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Carine Ayélé Durand

« Travaillons ensemble et changeons nos pratiques ! »

Nommée à la tête du musée d’ethnographie de Genève en 2022, la nouvelle directrice se consacre depuis plus de vingt ans à sa passion : la mise en valeur des collections patrimoniales et le dialogue avec les peuples autochtones.

Carine Ayélé Durand a l’énergie et la joie de ceux qui font le métier de leurs rêves. La nouvelle directrice du Musée d’Ethnographie de Genève (MEG), titulaire d’un doctorat en anthropologie délivré par l’université de Cambridge, et d’un DEA en ethnologie de l’université d’Aix-en-Provence, se consacre depuis plus de vingt ans à sa passion : la mise en valeur des collections patrimoniales, et le dialogue avec les cultures dont ces collections sont issues. Dernier exemple en date, le retrait, l’été dernier, et la restitution, en février, d’un masque sacré issu de de la Confédération Haudenosaunee (iroquoise), preuve de l’engagement décolonial du MEG. En juillet 2022, Carine Ayélé Durand recevait une délégation de cette confédération des Six-Nations, profitant de leur présence à la semaine des peuples autochtones de l’ONU. « J’avais des doutes sur un masque et je voulais les consulter pour en avoir le cœur net. Un des délégués a confirmé qu’il s’agissait d’un objet sacré utilisé lors de cérémonies, un ancêtre possédant une âme, qui ne pouvait être exposé. » Le MEG a donc retiré le masque, et un hochet qui lui est associé, de l’exposition, avant de le rendre, le 7 février dernier, à la Confédération Haudenosaunee.

« C’est la première fois que l’on restitue des objets sacrés à une confédération autochtone, sans passer par le gouvernement canadien », se réjouit la directrice. La démarche ne s’arrête pas là. Pour que le public genevois comprenne les enjeux, le masque retiré ne disparaît pas simplement des mémoires des visiteurs, il est remplacé par sa silhouette, sorte de fantôme de cet objet, qui rappelle sa présence, et les raisons de son absence. « Nous souhaitons montrer au public que nous sommes en discussion permanente avec les populations dont sont issues les œuvres et les objets que nous présentons. Nous prenons vraiment en compte les questions de consentement, de droits, etc. »

Quel nom pour le  MEG ?
Une fois le procédé établi, les discussions autour du nom du musée pourront reprendre. Et Carine Ayélé Durand de nous faire une synthèse des nuances entre ethnographie, ethnologie et anthropologie. « L’ethnographie est très connotée début du XXe siècle. La discipline, qui devait à l’époque se légitimer face aux autres, s’imposer face à l’histoire de l’art ou l’archéologie, baigne dans un environnement colonial et d’oppression. » Elle a classifié, hiérarchisé les personnes et les ethnies, contribué au pillage des cultures, exposé leur artisanat et objets sacrés sans les consulter. Aujourd’hui, et depuis toujours en ce qui concerne la directrice du MEG, existe « le souci de travailler ensemble, de changer nos pratiques, en consultant systématiquement les communautés concernées. » La directrice rappelle que, bien avant la relance du débat, en 1992 déjà, le MEG a été le premier à renoncer à une tête Maori tatouée de sa collection pour la rendre, d’abord au Musée national de Nouvelle-Zélande, Te Papa Tongarewa, et ensuite, en 2011, au gouvernement de ce pays. Ces têtes Moko mokaï de guerriers morts au combat ont par la suite été restituées par tous les musées européens, à partir des années 2000, suite à une demande du peuple Maori. Il s’agissait de la première restitution à grande échelle.

Carine Ayélé Durand vient de fêter avec ses collaborateurs l’obtention du label THQSE pour ses actions sociales, sociétales, économiques et environnementales. Photo : Jonathan Watts


Du guerrier au sorcier
Histoire moins définitive, mais tout aussi éclairante, Carine Ayélé Durand se souvient avec humour du jour où elle a pris la mesure de la nécessité impérieuse de dialogue. Elle était alors doctorante et employée au Muséum d’histoire naturelle de Lyon. Parmi les objets en réserve, qui concernaient les Ojibwés, peuple autochtone du Canada et des États-Unis établis autour des Grands Lacs, une « parure de guerrier », disait l’inventaire des collections. « J’étais responsable des collections des Amériques. Je passais en revue toute la collection amérindienne avec une personne issue de cette culture. Et soudain, on se trouve devant cet objet si beau, perlé de fleurs, de feuilles, et le descendant des Ojibwés, légèrement moqueur, me dit un guerrier ne mettrait pas ça, voyons .» Il s’agissait en fait d’un sac de médecine, destiné à recueillir des plantes. Logé au fond de la poche se trouvait une ancienne étiquette, sur laquelle était écrite « accoutrement de sorcier ».

Le sujet de thèse de Carine Ayélé Durand était tout trouvé : elle se lance en 2005 dans une étude comparative de deux projets de collaboration entre musées européens et peuples autochtones, et contribue à transformer en profondeur les pratiques muséales, en conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007. « Il y avait une tendance à dire que c’était plus compliqué pour les musées européens, qui se situaient loin des cultures premières. J’ai rétorqué que c’était une question de volonté et de méthode, pas de géographie. Et prouvé. Il y a par exemple une grande diaspora Maori à Londres. Et j’ai également travaillé sur les peuples autochtones d’Europe, les Samis notamment, qui habitent une zone couvrant le nord de la Suède, la Norvège, la Finlande et la péninsule de Kola, en Russie. » En effet, on ne dit plus « Lapons », terme étranger péjoratif issu de la racine lappar qui signifie morceaux, haillons, et par extension porteur de haillons en suédois.


L’ethnie des Minas
Quand on lui fait remarquer qu’elle s’est intéressée à plusieurs peuples, lorsque beaucoup de ses confrères se concentrent sur une région ou une population, Carine Ayélé Durand, dont le double prénom est un indice, explique : « Je n’avais pas envie d’être enfermée dans une seule origine, étant moi-même issue de plusieurs cultures. » Née à Lyon, elle grandit dans le sud de la France, avant de retourner dans la ville de Rhône-Alpes et d’assister chaque année à Genève à la conférence des peuples autochtones. Son deuxième prénom est issu de l’ethnie des Minas, une population ghanéenne ayant émigré pour peupler le sud du Togo et du Bénin. Ses grands-parents étaient togolais et libanais, et sa mère, métisse du Togo, a épousé un Béninois. « Mes parents sont du même clan, de la même famille, de la même ethnie, alors qu’ils viennent de deux pays différents, car les populations se sont réparties de manière horizontale, quand on a découpé les territoires à la verticale. » Chez les Minas, les prénoms définissent le clan, mais aussi l’ordre de naissance et le sexe. « Ayélé signifie que je suis la première née d’un homme du clan Tougban. Parfois, le prénom ne définit pas l’ordre de naissance, mais le jour. L’exemple le plus illustre, depuis Kofi Annan, est Kofi qui veut dire né un vendredi. » Carine Ayélé Durand aime être porteuse de pluralité, de différents points de vue sur un même sujet: « J’ai donc choisi des thématiques, plutôt que des géographies durant mon parcours d’ethnologue. »

« Je n’avais pas envie d’être enfermée dans une seule origine, étant moi-même issue de plusieurs cultures. »

Thématique plutôt que région, c’est aussi le cas pour la prochaine exposition du MEG, à découvrir dès le 5 mai. Être(s) ensemble s’articule autour de l’interrelation entre humains et non humains, toujours dans l’optique environnementale qui est celle d’un cycle du musée commencé en 2020. L’exposition préparée par la conservatrice Federica Tamarozzi part de l’harmonie rompue entre les humains et la nature pour s’attarder sur ceux qui aujourd’hui renouent avec la communication inter-espèces, au nom du vivant dans toute sa globalité.

L’exposition enthousiasme la directrice, tout comme la prochaine ou la précédente, Helvécia, une histoire coloniale oubliée. Sa nouvelle fonction exige qu’elle délègue l’expertise pointue pour être dans des domaines qu’elle affectionne également : la supervision, la coordination, la narration. Et le dialogue encore, non plus seulement avec les peuples autochtones, mais avec les directrices et directeurs des autres musées de Genève, les publics, et les collaborateurs, avec lesquels elle vient de fêter l’obtention de la médaille d’or du label THQSE. Il certifie les actions sociales, sociétales, économiques et environnementales que le musée a mises en place depuis plusieurs années, permettant au MEG de devenir le premier musée labellisé THQSE en Europe, et la première organisation en Suisse. Le succès est celui d’une équipe dans son entier, que l’on sent soudée et dont on ne peut que constater la créativité en se rendant au MEG.

Carine Ayélé Durand

1975 Naissance à Lyon.
1999 Diplôme d’études approfondies (DEA) en ethnologie, à Aix-en-Provence.
2010 Doctorat en anthropologie au Trinity College de Cambridge.
2015 Conservatrice en chef au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).
2022 Elle devient directrice du MEG.
1975 Naissance à Lyon.
1999 Diplôme d’études approfondies (DEA) en ethnologie, à Aix-en-Provence.
2010 Doctorat en anthropologie au Trinity College de Cambridge.
2015 Conservatrice en chef au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).
2022 Elle devient directrice du MEG.