Isabelle Caillat « Du théâtre, j’accepte tout »
Au cinéma, au théâtre ou à la télévision, la comédienne genevoise s’habille de ses rôles pour mieux se dévoiler. À voir dans la série «Hors-Saison» sur la RTS.
C’est presque le printemps, mais elle nous accueille en col roulé, gilet, et veste en laine. Sur les chaises en métal de la cuisine, elle met des écharpes en guise de coussins, sinon c’est froid, aux pieds, des baskets pour l’intérieur, des bottes fourrées lorsqu’elle sort. Les couches successives dont elle recouvre sa peau sont comme les calices de sa beauté et de sa sensibilité. Ses pensées, elle les protège également par une économie de mots, qu’elle cherche en permanence, soucieuse de trouver les bons. Et soudain un éclat de rire, la spontanéité qu’elle laisse surgir, en signe de confiance.
Ses rôles, au théâtre, au cinéma ou à la télévision, elle s’en habille non plus pour se couvrir, mais pour se dévoiler. Enveloppée par ses personnages, elle s’habite elle-même avec plus de liberté et d’audace. «Du théâtre, j’accepte tout», dit-elle, la discipline, l’attente, les risques. «Mes rôles me travaillent beaucoup, ils déteignent sur moi comme je déteins sur eux. Ils viennent réveiller quelque chose qui avait déjà du sens, ou qui en prend.» On la reconnaît à chaque fois. Peut-être parce que jouer la comédie, c’est aussi redevenir, devenir, et par la suite, demeurer. «Ce que j’ai réveillé grâce à un rôle ne disparaît plus, ça s’apaise, mais ça reste en moi, dans un ailleurs qui ne prend plus toute la place, mais auquel je peux me reconnecter.» Dans Cellule de crise, qui lui vaut le prix Swissperform 2022 de meilleure comédienne dans un premier rôle, elle campe Suzanne Fontana, prof de droit international, propulsée à la tête du Haut-commissariat international humanitaire après un attentat au Proche-Orient. Une femme brillante, réservée, soudain propulsée à un poste en vue, au-devant de la scène… De Suzanne Fontana, Isabelle dit qu’elle se pose en permanence la question de sa légitimité dans le regard des autres. Elle sourit, comme pour admettre qu’elle parle aussi d’elle-même.
Ses origines haïtiennes
Dans Sacha, autre série à succès produite par la RTS, elle incarne une procureure impartiale, cœur tendre sous rigueur professionnelle, et on sourit à nouveau. Dernièrement, elle interprétait la narratrice d’Hiver à Sokcho, le roman d’Elisa Shua Dusapin, magnifiquement adapté en pièce de théâtre par le metteur en scène et comédien Frank Semelet, et son auteure. Alors que le roman permettait à l’écrivaine de tendre la main à ses racines coréennes, la pièce amenait Isabelle à interroger une nouvelle fois ses origines haïtiennes. «Je suis la moins typée de mes frères et sœurs», explique Isabelle. On comprend que si elle ne porte pas Haïti sur elle, il fallait que le pays soit en elle, davantage qu’en ceux dont l’appartenance était plus lisible. Adolescente, elle a nourri ses racines autant qu’elle le pouvait, s’intéressant à l’art, la musique, l’histoire du pays de sa mère. À 19 ans, lors d’un voyage sur place, elle se rend compte avec violence, presque, que ce pays n’est pas le sien autant qu’imaginé. «Il y avait eu un surinvestissement, je me suis sentie étrangère là-bas.» Depuis, Haïti est dans cet ailleurs où elle range aussi ses personnages, en elle, sans qu’il lui soit plus constitutif que ses autres patries, la Suisse et les États-Unis, ou ses autres rôles. Dans le prochain, elle veut rire, aussi, comme dans sa vie de tous les jours, où cohabitent le plus harmonieusement possible joie et anxiété. On la verra notamment sur les planches dans Rupture à domicile. «Je me réjouis de faire quelque chose avec du drôle», dit-elle dans ce sourire qu’elle a tantôt tendre et timide, tantôt facétieux et déterminé.