MusiqueDans Le Décor

Audrey vigoureux : entre sons et marées

Cofondatrice des Athéniennes, la pianiste prépare la douzième édition de ce festival consacre aux musiques classiques, jazz et créations (1-10 juin), entre deux concerts au Grand Théâtre de Genève et au festival Cully classique. 

Elle nous offre un café durant lequel nous ne sommes pas encore dans nos rôles, juste des femmes en équilibre. Le sien semble solide, et fluide sa façon de jongler avec la vie. Elle a un peu plus d’une heure avant de foncer chercher son jeune garçon à l’école, elle a dans les yeux la fatigue des mamans élevant leur enfant relativement seules, et mille éclats d’amour. Dans le sourire, la malice, la détermination, et une espièglerie qui nous donne envie de troquer la tasse de café pour une coupe de champagne. À moitié pleine, puisque l’optimisme est de mise, et qu’Audrey Vigoureux est du genre à se donner les moyens de ses ambitions. Play.

On parlera champagne, vins, saké, mais c’est l’eau, son élément, même à l’air et surtout face à son piano, « instrument aquatique », dans les sons qu’il produit, dans les gestes d’où ils naissent. « Il a un ambitus extrêmement large, c’est presque un instrument de nageuse, il y a un côté brasse à parcourir le clavier. Ça ne se passe pas que dans les doigts, il faut des bras, des épaules, des ondulations, comme dans l’eau. » Audrey commence le piano vers 7 ans, sur l’instrument que ses parents avaient acheté pour son frère aîné. Ils découvrent que celui-ci s’offre des bonbons avec l’argent des cours, et résistent désormais à encourager l’onéreuse vocation de leur fille, craignant qu’elle s’en détourne également. Mais la mère d’Audrey est engagée comme nounou par une professeure de piano. Un jour que celle-ci entend la fillette improviser et chanter, elle propose de lui donner des leçons en échange de la garde de son fils. Marché conclu. S’en suit un cursus impressionnant, médaille d’or à quinze ans, à Aix-en-Provence, puis la Haute École de Musique de Genève et le Conservatoire National Supérieur de Paris, en parallèle. Audrey passe sa vie dans le TGV, loge chez des amis, hésite entre les deux villes, finit par s’installer à Genève. Elle commence rapidement à organiser des concerts dans une galerie d’art, avec des amis jazzman, « car on a eu très vite la volonté de faire cohabiter plusieurs styles de musiques », et de partir à la rencontre de milieux plus festifs, laisse entendre celle qui passait ses soirées à l’Usine de Genève, plutôt qu’au Grand Théâtre. « Surtout, il y a une richesse à aller écouter d’autres choses. » C’est ainsi que peu à peu émerge l’idée des Athéniennes, avec les musiciens Marc Perrenoud et Valentin Peiry. « En 2010, on s’est installés à l’Athénée 4, d’où notre nom. En 2016, nous avons déménagé à l’Alhambra et au Temple de la Madeleine pour proposer désormais un festival sur neuf jours. Cette année, du 1er au 10 juin, la thématique est le cinéma », concède Audrey, qui maintient encore secrète la programmation. Mais on sait que tous les âges et les milieux seront à nouveau réunis cette année, pour entendre des musiques du monde, du classique, du jazz et de l’électro. Avec l’image qui accompagnera la musique, et la musique qui se créera en live pendant le visionnage de courts métrages.

Photos: Magali Girardin

L’ALBUM DE SON GRAND-PERE

« Je l’ai peu connu, il est décédé alors que j’avais 7 ans, mais c’était un personnage. » D’origine bretonne, il s’engage dans la Marine et passe dix ans en Asie. Il en revient avec un Bō (bâton) d’un mètre cinquante avec lequel se pratique le Bozendo, un art martial né de la synthèse de différentes disciplines chinoises et japonaises. C’est à Maître Francis Vigoureux que l’on doit l’importation de cet art en Europe. Audrey nous le montre avec son Bō, ou devant des temples, sur des bateaux, le mont Fuji en arrière-plan, « c’est probablement à lui et à cet album que je dois mon goût pour l’Orient », constate la pianiste qui dans ses gestes possède certes le calme et la délicatesse de maîtres zen. « Je pense que l’album vient de Chine, mais il faudrait que je sache lire les idéogrammes pour en être certaine. J’en admire la marqueterie en nacre, les personnages, le voyage », dès la couverture et avant même de retrouver son grand-père et ses expéditions entre les pages.

Photos: Magali Girardin

VASE A SAKE JAPONAIS DU XVIIIE

« C’est mon grand ami Marc Perrenoud qui me l’a offert, car il sait que j’aime tout ce qui vient du Japon, ainsi que les lapins. » Le sien s’appelle Panpan et il sautille dans la lumineuse pièce où nous nous trouvons, entre la cuisine et le salon. Audrey a eu des lapins depuis enfant. « J’avais baptisé mon premier Schubert, car c’est grâce au compositeur que ma mère me l’a offert. Je travaillais un impromptu assez difficile et pour me motiver, elle m’avait promis un lapin. Le vase est en porcelaine Kutani, j’ignore s’il est du XVIIIe ou du XIXe, car j’ai égaré la petite présentation qui l’accompagnait. » Et le vase, comme les verres, vit et se remplit à l’occasion. Audrey aime la cuisine japonaise et le saké chaud. « Non, pas autant que le vin ou le champagne, je suis Française, quand même ! »

Photos: Magali Girardin

CARNET ET RECUEIL DE POEMES

« Je travaille à l’ancienne, avec un carnet en papier, pour les Athénéennes. Je note toutes les infos, le brainstorming avec les collaborateurs, des fois j’écris aussi de la poésie, j’en ai d’ailleurs fait un livre. » Le livre, bleu eau et ondes piano, qui puise dans l’agenda, est sorti en 2022 et a pour titre Apnée surveillée. « C’est un sujet qui m’a beaucoup habitée, j’ai plusieurs voies explicatives », des personnelles, des intimes et d’autres plus universelles. « Il y a le côté surveillance, dont on a beaucoup souffert pendant le Covid, ce monde qui m’inquiète. » Et il y a l’apnée, un frère décédé par manque d’air, une enfance près de la mer, la fascination d’Audrey pour les portes qui s’ouvrent sur un autre monde, celui de l’eau, lorsque l’on apprend à contrôler sa respiration ou sa non-respiration. Le cadeau du silence, dans la mer, comme une transe. « Mon grand-père maternel était plongeur. Nous nagions ensemble, nous nous éloignions de la côte, puis il me laissait sur ma bouée, et il partait dans les profondeurs, pour en revenir avec des oursins qu’il ouvrait avec un couteau, et que nous dégustions sur place, c’était magique. »

Photos: Magali Girardin

SON PIANO

Lorsqu’on la regarde en jouer, on a l’impression qu’elle nage, flotte, danse aux sons qu’elle déclenche. « Le piano, il faut le rappeler, est un instrument à percussion, c’est un marteau qui vient frapper une corde. Il y a ce vibrato dans les cordes, et l’impact, la résonance, aquatique. » Elle n’écrit pas de musique, elle vit celle des grands compositeurs, et vient de terminer l’enregistrement d’un nouveau disque solo, au mythique Studio Miraval. Elle improvise également, laisse couler ses idées musicales sans les coucher sur le papier, refusant ce qui est trop graphique. « Mais je peux fixer mes idées. J’avais fait un duo avec le musicien électro POL, et là oui, les idées étaient fixées. Je ne les écris pas au millimètre comme les compositeurs, mais je les écris. Je travaille comme avec la poésie. Des idées, des sons, un rythme, des contraintes sonores qui me motivent beaucoup. Mais tout reste ouvert, il n’y a pas de barrières, comme avec le roman ou les nouvelles. J’aimerais reformer ce duo avec POL, mais entre-temps, j’ai fait un garçon. Mais on va le refaire », se persuade-t-elle. Et on la croit.

Photos: Magali Girardin

COUPES DE CHAMPAGNE

« On dit qu’elles ont été moulées sur les seins de Marie-Antoinette, pourtant elles n’ont pas toutes la même taille. » Elle les préfère évasées qu’étroites, les coupes, même si les puristes déplorent la perte en bulles. « Elles ont un côté Années folles, un truc à la Gatsby. » Tous ses verres sont chinés dans les marchés aux puces de Genève ou Paris. « Ces petites coupes que j’adore, lorsque je fais une soirée, je les distribue à mes amies proches, en leur demandant de faire gaffe. J’y tiens, mais elles doivent vivre, je ne suis pas attachée aux objets pour leur valeur marchande. » Audrey nous présente aussi ses verres à vin, plus anciens, plus lourds et épais. Et des verres à eau d’une compagnie aérienne, gravés de petits avions. Enfin, un verre de la brasserie Chez Francis à Paris. « Je l’ai pris en souvenir », confesse-t-elle en baissant la voix, « car j’ai vécu là-bas quelque chose d’important. C’était la soirée de vernissage de nos concertos de Bach, chez Warner, au sublime théâtre des Champs-Élysées. Il y avait Gérard Depardieu dans la salle qui hurlait bravo. » Et les artistes, dont le pianiste David Fray, de prolonger la fête Chez Francis.

Photos: Magali Girardin

LA GITANE ET LA VIEILLE

Les santons sont les personnages des crèches en Provence et ses préférés étaient ces deux-là : la gitane et la vieille. « La gitane, je la trouvais tellement belle, je voulais la même jupe, elle avait les cheveux longs, une robe, des bijoux, tout pour me combler », dit-elle en riant, avec encore des traces d’émerveillement dans les yeux. « Et la vieille aussi, je l’adorais, elle avait une super expression, pas méchante, mais un peu bourrue, inquiétante. C’est mon père qui les avait peintes. Je les trouvais très réussies, avec les fagots dans le dos, les lignes sur la jupe, le choix des couleurs. Le 4 décembre, lors de la sainte Barbe, on sortait les santons, on installait la crèche, et le 24 décembre on ajoutait le petit Jésus. » Pendant ce laps de temps, la petite Audrey fabriquait le décor, du papier pour les collines, du coton pour la neige, « des rivières, un petit lac, avec un miroir, à la surface duquel j’installais le pécheur, tout un monde génial quand tu es enfant ». Et qu’elle transmet à son fils de quatre ans avec un plaisir intact.

Bio

1981 Naissance à Aix-en-Provence.
1998 Arrivée à Genève à la Haute École de Musique.
2004 1er prix mention Très Bien du CNSM de Paris, classe de Jacques Rouvier. Diplôme de soliste avec distinction, HEM de Genève, classe de Sébastien Risler.
2010 Création du festival Les Athéniennes à Genève.
2018 Naissance de son fils Antonin.
2018 Sortie du disque des concertos de Bach chez Warner Classic.
2022 Sortie du recueil Apnée Surveillée chez BSN Press.
2023 Enregistrement d’un nouveau disque solo, au Studio Miraval.
1981 Naissance à Aix-en-Provence.
1998 Arrivée à Genève à la Haute École de Musique.
2004 1er prix mention Très Bien du CNSM de Paris, classe de Jacques Rouvier. Diplôme de soliste avec distinction, HEM de Genève, classe de Sébastien Risler.
2010 Création du festival Les Athéniennes à Genève.
2018 Naissance de son fils Antonin.
2018 Sortie du disque des concertos de Bach chez Warner Classic.
2022 Sortie du recueil Apnée Surveillée chez BSN Press.
2023 Enregistrement d’un nouveau disque solo, au Studio Miraval.