ScènePortrait

SANTA «  Ce projet ? Un acte de sincérité pure  »

APRES LA SORTIE DE SON PREMIER ALBUM SOLO, RECOMMENCE-MOI, LA CHANTEUSE NIÇOISE A EU LES HONNEURS DE LA SCENE DU CASINO, AU MONTREUX JAZZ FESTIVAL. RENCONTRE.

Un soir, seule dans sa chambre, Santa se met à improviser les premières notes de Popcorn salé. Ce sera un tube !

Elle se souviendra de cette première en Suisse, sur la scène mythique du Casino. Boule d’énergies positives, Santa a traversé cette heure de concert sur un manège d’émotions. Un fou rire lorsqu’elle a disparu derrière un nuage de fumée inattendu (un clin d’œil à Deep Purple et son légendaire Smoke on the Water ?). Des larmes quand le public a repris spontanément le refrain de Popcorn salé. L’ivresse, elle, était totale, au moment de s’offrir un bain de foule, juste avant de poser le point final à son spectacle. C’est sûr, Montreux se souviendra de ces cinq lettres floquées en rouge sur le dos de son perfecto, tant la jeune femme a séduit par sa spontanéité et par son talent. Son medley, improvisé, entremêlant les paroles de Désenchantée, de Mylène Farmer, et du Paradis Blanc, de Michel Berger, a en tout cas révélé une artiste authentique, sans chichis, qui s’éclate à faire de la musique, bondissant sur le piano avec sa Gibson en bandoulière, ou plaisantant avec son batteur. Vivement la tournée en 2025 !

Quelques semaines plus tôt, j’avais rencontré Santa au sixième étage de la Tour RTS pour la sortie de son album. Elle venait à peine d’embraser le plateau de l’émission C à vous, sur France 2, pendant le Festival de Cannes, avec son nouveau single, Recommence-moi. Au cours de notre conversation, elle s’amusa à compter le nombre de grues (13) qui s’élèvent dans le ciel de Genève. « C’est le paradis pour moi », s’exclama-t-elle, en référence à sa performance à 40 m du sol, à Bruxelles en 2023, attachée à son piano. « Je souhaitais proposer, pour ma première image en live, quelque chose de poétique. Je me suis battue pour que ce geste – qui donnera le ton de tout le reste – soit le plus spectaculaire possible. » Mais elle avait aussi pris le temps d’évoquer son affection pour la Suisse. « De cette extravagance qu’on trouve en Valais aux artistes torturés en Gruyère, votre pays offre plein de territoires différents. J’ai envie de créer une histoire qui représente cette folie douce. » À ses yeux, Montreux, avec ses légendes, était le meilleur des points de départs pour écrire le premier chapitre de cette histoire. « Je ne vous dis pas le nombre d’archives que j’ai regardées de ce festival. En faire partie désormais peut me donner le vertige ! »

Qui est Santa ? Qui est cette jeune femme de 31 ans qui a soudain régalé les ondes avec son Popcorn salé ? La Niçoise s’est d’abord fait une place au soleil, sur la scène musicale, avec son groupe, Hyphen Hyphen, formé avec Adam, son ami d’enfance, et Line, rencontrée sur les bancs du Lycée Masséna. Une Victoire de la musique, trois albums, des collaborations prestigieuses avec Lacoste et Yves Saint Laurent, un titre, Too Young, choisi comme hymne officiel de l’Euro féminin en France… Le trio fait l’unanimité, remplissant les salles de concerts en Europe en arborant un trait noir sur la joue en signe de ralliement. « Hyphen » ne signifie-t-il pas « trait d’union » en grec ?

Un soir, seule dans sa chambre, derrière son piano, Santa, poussée par une fulgurance artistique, se met à improviser les premières notes de Popcorn salé. Rien de prémédité. « Une série de chansons m’est arrivée comme ça, sans savoir ce que j’écrivais », raconte-t-elle aujourd’hui. « J’étais spectactrice de ce qui m’arrivait. Je les ai capturées sur deux partitions, avec des ratures partout, et je les ai gardées au milieu d’un tas de feuilles de dessins sans savoir ce que j’allais en faire. » L’histoire aurait pu s’arrêter là. La jeune femme se décide pourtant à faire écouter l’intro de Popcorn salé à ses deux comparses. « Ils m’ont encouragée à sortir cette chanson, ça a démarré par un élan d’amitié qui m’a poussée à choisir l’incarnation. » Est-ce le propre de tout leader de vouloir faire, à un moment ou un autre, la route en solitaire, à l’instar de Phil Collins (Genesis), Sting (The Police) ou George Michael (Wham !) ?

Foudroyant d’authenticité

Si elle salue les références, Santa s’en distancie avec humilité : ce projet ne répond pas à un besoin d’égocentrisme. Il est né « par la force des choses ». « J’ai la chance de pouvoir cristalliser ce qu’il y a en moi, de prendre un peu de distance, ce qui est un luxe, et même de me comprendre. On est vraiment face à un acte de sincérité pure. Ces chansons, j’ai décidé de les habiller afin qu’elles aillent dans l’oreille de l’autre. » Ce n’était pas gagné d’avance ! Popcorn salé a mis plusieurs mois avant de devenir le tube qu’il est aujourd’hui. La Niçoise a dû se battre pour faire accepter ce titre sur les radios – avec ses trente secondes d’intro et sa durée de quatre minutes. Mais le succès n’est-il pas plus savoureux quand il est dicté par le bouche-à-oreille ? Santa, elle, dit qu’elle n’a jamais douté. « Quand j’ai une idée en tête, je ne laisse jamais le doute la tiédir ou la diluer, sinon, c’est l’anéantissement total ! » Elle savait, elle sentait, que, si cette première chanson ne marchait pas, la suite ne naîtrait jamais…

Car la jeune femme se met à nu sur cet album. Comme sur la pochette, elle se présente, en plan serré, les yeux dans les yeux, avec ses fêlures, ses questionnements, ses impudeurs. Elle y parle de nostalgie, d’amitié, de différences, de tolérance… Santa n’a d’ailleurs jamais caché ses convictions. « Je suis queer, hypersensible et intranquille », disait-elle au journal Le Parisien. Ce disque est à son image : audacieux, foudroyant d’authenticité. Il rappelle les grandes années de la variété française. De France Gall (Eva) à Véronique Sanson (La Différence), il y a des réminiscences, dans la voix, dans les rythmes, qui interpellent et font dresser les poils. « Je n’ai pourtant pas grandi avec elles », sourit la Niçoise. « Mes références sont plus anglo-saxonnes (ndlr. sa mère, Diana Eckert, chanteuse du groupe Daisy Duck, décédée en 2019, était américaine). Mais Véronique Sanson avait aussi ces références-là. Je le vois dans ma manière d’apposer les mots, de les faire claquer, qui lui ressemble. »

Sur les pas de Céline Dion

D’où vient cette envie de se raconter, de « chanter le monde » – comme elle le proclame ? Est-ce « le rôle de [sa] vie » ? Santa est une femme engagée. Elle ne s’en cache pas. Lorsque les Enfoirés l’invitent à rejoindre la troupe, en janvier à Bordeaux, elle n’hésite pas une seconde. « Mais je ne suis pas engagée de manière radicale, puisque je fais un art. La radicalité est le pire des réflexes, car il est agressif. Dans mon geste artistique, il y a un engagement poétique ! » D’ailleurs, la Niçoise aime les mots, il y a une part de ludique dans sa manière d’écrire. « Mon cerveau adore les jeux de mots et les blagues de daron. (rires) Je jongle avec le verbe, j’essaie de trouver le mot juste. Je me bats beaucoup, parce qu’il faut que tout sonne. Il est là, le défi, dans la rime, dans le sens, dans la mélodie. Je m’amuse, parfois dans la douleur. Il y a un mot pour décrire ça… C’est le travail, non ? »

« Quand j’ai une idée en tête, je ne laisse jamais le doute la tiédir, sinon, c’est l’anéantissement total ! »

Santa a profité pleinement de son passage sur la scène mythique du Casino de Montreux. Une heure de concert où elle a embarqué le public dans son univers pétillant.

Mais il y a surtout cette voix, puissante et subtile à la fois, « avec ces petites poussières qui permettent la faille ». Elle avait pris l’habitude de chanter en anglais avec Hyphen Hyphen. Elle retrouve la langue de Molière avec un certain bonheur. « En français, c’est moins show off, le mot claque tellement différemment dans la gorge, dans la manière de raconter, que je n’avais pas besoin de la parade de la technicité. » Alors qu’elle tournait en rond dans sa chambre, la Niçoise s’est même résolue à pousser les portes du studio dans lequel Céline Dion et Jean-Jacques Goldman avaient enregistré l’album D’eux en 1994. « Pour certaines chansons, j’étais esclave d’une technique qui ne suivait plus », explique-t-elle. « J’avais envie de reproduire ce cristallin dans la voix qui parvient à transpercer l’âme. Céline et moi n’avons pas le même instrument, certes, mais nous cultivons une envie commune de parler aux gens avec le chant. » Santa s’est attelée à supprimer tous les apparats pour raconter son histoire, tout en maîtrisant toute la chaîne de création de A à Z. « Cet album est un dépassement de moi : il exprime tous mes trop ! » Cette sincérité, cette générosité, transpirent dans chaque note, à chaque respiration. Préparez-vous à prendre une claque ! « Douce, la claque… », sourit-elle. Comme une promesse.

« Recommence-moi », par Santa. Warner Music.