Naomi Lareine : « Je veux être une source d’inspiration »
Après s’être illustrée sur les terrains de football, la Zurichoise a fini par choisir la musique. Souvent comparée à son idole, Alicia Keys, elle se produira au Montreux Jazz, puis à Paléo en juillet, et évoque le harcèlement dont elle a été victime à l’école dans une publicité pour Emmi Caffè Latte.
« Victime. Freak. Dégage. Loser. » Les mots sont écrits en lettres rouges. Au milieu de ce cube en verre, Naomi Lareine scande son texte jusqu’à partager sa nouvelle devise : « Ok. Go ! ». À ce moment-là, la vitre, face à elle, explose en miettes. Comme si l’artiste détruisait ses vieux démons de ses deux mains. Dans cette publicité pour Caffè Latte, la Zurichoise évoque son histoire : le harcèlement dont elle a été victime à l’école. Et la vidéo, tournée en allemand et en français, passe en boucle sur les chaînes nationales, lui offrant un coup de projecteur mérité de ce côté-ci de la Sarine.
Cela tombe bien : cet été, Naomi Lareine sera sur les scènes du Montreux Jazz Festival, puis du Paléo. Une première pour elle ! L’occasion pour le public romand de découvrir le talent de cette jeune femme que l’on compare souvent à son idole, Alicia Keys. Son parcours est plutôt atypique. Née Bruderer, elle est la fille d’un ex-hockeyeur, Martin, champion de Suisse à six reprises avec le HC Kloten dans les années 80-90, et d’une mère sénégalaise. Elle s’est d’abord illustrée sur les terrains de football, comme défenseuse, sous le maillot de Grasshopper, avant d’opter définitivement pour la musique. Si le ballon rond a perdu une future championne, la scène suisse a gagné une star. En l’espace de cinq ans, la Zurichoise s’est fait une place dans le cœur des fans avec ses textes empreints d’authenticité et d’émotions. Elle y parle de son homosexualité, de ses ruptures, de mobbing. Avec une sincérité touchante. On fait plus ample connaissance ? Naomi a accepté de répondre, en français, à OFF Magazine.
OFF : Pourquoi le sport était-il si important pour vous ?
Naomi Lareine : J’ai grandi dans une famille de sportifs. Mon père jouait au hockey, mon grand-père a beaucoup pratiqué le tennis. Du coup, il était assez naturel de faire des activités sportives ensemble. Mais c’était d’autant plus important pour moi que l’on m’avait diagnostiqué un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH). J’avais beaucoup d’énergie à dépenser. Il fallait que je cours, que j’aie des interactions avec des camarades…
OFF : Avez-vous beaucoup souffert de ce trouble de l’attention ?
NL : Au début, j’avais des difficultés à l’école, je n’arrivais pas à me concentrer… Et puis, j’ai commencé à prendre de la ritaline, cela m’a beaucoup aidée dans ce sens. Je pouvais aussi compter sur mes grands-parents, je faisais mes devoirs avec eux. Ils m’ont soutenue dans chaque matière. Finalement, j’ai plutôt bien réussi.
OFF : Comment en êtes-vous arrivée à jouer au football ?
NL : J’ai essayé plusieurs disciplines. J’ai fait du karaté, j’ai joué au hockey sur glace… Je me suis rendue compte, à la fin, que le football était mon sport favori. J’aimais beaucoup y jouer et, en plus, j’avais du talent. (rires)
OFF : En 2005, lorsque vous avez commencé, le football féminin n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. Pour vous, c’était naturel de taper dans un ballon ?
NL : Totalement. À l’école, j’étais toujours avec les garçons, je jouais au foot avec eux dans le préau. C’était tout à fait normal. Et, un jour, une copine m’a parlé d’une nouvelle équipe, à Wallisellen, le village où j’habitais, la première 100 % féminine. Nous sommes allées à l’entraînement, juste par curiosité, et nous y sommes restées. C’était tellement cool de pouvoir jouer entre filles.
OFF : Et, à ce moment-là, vous vous imaginiez faire une carrière sportive ?
NL : Au départ, c’était juste pour le plaisir. Mais, chez moi, l’ambition prend assez vite le dessus. J’adore la compétition et, lorsque je me lance dans quelque chose, je cherche toujours à être la meilleure. Je me fixe des objectifs et je fais tout pour les atteindre.
OFF : Pourquoi avoir choisi la musique finalement ?
NL : J’ai toujours chanté à la maison. À l’âge de dix ans, j’ai même joué dans une comédie musicale. Ça m’a beaucoup plu ! Et j’ai fini par prendre des cours de piano, quand j’avais 16 ans, parce que mon idole, Alicia Keys, en jouait. J’écrivais déjà des chansons dans mon coin, je me suis inscrite à une école de chant. La musique a pris de plus en plus d’importance dans ma vie. Je me suis alors décidée à arrêter le football pour me concentrer sur cette nouvelle passion.
OFF : Pour vous, est-ce essentiel d’écrire, de partager vos émotions , dans vos chansons ?
NL : Parler de soi demande beaucoup de force. Au début, j’avais de la peine à écrire sur moi et sur ma vie personnelle. J’inventais des histoires, je racontais des choses qui n’existaient pas. Mais, un jour, j’ai eu envie de montrer qui était la vraie Naomi. J’ai toujours apprécié les artistes authentiques et je voulais être comme eux. J’ai cherché à insuffler un peu de réalité dans mes chansons. Et les fans ont apprécié cette sincérité. Pour moi, c’était aussi comme une thérapie. Tout le monde était content. (rires)
OFF : Vous avez été victime de harcèlement à l’école. Le sport, puis la musique vous ont permis de prendre confiance en vous. Comment avez-vous vécu cette période-là ?
NL: J’étais différente, j’avais les cheveux courts, je jouais au football avec les garçons : pour les autres, c’était le terrain idéal pour se montrer méchants avec moi. Mais je ne me suis jamais laissé faire, je n’ai pas subi en silence : je me suis toujours défendue… C’est dans ma mentalité. Cela m’a rendue plus forte, ça m’a préparée à traverser d’autres épreuves dans ma vie d’adulte.
OFF : Dans vos textes, vous évoquez aussi vos histoires d’amour, vos ruptures… Est-ce important pour vous ?
NL : J’essaie de partager les émotions les plus fortes. L’amour et les ruptures font partie de ces choses-là. Mais, quand j’arrive en studio, je ne sais jamais ce que je vais écrire, ce qui va sortir de moi. C’est très intuitif. Je peux entendre un rythme qui me plaît, qui m’inspire, et les choses s’enchaînent naturellement. Mais, s’il m’arrive quelque chose, juste avant que j’entre en studio, vous pouvez être sûr qu’à 90 %, j’écrirai une chanson à ce sujet-là.
OFF : En revanche, vous essayez toujours de ne pas tomber dans le larmoyant, même quand vous chantez une histoire qui se termine mal…
NL : Exactement. Je ne veux pas que les gens pleurent à chaque fois qu’ils m’entendent. Si j’écris une chanson triste, j’essaie d’y ajouter un rythme stimulant (ndlr. « uplifting beat » en anglais) qui vous donne un sentiment de force. Sinon, je risque de pleurer pendant tout l’enregistrement. Ce qui n’est pas le but… J’ai beaucoup de respect pour les artistes qui parviennent à mettre des mots sur leurs histoires intimes et sur leurs difficultés. C’est très dur d’être honnête ! On a le sentiment de revivre le même moment en boucle. Moi, j’essaie de trouver un équilibre entre tristesse et espoir afin qu’il y ait toujours un sourire à la fin de la chanson.
OFF : Vous considérez-vous comme une artiste engagée. Dans vos chansons, vous parlez aussi de racisme, d’homophobie…
NL: Moi-même, quand j’entends un artiste qui prend position pour le mouvement LGBT ou contre le racisme, cela a un effet positif. Je me dis que je ne suis pas toute seule… Si vous êtes honnête, si vous abordez ces sujets-là dans vos chansons, il se trouvera toujours quelqu’un qui s’y retrouvera. Et cela peut l’aider à s’assumer, à prendre confiance en lui. En tant qu’artiste, qui profite d’une plateforme, je me dois de faire ça, oui !
OFF : Recevez-vous beaucoup de messages de fans qui sont touchés par votre musique ?
NL: Oui. Beaucoup de gens m’écrivent et me racontent leur propre histoire. J’aime avoir cette connection-là avec le public, j’en ai même besoin, parce que ça me permet de savoir que je suis sur le bon chemin. C’est là où je veux aller, là où je peux aider ces gens… En cultivant cette relation, ils deviendront alors des fans inconditionnels. Et c’est ce qui me fait le plus plaisir.
OFF : Deux artistes sont importants dans votre carrière : Noizy et Stress. Pour quelle raison ?
NL: Noizy, c’est lui qui m’a découverte. J’ai commencé par poster des reprises sur Instagram. Je me mettais au piano, je chantais et je me filmais… Un jour, j’ai reçu un message qui me disait en substance : « Let’s talk about business ! » Je me suis demandée qui était ce type qui m’écrivait ainsi, j’ai découvert que c’était un rappeur albanais… Il m’a emmenée avec lui au Kosovo et en Albanie. Il m’a donné de précieux conseils et, surtout, m’a donné confiance en moi. Grâce à lui, j’ai su que je pourrais peut-être vivre de la musique.
OFF : Et Stress ?
NL : Je l’ai croisé en ville, par hasard, et nous avons discuté ensemble. Une semaine plus tard, je me suis retrouvée dans son studio à faire de la musique avec lui. Depuis, c’est devenu mon mentor, il me donne énormément de conseils. Il est comme mon âme sœur.
OFF : Quel est le meilleur conseil qu’il vous ait donné ?
NL : (elle réfléchit) Quand j’ai commencé, j’étais très nerveuse à l’idée de monter sur scène. Me retrouver face au public me faisait un peu peur. Et Stress m’a conseillée de jouer avec les spectateurs, de leur dire ce qu’ils doivent faire : taper dans les mains, sauter… Cela m’a beaucoup aidée sur mes premiers concerts.
OFF : Stress est aussi un artiste authentique, qui se livre beaucoup dans ses chansons. Est-ce pour cette raison que vous vous êtes aussi bien entendus ?
NL : Je pense, oui. Avec Stress, il n’y a jamais de discussion superficielle. On parle toujours de choses importantes ensemble. Et, finalement, le meilleur conseil qu’il m’ait donné, c’est de parler de moi, de ce que j’ai vécu, dans mes chansons : c’est seulement comme ça que je pourrais me connecter au public en tant qu’artiste. J’en étais consciente, mais j’avais peur de le faire. Il m’a convaincue que ce serait un soulagement pour moi. Et, juste après, j’ai écrit Save You pour ma maman…
OFF : Vous habitez à Zurich. Avez-vous eu à un certain moment des envies d’ailleurs ?
NL: Quand j’étais plus jeune, mon but était de m’installer aux États-Unis ou à Londres. Mais, actuellement, je préfère rester en Suisse, je ne me vois pas résider ailleurs. En revanche, je pourrais rester deux-trois mois en Grande-Bretagne pour cultiver mon réseau, et, ensuite, revenir à Zurich. Vous savez, maintenant, on peut faire de la musique n’importe où. Du moment que vous avez un studio, vous pouvez travailler où vous voulez…
OFF : Après les glaces Magnum, vous collaborez avec Emmi Caffè Latte. Qu’est-ce qui vous a plus avec ce partenariat ?
NL : En fait, je n’ai pas hésité, j’ai tout de suite accepté ce partenariat, parce que j’ai aimé le concept. Emmi souhaitait que l’on aborde le thème du harcèlement, en s’inspirant de mon histoire. Ils m’ont proposé un texte que j’ai ensuite pu adapter comme je voulais. Je suis très fière de cette vidéo. J’ai d’ailleurs reçu beaucoup de messages de gens qui ont été touchés par mes mots.
OFF : Vous avez tourné cette publicité en allemand et en français. Mais vous chantez le plus souvent en anglais…
NL : (rires) Oui, je dis toujours que mon cerveau musical est anglais. Je n’ai écouté que de la musique en anglais depuis mon enfance, c’est plus naturel pour moi d’écrire dans cette langue. Mais qui sait, peut-être qu’un jour, je sortirai une chanson en allemand…
OFF : En revanche, pour votre nom de scène, vous avez opté pour un mot en français : Lareine. Pourquoi ?
NL: Mon nom de famille, Bruderer, n’était pas très joli. Et j’aime la symbolique de la reine : c’est une personne forte et indépendante, qui fait attention aux autres. À mes yeux, c’est un exemple, un modèle. En aucun cas, je ne me considère comme la meilleure, je cherche juste à être une source d’inspiration.
OFF : En 2018, Angèle dévoilait son titre « Ta Reine » , qui est devenu une sorte d’hymne pour la communauté LGBT. Pour vous est-ce important de parler de votre homosexualité ?
NL: Absolument. À mon époque, il y avait peu d’artistes qui parlaient de ça. J’ai découvert tardivement que Jessy J et Kehlani avaient évoqué leur bisexualité et, franchement, j’aurais eu besoin de savoir ça avant. Cela m’aurait aidé énormément. J’essaie donc d’être cette source d’inspiration, de montrer que, si je suis parvenue à faire ce chemin-là, tout le monde peut le faire.
En concert au Montreux Jazz Festival (Super Bock Stage), le dimanche 2 juillet, puis à Paléo, le samedi 22 juillet.