ScèneReportage

Crazy cabaret : La féminité en étendard

À Genève et à Lausanne, Secret Follies célèbre l’élégance rétro et le burlesque. Star d’un cabaret mythique de Paris, Jess Bennett y a donné une master class où la confiance en soi est choyée…

Gabby Novel est la directrice de l’école de danse Secret Follies depuis 2017. Un rêve éveillé pour elle!

PHOTOS Lucie Poirier

Un dimanche matin ensoleillé, au fond d’une allée calme du quartier de Champel, à Genève. L’une après l’autre, des jeunes femmes arrivent au studio de Secret Follies pour suivre la master class exceptionnelle donnée par Jess Bennett, danseuse professionnelle depuis 12 ans dans un cabaret emblématique du triangle d’or parisien. Elles sont huit, de niveau intermédiaire ou confirmé en danse, réunies pour profiter de la venue de cette star de la scène et bénéficier pendant deux heures de son enseignement.

Juste-au-corps moulant, bas résille et corset pour certaines, tenue légèrement plus ample pour d’autres, il n’y a pas de dress code, l’important est d’être à l’aise dans ses vêtements. Jess Bennett est professeur de danse depuis plusieurs années et prend visiblement beaucoup de plaisir à transmettre son savoir et ses «trucs» aux participantes. Elle commence la séance par quelques mots, à peine teintés de son accent britannique, sur la danse cabaret: «Il s’agit de mettre le corps de la femme en valeur, d’exagérer au maximum les courbes, les hanches, la cambrure du pied…» Il n’est pas question dans ce cours de postures inaccessibles, de grands jetés de jambes ou de positions spectaculaires, mais de faire prendre conscience aux femmes de leur corps et de leur donner confiance en elles. «Nous allons voir comment nous reconnecter de manière positive et plus sensuelle à notre poitrine et à notre bassin, une zone qui peut nous faire souvent souffrir, avec le cycle menstruel, l’accouchement», poursuit Jess Bennett. Le maître-mot du cours est la bienveillance, il n’y a aucune notion de performance ici, même s’il constitue aussi un véritable entraînement du corps, avec gainage de la ceinture abdominale et travail de tous les muscles, surtout ceux des jambes, très sollicités.

Les danseuses, elles, font face au grand miroir qui habille le mur du fond. Jess Bennett les guide: «Jambes écartées, on lève les épaules, droite, gauche, en arrière. On bombe la cage thoracique, on balance les hanches, droite, gauche, devant.» Le rythme s’accélère. «On se grandit, on garde le cou allongé, la poitrine vers l’avant.» Dès l’échauffement, le ton est donné, tous les mouvements sont sensuels et hyper féminins. Au bout de 30 minutes, les corps sont bien étirés et le cours de cabaret peut commencer.

La passion comme moteur

Le grand studio de danse de Secret Follies, aux murs peints de blanc et de rose, est baigné de lumière. Au fond, un coin boudoir évoque les coulisses de spectacles: chaises en bois posées devant un miroir équipés de spots, fauteuils tapissés de velours rose et grand canapé confortable. Derrière cet espace, il y a une femme, Gabby Novel, 32 ans, directrice de l’école de danse depuis 2017. Elle a succédé à Emma Mylan, qui avait fondé Secret Follies en 2010 et lui a proposé de reprendre le flambeau, alors que la jeune femme terminait tout juste ses études de droit. Diriger cette école ressemble à un rêve éveillé pour elle qui nourrit la passion de l’élégance rétro depuis l’enfance et qui est tombée dans la marmite de la danse en découvrant Secret Follies alors qu’elle habitait au-dessus du studio de la rue Alcide-Jentzer. «Ici, je suis dans mon élément. Ce qui est merveilleux avec notre école, c’est que même sans avoir pratiqué la danse avant, on peut commencer et monter sur scène après peu de temps.»

«Il s’agit de mettre le corps de la femme en valeur, d’exagérer au maximum les courbes, les hanches…»

Chaque année, les danseuses de l’école se produisent lors d’un spectacle au Casino Théâtre de Genève, pensé comme un «vrai» show, alternant numéros en groupe et en solo. Il offre à chacune la possibilité de vivre un rêve autrement inaccessible, celui d’avoir accès à des costumes de scène professionnels et de devenir à la fois costumière et chorégraphe. Avec une douzaine de professeurs, œuvrant au studio de Genève, ainsi que dans une deuxième antenne à Lausanne, et plus de 120 élèves, Secret Follies connaît un réel succès en Suisse romande. Burlesque, French cancan, danse avec éventails de plumes, floor work, chant, hula hoop… La diversité de l’offre répond à autant de demandes des femmes. Les cours ne comptent pas plus de dix élèves pour que règne une atmosphère intimiste et que chaque participante puisse recevoir l’attention du professeur.

Danseuse professionnelle depuis 12 ans dans un célèbre cabaret parisien, Jess Bennett prend beaucoup de plaisir à partager ses secrets de scène.

Devenir la femme que l’on est

Les danseuses enfilent leurs chaussures à talons hauts. Toute en grâce et souplesse, Jess Bennett les entraîne dans des postures et déhanchés flatteurs: «On soulève la taille vers l’avant, on fait sortir les fesses et on s’affine en faisant basculer le bassin en arrière.» Puis elle passe à la marche. La chanson The Way You Make Me Feel de Michael Jackson donne le tempo. Jess Bennett apprend aux danseuses à bien dérouler le pied sur le sol, du talon vers les orteils, et à marcher sans rouler les fesses, mais en se déhanchant de haut en bas. Elle les encourage: «Vous êtes grandes et bombastiques!»

Face au grand miroir qui habille le mur du studio, il n’y a aucune notion de performance pour les élèves! L’objectif de Jess Bennett est de leur faire prendre conscience de leur corps et de leur donner confiance en elles.

Si, pour être danseuse professionnelle dans un grand cabaret de la nuit parisienne, il faut avoir un corps qui réponde à des exigences précises, ici, les femmes sont toutes de corpulences différentes, de tous âges, et d’univers variés, et plus ou moins timides ou extravagantes. Dark Angel, Mademoiselle Nine ou encore Emimoon, les participantes confirmées de cette master class ont toutes un nom de scène, comme le veut la tradition du cabaret. Le temps du cours, Emilie, Marine, Noémie et les autres, endossent leur personnage, pour mieux se révéler à elles-mêmes. Dark Angel confie: «J’ai fait 20 ans de danse Modern Jazz, puis j’ai commencé le cabaret. Quand on entre dans ce monde, on n’a pas envie d’en sortir! C’est une bulle, un havre de paix, où l’on prend confiance en soi, en sa féminité. On apprend à s’accepter telle que l’on est, à oublier ses complexes.» Et d’ajouter: «Quand on fait de l’effeuillage, finir en soutien-gorge sur scène, c’est un énorme challenge, quelque chose de très intime. J’adore!»

«La danse de style cabaret est comme une porte, un outil vers la découverte de soi. C’est un moment où l’on peut être sexy sans jugement. Car c’est la femme qui est devant la glace que l’on cherche à séduire», explique Gabby Novel. Les femmes viennent au cours pour s’offrir un moment avec elles-mêmes et non pour faire plaisir à un homme. À une époque où l’on parle beaucoup de la montée en puissance des femmes dans la société, il semble qu’ici, les participantes trouvent une confiance en elles qui transparaît dans d’autres domaines de leur vie. Emimoon l’admet: «Je me rends compte que je peux faire des choses que je n’aurais jamais osé imaginer, comme mettre mon corps en avant, voire me dénuder. J’ai changé d’état d’esprit dans ma vie privée, les gens autour de moi me le disent.» Et Gabby Novel d’ajouter: «Certaines femmes arrivent le menton baissé, et rapidement, elles repartent avec une nouvelle assurance. Elles le sentent aussi dans leur vie personnelle, elles osent plus prendre la parole sur leur lieu de travail, par exemple.»

«C’est une bulle, un havre de paix, où l’on apprend à s’accepter telle que l’on est, à oublier ses complexes.»

«Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit!» Jess Bennett mène les danseuses dans une chorégraphie entraînante et pleine d’assurance. Du fond de la salle, les femmes chaloupent sur leurs talons vers le miroir, la tête bien droite, les épaules alignées, le corps souple. «Attitude! Nous sommes des déesses ou des statues grecques», les encourage la star de la nuit parisienne. «Montrez votre coude et votre cou, car c’est sexy.» Les corps se délient, souples, sensuels, chacune mettant en avant ce qui lui plaît de son corps. Aucune vulgarité, aucune gêne. «On apprend à se mettre en valeur, à se sentir belle, maquillée ou non», témoigne Mademoiselle Nine. «On se sent soutenues dans ce cours, jamais jugées, ni en compétition», ajoute une autre participante.

Une histoire de liberté

Comment ces femmes sont-elles venues à la danse cabaret? «J’avais vu le film américain Burlesque avec Cher et Christina Aguilera», raconte Emimoon. «J’ai cherché des cours de ce style et j’ai mis deux ans à me décider. J’ai commencé par le burlesque en 2018 (ndlr. performance scénique où les danseurs pratiquent le strip-tease), j’étais venue chercher la paix avec mon corps.»

Depuis les années 1990, les comédies musicales américaines, comme Moulin Rouge, Burlesque, Chicago, et le succès international de Dita Von Teese, ont remis au goût du jour les danses de style cabaret, et l’engouement est fort. Les salles des grands cabarets de Paris, tels que le Crazy Horse, le Lido et le Moulin Rouge ne désemplissent pas depuis la fin de la crise sanitaire, même si les fermetures prolongées ont beaucoup fait souffrir ces établissements. Près d’un siècle et demi après la naissance des premiers cabarets à Paris, cet art scénique reste bien vivant et apporte toujours autant de joie grâce à la qualité des performances et à leur état d’esprit festif.

À Genève, Gabby Novel nous confie que le succès de Secret Follies lui permet d’envisager l’ouverture de son propre café-théâtre. Un projet très réjouissant encore à l’état d’esquisse. «Nous aimerions également ouvrir un cours dédié aux hommes pour faire du boylesque, c’est-à-dire un strip-tease rétro exclusivement masculin.  De son côté, Jess Bennett donne de plus en plus de cours à des transgenres, qui cherchent à rendre leur gestuelle et leur démarche plus féminine. Le cabaret est donc ouvert à tous. Avis aux amateurs!