Art & DesignDans Le Décor

Nathalie Herschdorfer L’image pour s’ouvrir au monde

Apres avoir dirigé le Musée des beaux-arts au Locle, la Neuchâteloise vient de prendre ses fonctions à Photo Elysée à Lausanne en juin dernier. Férue d’actualité, elle veut faire de son musée un lieu en réseau.

Habillée en bleu monochrome, Nathalie Herschdorfer se sent chez elle dans «ce bâtiment icône, sculptural, très dessiné».

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

En ce mardi jour de fermeture de photo élysée, nous avons ce lieu majestueux rien que pour nous. Pour entrer dans le cube fissuré, on passe par ses failles. Elles laissent entrer la lumière davantage qu’une porte. Elle arrive comme telle, Nathalie Herschdorfer, habillée en bleu monochrome, tote bag orange en bandoulière, look japonisant qui s’accorde à l’aspect très épuré du lieu. Elle est chez elle. Entre les murs mobiles du musée, dans les clairs obscurs des jeux de lumière, «dans ce bâtiment icône, sculptural, très dessiné», qui abrite aussi le mudac. La collaboration entre les deux institutions est évidente dès l’exposition inaugurale, préparée par sa prédécesseure Tatyana Franck. Elle se poursuivra. Cet automne, nous verrons comment les images d’aujourd’hui nous racontent la guerre, en lien avec l’Ukraine.

Cette férue d’actualité, sidérée lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est notamment abonnée en ligne au New York Times, au Monde, à Libération ou encore à 24 heures. Le week-end, elle tient à ses versions papier de la presse hebdomadaire. «Là, c’est essentiellement le texte qui compte, et les points de vue des rédacteurs de journaux bien précis dans une culture bien précise. Les photographies sont tout aussi orientées, selon qu’elles sont prises par un photographe européen, ukrainien ou russe.» Alors que le conflit révolte ou inquiète l’Europe entière, Nathalie Herschdorfer se sent d’autant plus concernée que sa famille est originaire de Przemysl, dans le sud-est de la Pologne, à la frontière de l’Ukraine. Depuis février, la ville est une des portes d’entrée en Europe pour les populations qui fuient la guerre. «Mon grand père a fui la Pologne pendant la Deuxième Guerre mondiale, donc je fais automatiquement des parallèles.»

Étudiante, elle a appris le russe, car c’était une façon de se rapprocher de ses origines slaves. L’époque était tout autre: l’Union soviétique s’effondrait, Gorbatchev menait sa perestroïka, l’Est se révélait au monde et Nathalie partait à sa rencontre, heureuse de pouvoir enfin regarder à l’opposé de l’Occident et des États-Unis. À côté de ses études de langues et de littératures russe, elle étudiait l’histoire de l’art. Et c’est finalement cette discipline qui l’emporte. «J’ai compris que l’on pouvait s’ouvrir au monde autrement que par les langues: par les images.» Mais l’intérêt premier reste celui de découvrir et de faire découvrir d’autres cultures et façons de penser. À travers les photographies ou d’autres médiums, en collaborant notamment avec le MCBA et le mudac.

Nathalie Herschdorfer veut faire de son Photo Élysée un lieu en réseau, collaborant avec d’autres musées à travers la Suisse et le monde, un endroit où penser et ressentir les images, un rendez-vous privilégié avec le public, mais aussi les artistes. «J’aimerais explorer d’autres programmes, par exemple des conversations avec des photographes, à diffuser plutôt en ligne et qui seraient indépendantes des expositions. L’idée est de partager ce lien étroit que j’ai, de par ma fonction, avec les artistes. Ces conversations seraient destinées aux autres artistes, pas forcément au grand public.» À long terme, elles pourraient constituer une forme d’archive. Des idées comme celles-ci, Nathalie en a plein le carnet qu’elle emporte toujours avec elle. Ni journal, ni destiné à être lu par d’autres, il lui permet de garder une trace de ses journées, de noter des pensées qui émergent lors de rendez-vous, de lectures ou de moments avec elle-même. Des mots, ébauches d’images futures.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

SON EXPO DANS UNE BOITE

Il s’agit d’une boîte datant de 2017, qui tient dans la main et contient des photos au format polaroïd de l’artiste californien Todd Hido. «Avec cette boîte, on fait nous-même notre expo, en fonction de la manière dont on place les images, on se raconte une histoire.» Sauf que «l’accrochage» se fait plutôt sur une table que sur les murs, et qu’il est plus éphémère. «Le travail de Todd Hido est très cinématographique», en faisant défiler les images, on pense certes à Lost Highway, de Lynch, à une série TV qui se passerait en banlieue américaine, ou parfois, à un tableau de Hopper. Les images sont celles de motels, de routes, de paysages désertés. Les seuls personnages, ici ou là, sont des femmes, belles, mélancoliques, comme abandonnées à leur sort que l’on peine à imaginer joyeux, quelque soit l’ordre choisi aux photographies. Ce pourrait être un défi. Mais la boîte est celle de Nathalie. Et l’objet est rare.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

DES IDEES DANS SON CAHIER MUJI

Cela fait des années qu’elle prend des notes, toujours dans un cahier noir de la marque japonaise. Elle ne les relit pas toujours, mais elles rythment sa journée. Une page par jour, parfois davantage. «J’écris quand je suis en rdv, quand je suis avec mon équipe. Quand je pense à quelque chose. Je mets toujours la date.» Son écriture est belle, et le cahier ouvert est plus intéressant que fermé. Pourtant, même si les notes ne sont pas confidentielles, on est dans quelque chose d’intime, de jeté, de relativement désordonné, sans grand souci de forme ou de syntaxe. Elle cherche la page à photographier, celle qui ne dirait ni trop, ni pas assez. Hier, elle a énuméré les objets qu’elle nous montrerait aujourd’hui. Ce matin, avant de nous recevoir, cette idée, développée en séance, autour de conversations avec des photographes qu’elle aimerait enregistrer et diffuser, pour constituer une base de données à disposition des professionnels et des intéressés. Elle note aussi les collaborations qu’elle souhaiterait mettre sur pied pour mener à bien ce projet, notamment avec Images Vevey.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

L’ORIGINE DU MONDE VERSION BD

«C’est une bande dessinée que j’ai offerte à beaucoup de monde, en particulier à mes filles. Il s’agit d’une auteure suédoise qui fait des bandes dessinées admirables, très drôles et sur des sujets féministes importants.» Celle-ci, en lien avec le tableau de Gustave Courbet, est consacrée au sexe féminin et au regard porté sur lui par toute une galerie d’hommes, avec des conséquences dévastatrices. «Pères de l’églises, psychanalystes, sexologues, pédagogues, philosophes, Liv Strömquist raconte tout ce qui a été mis en œuvre pour soumettre les femmes.» En la promouvant, parmi d’autres artistes féministes, Nathalie Herschdorfer prolonge son engagement contre les discriminations, qu’elles soient raciales ou sexuelles.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

LE TOTE BAG ORANGE

Il a été conçu par le musée. Pour l’inauguration, il est sorti en plusieurs coloris, l’emportant sur le noir qui promet de durer. Pour son été, Nathalie a choisi la version orange, flashy bien que légèrement défraîchi par l’usure, alors qu’on la rencontre à la rentrée. «J’aime le jeu de mots, qui me correspond très bien, avec le To de photo et le See d’Elysée qui ressortent.» To see. Au musée ou ailleurs.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

LE LIVRE ANNOTE DE BALDWIN

Une lecture de jeunesse, lors de ses cours d’anglais au gymnase. Il est annoté sur quasiment toutes les pages avec une écriture petite, mais appliquée et lisible. «J’étais une bonne élève, et c’est un livre que j’ai lu avec beaucoup d’attention.» «La prochaine fois le feu» est un texte autobiographique au titre biblique, dans lequel l’auteur parcourt son enfance et sa vie de jeune adulte triplement discriminé, étant noir, homosexuel et pauvre. Il a été publié en 1963. L’auteur est plus actuel que jamais à l’époque du mouvement Black Lives Matter. Alors qu’elle était encore directrice du Musée des Beaux-arts au Locle, elle avait d’ailleurs présenté une exposition sur ce thème-là, autour de l’assassinat de Georges Floyd.

Lausanne, le 16.08.2022. Nathalie Herschdorfer, directrice du Musée de l’Elysée pour OFF Magazine. Photo: Sébastien Anex

LE PETIT CUBE JAPONAIS

Il s’agit d’un porte-encens japonais. «C’est un cube dont j’apprécie le design simple, basique et sobre, pour l’objet lui-même autant que pour sa fonction. Il a aussi un poids que je trouve intéressant, une vraie présence dans ma main.» Chez elle, il loge dans sa cuisine, parmi d’autres objets qui lui sont chers. Elle l’utilise régulièrement, avec un bâton d’encens, toujours japonais. C’est un rituel quotidien, mais périodique, l’été étant par exemple moins propice à ces odeurs qui accompagnent des méditations calfeutrées. Le cube cher à Nathalie Herschdorfer ressemble à une version miniature de son musée et on se dit à nouveau que la nouvelle directrice est à sa juste place.

Nathalie Herschdorfer

1989 Chute du mur de Berlin, un monde qui s’ouvre, une nouvelle Europe. Elle a 17 ans.
1996 Termine l’Université, avec la photographie comme spécialité. Elle a 24 ans.
2010 Elle se lance dans le monde de la photographie en indépendante et produit livres et expositions.
2014 30 ans, deux enfants, et un métier qui la fait voyager à travers les images. Travaille au Musée de l’Elysée.
2022 Après 8 ans au Musée des beaux-arts du Locle, elle retrouve Photo Elysée.
1989 Chute du mur de Berlin, un monde qui s’ouvre, une nouvelle Europe. Elle a 17 ans.
1996 Termine l’Université, avec la photographie comme spécialité. Elle a 24 ans.
2010 Elle se lance dans le monde de la photographie en indépendante et produit livres et expositions.
2014 30 ans, deux enfants, et un métier qui la fait voyager à travers les images. Travaille au Musée de l’Elysée.
2022 Après 8 ans au Musée des beaux-arts du Locle, elle retrouve Photo Elysée.