MusiqueReportage

Hellfest La voix de l’enfer

Le festival, l’un des plus emblématiques de France, a tenu sa 16e grande messe à Clisson (15-18 juin). Sur fond de polémiques liées au mouvement #Musictoo, fans de métal et curieux de plus en plus nombreux étaient au rendez-vous : la ville a rassemblé plus de 200 000 personnes en quatre jours.

Photo : AVIDE SCIAKY (SHUTTERSTOCK), MARCO FRASSINELLI (SHUTTERSTOCK)

Mains levées, des festivaliers pointent les « cornes du diable » de leurs index et auriculaire. C’est le signe que les fans de métal et de musiques extrêmes se sont bel et bien ralliés. La marée noire s’étend à perte de vue. Samedi 17 juin, 21 heures passées, les décibels castagnent. Le sol tremble. La bière coule à flot. Des hymnes tapageurs s’élèvent dans le ciel crépusculaire. Bruce Dickinson, sexagénaire et signature vocale d’Iron Maiden, Steve Harris, son fondateur, et leurs illustres acolytes embrasent le public. Quelques 50 000 hellbangers hochent la tête à l’unisson. Il y a du cheveu dans l’air ! La célèbre mascotte Eddie The Beast, un zombie, à la tête de mort et aux dents acérées, grimé en fantassin, brandit un drapeau britannique déchiqueté. Trois écrans géants ne laissent pas perdre une miette du show en tête d’affiche de cette nouvelle édition du Hellfest.

« Plus que de la musique, le métal est une religion qui incarne des valeurs et une vision du monde.  »

La statue monumentale de Lemmy Kilmister, leader du groupe culte Motörhead, est devenue un lieu de pèlerinage pour les métalleux. Photo : AVIDE SCIAKY (SHUTTERSTOCK), MARCO FRASSINELLI (SHUTTERSTOCK)

Survolant la foule endiablée, un garçon de moins de 10 ans, le corps allongé, les bras en croix, navigue de main en main, tout naturellement. À son passage, les metalheads, nom donné aux fans de métal, veillent à ce que le petit bonhomme fasse bon chemin tout en accordant leur approbation par des bruits gutturaux et des gestes de cornes. Le garçon, cueilli, en avant-scène, par un vigile baraqué et attentif, et bien sûr récupéré par ses parents, vient de s’adonner à une pratique bien connue des concerts : le slam ou crowd surfing.

Cette scène alliant barbarie de surface et respect de fond n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’ambiance si particulière du Hellfest. Il est aussi normal de voir circuler, au sommet de la foule, un enfant qu’une personne en chaise roulante. Même en pleine zone de pit, partie proche de la scène dans laquelle des festivaliers en quête de sensations brutales s’adonnent à des pogos, circle pit et wall of death, nous avons vu un groupe faire barrière autour d’un jeune homme qui essayait maladroitement de refaire son lacet.

Cette attitude courtoise est, sans nul doute, un des ingrédients indissociables de la culture métal et de la réussite du Hellfest qui signe sa 16e édition et s’est imposé, au fil du temps, comme l’un des plus grands festivals de France. Plus de 200 000 participants ont arpenté cette année le vaste temple du métal contre 20 000 lors de sa création.

L’esprit de famille

Juin 2002. Benjamin Barbaud, 20 ans, féru de musique punk et hard rock, lance dans sa région, le Furyfest, un festival de musiques extrêmes. Rejoint un an plus tard par Yoann Le Nevé, les deux associés sont forcés d’éteindre le projet, à la suite de problèmes financiers. Né de ces cendres, le Hellfest lâche son premier growl en 2006 à Clisson, la petite Italie du Pays de la Loire qui a vu grandir le jeune Ben. La première édition promet un bel avenir avec la venue du groupe culte Motörhead. Lemmy Kilmister, le leader emporté par un cancer à l’âge de 70 ans, est d’ailleurs indissociable du festival. La statue monumentale érigée en son honneur est devenue un lieu de pèlerinage pour les métalleux.

Plus que de la musique, le métal est, aux yeux de sa communauté, une religion qui incarne des valeurs, une culture, une esthétique forte et une vision du monde. La mort, sujet traité sous toutes ses coutures, est indissociable de la vie. L’aborder est sans doute déjà l’accepter. Le métal est lourd, violent, transgressif et cathartique. Ses adeptes, vêtus de noirs, tatoués, bardés de patches au nom de groupes iconiques, metalheads fluets aux cheveux longs ou baraques au crâne rasé cachent un cœur tendre et révèlent un comportement exemplaire. En 2018, le magazine Le Village est allé à la rencontre des Clissonnais. Pour nombre d’entre eux, « les fans de métal sont de gros nounours ».

Une fois les portes de la Cathédrale passées, les festivaliers se sentent à la maison. Le Hellfest, c’est comme une fête entre amis ! Photo : AVIDE SCIAKY (SHUTTERSTOCK), MARCO FRASSINELLI (SHUTTERSTOCK)
Corps allongé et bras en croix, un spectateur navigue de main en main, survolant la foule endiablée pendant le concert de Kiss. Vive le crowd surfing ! Photo : DR

Organisateurs, festivaliers et locaux partagent la même idée : le Hellfest est une aventure humaine. Ben Barbaud parle à Ouest France d’une « expérience à vivre en symbiose ». Antoine, quinze éditions au compteur, dont deux au Furyfest, clame au passage de la Cathédrale, porte gothique qui mène droit en enfer : « On vient de mettre les pieds à la maison. Enfin chez soi ! » Pour lui, hormis le running order, pas de contrainte, ce n’est que du partage entre amis. Quant à cette famille, qui ouvre leurs maison et jardin aux festivaliers, « cette parenthèse suspendue hors du temps renouvelle des rencontres inoubliables ».

« Contrairement aux idées reçues, les styles sont variés avec du heavy metal, punk, doom ou dark folk. »

Les anciens s’enquièrent avec bienveillance de ceux qui étrennent l’expérience. « La gentillesse des métalleux est extraordinaire », confie Cécile qui a fait le trajet depuis Marseille pour la première fois et écoute depuis, en boucle, Powerwolf ou Within Temptation. Pour d’autres, comme Zorg, qui fête sa dixième participation, la densité humaine et le changement de population le fait tiquer. Il n’est pas sûr de revenir l’an prochain.

Six scènes, 180 groupes !

Le Hellfest tient évidemment aussi son succès d’une programmation musicale mêlant dinosaures de la scène métal et nouveaux groupes originaires des quatre coins du globe. Cette année, plus de 180 formations ont foulé l’une des six scènes du festival. 60 000 festivaliers ont, chaque jour, répondu présents à l’appel des flammes, tout comme les 5000 bénévoles, sourire toujours aux lèvres.

Contrairement aux idées reçues, les styles sont variés avec du heavy metal, punk, trap metal, doom ou dark folk, pour ne pas tous les citer. La culture musicale fait d’ailleurs partie intégrante des metalheads qui ouvrent avec plaisir leur registre au jazz, au blues, aux musiques du monde et même, si le cœur y est, au rap.

Deux scènes principales font tourner en alternance les têtes d’affiche et groupes mainstream. Au programme de cette édition, Slipknot, Arch Enemy et sa chanteuse Alissa White-Gluz qui oscille du growl au chant lyrique en un souffle, ou encore Kiss qui tire sa (véritable !) révérence. Les papys aux épaulettes et bottines pailletées entonnent la Marseillaise, embarquant avec eux un chœur de milliers de voix.

Les autres scènes, Altar, Valley, Temple et celle dédiée au style punk, la Warzone, offrent aussi leurs vagues de rage et d’ambiance conviviale. Flogging Molly, groupe punk celtique américain, dévore l’assemblée de leur bonne humeur contagieuse. « En huit ans, je n’ai jamais vu la zone aussi packed », nous dit Steven. Les groupes de trash, dark ou death metal font trembler les bâches de leur scène dédiée. Un fan du groupe bordelais Gorod n’aurait manqué ce moment pour rien au monde, même s’il a bien cru avoir franchi le mur du son en ôtant ses bouchons sonores.

Micro à la main, l’énergique chanteur de Fever 333, Jason Aalon Butler, zigzague dans la fosse, escalade agilement une loge et clôture son show, à cheval dans le vide, en balançant du gros son. Pour ce groupe comme pour Zulu, leur passage au Hellfest est aussi l’occasion de représenter et revendiquer la communauté noire, encore trop faiblement présente dans le sérail. Le groupe mongol The Hu, en scène Temple, et dans une autre veine, Bloodywood, originaire de New Dehli, mettent, eux aussi, le feu aux semelles.

L’expérience Hellfest, c’est aussi devoir se spliter entre les scènes, faire sa place dans la cohue, le plus souvent dans la fournaise, mais parfois aussi sous des orages tonitruants, comme ce dimanche 18 juin, où le groupe féminin Thundermother fait grimper les décibels à ce moment-là. Hors des murs, des scènes tremplins, ou pour l’after, donnent leur chance à des groupes montants et des DJ’s. Vulves Assassines, trois Françaises à la niaque enragée, performent ainsi chaque jour.

Et puis, il y a aussi les flops comme la venue des controversés Mötley Crüe, affligeants avec leurs danseuses qui se trémoussent. Voilà de quoi facilement enflammer l’hashtag #musictoo et remettre une pièce dans la machine des réfractaires du Hellfest, qui accusent les organisateurs d’ignorer les violences sexuelles. Machine Gun Kelly, issu de l’univers hip-hop, sans doute sous le joug de quelques substances illicites, bâcle sa sortie. Sans remercier quiconque, il est remplacé par une vidéo rap sous des huées méritées.

En mode « parc d’attraction » ?

Cette 16e édition a vu naître des installations et attractions ludiques, de quoi faire pâlir de jalousie Mickey. Dès notre arrivée, nous tombons ainsi sur la statue « Vanité aux papillons » de l’artiste Philippe Pasqua. Autre nouveauté : le Sanctuary. Ce gigantesque temple romain dominé par le bouc de Mendès accueille désormais les articles prisés du merchandising officiel. Incontournables t-shirts et même doudou et tétine s’arrachent chez les festivaliers, prêts à faire des heures de queue. « Je préfère aller du côté des créateurs et artisans au Hellcity square. On y croise toujours des pépites », nous dit un festivalier. En effet, là-bas, peu d’objets en série. En revanche, des rencontres touchantes comme celle avec Jean Mathivet, archéologue reconverti en sculpteur de médiators en corne ou os de bovin.

Cette année, le festival a aussi gagné quelques hectares et déplacé sa scène Valley dédié au doom et post-métal. Dans la nouvelle zone, en attendant l’arrivée de la gardienne du festival, une gigantesque femme-scorpion réalisée par les Machines de l’île de la compagnie nantaise, les festivaliers donnent du biceps sur la Roue de Charon. Le concept consiste à faire tourner, à l’unisson, une roue insoulevable, flanquée de 20 squelettes de piroguiers, à la seule force des bras. La nuit, avec l’illumination stroboscopique, les squelettes pagaient sans fin. L’illusion est parfaite.

2024 : les billets s’arrachent déjà…

Les festivaliers pensent déjà à leurs retrouvailles et ont hâte de revoir les fidèles reconnaissables à leur tenue de pom-pom girl, de Jésus, Thor ou encore de licorne. Deux golgoths de Suisse, devenus amis grâce au festival, ont, quant à eux, été rebaptisés Kourou par des festivaliers : du haut de leurs deux mètres, ils sont une base de lancement incontournable de crowd surfing. Prêt pour une envolée en enfer ? La moitié des pass 4 jours pour 2024 (environ 25 000) est partie en 30 minutes, seulement une semaine après la dernière édition. La seconde moitié attend ses metalheads courant octobre. Alors que la programmation n’est pas connue à l’avance.

Hellfest

2002 À l’âge de 20 ans, Ben Barbaud crée le Furyfest, ancêtre du Hellfest.
2006 Rejoint par Yoann Le Nevé, il fonde le Hellfest. Deux scènes avec Motörhead, Korn et Gojira.
2010 Les polémiques s’enflamment. Le Hellfest serait-il au service de Satan ?
2014 Le festival prend un tournant avec 150 000 visiteurs sur 3 jours.
2022 Double édition pour les 15 ans : 7 jours, plus de 350 groupes, 420 000 festivaliers !
2023 Ben Barbaud est condamné pour abus de confiance.
2024 Une question brûle les lèvres. AC/DC sera-t-il à la prochaine édition ?
2002 À l’âge de 20 ans, Ben Barbaud crée le Furyfest, ancêtre du Hellfest.
2006 Rejoint par Yoann Le Nevé, il fonde le Hellfest. Deux scènes avec Motörhead, Korn et Gojira.
2010 Les polémiques s’enflamment. Le Hellfest serait-il au service de Satan ?
2014 Le festival prend un tournant avec 150 000 visiteurs sur 3 jours.
2022 Double édition pour les 15 ans : 7 jours, plus de 350 groupes, 420 000 festivaliers !
2023 Ben Barbaud est condamné pour abus de confiance.
2024 Une question brûle les lèvres. AC/DC sera-t-il à la prochaine édition ?