Art & DesignDans Le Décor

Omar Ba : « Chaque tableau est une porte. »

Grand sage un peu timide, souvent espiègle, l’artiste sénégalais se partage entre Genève et Dakar. Et ses tableaux nous racontent l’histoire de notre humanité.

La formation de l’univers, la fécondation dans le ventre d’une mère, les premiers hommes qui avaient l’Afrique pour terre. Les tableaux de Pierre Soulages. Et les toiles d’Omar Ba. Il peint sur fond noir, toujours, point de départ à la réflexion, à la méditation, à la communion avec son sujet, et au-delà. «Je suis croyant, je prie souvent, mais je n’aime pas faire semblant. Là où je me connecte le plus, c’est quand je peins, il n’y a pas d’interférence, rien qui se met entre moi et le divin. Je suis tout à ma création, je ne pense qu’à me mettre au service: comment rendre une idée, une intuition, comment aider.» Aider, c’est, pour Omar Ba, servir un message, celui d’une justice universelle, sans laissés-pour-compte. C’est dénoncer, éveiller, émouvoir, mener les spectateurs vers un monde plus libre, plus fluide.

La complexité du monde

Lorsque l’on regarde ses toiles, on approche la complexité du monde, la globalité des choses, on pénètre un univers plus dense, tout à la fois inquiétant et onirique, caché et révélé, un monde où les hommes se mêlent aux animaux et aux plantes, où l’Afrique dialogue avec l’Europe et où les humains retrouvent leurs origines autant que leurs dérives. «Je veux que les gens s’approchent et s’éloignent de mes tableaux, qu’ils voient l’ensemble et les détails, qu’ils plongent et prennent du recul, j’ajoute des plans, de la profondeur, je fais des allers-retours. Comme dans ma vie, en fait, que je partage entre Genève et Dakar.»

De la Suisse, il aime l’hiver, les raclettes qu’il partage avec son galeriste genevois, Barth Johnson, directeur de Wilde, la possibilité de se calfeutrer chez soi quand il fait trop froid, dans une ambiance propice au travail et à la création. Il admire aussi la façon dont le pays est géré. «Je saoule les gens avec mes discours sur la Suisse, à Dakar», avoue-t-il en riant.

Ce soir-là, dans son atelier en ville de Genève, il a travaillé tard, jusqu’à 4 heures du matin. La nuit, c’est encore du noir. «Si je peins sur fond blanc, je ne me sens pas en sécurité. Avec le noir, je maîtrise, la peinture est plus dense, les couleurs ne flottent pas. Je suis dans mon élément.» Par-dessus, du bleu, que les critiques ont appelé «bleu onusien», les Nations unies jouant souvent les protagonistes dans les œuvres d’Omar Ba. Dans sa nouvelle série de tableaux, work in progress qu’il nous dévoile en nous ouvrant les portes de son atelier, le bleu commence à s’ajouter au noir. Il y a en outre des visages de manifestants sénégalais, des bâtiments symboliques, des plantes, des bâtons.

L’ONU, l’autorité suprême…

Ces derniers représentent la justice, une justice instrumentalisée, et des forces de l’ordre auxquelles il est injuste d’obéir. Ici, les bâtons ne sont pas en équilibre, ils ne montrent pas le chemin, ils sont des obstacles à contourner, et des armes servant à mater les protestataires. Son bleu, Omar l’associe à des feuilles dorées, en couronne, symboles du logo de l’ONU. «Pour moi, c’est l’autorité suprême, elle est censée mettre de l’ordre dans ce monde. Mais elle faillit de plus en plus à sa mission, elle ne règle pas les divergences entre les nations, qui s’en servent pour leurs propres intérêts ou qui la contournent. Je ne comprends pas cette farce.» Une farce autour de laquelle tisser des histoires et des images pour dire le monde. Ou le rêver.

© Magali Girardin

LE TABLEAU «EN TRAVAUX»

En général, il met trois semaines pour terminer une œuvre, qu’il compose en même temps que d’autres. Chaque tableau est une porte vers un monde plus intuitif, mais également vers ses prochains tableaux. Sur celui-ci, Omar Ba prévoit d’ajouter des universités comme architecture, pour dire l’importance de l’éducation, «mais aussi en clin d’œil au Mali et Burkina, avec ces coups d’état où ils veulent régler le problème du djihadisme dans le Sahel, et où ils pensent que le problème est entre la France et les chefs d’état». Il veut aussi ajouter des drapeaux, pour dire les Nations Désunies, dans les petites cases déjà prévues, encore noires à l’instant où nous le rencontrons. «Le personnage du tableau, c’est une photo que j’ai prise d’un manifestant, ça peut être n’importe qui, un anonyme. Je dois travailler le visage avec ces ronds, sur toute sa surface. La toile est en travaux, il y a un problème d’échelle, je dois trouver plus de profondeur, je veux atteindre cinq à six plans, avec des architectures et des personnages.»

© Magali Girardin

L’INDISPENSABLE CARAN D’ACHE

Indispensables lorsque l’on travaille sur fond noir, des crayons blancs. «Je dessine beaucoup avec, ils font partie de mes objets fétiches. Ce sont des Caran d’Ache, ils viennent d’ici», dit-il avec tendresse, presque, pour ces crayons qu’il transporte avec lui partout dans le monde, et dont il constitue des stocks pour ses séjours prolongés dans sa maison de Dakar, au Sénégal, qui l’a vu naître. «On en trouve aussi à Bruxelles, et aux États-Unis», précise celui dont les voyages s’intensifient et se prolongent à mesure que croit sa renommée.

© Magali Girardin

LES BRACELETS ET L’ELEPHANT

«Le plus fin des deux est un cadeau d’un collectionneur qui m’a acheté plusieurs tableaux. À la longue, il est devenu un ami. C’est un bracelet en argent, et dans les stries, il y a des poils d’éléphant, ça donne ce côté zébré. Vous voyez, c’est un Français qui m’a amené un éléphant, à moi, l’Africain.» Le cadeau le touche, et l’anecdote le fait sourire. «L’autre, je l’ai acheté aux États-Unis à un designer juif. Lors d’un voyage en Israël, j’ai aussi acheté cette bague.» Il nous la montre. Sur l’intérieur du bijou est gravée une étoile de David. «J’adore ces bijoux, je les trouve magnifiques, et puis, c’est fou, le bracelet américain ressemble tellement à celui de mon ami collectionneur», même si celui du designer est exempt de poils d’éléphant. Partout, Omar Ba construit des ponts entre les cultures, cherchant ce qui relie plutôt que sépare. Musulman de naissance, il cultive des racines plus anciennes, des croyances animistes, un rapport à la spiritualité plus horizontal, précédant l’arrivée des religions monothéistes. «Il y a un socle commun, qui nous vient de nos instincts, de notre mémoire, au plus profond de nos ADN.»

© Magali Girardin

DES CHAUSSETTES A FOND NOIR

Chaussettes à fond noir sur sol blanc, pour s’ancrer dans un parterre qu’il trouve peut-être un peu flottant, comme les toiles, avant qu’il ne les recouvre de sa couleur fétiche, l’«outrenoir» ou le «noir-lumière», aurait dit Soulages. «Il y a quelque chose de mon univers dans ces chaussettes achetées à Bâle, n’est-ce pas?» Du noir et par-dessus des couleurs, des fleurs, des plantes. «On achète ce qu’on aime, ce qui nous ressemble, non? Si.» Il sourit en effectuant quelques pas de danse pour la photographe, avec son grand corps fluide de géant qui s’habite plutôt bien.

© Magali Girardin

BOIRE LE THE « A LA CHINOISE »

«J’ai des théières un peu partout. En céramique. C’est un ami chinois de Genève qui m’a initié à sa façon de boire le thé.» Cette façon, c’est le Gong Fu Cha, littéralement «le temps du thé», pratiqué en Chine depuis le XVIIe siècle. Le plateau à thé est un ustensile indispensable à cette cérémonie. Il recueille l’eau de la première infusion, celle qui rince les feuilles de thé, et sert à chauffer les tasses. Elle est ensuite déversée dans le bateau à thé qui sert de réceptacle. «J’achète mes thés à Carouge. En ce moment, j’ai du thé rouge, des pu ehr et du thé vert, c’est comme les vins, hein, quand on s’y connaît. Ma découverte du thé date de mon enfance, mais au Sénégal, on le boit comme au Maroc, c’est du thé vert et des feuilles de menthe.» Ce matin-là, nous ne prendrons pas le temps du thé à la chinoise, peut-être parce qu’Omar a perçu que je buvais les miens dans de gros mugs, peut-être parce que j’ai inopportunément évoqué mes souvenirs de dinette, face à son délicat service. 

© Magali Girardin

UN JAVELOT ENTRE YING ET YANG

Encore un objet chinois acheté à Genève, au même ami qui l’a initié à la cérémonie du thé. «J’ai étudié les arts martiaux à Dakar, j’ai fait du karaté pendant des années, et appris à utiliser ces armes.» En dehors de ces souvenirs, il apprécie l’objet en lui-même. «Je trouve l’association du métal et du bois très belle, on dirait une œuvre d’art. J’aime la composition, les formes, c’est comme le chaud et le froid, le ying et le yang, les pointes qui partent vers le bas et le haut. Et puis, ce dragon, plus enfantin qu’effrayant. C’est un beau travail d’artisanat.»

Le peintre est aussi collectionneur, d’autres tableaux d’artistes, mais également des articles chinés aux puces, beaucoup d’objets de la Deuxième Guerre mondiale: masques à gaz anglais, casques allemands, baïonnettes, sacs de prisonniers. «Je les achète en me disant que je les reproduirais probablement ici ou là dans mes tableaux. À Dakar, je veux faire une pièce avec ces objets porteurs de mémoire.»

Omar Ba

1977 Naissance à Dakar.
2002 Diplôme de l’École nationale des Beaux-arts au Sénégal.
2003 École supérieure des Beaux-arts de Genève.
2011 Première exposition et obtention du Swiss Art Award.
2016 Le Louvre d’Abu Dhabi fait l’acquisition de son œuvre «Plateforme de la confiance – richesse pillage à huis clos 1».
2019 Ses toiles se vendent désormais entre 10 000 et 50 000 euros.
2023 Exposition de «Political Animals» au Baltimore Museum of Art.
1977 Naissance à Dakar.
2002 Diplôme de l’École nationale des Beaux-arts au Sénégal.
2003 École supérieure des Beaux-arts de Genève.
2011 Première exposition et obtention du Swiss Art Award.
2016 Le Louvre d’Abu Dhabi fait l’acquisition de son œuvre «Plateforme de la confiance – richesse pillage à huis clos 1».
2019 Ses toiles se vendent désormais entre 10 000 et 50 000 euros.
2023 Exposition de «Political Animals» au Baltimore Museum of Art.