Phanee de Pool, Michael Ganne et Nicolas Feuz se sont retrouvés au bord de la piscine de l’hôtel Intercontinental pour partager un plateau libanais et parler de leur actualité. Photo : Magali Girardin.
MusiqueA table

Hôtel Intercontinental : vins, polars et algorithmes !

Le poolside et les mezzes du chef Seif el-Bour ont donné un petit air de vacances à ce déjeuner estival qui a réuni Phanee de Pool, Nicolas Feuz et Michael Ganne.

Vous connaissez, vous, le prix d’une Porsche Macan ? Avec toutes les options ? Phanee de Pool, elle, semble plutôt bien renseignée. Cette voiture de sport aurait la même valeur que cette bouteille de Romanée-Conti 1865, vendue aux enchères chez Baghera Wines en 2021 : 200 000 francs ! Et, pour la chanteuse, il n’y a pas d’hésitation : à choisir, et pour autant qu’elle ait l’argent sur son compte en banque, elle prendrait la Porsche. Au contraire de Michael Ganne, fondateur de la maison de ventes en 2015, qui miserait plutôt sur l’expérience, unique forcément, de déguster un vin aussi âgé. « Je me souviens des plats de ma grand-mère, mais je ne me rappelle pas de leurs goûts », fait-elle alors remarquer. Elle a du mal à concevoir qu’on puisse investir autant d’argent pour un instant aussi éphémère…

Phanee de Pool est néanmoins fascinée par cet univers des enchères, qui lui est étranger. Elle ne manque pas de bombarder son voisin de questions, en savourant les mezzes préparés par le chef Seif El-Bour. La piscine de l’Intercontinental vibre sous les rayons du soleil et donne un air de vacances à ce déjeuner. Nicolas Feuz pourrait-il imaginer son prochain polar dans une salle de ventes ? « Pourquoi pas ? Mais il faudrait laisser mûrir… » Michael Ganne, lui, se souvient que Bernard Pivot avait écrit un roman policier autour du personnage d’Henri Jayer, ce vigneron bourguignon décédé en 2006, dont les vins, rares et donc précieux, font encore fantasmer tous les collectionneurs des États-Unis au Japon : de son vivant, il fallait inscrire son nom sur une liste d’attente pour avoir le droit d’acheter des bouteilles. « Pivot avait alors imaginé un tueur en série qui assassinait toutes les personnes qui figuraient devant lui sur cette liste. » Directeur exécutif de Baghera Wines, le Bordelais n’est d’ailleurs pas avare d’anecdotes : lors de la vente organisée à Genève, en 2018 – les 1064 ultimes bouteilles du « maître du pinot noir » – qui s’est soldée par un résultat de 34,5 millions de francs, un acheteur de Macao avait proposé de payer son « addition » de 9 millions en cash. Trop louche pour être honnête ! À ses côtés, Nicolas Feuz écarquille les yeux : cela aurait-il un petit goût de blanchiment ?

Le premier chez Joël Dicker

Avant d’être l’un des auteurs de polars les plus prolifiques de Suisse romande, avec Marc Voltenauer, le Neuchâtelois est procureur. Un métier qu’il ne pratiquera plus qu’à 50 % dès le 1er janvier. Depuis la parution de son premier roman, en 2010, Ilmoran, l’avènement du guerrier, sa carrière d’écrivain a pris de l’ampleur. Le 5 octobre prochain, il présentera son dix-septième livre, Le philatéliste, le premier avec sa nouvelle maison d’édition. Rosie & Wolfe, créée par Joël Dicker. « Il m’avait contacté en 2021 déjà, pour me dire qu’il y avait une place pour moi », explique-t-il. « Il a mis juste une condition : que je quitte Le Livre de Poche ! » Nicolas Feuz n’a pas hésité longtemps. D’autant que dans la foulée, il signait un dernier contrat avec l’éditeur parisien : ses huit premiers romans – dont la trilogie Masaï – ne sont jamais parus sous ce label, ils le seront donc d’ici 2033, à raison d’un titre par année. Et là, il planche déjà sur son dix-huitième polar. « Je compte deux mois d’écriture environ. Après, il y a tout un travail d’affinage et de relecture. Je travaille toujours avec une année d’avance… »

« Joël Dicker m’a contacté en 2021 déjà pour me dire qu’il y avait une place pour moi chez Rosie & Wolfe. »

Le rire s’est souvent invité autour de la table. Entre Nicolas Feuz, Michael Ganne et Phanee de Pool, l’ambiance était à la décontraction et à la confidence. Photo : Magali Girardin.
Photo : Magali Girardin.
Photo : Magali Girardin.

« C’est marrant, mon prochain album sort le même jour que ton livre ! », sourit Phanee de Pool. Née à Bienne, elle connaît plutôt bien Nicolas Feuz. Dans une autre vie, elle était flic. « C’était mon prof de droit à l’école de police », sourit-elle. « J’ai porté l’uniforme pendant sept ans et, un jour, j’ai rendu tout mon matériel : les menottes, le flingue, la carte… J’en avais assez ! » Au poste, elle avait hérité d’un surnom : la Faux. « Chaque fois que j’étais en service, il y avait un mort… » Est-ce la raison pour laquelle elle n’est pas très férue de polars ? « Ça me fait peur ! De Nicolas, je n’en ai lu qu’un seul, Horrora Borealis. » Au moment de quitter la police, Fanny est alors prête à trouver un autre job. Les réseaux sociaux en ont décidé autrement : elle y poste régulièrement des titres, choisit un nom de scène qui fait référence à son ancien métier, mais aussi à ce looper qui lui sert de compagnon sur scène. La Toile finit par adopter ses textes ciselés à la virgule près, son style foutraque, son petit grain de folie. Aujourd’hui, Phanee de Pool travaille en famille, avec son père, Laurent Diercksen, sous son propre label, Escales Production, et s’apprête à présenter son troisième album, AlgorYthme, qui, comme à son habitude, racontera une histoire. « J’avais envie de désacraliser l’intelligence artificielle et célébrer l’intelligence artisanale. Sur scène, je serai donc malmenée par des algorithmes », explique-t-elle, un brin mystérieuse.

L’artisanat, ça la connaît ! Elle a pris l’habitude de concocter sa musique chez elle, dans sa cuisine, avec son « micro à 40 balles ». Cette fois, pourtant, elle a souhaité inviter – en plus d’Henri Dès pour un duo ! – un orchestre symphonique pour amener une touche classique à son « slap » – fusion entre slam et rap. Mais l’indépendance a aussi son prix face aux mastodontes de la scène et aux plate-formes de streaming qui paient les artistes au lance-pierres.

« J’ai porté l’uniforme pendant 7 ans, et un jour, j’ai rendu tout mon matériel : les menottes, le flingue… »

Droits d’auteur et cachets

« Spotify ne te paie que 0,00014 centime par écoute », précise Phanee. « J’ai un titre, Bâton Vanille, qui a dépassé le million, mais ça ne m’a quasiment rien rapporté (ndlr. 154 francs). Si ça s’était passé il y a vingt ans, j’aurais pu me payer ma Porsche Macan… » Autour de la table, à l’instant où le dessert est servi (fondant au chocolat et tarte aux abricots et thym), on se met alors à parler droits d’auteur et cachets. En toute franchise. Du côté de Baghera Wines, Michael Ganne ne s’en cache pas : la commission se monte à 22 % pour chaque adjudication, ajoutée au prix final. Quand on pense au résultat de la vente Henri Jayer, cela laisse songeur : ça en fait, des voitures de sport alignées sur le parking !

Pour Nicolas Feuz, le calcul est assez simple : 10 % sur le prix de chaque roman vendu et 5 % avec Le Livre de Poche. « Chez cet éditeur, j’ai écoulé près de 50 000 exemplaires d’Horrora Borealis, cela m’a permis d’empocher entre 10 000 et 20 000 francs. » Correct. Mais sans plus ! Mais là où cela peut devenir intéressant, c’est lorsqu’une plate-forme comme Netflix s’intéresse à acquérir les droits d’un livre. Et c’est justement ce qui est arrivé à l’écrivain romand ! En juillet dernier, il a rencontré Stephen Uhlander. Scénariste suédois, auteur de Furia et de La Disparue de Lørenskog pour le géant du streaming, il a passé plusieurs jours à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds pour s’imprégner des lieux. Netflix a en effet réservé les droits du roman Le Miroir des Âmes pour en faire une mini-série de quatre épisodes. « Rien n’est encore signé », pondère Nicolas Feuz. « J’ai refusé d’être co-scénariste, ce n’est pas mon métier. J’ai été engagé comme consultant. » Un premier scénario doit être présenté à la mi-novembre. À quoi peut-on s’attendre ? « Ce n’est pas mon meilleur roman, j’espère qu’ils l’amélioreront », souffle le Neuchâtelois. Affaire à suivre !

On fait les présentations…

Photo : Magali Girardin.

PHANEE DE POOL

Elle ne boit ni vin, ni café, et se couche à 21 heures, quand elle n’a pas de concert. « Je suis la fille chiante », rigole-t-elle. Un peu dur avec elle ! Inspirée par Camille et Philippe Katerine, Fanny Diercksen aime jouer avec les mots et emmener le public dans un univers « foutraque » où impro et rigueur se téléscopent. À vérifier avec la sortie de son troisième album, AlgorYthme !

Photo : Magali Girardin.

NICOLAS FEUZ

Procureur du canton de Neuchâtel depuis 2011, il est tenu au secret de fonction : impossible de s’inspirer de « ses » affaires pour écrire ses romans ! Avec son 17e polar, Le Philatéliste, il a répondu à une « commande » de La Poste afin que l’intrigue se déroule dans ses offices. Il y est question de timbres créés à partir de peau humaine. On n’ouvrira plus son courrier comme avant…

Photo : Magali Girardin.

MICHAEL GANNE

Après avoir longtemps travaillé pour Christie’s, le Bordelais a décidé de créer sa propre maison de ventes aux enchères, dédiée aux grands crus, en 2015, à Genève : Baghera Wines. Aujourd’hui, elle compte une dizaine de collaborateurs, vient d’ouvrir un bureau à Singapour et s’apprête à organiser ses premières ventes en France.
www.bagherawines.com