidemment, cela nous coûte plus cher, mais le fromage est meilleur et, en plus, quand vous donnez 10’000 francs à un producteur local, cela apporte tellement plus de satisfaction.» D’ailleurs, le PALP n’est pas qu’un festival, c’est aussi un… village! Établi à Bruson, avec sa femme, Marie, et ses deux enfants, en plein cœur du Val de Bagnes, Sébastien Olesen n’y a pas seulement installé ses bureaux: il y développe aussi «un laboratoire social, culturel et touristique». Un projet basé sur l’économie circulaire qui a pour mission de redynamiser cette station de 400 habitants. Après avoir repris l’épicerie, la Brusonette, qui propose des produits du terroir, il vient de rénover le bistrot, avec une résidence d’artistes à l’étage – dont l’ouverture est prévue pour juillet. Expositions, centre de recherche, projets participatifs… Chaque année, le PALP organise même le marché aux fromages, dédié au fameux Raclette du Valais AOP, produit dans les vallées de Bagnes, d’Entremont et de Ferret. L’objectif de toutes ces actions est d’impliquer tous les acteurs de la région (artisans, paysans, villageois ou défenseurs du patrimoine) dans une réflexion, profonde, sensée, sur le potentiel de développement des communes de montagne dans ce contexte de réchauffement climatique et d’enjeux écologiques.
Communion en pleine nature
La nature était d’ailleurs le personnage principal du troisième événement du PALP, à la mi-juin. Le rendez-vous avait été fixé à la gare de Loèche, à l’entrée du Haut-Valais. Des cars emmenaient ensuite près de 150 festivaliers jusqu’à Erschmatt pour une randonnée de deux heures dans le parc naturel de Pfyn-Finges. En 1996, 150 hectares de cette forêt étaient partis en fumée – un incendie que le foehn prit un malin plaisir à attiser. Vingt-six ans plus tard, on aperçoit encore quelques squelettes de sapins, mais la biodiversité témoigne d’une vigueur toute retrouvée. En file indienne, à flanc de colline, les promeneurs – un mix de familles, de personnes âgées et de millenials – ont tout le loisir de s’en rendre compte, alors que leurs pas les amènent jusqu’à la première étape, proche d’une ferme. Après quarante minutes de balade, il est temps de sortir le pique-nique, composé de produits locaux évidemment, et de profiter du concert d’un duo de Chamoson, The Fox in the Basement. Après que le public a posé ses fesses dans le pré, sous un soleil de plomb, Aline et Luc distillent leurs notes folk devant un panorama féérique. Un ciel azur, la cime des montagnes qui se découpe à l’arrière, des pâturages généreux… Le décor invite à la communion entre deux artistes, visiblement reconnaissants de s’exprimer en pleine nature, et des spectacteurs avides de sérénité. Une harmonie à peine perturbée par la casse d’une corde sur la dernière chanson. Le duo se permet même d’interpréter l’hymne à la liberté rendu populaire par la série La Casa de Papel: Bella Ciao. On ne peut pas trouver plus approprié…
Le sentier conduit ensuite les 150 randonneurs vers la «zone la plus secrète du monde» – selon le programme: les célèbres antennes au-dessus de Leuk-Stadt, à l’origine des plus folles rumeurs. On parle d’espionnage à grande échelle, de missions secrètes pour la NSA…Début mai, trois nouvelles «oreilles» ont été inaugurées dans cette station de réception satellite «pour améliorer le traitement des données météorologiques en provenance de l’espace». Au beau fixe, le ciel est passé pourtant du bleu au… blues en quelques riffs de guitare. Installés à l’ombre des pins, dans des transats, les spectateurs se laissent embarquer par les mélodies, douces et sauvages à la fois, d’un duo métissé: The Two. Il arpente les scènes depuis une dizaine d’années. Du Montreux Jazz Festival à Paléo. Il a même assuré la première partie d’un certain Johnny Hallyday à l’Arena de Genève. Mais, après deux ans de pandémie, Thierry, le Valaisan, et Yannick, le Mauritien, savourent ces moments de partage, simples, authentiques, devant l’Illhorn qui bombe le torse juste derrière eux. Le bonheur se lit sur leur visage, dans leur regard, alors qu’ils improvisent un dialogue, gonflé d’ondes positives, entre leurs guitares. Là aussi, la connexion avec le public est immédiate. On est loin des rives du Mississippi, mais l’âme de ce blues rieur provoque une émotion intense dans l’assistance.
La promenade se termine au château de Loèche, restauré par l’architecte vedette Mario Botta. Là, alors que le soleil commence à pâlir au-dessus de la coupole de verre, un dernier duo, les frères Hasan et Rami Nakhleh, alias TootArd, livre une disco orientale gorgée de synthés vintage. Les jambes lourdes, l’esprit étourdi par la chaleur ou le… fendant, les promeneurs s’évadent de cette cour intérieure ceinte de remparts pour voyager jusqu’à la plaine du Golan. C’est ça aussi, le PALP! Que l’on grimpe jusqu’à la cabane des Becs de Bosson ou que l’on visite les caveaux de la Vieille-Ville de Sierre, on est certain de vivre une expérience unique et, forcément, inoubliable.
«Nous considérons tous ces producteurs comme des ambassadeurs de notre festival.»