TélévisionInterview

Sylvie Tellier

Après dix-sept ans passés à la tête
de la société Miss France,
la nantaise a choisi de quitter le navire.
Elle veut désormais promouvoir l’artisanat
et le savoir-faire français. Sans regrets.

Ce 17 décembre n’est pas un jour comme les autres pour Sylvie Tellier. À Châteauroux, elle est bel et bien aux côtés de l’inamovible Jean-Pierre Foucault pour présenter l’élection de Miss France en direct sur TF1 – un show qui réunit chaque année entre 6 et 8 millions de téléspectateurs. Mais, cette fois, elle laissera le soin à Cindy Fabre, la nouvelle directrice générale du concours de beauté, de poser la couronne sur la tête de celle qui succèdera à Diane Leyre. Une page se tourne pour la Nantaise: après 17 ans passés à la tête de la Société Miss France, elle a choisi de quitter le navire. L’information a été officialisée après l’été, à la surprise générale, mais la décision a mûri bien avant. La presse tricolore a parlé de différends avec Alexia Laroche-Joubert, sa «cheffe» depuis octobre 2021. Productrice de la Star Academy de 2001 à 2008, présidente d’Adventure Line Production (Koh-Lanta, Fort Boyard), celle-ci a visiblement l’intention de faire évoluer les critères d’admission à l’élection, permettant notamment à des mamans et à des femmes mariées de se présenter. En juin, une première candidate transgenre, Andréa Furet, avait également terminé première dauphine de Miss Paris…

Miss France fait-elle sa révolution? S’adaptant aux changements des mentalités et des mœurs? Dans l’Hexagone, le concours s’est toujours opposé à la chirurgie esthétique, alors qu’elle est encouragée en Amérique latine ou aux États-Unis. On se souvient aussi de cette polémique qui avait opposé Sylvie Tellier à Geneviève de Fontenay en 2010: la dame au chapeau avait claqué la porte de la société qu’elle s’était attelée à développer pendant 26 ans, en vilipendant l’image «vulgaire» et «dégradante» de Miss France prônée, à son avis, par Endemol. Une réaction qui faisait suite à la publication de photos dénudées de l’une des candidates en une du magazine Entrevue. À l’époque, on palabrait sur la taille du maillot de bain: une ou deux pièces? Aujourd’hui, le débat a pris de la hauteur. Il est devenu plus sociétal: un concours de beauté peut-il être 100% inclusif? Même si elle a été nommée présidente d’honneur, Sylvie Tellier observera tout cela d’un peu plus loin. Depuis trois mois, elle prend le temps de sillonner l’Hexagone pour préparer son avenir d’entrepreneuse. Sans se précipiter. Elle s’en explique en exclusivité pour OFF.

«J’ai 40 ans,
je suis une femme de défis.
Il était temps de commencer
une autre vie.»

C’était une tradition! Juste avant Noël, Sylvie Tellier retrouvait Jean-Pierre Foucault devant les caméras de TF1 pour l’élection de Miss France. Cette année, ce sera la dernière fois… ® Sameer Al-Doum / AFP / Getty Images

OFF: Sylvie, comment allez-vous?  On a le sentiment que, depuis l’annonce de votre départ, vous avez retrouvé le plaisir de profiter de vos week-ends…

Sylvie Tellier: C’est clair, même s’ils râlent toujours un peu parce que je ne suis pas là la semaine, mes trois enfants sont contents de retrouver leur maman pendant le week-end. Par le passé, cette période allant de septembre à décembre – que j’appelais le «tunnel» – était entièrement consacrée aux élections régionales et à la préparation de l’émission sur TF1. Je n’avais donc aucun week-end de libre. Autant dire que je redécouvre ce que c’est de passer un dimanche en famille.

OFF: Pourquoi avoir décidé de quitter Miss France en 2022?

ST: On ne quitte pas Miss France pour une seule raison. J’ai adoré ce que j’ai fait et je me suis toujours engagée avec beaucoup de passion dans cette aventure. Il y a simplement eu une conjonction de facteurs. Tout d’abord, j’ai eu envie de me fixer d’autres objectifs. J’ai 40 ans, je suis une femme de défis. Il était temps de commencer une autre vie. Pendant 17 ans, j’ai eu la chance de vivre une vie de chef d’entreprise. En 2005, à mon arrivée, il y avait tout à faire: un repositionnement de marque, une modernité à apporter au concours, des partenaires à aller chercher ou à consolider… Or, tous les buts que je m’étais fixés en 2005, j’ai le sentiment de les avoir atteints, voire dépassés.

OFF: Et l’autre raison?

ST: Ces derniers temps, le concours a beaucoup évolué, notamment par son règlement, et je n’étais pas en phase avec toutes ces évolutions. Je m’étais déjà exprimée à plusieurs reprises sur le fait qu’une maman puisse devenir Miss France ou pas… J’ai trois enfants, je connais le rythme de vie d’une Miss France pendant son règne et les sacrifices que cela représente pour elle. Je ne suis pas certaine que cela soit totalement compatible.

OFF: Ce règlement a beaucoup changé depuis votre arrivée en 2005. Était-ce votre colonté?

ST: Absolument. Lorsque je me suis présentée à l’élection en 2001, Miss France représentait le rêve, les belles robes, l’excellence, les voyages… Je suis fière d’être Française et ce côté ambassadrice m’a plu immédiatement. Porter cette couronne, c’était mettre en avant notre patrimoine! Mais, lorsque j’ai vécu mon année de règne, j’ai observé certaines choses, totalement archaïques, qui ne correspondaient pas à l’image de la femme que j’étais. J’avais 23 ans, j’étais étudiante en droit, je voulais devenir avocate fiscaliste, mais, par exemple, je n’avais pas le droit de me faire des mèches ou une teinture à mes cheveux. Pourquoi? Il y avait des évolutions à apporter et, dès mon arrivée, j’ai fait des propositions au comité dans ce sens.

OFF: Aujourd’hui, pourtant, vous êtes réticente à ces autres changements…

ST: Je l’ai dit, je n’étais pas en phase avec toutes ces évolutions, voilà, mais je ressens aussi le besoin d’entreprendre. Je porte ça en moi. Je ne me serais jamais lancée dans cette aventure si je n’avais pas eu le goût du risque. Il a fallu travailler sur les audiences, j’ai fait beaucoup de lobbying à l’international pour aller décrocher cette couronne de Miss Univers (ndlr. Iris Mittenaere en 2016), j’ai managé des gens, créé des équipes… Mais, aujourd’hui, je souhaite le faire dans une autre structure, avec cette même volonté de faire rayonner la France et de valoriser nos régions et notre artisanat. Dans Miss France, il y a deux mots: «Miss» et «France». Pendant 20 ans, je me suis occupée des Miss, désormais, je veux m’occuper de la France. (rires)

«Pendant 20 ans, je me suis occupée des Miss, désormais,
je veux m’occuper de la France.»

OFF: Comment répondre aussi à ces personnes, féministes pour la plupart, qui critiquent les concours de beauté, parce qu’ils donnent une image réductrice de la femme?

ST: Cela fait 20 ans que je leur fais faire des bonds, aux féministes! (rires) Mais je revendique mon côté poil à gratter. Quelle est la définition du féminisme? C’est faire ses propres choix, décider d’aller là où on a envie d’aller… Pourquoi une jeune femme n’aurait-elle pas le droit de défiler en bikini devant 10 millions de téléspectateurs, si elle assume d’être jugée aussi sur des critères physiques? Miss France est un concours de beauté, certes, mais pas que… C’est aussi devenu un concours d’élégance, d’éloquence et d’excellence. C’est surtout un vrai tremplin dans la vie. Je ne serais jamais devenue celle que je suis aujourd’hui sans cette élection et je n’ai jamais hésité à utiliser ce mégaphone géant pour donner mon avis. À 20 ans, j’ai boycotté le concours de Miss Monde, parce qu’il était organisé dans un pays qui pratique la charia et où les droits élémentaires des femmes n’étaient pas reconnus. Il y a sept ans, j’ai créé l’association Les Bonnes Fées et nous venons de profiter d’Octobre Rose pour faire la tournée des hôpitaux: ce sont 18 Miss qui s’engagent bénévolement pour permettre de financer des soins de thérapie complémentaires aux femmes atteintes d’un cancer. Je trouve donc que ce serait antiféministe d’empêcher des jeunes femmes de participer à un tel concours et de les priver de tout ce que la société peut offrir pour y prendre leur place.

OFF: C’est d’ailleurs ce qui ressort dans les interviews des Miss: ce titre a changé leur vie…

ST: Sur les dix-sept Miss que j’ai eu la chance d’accompagner, on trouve quand même Marine Lorphelin qui a terminé ses études de médecine pendant son année de règne. Laurie Thilleman est devenue entrepreneuse, en créant sa propre ligne de vêtements et en devenant animatrice TV, Iris Mittenaere est en cinquième année dentaire et elle est à la tête d’une société d’influenceurs. Malika Ménard est journaliste. Toutes ces jeunes femmes ont pu bénéficer, tout en se respectant, de cet accélérateur de vie fantastique que reste le concours.

OFF: Si on revient un peu en arrière, à cette année 2001, que s’est-il passé dans votre tête lorsque vous avez été élue Miss France?

ST: Franchement, et je pense qu’on peut le voir sur les images, je suis complètement choquée. Mon rêve était de participer à l’élection: dans ma tête, j’avais déjà gagné… J’avais d’ailleurs dit à mes sœurs de rester à la maison, devant la télévision: on allait me voir trois minutes, cela ne servait à rien de payer sa place pour venir jusqu’à Mulhouse. Mais, lorsque j’entends mon nom, mes yeux se mettent tout de suite à chercher ma mère dans la salle. Une espèce de fierté m’envahit. Employée de commerce, maman nous a élevées toute seule. Elle travaillait sept jours sur sept pour nous donner le meilleur, elle nous confectionnait des vêtements pour que nous soyons élégantes et que nous ne restions pas en marge de la société. Elle a mis ses économies sur la table pour nous inscrire dans une école privée. Elle a vraiment dédié sa vie à ses filles. Donc, à ce moment-là, je ne pense pas à moi, mais à maman. J’ai encore de l’émotion quand j’y pense… (les larmes lui montent aux yeux) Je me suis dit que ce cadeau-là, il était pour elle, pour tous les sacrifices qu’elle a faits pour nous.

® Stephane Cardinale – Corbis / Getty Images

OFF: Cela veut dire que vous ne vous étiez même pas projeté sur la suite?

ST: Pas du tout. Lorsque je retrouve maman quatre heures plus tard, ma première question était même totalement terre-à-terre: je n’avais pas payé mon loyer et je lui demandais comment j’allais faire avec le propriétaire, parce que je n’allais pas rentrer à Lyon tout de suite… (rires) Je n’étais pas attendue. D’ailleurs, la couverture de Paris Match, trois jours plus tard, parlait d’une révolution pour Miss France. J’ai fait voler toutes les habitudes en éclats, parce que je n’appartenais pas au sérail. En 2000, pour participer, il fallait soit suivre des études dans l’audiovisuel, comme Sophie Thalmann, soit être dans le domaine de l’esthétisme. Moi, je savais à peine me coiffer et me maquiller. J’étais élégante, parce que maman m’avait appris, mais je n’étais pas dans les codes de Miss France.

OFF: Si vous comparez votre élection en 2001 à celle de Diane Leyre l’an passé, avez-vous le sentiment que ce sont deux mondes différents?

ST: Totalement. La digitalisation et les réseaux sociaux sont passés par là. Les motivations de ces jeunes femmes ne sont pas différentes. Mais, il y a 20 ans, notre seule mission était d’être l’ambassadrice des valeurs de la République et d’aller à la rencontre des Français pour les remercier d’avoir voté pour nous. Aujourd’hui, il faut également être populaire sur les réseaux sociaux, créer des stories, fidéliser ses followers… C’est plus compliqué.

OFF: Comment expliquez-vous que certaines Miss soient plus «visibles» que d’autres après leur année de règne?

ST: Permettez-moi de nous lancer quelques fleurs! Avec mon équipe, nous avons réussi à faire de ces 17 Miss France des incarnantes. Nous avons permis aux Français de les découvrir pour ce qu’elles sont en tant que femmes: pour leurs valeurs et pour leurs engagements. D’ailleurs, la première question que je leur posais une fois élue, c’était: quel est ton rêve? Malika Ménard souhaitait rencontrer Lenny Kravitz: elle l’a fait. Delphine Wespiser rêvait de partager son engagement pour la cause animale avec Brigitte Bardot: nous lui avons organisé un rendez-vous. Nous ne les avons jamais utilisées comme femme-sandwich. Nous leur avons permis d’éclore, et ce avec un tout petit budget.

OFF: La Société Miss France n’a pas de budget, vous êtes certaine?

ST: Ce n’est pas parce que TF1 annonce 5 millions de recettes publicitaires pendant l’élection et réunit 10 millions de téléspectateurs que Miss France roule sur l’or. Ce n’est pas le producteur qui encaisse, mais le diffuseur! Quand Chloé Mortaud est élue en 2017, elle souhaitait participer à l’investiture de Barack Obama à Washington. Je lui ai mis des chaufferettes dans les poches et les bottes, je l’ai fait marcher 4 kilomètres à 5 heures du matin pour avoir accès au National Mall. Nous n’avions aucune accréditation et nous avons dormi chez des amis à Bethesda… Quand je vous dis qu’il n’y a pas de budget, c’est qu’il n’y avait pas de budget. (rires)

Pendant tout le mois d’Octobre Rose, dédié à la lutte contre le cancer du sein, Sylvie Tellier a sillonné la France avec ses Bonnes Fées (ici, Clémence Botino) et sa caravane pour offrir des soins esthétiques aux femmes malades. ©Dylan Dubois Photographie

OFF: Vous parliez des réseaux sociaux. Vous les utilisez beaucoup, on peut même vous suivre à la trace dans vos activités… Quelles limites vous imposez-vous?

ST: J’adore les réseaux sociaux, parce que cela m’a permis de créer un lien direct avec le public. Longtemps, les Français ont eu de moi l’image de la directrice. Avec Instagram, j’ai pu les inviter dans mon univers, celui de la maman, plus spontanée, celui de la femme de 40 ans touche-à-tout… Mes limites sont l’élégance – pas de vulgarité – et je ne montre jamais mes enfants. C’est moi qui ai choisi de me mettre dans la lumière, pas eux…

OFF: Même chose pour les Miss France?

ST: Je n’ai pas de baguette magique. On peut avoir un avis sur tout, mais ensuite, il faut pouvoir l’exprimer, le justifier et, surtout, l’assumer… Attention aux sujets politiques et aux questions sociétales! Nous sommes les Miss de tous les Français, il est important de le rappeler. Certaines, comme Delphine Wespiser, chroniqueuse chez Touche Pas à Mon Poste, en a fait les frais (ndlr. elle avait pris position pour Marine Le Pen dans l’émission): parfois, le fait de prendre parti peut s’avérer compliqué.

OFF: Désormais, vous souhaitez promouvoir l’artisanat en France… D’où vient cet amour pour les métiers d’art?

ST: Je ne sais pas. Il faudrait demander à ma sœur d’où vient sa passion pour la terre… Il y a une crise des vocations aujourd’hui. Quand je vois tous ces enfants, dans des écoles de commerce, avec des filières saturées, alors que celle de l’artisanat présente des promesses d’embauche, j’aimerais encourager les parents à mieux valoriser l’apprentissage auprès de leurs enfants. Pourquoi un ingénieur ou un médecin serait mieux considéré qu’un artisan? Il y a des trésors partout!

OFF: Comment allez-vous vous y prendre?

ST: J’ai plein d’idées. Mais je ne veux pas brûler les étapes. La vie ne nous donne pas beaucoup de changement de cap. Là, j’en ai un… Je m’offre donc un luxe: celui de prendre le temps. Je vais à la rencontre des entrepreneurs et des institutions, je me nourris de tout ça pour mieux asseoir mon nouveau projet professionnel.

OFF: La France est réputée pour ses savoir-faire. Vous avez déjà visité plusieurs de ces artisans au cours des dernières semaines. Qu’appréciez-vous dans ce monde-là?

ST: La prise de risque et, surtout, le talent. Moi, je n’en ai aucun. Je ne sais pas peindre ou jouer d’un instrument. Je suis donc admirative du talent des autres. Lorsque je vois le temps qu’il faut pour produire un grand cru chez Rœderer, par exemple, je dégusterai ma prochaine coupe de champagne différemment. Et quand ma sœur me raconte ses récoltes de miel, je mange mes tartines en connaissance de cause… Donc, si je vais voir ces artisans, c’est pour identifier leurs besoins (communication, finances) aujourd’hui, afin d’en devenir la meilleure ambassadrice dans les mois à venir. 

Sylvie Tellier

1978 Naissance le 28 mai à Nantes.
2001 Elle est élue Miss Lyon.
2001 Devient Miss France à Mulhouse.
2005 Elle publie le livre «Sans compromis» aux Éditions Michel Lafon.
2007 Nommée directrice générale de la Société Miss France.
2016 Premier tome des «Voyages d’Oscar et Margaux» aux Éditions Calligram.
2020 Publie le livre «Miss France: 1920-2020» pour les 100 ans du concours.
2022 Présente pour la dernière fois l’élection de Miss France à Châteauroux.
1978 Naissance le 28 mai à Nantes.
2001 Elle est élue Miss Lyon.
2001 Devient Miss France à Mulhouse.
2005 Elle publie le livre «Sans compromis» aux Éditions Michel Lafon.
2007 Nommée directrice générale de la Société Miss France.
2016 Premier tome des «Voyages d’Oscar et Margaux» aux Éditions Calligram.
2020 Publie le livre «Miss France: 1920-2020» pour les 100 ans du concours.
2022 Présente pour la dernière fois l’élection de Miss France à Châteauroux.