CinémaInterview

Mélanie Thierry « J’ai l’impression d’être une débutante à chaque fois »

Un début de carrière précoce, un César à 29 ans, une riche filmographie, une histoire d’amour longue de plus de vingt ans avec le chanteur Raphaël et une vie de famille loin des projecteurs : la comédienne française trace sa route posément.

Elle sera bientôt à l’affiche de Captives, un drame d’Arnaud des Pallières qui se déroule à l’hôpital de la Salpêtrière, avec Marina Foïs, Josiane Balasko et Carole Bouquet. Mélanie Thierry retrouvera ensuite Emmanuel Finkiel – qui l’a dirigée dans La douleur et Je ne suis pas un salaud – pour La chambre de Mariana.

Mais avant cela, la comédienne crève l’écran dans Soudain seuls (sorti le 13 décembre), où elle donne la réplique à Gilles Lellouche. Dans ce survival de Thomas Bidegain, un couple d’aventuriers qui voyage en bateau s’arrête sur une île sauvage de l’hémisphère sud. Une tempête s’abat sur eux, leur bateau disparaît. Alors que l’hiver s’approche, Ben et Laura doivent lutter pour leur survie et pour celle de leur couple…

OFF a rencontré Mélanie Thierry dans un café de Montmartre pour parler de son actualité et revenir jusqu’à ses premiers souvenirs de tournage.

OFF : Quelles ont été les principales contraintes sur le tournage de Soudain seuls, qui s’est déroulé entièrement en extérieur, en Islande ?
Mélanie Thierry : L’Islande nous a offert des paysages uniques, sublimes et magiques, mais c’est aussi une île hostile, le climat est rude et ça use, il faut être endurant pour se taper des semaines entières à jouer dehors. Nous avons tourné l’automne dernier, durant neuf semaines. L’avantage, là-bas, c’est que les gens savent répondre à la demande des tournages et sont équipés pour. Tourner dans l’hémisphère sud aurait été trop compliqué et trop loin. Nous dormions à Reykjavík et nous faisions une heure de route tous les matins pour atteindre ce décor lunaire où nous avons tourné. C’est une île éblouissante, qui a quelque chose de mystique et de vibrant, avec la terre qui fume, les plages de cendres, des centaines de kilomètres sans maison, sans arbre… c’est vertigineux, on a vraiment l’impression d’être sur la lune. Mais, au bout de plusieurs semaines, on fait moins attention à toutes ces choses qui nous ont éblouis au début : on ne fait que subir le froid, le vent à décorner les bœufs et la pluie redoutable. Là, j’avais envie de retrouver mon quotidien et mon feu de cheminée !

OFF : Il y a une scène dans laquelle vous êtes dans l’eau avec Gilles Lellouche, à lutter contre les vagues : la température était-elle supportable ?
MT : C’est la seule scène que nous avons tournée en Bretagne, car l’eau est moins froide en décembre à Brest qu’en Islande, où l’on n’aurait pas tenu pendant une journée entière. J’ai horreur de l’eau, j’ai peur quand je n’ai pas pied et je déteste mettre la tête sous l’eau. Mais c’était seulement une journée de tournage et nous étions bien encadrés avec des pompiers et des plongeurs. Alors, oui, l’eau était froide et c’était éprouvant, mais, au final, se recevoir des vagues dans le visage, c’est supportable, c’est même assez marrant.

Dans Soudain seuls, un survival de Thomas Bidegain, Mélanie Thierry donne la réplique à Gilles Lellouche. Le tournage en Islande, dans des conditions dantesques, s’est révélé éprouvant. Photo : Lilja Jons – Trésor Films.

OFF : Il y a une scène dans laquelle vous êtes dans l’eau avec Gilles Lellouche, à lutter contre les vagues : la température était-elle supportable ?
MT : C’est la seule scène que nous avons tournée en Bretagne, car l’eau est moins froide en décembre à Brest qu’en Islande, où l’on n’aurait pas tenu pendant une journée entière. J’ai horreur de l’eau, j’ai peur quand je n’ai pas pied et je déteste mettre la tête sous l’eau. Mais c’était seulement une journée de tournage et nous étions bien encadrés avec des pompiers et des plongeurs. Alors, oui, l’eau était froide et c’était éprouvant, mais, au final, se recevoir des vagues dans le visage, c’est supportable, c’est même assez marrant.

OFF : Que raconte le film sur le couple ? Peut-il survivre à n’importe quelle épreuve ?
MT : Dans le film, il s’agit d’un couple banal, qui n’a rien d’héroïque, qui ne va ni bien, ni mal, qui est heureux, mais pas tant que ça… Un couple comme il en existe tant. Comment monsieur et madame Tout-le-monde réagiraient s’ils se retrouvaient dans une telle situation ? Le film raconte la survie de ce couple : comment fait-on pour se nourrir, pour dormir, et pour faire face à la solitude ? Aujourd’hui, on a toujours quelqu’un à voir, même quand on est seul chez soi, on ne l’est pas vraiment : on écoute l’actualité, on a un coup de fil à passer… Il y a toujours quelque chose qui nous ramène à la vie qui nous entoure et on est très peu confronté à la solitude. Dans le film, il n’y a plus ça, l’horizon n’offre pas d’espoir, ce qui réduit les perspectives.

« J’ai horreur de l’eau, j’ai peur quand je n’ai pas pied et je déteste mettre la tête sous l’eau. »

OFF : Est-ce que vous-même, vous arrivez à être seule ?
MT : Je ne suis jamais seule dans le fond ! Je pense que lorsqu’on a l’impression d’être seul, c’est faux, c’est davantage que l’on ne se sent peut-être pas suffisamment aimé ou exister.

OFF : Partir à l’aventure, seule ou en famille, comme le couple de Soudain seuls, ça vous plairait ?
MT : Sur un bateau, non, ce n’est pas mon truc, je n’aime pas être sur l’eau, je suis une terrienne. Mais j’adorerais partir en voyage plusieurs mois avec un sac à dos et un gosse de chaque côté qui me tient la main, sans savoir où l’on va dormir le lendemain… En même temps, j’ai toujours trouvé d’autres occupations pour ne pas le faire.

OFF :  Votre compagnon, le chanteur Raphaël, a signé la bande-son du film : avez-vous travaillé ensemble d’une manière ou d’une autre ?
MT : Non, Raphaël connaît très bien Thomas Bidegain, le réalisateur, il avait déjà fait la musique de son premier long métrage, Les cowboys. C’est davantage son projet que le mien, car Thomas a besoin d’avoir une musique qui l’accompagne pour ses repérages, la bande-son était donc en route bien avant que je ne rejoigne le film.

Photo : Thierry-Flavien Prioreau.

OFF : Vous venez aussi de tourner Captives, qui sortira en salle le 6 février. Vous jouez Fanni, une femme qui s’est volontairement laissé enfermer à l’Hôpital de la Salpêtrière en 1894, dans l’espoir d’y retrouver sa mère. Comment s’est passée la collaboration avec Arnaud des Pallières ?
MT : Arnaud est impressionnant, il est très grand, très intellectuel, il fait un peu maître d’école et j’étais extrêmement intimidée par ce qu’il dégageait. Cependant, ça a été l’un de mes tournages les plus heureux. J’adore sa façon de tourner, de diriger et tout ce qu’il me racontait avait du sens pour moi. Il ne s’arrête jamais à deux-trois prises, il en veut quarante à chaque fois, ce qui est à la fois fatigant et passionnant, car la caméra change à chaque fois un petit peu, le jeu aussi. On m’a rarement filmée comme ça. On n’est pas maquillées, on est transpirantes, luisantes, on est dégueulasses !

OFF : Vous ne portez aucun maquillage ?
MT : Non ! Arnaud et Emmanuel Finkiel, avec La douleur, sont les seuls à m’avoir filmée comme ça, sans maquillage, sans artifice. Tous deux viennent du documentaire et ce sont les deux metteurs en scène avec lesquels j’ai préféré travailler de toute mon expérience. Je trouve beau, cette façon qu’ils ont d’observer le monde.

OFF : Vous avez donc été dirigée par un homme sur Captives, mais il n’y a que des femmes au casting : comment était-ce ?
MT : J’ai adoré. Josiane Balasko, Carole Bouquet et Marina Foïs sont des actrices que j’aime et que j’admire. Côté figuration, on a tourné avec des femmes dont ce n’est pas le métier. Elles étaient toutes en situation de handicap, plus ou moins léger, pour donner plus de vérité à l’esprit de la Salpêtrière en psychiatrie. Généralement dans un film, on ne s’occupe pas des figurants et figurantes, car on est préoccupé par notre scène. Là, ce n’était pas pareil : elles étaient fragiles, vulnérables, et il fallait être attentive.

« On m’a rarement filmée comme ça. On n’est pas maquillées, on est transpirantes, luisantes… »

OFF : Est-ce un film féministe ?
MT : C’est en tout cas le film d’un homme courageux qui raconte ces femmes en étant attaché au destin de chacune. Il parle de cette violence, de ce monde excessivement brutal où on ne laisse aucune chance d’exister à celles qui marchent à contre-courant.

OFF : Comment avez-vous appréhendé les scènes dans lesquelles vous chantez ?
MT : J’ai pris des cours de chant pendant plusieurs semaines, juste pour apprendre à respirer, mais ce n’est pas moi qui chante dans le film. Ça devait être parfait, sans la moindre fausse note. Il y a eu l’espoir qu’un miracle se produise et que j’y arrive, mais on s’est rendu compte qu’un mois et demi de cours n’était pas suffisant, il m’aurait fallu une vie pour apprendre à chanter comme ça.

OFF : Et pour Tralala, où vous poussiez la chansonnette, vous aviez aussi pris des cours ?
MT :  Non, il n’y avait pas d’argent pour ça. Quand on est sur des films où l’on gagne à peine sa vie et que les cours de chant ne sont pas pris en charge, on fait avec ce qu’on peut. Mais chez les frères Larrieu, ça passait, le brin de maladresse était assumé.

OFF : Est-ce toujours aussi excitant de se retrouver sur un plateau de tournage, plus de vingt ans après vos débuts ?
MT : Oui, car il faut à chaque fois prendre le pli d’un langage, d’une intention, comprendre la personne en face de nous et le film qu’elle a envie de faire. Je trouve ça passionnant et ça ne se répète jamais. Bien sûr, je me connais mieux avec le temps, je connais mes mécanismes, mes défauts et mes qualités, mais j’ai tout de même l’impression d’être une débutante à chaque fois.

Dans Captives d’Arnaud des Pallières, Mélanie Thierry incarne Fanni, une femme qui se laisse enfermer à l’Hôpital de la Salpêtrière, dans l’espoir d’y retrouver sa mère. Photo : Cécile Burban – Prélude.

OFF : Qu’est-ce qui vous a plu au début, dans le métier de mannequin, puis d’actrice ?
MT : J’ai fait ça par accident, je n’y étais pas destinée. Je n’ai pas choisi ce chemin, mais à force de côtoyer les plateaux de cinéma, j’ai eu envie d’appartenir à ce monde. Pour les séances photos, c’est pareil, j’ai été sensible au raffinement, à la délicatesse, ce n’était pas juste de la mode pour vendre de la fringue. Je travaillais avec de vrais artistes qui s’intéressaient à moi. Je ne savais pas trop ce qui les intéressait chez moi, à part ma beauté, car je devais forcément être jolie pour qu’on ait envie de me photographier de cette façon-là. Mais leur regard m’a plu, et c’est pareil aujourd’hui avec les metteurs en scène : j’aime la manière dont ils me voient et me comprennent.

OFF : Vous avez commencé à l’âge de 12 ans : c’est très jeune…
MT : Oui, il y a eu du bon et du moins bon à ça. C’est super d’être projetée dans un monde d’adultes, de s’éveiller à tout ce qui se passe, ça nourrit, mais est-ce vraiment l’endroit pour grandir pour une jeune fille ? J’ai eu la chance de ne pas faire de mauvaises rencontres, je pense que ma naïveté m’a protégée, j’ai traversé les dangers sans m’en rendre compte. Ensuite, quand tu commences si jeune, ce qui est difficile, c’est de transformer les choses pour continuer d’exister, quand tu deviens une jeune femme, puis une femme tout court, puis une maman qui n’est plus si jeune. Ces étapes sont difficiles à traverser, il faut être capable de s’assumer et de correspondre à chacun de ses âges pleinement. Il y en a peu qui commencent à 14 ans et qui sont encore là à quarante.

OFF : Regardez-vous les films dans lesquels vous avez joué ?
MT : Non, il y en a même que je n’ai jamais vus.

OFF : Et vos enfants ? Roman a 15 ans, Aliocha a 10 ans : ont-ils vu certains de vos films ?
MT : Non, ils n’en ont rien à foutre ! Et pourquoi irais-je leur montrer mes films ? À part si, une fois, ils sont la cible du sujet éventuellement… Mais je ne vais pas leur imposer de voir un film avec ma tronche, à embrasser d’autres garçons. C’est une réalité curieuse, de voir sa mère ailleurs, avoir une vie parallèle avec d’autres maris, d’autres enfants, ou mourir à l’écran… C’est très difficile de faire la part des choses. Je ne voudrais pas que ça les déstabilise ou que ça les hante.

OFF : Vous avez tourné avec Terry Gilliam et Spike Lee : ont-ils une façon de travailler très différente des cinéastes en France ?
MT : Ils ont inventé quelque chose dans le cinéma, c’est donc génial d’avoir fait partie de leur création. Chaque tournage est une petite vie en soi et laisse des traces importantes. En revanche, ce ne sont pas des bons films. Les meilleures œuvres de Terry Gilliam sont Brazil ou L’Armée des 12 singes, pas Zero Theorem. Et pour le meilleur de Spike Lee, il faut retourner dans le Bronx ou à Brooklyn et voir Do The Right Thing, pas Da 5 Bloods

OFF : C’est rare d’entendre une personne dire qu’elle n’a pas joué dans des bons films…
MT : On ne fait pas toujours de bons films, c’est comme ça ! Mais Terry Gilliam a réinventé la science-fiction, c’est un maître du décalage, tandis que Spike Lee a permis de faire émerger toute une génération d’acteurs noirs. Ils ont foi en ce qu’ils font et ils sont inimitables. Alors, ce n’est pas si grave de ne pas avoir fait leurs meilleurs films, je suis très heureuse de les avoir vus à l’œuvre et d’avoir compris comment ils travaillaient et dirigeaient une équipe sur un plateau.

OFF : Au cours de votre carrière, vous avez travaillé une fois en Suisse, pour Le vent tourne, de Bettina Oberli, tourné dans le Jura. Ça vous a plu ?
MT : Oui, j’ai aimé tout l’apprentissage, nous étions avec un fermier très attachant et investi, qui nous faisait partager son amour pour ses bêtes. On a passé plusieurs semaines à apprendre à pêcher, à traire les vaches, ça m’a passionnée et j’ai rencontré de belles personnes.

OFF : La légende du pianiste sur l’océan était votre premier film de cinéma : quels souvenirs en gardez-vous ?
MT : J’avais 16 ans, on a tourné à Odessa et comme j’étais mineure, mon oncle m’avait accompagnée. C’est un petit rôle, on me voit deux fois dix secondes. Pourtant, je suis restée deux mois en Ukraine. Avec les Américains, c’est toujours pareil, ils ont besoin de t’avoir sous la main en permanence. À cette époque, j’avais une culture cinématographique proche de zéro, mais il se trouve que l’un des trois films que j’avais vus de ma vie à ce moment-là, c’était Cinema Paradisio. Pour moi, c’était le jackpot ! Je connaissais le nom du réalisateur, c’était la première fois que je sortais de France pour un tournage… C’était fabuleux. C’était une grosse machine avec des hangars immenses pour la figuration, les costumes, des centaines de personnes qui travaillaient à l’intérieur comme dans une fourmilière… je n’en revenais pas.

OFF : Et comment se sont déroulées vos journées durant ces deux mois ?
MT : On me maquillait, on me coiffait, on m’habillait, puis je poireautais pendant 8 heures pour qu’on m’appelle… mais on ne m’appelait pas ! Ça a été comme ça tout le long, sauf les huit fois où l’on est venu me chercher pour que j’aille sur le plateau. Là, on prenait un premier bateau qui nous amenait à l’énorme paquebot qui se trouvait au milieu de la mer Noire. Il était tout refait, c’était magnifique. J’aimais beaucoup Giuseppe Tornatore, je ne comprenais rien à ce qu’il disait, mais je le trouvais très gentil. On a ensuite tourné à Cinecittà. Apparemment, c’était la Mecque, Fellini y avait tourné, et moi, je me disais : « C’est qui Fellini ? ». Ennio Morricone faisait la musique, j’ai dîné plein de fois avec lui sans savoir qui c’était. J’étais une petite fille ignorante, projetée dans un monde de grands. C’était éblouissant et à la fois, je n’avais rien à faire là.

Mélanie Thierry

1981 Naissance le 17 juillet près de Paris.
1993 Premiers pas de mannequin. Elle tourne dans des spots publicitaires à l’âge de 12 ans.
1998 Apparaît pour la première fois au cinéma dans La légende du pianiste sur l’océan, de Giuseppe Tornatore.
2002 Elle rencontre le chanteur Raphaël. Le couple a deux garçons, nés en 2008 et en 2013.
2010 Incarne la princesse de Montpensier dans le film de Bertrand Tavernier et rafle le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Le dernier pour la route, de Philippe Godeau.
2021 Interprète une patiente de la série à succès En thérapie d’Olivier Nakache et Éric Toledano.
2023 Présidente du jury de la Révélation au Festival du film américain de Deauville.
1981 Naissance le 17 juillet près de Paris.
1993 Premiers pas de mannequin. Elle tourne dans des spots publicitaires à l’âge de 12 ans.
1998 Apparaît pour la première fois au cinéma dans La légende du pianiste sur l’océan, de Giuseppe Tornatore.
2002 Elle rencontre le chanteur Raphaël. Le couple a deux garçons, nés en 2008 et en 2013.
2010 Incarne la princesse de Montpensier dans le film de Bertrand Tavernier et rafle le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Le dernier pour la route, de Philippe Godeau.
2021 Interprète une patiente de la série à succès En thérapie d’Olivier Nakache et Éric Toledano.
2023 Présidente du jury de la Révélation au Festival du film américain de Deauville.