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Manu Lanvin : il vient de là, il vient du blues

Entre deux concerts, le bluesman évoque son parcours, sa filiation avec Gérard, l’acteur, son attachement à Claude Nobs et sa passion pour un genre musical qui l’habite. Malgré un talent certain et des collaborations prestigieuses, le chanteur reste d’une simplicité désarmante. À (re)découvrir absolument !

Il a la bougeotte, Manu Lanvin. Bluesman émérite, amoureux de la scène depuis qu’il l’a foulée la première fois, à l’âge de 15 ans, il sillonne les routes, au gré des invitations qui lui permettent de porter la bonne parole : celle du Diable. « Certains courants religieux interdisent encore aux enfants d’écouter de la musique », s’offusque-t-il. « Alors, si la musique est l’œuvre du Diable, je veux bien l’incarner ! Je préfère ça aux mecs qui rentrent au Bataclan et qui descendent tout le monde au nom d’un Dieu. » Le ton est donné.

C’est donc sur la route, quelque part entre Paris et Berlin – où il doit donner un concert le soir même – que le chanteur répond à nos questions, avec une décontraction étonnante. « Quand on fait de la musique, on mène une vie nomade », prévient-il. « Moi, ça m’éclate d’aller de ville en ville, de voir de nouveaux visages. »

Artiste de père en fils
Issu d’une famille d’artistes, Manu Lanvin est le premier enfant de Gérard, l’acteur, et de l’ex-chanteuse de disco, Jennifer. Ses parents fréquentent pléthore de musiciens et depuis sa plus tendre enfance, leur fils traîne dans les backstages de groupes tels que Téléphone. Il en profitera pour titiller la batterie de Richard Kolinka, ou tripoter les boutons des consoles dans les studios où enregistre sa mère. Face à ceux qui le prennent pour un énième « fils de », Manu se tient droit dans ses bottes. « J’ai quitté le cocon familial à 17 ans. Depuis, je me débrouille assez bien, j’arrive même à manger sans qu’on me donne la cuillère », plaisante-t-il. « On sent beaucoup de mépris pour ce statut. Moi, ça m’a nourri. J’en ai retiré des prédispositions et je ne vais pas en rougir. »

Adolescent, il se passionne donc pour la batterie. Ayant tendance à casser les oreilles de ses parents, son père lui offre la guitare qui traînait près du bar, dans le salon. Et pas n’importe laquelle : celle que l’acteur a récupérée à l’issue du tournage de Marche à l’ombre. Manu n’est pas spécialement attiré par l’instrument, mais Gérard insiste. « Ça te fera un bagage de plus, mais une guitare, tu peux l’emmener en voyage ! »

Pas d’internet à l’époque, alors le futur bluesman écoute Jimi Hendrix en boucle, pour se former. « Il y a pire comme prof », s’amuse-t-il. « Virtuel, certes, mais un prof quand même ! » Un apprentissage payant, puisque dans les années 90, Bernie Bonvoisin lui met le pied à l’étrier en lui proposant de suivre son groupe, Trust, en tournée. C’est également grâce à lui que Manu s’envolera la première fois pour les États-Unis. « À New York, pour l’enregistrement de son album Étreintes dangereuses », précise-t-il. « J’y ai acheté une de mes premières guitares électriques, en passant devant chez Manny’s Music. » L’échoppe n’est autre que la boutique mythique dans laquelle un certain Jimi Hendrix se procurait ses instruments. La boucle est bouclée.

Une rencontre déterminante
Avant d’arriver au blues, Manu Lanvin explore les registres, du rock aux musiques de film (Lucky Luke, Chicas), en passant par l’électro. C’est sa rencontre avec le chanteur texan Calvin Russell – dont il est fan depuis l’adolescence et que Paul Personne lui présente dans les coulisses de la Cigale – qui va déclencher sa vocation. En 2009, il coécrit, produit et réalise l’album testament de son idole, Dawg Eat Dawg. Peu avant de mourir, Calvin lui confie : « Cet album n’est pas plus le mien que le tien. N’écoute plus jamais les maisons de disque, tu vas trouver un moyen de continuer ce projet, à ta manière. » Et c’est exactement ce qu’il fait.

En fondant le Devil Blues, Manu trouve sa voie. Et sa voix ! « Pour chanter le blues, il faut avoir des histoires à raconter », assure-t-il. « Connaître l’échec amoureux, les tuiles du quotidien, les problèmes de thune, les galères de toute sorte. Le blues permet d’exorciser, on se reconnaît dans la problématique de l’autre. À 20 ans, je n’aurais jamais pu interpréter cette musique comme je le fais aujourd’hui. Je n’avais pas assez bourlingué. » Quand on lui fait remarquer que sa voix s’est peut-être aussi forgée grâce au Jack Daniel’s, il se marre. « Parlons plutôt de fatigue. C’est le temps qui a fait son œuvre, comme pour le vin. Il y a un truc qui a mûri dans ma voix, que je n’avais pas à mes débuts. Pourtant, j’essayais, mais ça ne venait pas. »

Un parrain nommé Claude Nobs
Il est comme ça, Manu. Il vit d’histoires humaines et d’amitiés. Et c’est en Suisse qu’il a fait quelques rencontres marquantes. Habitué du Montreux Jazz – il s’y est produit cinq fois – le chanteur garde une tendresse particulière pour Claude Nobs, son fondateur, à qui il doit beaucoup. « C’est lui qui m’a invité la première fois, en 2011 », se souvient le bluesman. « Il m’a repéré du côté de Montreux, où on tournait une séquence avec mon groupe pour le film Ma nouvelle Héloïse, de Francis Reusser, en face de la statue de Freddie Mercury. Claude a eu écho du Devil Blues et nous a programmés sur la scène ouverte Music in the Park. Ça s’est tellement bien passé qu’il m’a proposé d’animer l’after show de Quincy Jones, dans son club. On ne devait jouer que quinze minutes, on a fini à six heures du matin. Un truc qui restera gravé à tout jamais. » Par la suite, les deux hommes se retrouvent au gré des événements, notamment ceux organisés dans le cadre de la Jazz Foundation of America, parrainée par Quincy Jones. « Claude venait à chaque fois que je jouais. Il prenait son harmonica et m’accompagnait. J’ai le souvenir intact d’un bonhomme très amusant, un peu excentrique et grand harmoniciste. »

À la mort de Calvin Russell, en 2011, Manu Lanvin part explorer le Mississippi. Il termine son périple avec son premier concert pour la Jazz Foundation of America. Mort de trac à l’idée de jouer dans un tel cadre et devant un parterre de musiciens légendaires, Quincy Jones le rassure. « Ne t’inquiète pas, tu ne nous apprendras rien. Je veux juste leur montrer comment un blanc-bec comme toi peut jouer une musique qui nous appartient. »

Après ce périple, le blues devient une évidence absolue. Il n’en démordra plus. Aussi à l’aise dans un club intimiste que sur une scène de festival, Manu et son groupe avalent les dates comme autant de friandises. « On jouait partout. Au coin d’une rue, chez un coiffeur, dans des centres naturistes. On partait de rien, alors on prenait tout ce qui se présentait. »

« Pour chanter le blues, il faut avoir des histoires à raconter. Connaître l’échec amoureux, les galères… »

C’est son père, Gérard Lanvin, qui lui a offert sa première guitare. Pas n’importe laquelle, celle qu’il avait récupérée à la suite du tournage de Marche à l’ombre… Photo: Decoin Benjamin / SIPA
 

Dieu à la rencontre du Diable
Aujourd’hui, les salles de moyenne capacité se remplissent bien et le succès est au rendez-vous. Pourtant, il ne fait guère la une des magazines. « Le blues n’est pas toujours bien relayé par les grands médias », déplore-t-il. « En tout cas en France, où on encourage beaucoup la variété française. Pourtant, notre musique compte de nombreux fans. J’ai fait une Cigale complète, nos salles sont toujours remplies et les festivals dans le genre drainent beaucoup de monde. Mais les médias préfèrent Vianney et Bénabar. Tant mieux pour eux. Nous, on prend le maquis et on part à la conquête du public. »

Un public qui se manifeste parfois de manière étonnante. Comme lorsqu’il rencontre à la sortie d’un avion à Amsterdam deux religieuses polonaises. L’une d’elles lui met un chapelet dans la main. « Ça m’a énormément déstabilisé », avoue-t-il. « À tel point que je lui ai demandé pourquoi elle m’avait donné ça à moi, alors qu’il y avait 300 passagers dans l’avion. » L’échange ne s’arrête pas là. Ils se retrouvent sur les réseaux sociaux et restent en contact, pour le plus grand plaisir de l’artiste, qui ne croit pas au hasard. « C’est une personne très bienveillante et je me plais à penser qu’elle me protège, même si elle essaye sans doute de me ranger du bon côté », rit-il. « Elle sait que j’ai le Diable tatoué dans le dos et ça ne lui plaît pas. Mais j’ai aussi des arguments et quand on en parle, on tombe plus ou moins d’accord. »

De nouvelles rencontres en nouveaux projets – le prochain album devrait sortir au début de l’année prochaine – Manu Lanvin n’a guère l’occasion de voir le temps passer. Pourtant, malgré un look d’éternel jeune homme, la cinquantaine s’apprête bel et bien à gratter à sa porte. « Un cap que je n’aborde pas très bien, on ne va pas se mentir », ricane-t-il. « J’ai déjà cramé plus de la moitié du parcours. Il me reste un dernier tiers et j’ai envie de le passer sans stress. Je suis à la recherche de simplicité. La vie est précieuse, on peut partir en un instant et pour le peu qu’il me reste, on va essayer d’aller vers des choses souriantes, vers le soleil… »

Manu Lanvin & the Devil Blues, le 16 décembre 2023 (20h) à l’Alhambra de Genève. Concert organisé par Highway2Rock. Billetterie : www.alhambra-geneve.ch (dès le 1er octobre 2023).

INTERVIEW

– Manu Lanvin

Manu Lanvin

1973 Naissance le 24 novembre à Suresnes. Il est le premier enfant de Gérard et Jennifer Lanvin.
2009 Coécrit, produit et réalise l’album testament Dawg Eat Dawg du chanteur texan Calvin Russell. Une collaboration qui déclenche sa vocation blues.
2011 Fondation de son groupe, le Devil Blues, baptisé ainsi en hommage au légendaire Robert Johnson, qui aurait vendu son âme au diable dans le but de devenir un guitariste virtuose, et sa chanson Me and the Devil Blues.
2015 Ouverture de plusieurs dates sur la tournée Rester vivant de Johnny Hallyday.
2021 Sortie de l’album Ici-bas, écrit pour et avec son père pendant le confinement.
1973 Naissance le 24 novembre à Suresnes. Il est le premier enfant de Gérard et Jennifer Lanvin.
2009 Coécrit, produit et réalise l’album testament Dawg Eat Dawg du chanteur texan Calvin Russell. Une collaboration qui déclenche sa vocation blues.
2011 Fondation de son groupe, le Devil Blues, baptisé ainsi en hommage au légendaire Robert Johnson, qui aurait vendu son âme au diable dans le but de devenir un guitariste virtuose, et sa chanson Me and the Devil Blues.
2015 Ouverture de plusieurs dates sur la tournée Rester vivant de Johnny Hallyday.
2021 Sortie de l’album Ici-bas, écrit pour et avec son père pendant le confinement.