ScèneInterview

Joseph Gorgoni – « Je traverse la vie en 1re classe »

Alors qu’il vient de publier un livre, TransPlanté, aux éditions Favre, qui raconte ses problèmes de santé en 2020 et revient sur les moments forts de son parcours artistique, l’humoriste genevois se réjouit aussi de célébrer les 30 ans (de carrière) de Marie-Thérèse Porchet dans les salles de Suisse romande. Rencontre chez lui à Bardonnex.

Joseph Gorgoni habite depuis douze ans, lui, le citadin, au milieu du village de Bardonnex, à quelques pas du Café Babel. Dans une maison qui appartenait au père de Florian, son compagnon depuis 23 ans. « C’était une ruine, mais elle était protégée, on ne pouvait donc pas la détruire », raconte-t-il. « On a décidé de tout casser à l’intérieur et on a fait deux plateaux. » Le Genevois est en tournée avec le cirque Knie pendant les travaux et, quand il découvre le résultat, il se dit que la campagne n’est peut-être pas aussi ennuyeuse. « J’ai quand même gardé mon appartement en ville pendant un an… »

Aujourd’hui, Joseph Gorgoni ne changerait de vue pour rien au monde. Il vit au premier étage, dans un bel espace qui fait la part belle à la culture pop des années 70-80. La silhouette de Mickey, omniprésente, voisine avec un buste de Goldorak, un canapé Bubble et la statue d’un stormtrooper. « Il y a un rapport à l’enfance, c’est certain ! Cela coûte un bras, mais j’adore ça. » L’humoriste a une fin d’année chargée avec la sortie de son livre, TransPlanté, aux éditions Favre, qui relate, comme le spectacle éponyme, ses déboires de santé en 2020 : après une transplantation pulmonaire, afin de neutraliser une fibrose inéluctable, il contracte une forme sévère de Covid-19. Plongé dans le coma pendant 42 jours, il est alors victime d’un mucor, un champignon potentiellement mortel qui pourrait attaquer le cerveau. Aujourd’hui, il en rit, sur scène comme dans les pages de son livre, mais, sur le moment, il ne fait pas le malin. Sentiment d’avoir survécu à un tsunami ! « Je vais bien », rassure-t-il, trois ans après, jour pour jour. « Je fais mes tests régulièrement, je viens de faire ma sixième dose de vaccin pour le Covid. Je suis un tout petit peu plus essoufflé qu’avant, mais il y a aussi une question d’âge… »

Joseph Gorgoni a également commencé à célébrer les 30 ans (de carrière) de Marie-Thérèse Porchet. Un spectacle que le Genevois va emmener à travers la Suisse romande en 2024. Le public, lui, est au rendez-vous, puisque plusieurs salles affichent déjà complet. L’occasion était donc trop belle de parler, avec lui, de sa carrière, de sa santé et de son personnage fétiche.



OFF : Vous avez frôlé la mort en 2020. Qu’est-ce que cette épreuve a changé en vous ?
Joseph Gorgoni : Tout et rien. J’ai l’impression de vivre comme avant, mais avec une conscience de la mort que je n’avais pas. J’ai toujours vécu au jour le jour. J’ai été confronté à des choses pas très drôles, dans ma jeunesse, avec l’époque du sida, où j’ai perdu pas mal d’amis. La mort a donc toujours été assez présente dans ma vie. Mais, tant que ça ne te touche pas personnellement, tu te crois préservé. Alors, quand ça t’arrive, il y a forcément quelque chose qui change. Je suis simplement content de refaire tout ce que je sais faire.

OFF : Combien de temps vous a-t-il fallu pour être à nouveau sur pied ?
JG
 : Pour le coma, cela a été compliqué : je suis resté 42 jours allongé et, quand on se réveille, il n’y a plus rien qui fonctionne. Comme je suis un ancien danseur, j’avais quelques restes : cela m’a aidé. Mais, quand je suis revenu ici, je n’arrivais pas à manger tout seul, je tremblais comme une feuille. J’ai mis un mois avant de marcher à nouveau, puis de parler. J’avais tellement envie d’être indépendant que c’est allé assez vite…

OFF : Votre objectif était-il de revenir sur scène aussi rapidement que nécessaire ?
JG : Cela peut paraître complètement absurde, mais ma vie, c’est la scène. Si je ne fais pas ça, je ne sais pas ce que je ferais d’autre. Et puis, j’avais besoin de raconter cette histoire, je me l’étais promis si je m’en sortais.

Trois ans après avoir frôlé la mort, Joseph Gorgoni est heureux de ne pas avoir de séquelles et, surtout, de pouvoir remonter sur scène. « C’est ma vie ! Si je ne fais pas ça, je ne sais pas ce que je ferais d’autre. » Photo : Nathan Hausermann.

« Je ne pensais pas que je gagnerais ma vie en faisant rire et, encore moins, en mettant des robes. »

Photo : Nathan Hausermann.

OFF : D’où venait cette envie ?
JG
 : S’il n’y avait eu que la greffe des poumons, je n’en aurais jamais parlé. Mais, quand on est à l’hôpital, on croise tellement de monde… Je suis observateur et j’ai un peu l’esprit tordu : je me suis dit assez vite qu’il fallait en faire un spectacle. Cela s’est présenté comme une évidence. Mais ce n’était pas pour raconter que j’ai été malade, c’est pour amuser les gens. Je n’ai pas d’autres prétentions. Ce spectacle est devenu ce qu’il est, il provoque beaucoup d’émotions dans le public et, surtout, il aide beaucoup de gens. Cela m’a surpris de voir les spectateurs rire autant. Puis, quand j’ai reçu tous ces messages de personnes qui ont traversé les mêmes épreuves que moi, je me suis dit que, pour une fois, c’était peut-être un peu plus que de la rigolade…

OFF : Le regard du public a-t-il changé ?
JG
 : Je ne suis pas complètement naïf, je sais que les gens aiment bien ce que je suis depuis trente ans. Mais, quand l’article est paru dans L’Illustré, les réactions ont été hallucinantes. Les lettres manuscrites, les boîtes de chocolats et de biscuits reçues ici, les conseils pour aller mieux… C’était hallucinant. Aujourd’hui, et c’est bizarre, les gens me touchent, comme si j’étais un miraculé.

OFF : Vous étiez déjà monté sur scène sans le costume de Marie-Thérèse, en 2015, pour le spectacle De A à Zouc. Cet exercice vous plaît-il ?
JG 
: Je ne me suis jamais caché. Mais, forcément, c’est différent. Avec Marie-Thérèse, c’est un enchaînement de gags en continu. Lorsque j’ai travaillé avec Pierre Naftule pour De A à Zouc, il y avait des choses, pas vraies, que je n’avais pas envie de dire sur scène… Et, arrivé à la cinquantième, j’ai tout arrêté, parce que je commençais à prendre des tics. Je me voyais jouer et ça ne me paraissait plus réel.

OFF : C’est donc une autre manière d’écrire et de jouer…
JG
 : Complètement. TransPlanté, ce n’est pas un spectacle pour faire rire à tout prix, même si le public rigole beaucoup… Mais ce n’est pas le même genre de rires : les gens rient avec moi, tandis qu’ils rigolent de Marie-Thérèse.

OFF : Venons-en à Marie-Thérèse, justement ! Lorsque vous l’avez créée en 1993, avec Pierre Naftule, imaginiez-vous un seul instant qu’elle ferait une si belle carrière ?
JG
 : C’est impossible d’imaginer un truc pareil. Et, comme je l’ai dit mille fois, je ne me destinais pas du tout à ça. J’étais danseur, je voulais chanter, faire des disques, je ne pensais pas que je gagnerais ma vie en faisant rire et, encore moins, en mettant des robes. Mais, en fait, j’ai trouvé pour quoi j’étais fait et, quand on a un succès pareil, on n’a pas besoin de se forcer. Tout ce qu’on a fait en trente ans, je l’ai fait avec un plaisir de dingue. Déjà ma rencontre avec Pierre… Si on n’avait pas travaillé ensemble, on ne se serait jamais croisés, tant on était différents.

OFF : Comment ce personnage est-il né ?
JG
 : Ma grand-mère m’a beaucoup marqué, quand j’étais petit. J’ai aussi travaillé dans un bureau, pour me payer mes cours de danse : ma cheffe, Madeleine, qui n’est plus là maintenant, m’a servi d’inspiration, notamment pour la voix. Quand Pierre m’a engagé comme danseur à la Revue, je prenais souvent cette voix pour faire marrer mes copines danseuses. Pierre avait l’œil pour ça et il s’est tout de suite mis en tête d’en faire quelque chose : Marie-Thérèse est devenue la cheffe des téléphonistes. J’ai trouvé une vieille perruque au marché aux puces, j’ai mis un peu de rouge à lèvres, je n’avais pas encore de poitrine… Mais tout était là, la voix, tout. Comme je chante et danse, ce qui est rare dans l’humour, les gens ont tout de suite apprécié.

OFF : Comment expliquer un tel succès ?
JG
 : Cela ne s’explique pas. C’est beaucoup de travail, c’est sûr ! Après, le fait de rencontrer un public, ça reste mystérieux. Pourquoi cela a plu ? Pourquoi cela continue à plaire ? Difficile à dire ! De notre côté, nous faisons en sorte que cela soit joli à regarder. Je ne triche pas. Je ne fais pas de trucs, en me disant que ça va marcher. Je m’amuse beaucoup et on me le rend bien.

OFF : Et l’idée de monter à Paris est venue d’où ?
JG
 : Quand on a commencé La truie est en moi en 1996, il y a eu un tel succès qu’un producteur français nous a proposé de le monter à Paris. À l’époque, ce n’était pas un but en soi. Paris, c’est un peu chez moi, j’ai beaucoup travaillé là-bas, notamment avec Cats, j’y ai plein d’amis. Je ne l’aurais pas fait si ça avait été ailleurs… Mais ce qui m’a motivé, c’est que 99 % des gens nous ont dit que nous étions cinglés, que ça ne marcherait jamais, que c’était trop suisse… Qu’est-ce qu’on avait à perdre ? On devait faire 100 représentations, on en a fait le triple.

Photo : Anne-Sophie Et Benoît De Rous/A La Volette

OFF : Vous aimez ce genre de défis ?
JG
 : Pour ce qui est de mon métier, oui, mais ça s’arrête là. Je ne suis pas du tout casse-cou. Je suis très suisse. Pour Cats, c’était pareil. Je ne voulais pas aller passer l’audition, parce que j’avais déjà une espèce de vie. Je vivais avec quelqu’un, j’avais un job et je n’avais que 21 ans. Heureusement que j’ai pris ce risque-là…

OFF : Apprendre le schwytzertütsch et aller faire un spectacle outre Sarine, c’était aussi un sacré risque, non ?
JG
 : Oui, pareil… Tout le monde m’a dit que j’étais complètement fou, parce que les Suisses allemands n’ont pas le même humour que nous. C’était une période de cinq-six mois où je n’avais pas de spectacles. J’ai bossé avec un coach qui a enregistré toutes les phrases, je les ai apprises phonétiquement, et ça m’a fait rire. Les quinze premières répliques, j’ai mis un mois à les maîtriser. À ce moment, j’étais prêt à jeter l’éponge. Un déclic s’est produit dans ma tête et, d’un coup, tout était plus simple. Ce texte-là, je pourrais le ressortir demain et refaire le spectacle. En revanche, je ne sais toujours pas parler le suisse allemand…

OFF : Pouvez-vous faire dire n’importe quoi à Marie-Thérèse ?
JG
 : À peu près, je crois... (rires) Les gens doivent comprendre que c’est un personnage. Marie-Thérèse dit souvent des trucs homophobes, racistes, mais ça passe, parce qu’après, ça lui retombe dessus. Les gens l’acceptent, peut-être parce que ça vient de moi, parce qu’on sait que ce n’est pas moi qui pense ce genre de choses. Avec Marie-Thérèse, on peut se permettre de dire beaucoup de choses, que je n’oserais jamais dire si je n’étais pas grimé. C’est une espèce de marionnette !

OFF :  C’est le premier spectacle de Marie-Thérèse que vous faites sans Pierre Naftule. Un moment particulier, non ?
JG
 : Cela fait trente ans que je n’avais rien fait d’autres que travailler avec lui. Je me demande parfois comment je vais faire… Mais j’ai tellement appris avec lui pendant toutes ces années. Avec Sébastien (Corthésy), Thomas (Wiesel) et Blaise (Bersinger), il y a cette jeunesse qui me challenge et me nourrit. La manière de travailler est un peu différente. Mais, Pierre, on ne le remplacera jamais. Il avait une manière de faire qui est unique. Je disais deux phrases, il écrivait deux pages. Il savait où mettre les mots… J’arrive à le faire maintenant, mais ça ne sera plus tout à fait la même chose.

OFF : Vous dites qu’il est toujours présent. Qu’avez-vous gardé de cette période ?
JG
 : J’ai tellement travaillé avec lui. On se voyait tout le temps et il y avait des sortes d’habitudes d’écriture, de travail… Quand je bosse seul, ici, je me demande très souvent comment Pierre aurait fait, cela m’aide. J’ai l’impression de ne pas être seul. Et si je me sens seul, je téléphone à Seb ou à Blaise pour qu’ils me conseillent…

OFF : Revenons au début de votre carrière ! D’où vient cette envie de danser ?
JG
 : Je l’ai depuis toujours, depuis que je sais parler, marcher. Petit, quand on me demandait ce que je voulais faire, je répondais chanteuse, parce que j’étais fan de Dalida et de Sheila. Et un jour, j’ai découvert Nina Hagen et j’ai voulu devenir Nina Hagen… J’avais envie de faire de la danse, mais, dans les années 70, c’était compliqué pour les garçons. Mon père a refusé. À l’âge de 15 ans, j’ai arrêté l’école et commencé un apprentissage pour me payer des cours. J’étais doué, en quatre ans, je suis devenu professionnel. Je me suis tout de suite retrouvé dans mon univers. Et là, j’ai eu de la chance : je me suis présenté à Cats et j’ai été engagé… Mais je n’ai pas dansé très longtemps, car j’étais frustré : je voulais chanter aussi.

OFF : Le chant était aussi naturel ?
JG
 : Je n’ai jamais pris de cours, ça a toujours été inné ! J’ai réussi à placer ma voix. C’est quelque chose que je fais tout le temps. Demandez à Florian, je casse les oreilles de tout le monde ! Quand j’ai eu mes problèmes de santé, avec la trachéotomie, sans parler pendant trois mois, je me suis dit que ça ne reviendrait jamais. Mais c’est revenu. Je ne vais plus aussi haut qu’avant avec Marie-Thérèse, mais personne ne s’en rend compte.

OFF : La comédie est donc arrivée totalement par hasard dans votre vie ?
JG
 : Ah oui ! J’ai appris à jouer au théâtre. J’adore faire ça. Je suis très observateur et je suis fan de cinéma. J’apprends donc en observant, avec la personne qui est en face de moi, avec le metteur en scène qui me guide. Mais je n’ai pas le sentiment que la comédie soit quelque chose qui s’apprend. En tout cas, être drôle, cela ne s’apprend pas. Je l’ai découvert malgré moi. Je faisais rire les copains, dans les soirées. Mais, quand on fait rire dans la vie, on ne le fait pas forcément sur scène. Et, puis, quand on comprend que, selon ce qu’on dit ou fait, il y a 500 personnes qui rigolent aux éclats, c’est incroyable. Il y a des fois où ça m’étonne encore !

OFF : Et dans la vie, est-ce que vous êtes drôle ?
JG
 : Je ne sais pas si je suis drôle tout le temps. Mais je suis assez joyeux. J’ai une bonne nature, j’aime bien rigoler. Mais, depuis trois ans, je pleure beaucoup. À cause ou grâce… Je ne sais pas. Je n’étais pas un pleureur du tout. Peut-être que je n’osais pas ? Mais quand je suis sorti de l’hôpital, je pleurais tout le temps. Dès que j’arrivais à faire quelque chose, les larmes coulaient. La première fois que j’ai conduit, la première fois que je suis remonté sur scène… Je pleure, mais ça me fait rire.

OFF : Marie-Thérèse est-elle toujours un personnage que vous jouez avec bonheur ?
JG
 : Je me réjouis toujours beaucoup. C’est très amusant à faire, Marie-Thérèse ! Et puis, encore une fois, je suis porté. À un moment, oui, à Paris, au bout de 350 représentations, je me suis dit que je n’allais pas faire ça toute ma vie. Mais je ne me suis jamais forcé, je n’ai jamais fait un spectacle sans en avoir envie.

OFF : Est-ce que vous vous posez la question de ce qu’aurait pu être votre vie sans elle ?
JG
 : J’ai eu beaucoup de temps d’y réfléchir, quand je n’avais pas d’autres choses à faire… Je pense que je serais devenu mort ou fou. J’étais un gamin assez compliqué. Ce qui m’a sauvé, c’est ma bonne humeur, cette manière de voir toujours le côté joyeux de la vie. J’ai quand même frôlé des moments où j’aurais pu mal tourner. Et, grâce au succès, cela m’a calmé, m’a fait m’aimer. Du coup, je traverse la vie en première classe.

INTERVIEW

– Joseph Gorgoni

Joseph Gorgoni

1966 Naissance le 10 mai à Genève.
1989 Tient l’un des rôles principaux dans la comédie musicale Cats à Paris.
1993 Apparition du personnage de Marie-Thérèse dans la Revue genevoise.
1996 Première tournée en Suisse avec La truie est en moi.
2001 Première tournée avec le cirque Knie. Il y en aura trois autres, en 2004, 2010 et 2018.
2008 Premier spectacle en suisse allemand : Uf Düütsch !
2015 Reçoit le prix de la Société suisse des auteurs pour son spectacle De A à Zouc.
2023 Son spectacle, TransPlanté, raconte son séjour à l’hôpital en 2020.
1966 Naissance le 10 mai à Genève.
1989 Tient l’un des rôles principaux dans la comédie musicale Cats à Paris.
1993 Apparition du personnage de Marie-Thérèse dans la Revue genevoise.
1996 Première tournée en Suisse avec La truie est en moi.
2001 Première tournée avec le cirque Knie. Il y en aura trois autres, en 2004, 2010 et 2018.
2008 Premier spectacle en suisse allemand : Uf Düütsch !
2015 Reçoit le prix de la Société suisse des auteurs pour son spectacle De A à Zouc.
2023 Son spectacle, TransPlanté, raconte son séjour à l’hôpital en 2020.