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Karim Leklou « J’AIME LES GENS, L’ECHANGE ET LE PARTAGE »

À L’AFFICHE DE L’AMOUR OUF DE GILLES LELLOUCHE, EN SALLE EN OCTOBRE, LE COMEDIEN TRACE SON CHEMIN DANS LE CINEMA FRANÇAIS, AVEC AUTANT DE FLAIR QUE DE PUDEUR.

PAR Marine Guillain

C’est sur le tournage du film de Jacques Audiard, Un prophète, que Karim Leklou envisage le métier de comédien comme une réalité.

Il est tout aussi crédible dans la peau de grands gentils que dans ceux de petites frappes ou de caïds. Karim Leklou, 42 ans, semble passer d’un rôle à un autre avec un naturel déconcertant. À chaque film, sa douceur et sa profondeur de jeu laissent une empreinte quelque part. Son premier rapport avec le cinéma, il l’a eu essentiellement à travers des VHS enregistrées, qu’il regardait enfant, après l’école. « Voir des films m’aérait l’esprit et me sortait de mon quotidien, ça m’emmenait dans un ailleurs qui me détendait », confie-t-il. Il découvre des longs métrages de styles variés, avec une petite préférence pour le cinéma d’action des années 1990. Parmi les œuvres qui l’ont marqué, il cite Rocky ou Do the Right Things, de Spike Lee. « Il y a aussi eu L’armée des ombres, de Jean-Pierre Melville : l’interprétation de Simone Signoret et de Lino Ventura m’avait rendu dingue ! Parfois, les silences disent plus que les mots, et je trouve que l’art du regard et du silence est une chose extrêmement puissante au cinéma. »

L’idée d’embrasser une carrière d’acteur vient plus tard. Karim a environ 25 ans, enchaîne les petits boulots, notamment dans le télémarketing, et s’inscrit à des cours de théâtre, le soir, pour se changer les idées. Environ deux ans plus tard, il est repéré lors d’un casting sauvage pour le film carcéral Un prophète, d’un certain Jacques Audiard… Mené par la révélation Tahar Rahim, le long métrage sort en 2009 et remporte le succès qu’on lui connaît. Karim Leklou joue un membre des Barbus, le clan des Musulmans de la prison. Ennemi déclaré de Malik (Tahar Rahim), il devient vite l’un de ses alliés. « C’était un petit rôle », souligne l’acteur. « Il m’a ouvert sur l’idée que c’était un métier magnifique et que j’avais envie de continuer à travailler dans cet univers. Je me suis dit que le temps passait vite et qu’il fallait l’utiliser au maximum pour faire des choses qui nous plaisent dans la vie. »

Après cette expérience, il trouve un agent, passe beaucoup de castings et continue de travailler régulièrement, décrochant notamment plusieurs seconds rôles dans le cinéma d’auteur européen. Le moyen métrage Marseille la nuit (2012), de Marie Monge, sera un déclic pour la suite de son parcours. Karim y interprète un jeune lascar qui zone dans la grisaille de Limoges avec son meilleur pote, en rêvant d’une autre vie. Le film tourne dans les festivals, est nommé aux Césars, et cette visibilité importante permet au comédien d’obtenir son premier rôle principal sur Coup de Chaud. Dans ce polar de Raphaël Jacoulot, il joue un semeur de troubles légèrement déficient mentalement, qui perturbe la tranquillité apparente d’un village et voit tout le monde se retourner contre lui. Cette expérience renforce en lui l’idée qu’il est nécessaire de travailler les rôles bien en amont et en osmose avec les réalisateurs ou réalisatrices, afin d’entrer dans leur grammaire.

Les projets se suivent…

Karim Leklou poursuit son bonhomme de chemin, s’illustrant en chirurgien dans le sublime Réparer les vivants de Katell Quillévéré en 2016, avant de jouer un petit dealer, fils d’Isabelle Adjani, dans Le monde est à toi de Romain Gavras (2017) : une comédie d’action hilarante au casting savoureux. Il sera ensuite le médecin Arben Bascha dans la série Hippocrate (la saison 3 sera diffusée d’ici la fin de l’année !), avant de jouer un flic, futur papa, qui patrouille dans les quartiers nords avec ses collègues François Civil et Gilles Lellouche, dans le controversé Bac Nord de Cédric Jimenez (2020).

« J’aime bien me balader d’univers en univers, je ne veux pas me cantonner à une façon de faire, ça m’ennuierait de refaire toujours les mêmes types de rôles. Ce qui m’intéresse, c’est essayer de nouvelles choses, à travers différentes thématiques, différentes époques et différentes personnes. Je suis curieux de l’autre ! », relève celui qui compare son métier à un voyage intérieur, dans lequel on s’enrichit sans cesse. Lors de notre rencontre au Festival de Cannes en 2022 pour Goutte d’or, un polar mystique et violent de Clément Cogitore, Karim nous avait expliqué qu’il choisissait les projets « qui [l]’interpellent et [le] questionnent ». « Ensuite, je me concentre uniquement sur le film que je fais, sans penser à la suite. »

La violence sera encore plus forte dans le film suivant : Vincent doit mourir, de Stéphan Castang. Dans ce thriller fantastique réjouissant, le comédien joue un type qui, du jour au lendemain, se fait agresser sans raison par de plus en plus de gens qui cherchent à le tuer : « Le monde est violent, donc, forcément, ça se retrouve dans les histoires. Cela faisait depuis Le monde est à toi que je n’avais pas lu un scénario aussi original, on voit rarement ça dans le cinéma français : prendre part à une comédie romantique dans laquelle tout le monde se tape dessus, ça m’amusait beaucoup. Il est rare de traverser une telle expérience de cinéma dans une carrière, où tout le monde veut vous tuer. Mais il y a surtout une vision très forte et le film montre brillamment l’aspect nul et pathétique de la violence. »

Karim Leklou

1982 Naissance, le 20 juin à Sèvres (Hauts-de-Seine).
2006 Enchaîne les petits boulots et prend des cours de théâtre pour se changer les idées.
2009 Décroche son premier rôle à l’écran dans Un prophète, de Jacques Audiard.
2012 Tient le rôle principal du moyen métrage Marseille la nuit de Marie Monge.
2017 Excelle dans la peau d’un petit dealer, fils d’Isabelle Adjani, dans Le monde est à toi de Romain Gavras.
2024 À l’affiche du Roman de Jim, des frères Larrieu, et de L’amour ouf, de Gilles Lellouche.
1982 Naissance, le 20 juin à Sèvres (Hauts-de-Seine).
2006 Enchaîne les petits boulots et prend des cours de théâtre pour se changer les idées.
2009 Décroche son premier rôle à l’écran dans Un prophète, de Jacques Audiard.
2012 Tient le rôle principal du moyen métrage Marseille la nuit de Marie Monge.
2017 Excelle dans la peau d’un petit dealer, fils d’Isabelle Adjani, dans Le monde est à toi de Romain Gavras.
2024 À l’affiche du Roman de Jim, des frères Larrieu, et de L’amour ouf, de Gilles Lellouche.

Tordre le cou aux clichés

Après Vincent doit mourir, virage à 180 degrés pour Karim qui rejoint le casting du Roman de Jim, des frères Larrieu. Après s’être pris des coups physiques au premier degré, il se prend cette fois des coups au cœur, avec une forte capacité à encaisser : rôle principal du long métrage, sélectionné au Festival de Cannes et sorti le 14 août sur nos écrans, le comédien incarne Aymeric, un homme qui vit dans le Haut-Jura et tombe amoureux de Florence (Laetitia Dosch), enceinte de six mois. Présent lors de l’accouchement, Aymeric éduquera et aimera Jim comme un fils. Tous trois passeront de belles années ensemble… jusqu’à ce que le père biologique de Jim débarque dans leur vie et bouleverse leur équilibre.

Quelques jours avant la fin du processus de casting, Arnaud et Jean-Marie Larrieu prennent un café avec Karim, qu’ils rencontrent pour la première fois. Au bout de trois minutes, ils se regardent et savent déjà : ce sera lui. Le comédien évoque une rencontre « étonnante » et une lecture « émouvante » du scénario, adapté du roman éponyme de Pierric Bailly : « J’ai été très touché par ce personnage, qui fait face aux choses qui lui arrivent, qu’il n’a pas anticipées, et qui a simplement pour ambition d’essayer de vivre. Le récit s’étalant sur vingt-cinq ans, ce projet m’a permis d’aller dans la diversité, dans la complexité, et de jouer une grande palette d’émotions. Et puis, ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’il s’agit d’un type de personnages rarement mis en avant dans le cinéma : les hommes doux. Aymeric est un résilient, un gentil, j’avais très envie de le défendre. » Et le comédien de décrire avec amour le regard bienveillant des frangins réalisateurs, l’efficacité de l’équipe sur le tournage, le personnage de Florence, anticliché de la femme montagnarde, qui interroge la vie de façon permanente avec l’honnêteté de vivre comme elle l’entend, ou encore le traitement intelligent – « c’est un mélo qui ose l’humour et n’a pas volonté d’être un tire-larmes » – des questions autour de la paternité, du sentiment d’illégitimité ou du lien et de l’amour.

Dans le film des frères Larrieu, Le Roman de Jim, Karim Leklou incarne Aymeric, « un résilient, un gentil, qui a simplement pour ambition d’essayer de vivre ». « J’ai été très touché par ce personnage », avoue le comédien français.

Nouveau virage avec L’amour ouf, aussi présenté au Festival de Cannes, qui sortira en salle le 16 octobre. Dans cette flamboyante histoire d’amour mise en scène par Gilles Lellouche, Karim Leklou incarne cette fois un père alcoolique et violent. Sur le tournage, il retrouve une bonne partie de l’équipe de Bac Nord : des techniciens, le chef opérateur, François Civil, Adèle Exarchopoulos et, bien sûr, Gilles Lellouche : « Je n’avais que quelques jours de tournage, mais j’ai beaucoup apprécié le retrouver, cette fois en tant que metteur en scène. C’est un gars ultra généreux, le plateau était rempli d’énergie et c’était très plaisant de servir son histoire. »

Des rencontres qui nourrissent

De Romain Gavras à Gilles Lellouche en passant par Cédric Jimenez, Clément Cogitore, Rachid Ami et les frères Larrieu – pour ne citer qu’eux – Karim Leklou ne tarit pas d’éloges sur ces cinéastes avec qui il estime avoir eu la chance de travailler. « Je leur dois beaucoup. Vous savez, je crois qu’un acteur est réellement nourri par les metteurs en scène qu’il rencontre et les plateaux qu’il traverse. Il n’y a pas un tournage qui ressemble à un autre, chaque personne et chaque propos a sa singularité. » Jugeant son métier comme un « privilège », l’acteur confie être totalement passionné par son travail. « J’adore préparer un rôle, j’adore jouer en étant dans l’intensité du moment présent, sans penser à la scène d’après. Et puis, j’aime les gens, l’échange et le partage. »

Outre la troisième saison d’Hippocrate, Karim Leklou sera prochainement à l’affiche du thriller historique sur Charles de Gaulle, d’Antonin Baudry, déjà tourné. Il incarnera un ouvrier polonais, « très humain dans cet univers militaire », qui va se faire embrigader dans la France libre pour devenir une sorte de secrétaire particulier pour De Gaulle. Et de conclure : « Le film étant ciblé sur les années 1939-1942, il va fortement résonner avec l’actualité européenne. »