Rylsee enfin « prophète » dans son pays !
Installé à Berlin depuis 2012, l’artiste genevois enchaine les collaborations prestigieuses en Suisse. Après Caran D’Ache, le Montreux Jazz Festival et Tudor ont aussi été séduits par son style et sa créativité.
Qu’est-ce qui peut bien pousser un artiste suisse à quitter ses terres pour s’installer à l’étranger ? L’exiguïté du marché ? L’ambition ? L’absence de reconnaissance ? On connaît la formule : nul n’est prophète en son pays. Et c’est particulièrement vrai en Suisse ! Ils sont plusieurs à avoir cherché la bénédiction du public loin de leurs bases avant d’éveiller l’attention de l’homo helveticus. Alors qu’il n’avait que 24 ans, Cyril Vouilloz, aka Rylsee, était déjà conscient que la Suisse – et, donc, ses médias ! – ne s’intéressait pas à son travail. Mais, s’il avait effectivement l’impression que Genève et Veyrier, le village de son enfance, étaient trop « petits » pour satisfaire à ses ambitions, une idée, soudaine, est venue bousculer ses certitudes : comment savoir si son travail est bon ou pas ?
« Je terminais mes études (ndlr. au CFP Arts) et, connecté avec le mouvement du street-art, je peignais des fresques pour quelques institutions de la nuit genevoise telles que L’Usine », explique-t-il. « J’avais aussi commencé ma première collaboration avec Nidecker pour créer des snowboards. » Et c’est là que la question, obsédante, s’est glissée dans son esprit alerte : pourquoi ces marques l’ont-elles sélectionné ? Parce qu’il profite d’un début de notoriété au niveau local ? Ou parce que son style plaît vraiment ? Pour trouver une réponse objective, Rylsee a pris une décision radicale : il a bouclé ses valises et les a posées à l’autre bout du monde, du côté de Vancouver. « Sans contacts, sans amis, sans rien », précise-t-il. « Je voulais voir si mes skills étaient appréciés dans un lieu où personne ne me connaissait. » Il a très vite été rassuré.
Une obsession pour les lettres
Une décennie plus tard, la question ne se pose plus. Depuis 2012, le Genevois habite à Berlin. « J’y ai suivi une femme rencontrée au Canada », sourit-il. « Nous avons fini par être en couple, puis nous séparer, mais nous avons continué à partager le même atelier pendant six ans. » Les amours vont et viennent. Aujourd’hui, Cyril est papa et a choisi de se fixer dans la capitale allemande. « Avec sa maman, nous avons décidé que Berlin serait la ville de notre fille ! » Côté carrière, Rylsee est désormais considéré comme une valeur sûre, enchaînant projets personnels, expositions et collaborations avec des marques prestigieuses (Moleskine, Nike, Opinel, Converse). Et, logiquement, la Suisse a fini par lui faire les yeux doux. En 2023, Caran d’Ache lui demanda ainsi d’animer l’une de ses « Creative Class » sur sa plateforme dédiée. Ou comment apprendre à maîtriser l’urban sketching en une heure ! « Beaucoup de gens renoncent à dessiner parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas la tablette adéquate ou les bons stylos », fait-il remarquer. « En créant un kit, avec tous les outils essentiels et un carnet de croquis basique, j’ai voulu montrer qu’il suffisait de peu de choses pour se mettre à dessiner. »
Cette année, son pseudo sera également associé au Montreux Jazz Festival, puisque le Genevois a créé l’affiche – ou, plutôt, l’œuvre d’art ! – de la 58e édition (5-20 juillet). Une consécration dont il n’avait jamais osé rêver jusque-là. « Notre père y a travaillé comme directeur technique pendant sept ans, c’est donc un lieu où j’ai passé énormément de temps durant mon enfance. » À l’origine du Leysin Rock Festival, puis du Caprices, à Crans-Montana, André Vouilloz a aussi été l’un des piliers de l’Arena de Genève. « Il nous laissait courir partout en coulisses, quand il était de service », se souvient l’artiste.
Cette collaboration avec le MJF ne pouvait pas mieux tomber. D’autant que le festival souhaitait mettre, pour la première fois, ses trois initiales en avant. Or, les lettres, c’est l’obsession de Rylsee ! « Depuis tout petit, j’ai voué une passion pour les logos, avant même que je capte que des gens étaient payés pour les créer. J’étais fasciné de voir le nombre d’infos véhiculées par ces mots, écrits dans une certaine fonte, sans qu’on s’en rende compte. » Enfant, par défi, il s’amusait déjà à reproduire, de tête, le maximum de logos des marques automobiles ou sportives. « Parfois, j’écrivais le même mot avec des fontes différentes et je demandais à ma grand-mère à quoi cela lui faisait penser. C’est fou d’observer combien les codes sont omniprésents dans un logo, même pour des gens étrangers au design. »
Pour le Montreux Jazz Festival, Rylsee a imaginé une architecture urbaine impossible. Le trio de lettres sont autant d’immeubles, peuplés par de petits êtres étranges – une sorte de croisement entre Casper, le gentil fantôme, et un Minion. « Je me suis amusé à cacher un million de trucs dans cette affiche », rigole le Genevois. Le batteur sur la scène du M ? C’est son frère, Yann, qui a joué de la batterie dans sa jeunesse. La petite fille qui court sur les quais ? C’est la sienne, évidemment, avec son doudou ! Et lui ? « Je suis facile à trouver », se contente-il de dire, facétieux. Mais, depuis sa présentation, l’œuvre fait l’unanimité, même sur les réseaux sociaux. Elle provoque des sourires, offre un boost d’énergie. À Montreux, on affirme qu’elle représente parfaitement l’esprit du festival et que c’est la première fois qu’un artiste prend ainsi le point de vue des festivaliers.
Comment capturer ses idées
Cela le rend-il fier pour autant ? « La fierté est un sentiment que je relie à la compétition. Or, je ne me mesure à personne. Je suis juste content que les gens apprécient mon travail. » Gaucher et trop timide pour faire du rap, tel qu’il se présente lui-même, Rylsee n’a pas choisi l’art pour être connu ou reconnu. Dessiner, remplir ses carnets, c’est sa manière de canaliser son hyperactivité, mais aussi de capturer ses idées. « Je m’ennuie vite et il se passe beaucoup de choses dans ma tête. Une idée peut disparaître aussi vite qu’elle est venue. Mes carnets me permettent de les immortaliser. » Quelquefois, elles débouchent sur un projet. Le plus souvent, elles restent à l’état de croquis, en attendant le moment idéal pour être concrétisée. « C’est l’idée qui définit le médium que j’utilise ! »
Mais ce qu’il aime par-dessus tout avec l’art, c’est cette liberté d’observer le monde qui l’entoure et cette capacité de pouvoir faire réfléchir et rire les gens. « Je n’ai pas fait beaucoup d’études et ma connaissance de l’histoire de l’art est assez médiocre. Du coup, la vie est ma plus grande source d’inspiration. J’adore me balader, regarder, écouter les conversations dans le métro. Cependant, mon plus grand sujet d’observation reste… moi-même ! » Et, alors, qui est Cyril Vouilloz ? S’il lui arrive de se moquer de ses propres comportements – « un jour, j’ai passé plus de temps à surfer sur le Net qu’à me nourrir ! » – Rylsee est fiable, loyal. « Je fais toujours ce que je dis et, comme me l’a toujours conseillé ma mère, quand je me lance dans un projet, je le fais bien. Cette valeur m’habite depuis que je suis petit. » Des projets, il en a plein son tiroir à malices. Avec son frère, Yann, qui l’a rejoint à Berlin, il avait d’abord lancé sa marque de streetwear, SNEEER. Une initiative qui l’occupa pendant six ans. Jusqu’à ce qu’il réalise qu’il passait plus de temps à dessiner des t-shirts et des casquettes qu’à pratiquer son art. « En concrétisant ce rêve, je me suis rendu compte que ce n’est pas ce que je voulais… »
« La vie est ma plus grande source d’inspiration. J’adore me balader, regarder, écouter les conversations. »
De la restauration à l’horlogerie
Aujourd’hui, il est parti dans un autre délire : la restauration. Après quelques semaines de travaux, en janvier, il vient d’ouvrir sa deuxième adresse à Berlin, sous l’enseigne de Matanga Empanadas – une cuisine d’inspiration sud-américaine qui, visiblement, a trouvé son public. Ce projet commença par hasard, dans un container, à l’Urban Spree – le centre artistique dans lequel le Genevois a installé son atelier. Désormais, 15 personnes travaillent dans cette PME en plein développement. « C’est l’histoire de ma vie », sourit-il. « Je fais tout ce qu’elle m’amène… » Rylsee a surtout fait un saut en Suisse en février dernier, afin de réaliser une deuxième fresque murale dans la manufacture de la marque Tudor, Kennissi, au Locle. « Leur format est singulier – 3 m de large pour 20 m de hauteur. Je me suis inspiré des poyas et de l’art du découpage, et je les ai adaptés au monde horloger. Je me suis amusé à y cacher plein de détails amusants : des rouages, le nom de la marque dans la montagne… » Le Genevois est le premier artiste avec lequel l’horloger collabore officiellement. Tudor, Montreux, Caran d’Ache : là, c’est sûr, Rylsee est devenu un « prophète » en son pays !