MusiqueReportage

Soprano : Le roi des stades

Le 4 juin, le Marseillais ouvrira sa tournée «Chasseur d’étoiles» à Lausanne, dans le stade olympique de la Pontaise, délaissé des stars depuis 15 ans. Un défi fou qu’a voulu relever Michael Drieberg. Rencontre avec les deux hommes, à quelques mois du concert événement.

Photo by Maxime-Alexandre Paul/ Getty Images

Elle a été «Méchante», «Dangereuse» et «Historique» pour Michael Jackson, «Nue» pour Prince. Tina Turner y a emmené sa «Foreign Affair» en 1990, U2 son «Zoo TV tour» en 1993. Mais depuis que les Rolling Stones ont fait résonner leur «Bigger Bang» dans ses tribunes en 2007, elle avait disparu des radars des tourneurs internationaux. Quinze ans plus tard, la Pontaise de Lausanne s’apprête à renouer avec son passé faste. Et celui qui lui fait cet honneur n’est autre que l’un des plus gros vendeurs de disques francophone: Soprano. Mieux: le 4 juin, l’artiste y lancera sa nouvelle tournée des stades, Chasseur d’étoiles, du nom de son dernier album sorti en septembre. Lausanne s’est greffée après coup dans l’itinéraire déjà établi, Michael Drieberg, directeur de Live Music Production, ayant fait le pari fou de redonner vie pour cet événement à l’édifice inauguré en 1954 et voué un temps à la démolition. 40 000 personnes sont attendues à cette grande fête.

En janvier, les places assises étaient déjà sold out. «C’est un honneur d’inscrire mon nom dans l’histoire de la Pontaise, quand je pense à toutes les étoiles qui s’y sont produites», nous confiait Soprano, de passage en Suisse en février pour officier en tant que juré du Swiss Voice Tour. «Ça m’a grave touché qu’on nous propose de jouer dans ce stade. On va pouvoir amener notre concept d’étoiles dans un stade étoilé!»

La chanson que Soprano préfère chanter sur scène, c’est Roule. «Les gens pleurent, il y a des étoiles dans leurs yeux, beaucoup d’émotion…». Photo by David Wolff-Patrick/Redferns/ Getty Images

Ce concert qui va renouer avec les superlatifs de la Pontaise mobilisera 1000 personnes pour assurer la sécurité et la technique notamment. Auxquelles s’ajoutent les 300 qui suivent Soprano sur la tournée et une bonne centaine de fournisseurs, détaille Michael Drieberg, content de voir que c’est en Suisse romande que l’artiste peaufinera, au cours d’une semaine de répétitions dans le stade, le show qu’il présentera ensuite le 11 juin à Lyon, les 18 et 19 juin chez lui, à Marseille, le 25 juin à Bordeaux et le 2 juillet, au Stade de France, à Paris, devant 80 000 personnes.

Directeur de Live Music Production, Michael Drieberg a fait le pari fou de redonner vie à la Pontaise.Photo DR

En attendant ces finitions, le spectacle se construit en salle à Marseille, sans la scène, version piste d’atterrissage pour vaisseau spatial: «Je me réjouis de la tester lors des répétitions à Lausanne. Nous avons imaginé cette scène pour être plus près du public. Il y aura la scène principale au centre du stade et quatre branches qui la relient à quatre scènes dans chaque coin. Ce sera sportif!».

«C’est un honneur d’inscrire mon nom dans l’histoire de la Pontaise, à côté de toutes ces étoiles!»

Les amis suisses

La capitale vaudoise, pour Soprano, 43 ans, c’est un peu un retour en terres connues. À ses débuts, au sein du groupe Psy 4 de la rime, il y venait régulièrement. De là sont nées des amitiés avec Stress, Yvan Peacemaker ou encore Dynamike, pilier de Couleur 3. Soprano avait enregistré un featuring sur l’album de ce dernier, La théorie du Kaos. «Dynamike a été le premier à me contacter. Depuis, chaque fois que je suis en Suisse, je le vois. Quand j’avais débarqué à l’époque pour enregistrer notre freestyle, il m’avait emmené dans le studio de Sens Unik. J’étais comme un fou, parce que j’écoutais Sens Unik depuis petit! Alors, en voyant le groupe, j’avais halluciné. On est resté en contact. Le parcours de Carlos Leal, ses films aux États-Unis, c’est incroyable!»

Le Marseillais a aussi de très bons souvenirs à Neuchâtel: il y avait donné son premier concert hors France, organisé par Avni Krasniqi, devenu un ami. «Avec les Psy 4 de la rime, on avait fait la route depuis Marseille en voiture. Seules une vingtaine de personnes étaient venues nous voir, mais pour nous, c’était un soir important parce qu’on réalisait pour la première fois qu’on nous écoutait en dehors de notre pays. »

« Voir autant de monde et penser qu’ils sont venus pour moi, ça me ramène encore plus à l’humilité. »

Imaginer une surprise made in Switzerland à la Pontaise? On se laisse tenter par la question. Il rit. «Il y a un passage dans mon concert qui est spécial, où il est possible de faire une belle surprise.» Une autre, elle, est presque confirmée: «Un de mes compositeurs, qui est de Lausanne d’ailleurs, travaille sur le prochain morceau. On aimerait tourner plusieurs scènes du clip à la Pontaise. J’espère avoir l’autorisation pour le faire.» Un morceau que l’on pourra entendre le 4 juin? Ce qu’il peut déjà dévoiler c’est qu’il entonnera son titre préféré, Hiro. «Je m’éclate aussi toujours sur Cosmo. Le public devient fou dès qu’il entend les premières notes», s’amuse Soprano en entonnant le début de son tube. «Mais celle que je préfère faire en concert, c’est Roule. Les gens pleurent, il y a des étoiles dans leurs yeux, beaucoup d’émotions. J’en ai des frissons à chaque fois. Roule, en fait, c’est le public qui la chante. Elle ne m’appartient plus, elle lui appartient.»

Avec sa tournée, Soprano promet un voyage dans les années 80-90 de son enfance. Dans son dernier clip, il y reforme d’ailleurs les NKOTB. Photo : Bobby

La perte d’un repère

La folie des grands stades, l’artiste se réjouit de la retrouver après deux ans de crise sanitaire. «Quand la lumière s’allume, tu es comme un enfant. Voir autant de monde, et penser qu’ils sont venus pour moi, ça me bouleverse, ça me ramène encore plus à l’humilité.» Avec cette tournée, il promet un voyage dans le temps, les années 80-90 de son enfance, dans l’imaginaire, quand tout semblait possible, même s’approcher des étoiles à vélo, avec un extraterrestre dans le panier. Sur l’album, Soprano fait des clins d’œil aux figures qui ont marqué ces années, Michael Jackson toujours, Star Wars évidemment, mais aussi les Inconnus, les Goonies, les Gremlins. Il reforme les NKOTB, revisite Premiers baisers avec le titre Justine & Abdelkrim, sublime la différence avec Forrest, plonge dans le flow du Grand bleu en compagnie de Mc Solaar, prends «le mic comme à l’ancienne» sur Bruce Lee, organise même sa propre Boum.

Pour Soprano, né Saïd M’Roumbaba dans les quartiers nord de Marseille de parents comoriens, ce septième album solo est aussi le premier après la disparition de son papa, son repère, Omar M’Roumbaba, emporté par le Covid en mai 2020. Le puissant Roi lion qui clôt l’album, après le titre Planète Mars 2021, lui est dédié. «Avec l’âge, j’ai appris à extérioriser mes peines. Je savais qu’il fallait que j’écrive une chanson pour gérer mes émotions. Je suis l’aîné d’une fratrie de cinq et maintenant, c’est moi le responsable. Donc, je dois rester debout.» Son père, souvent absent dans son enfance à cause de son travail d’homme à tout faire sur les pétroliers, Soprano le décrivait comme un «mystère», celui dont on veut profiter au maximum les rares fois qu’il peut être présent. Son éducation, dans le respect de la famille, des traditions et de la religion musulmane, a influencé son style: «Quand il a entendu pour la première fois une chanson de Psy 4 de la rime, Le son des bandits, j’étais fier. Mais lui, pas du tout. Il m’a dit: «Tu crois que j’ai traversé tout ce que j’ai dû traverser pour que tu prétendes être un bandit?» Ce jour-là, j’ai changé de direction. Ma musique doit être honnête, servir les valeurs que mes parents m’ont inculquées. Alors, j’ai commencé à écrire des choses positives. Tout ce que je fais, je l’ai toujours fait avec fierté pour mon père. Maintenant, il est là-haut et me regarde.»

Passant du rap à la chanson avec l’aisance qui lui vaut son pseudonyme, il met sa plume au service d’un message. «Même si pour certains, je serai le vieux qui saoule», rigole-t-il. Sur l’excellent nouveau Racine, Soprano rappelle ainsi: «Africa, mon amour (…) j’aimerais vivre ce rêve éveillé, où je pourrais dire à mes trois bébés que leur couleur de peau ne fera jamais d’eux des proies, mais je suis terrifié, les horreurs du passé sont toujours d’actualité.» Le racisme, lui, il l’avait découvert de la façon la plus violente qui soit à 16 ans, à travers le meurtre d’Ibrahim Ali, un rappeur d’origine comorienne de 17 ans qu’il croisait souvent en studio, tué d’une balle dans le dos à Marseille par des militants FN en 1995.

Le Marseillais a décidé de transmettre des valeurs positives dans ses chansons. «Tout ce que je fais, je l’ai toujours fait avec fierté pour mon père.» Photo : Bobby

L’album du confinement

Dans son studio à domicile, «au milieu du bordel» indispensable à sa création, Soprano a conçu Chasseur d’étoiles pour se faire plaisir, en l’absence de toute pression durant le confinement. Un temps de pause avec son épouse Alexia et leurs enfants Inaya, 14 ans, Lenny, 13 ans, et Luna, tout juste 10 ans, qu’il a apprécié. «Jeune, j’ai toujours été confiné en quelque sorte, parce que mes parents ne me laissaient pas sortir de peur que je tourne mal. Alors, ce confinement n’a pas changé ma vie. Je suis très casanier. Et les années 80, ça me rappelait justement ma jeunesse confinée, quand je regardais Bruce Lee, La Boum, Star Wars.» Des souvenirs qu’il a voulu transmettre à ses enfants. «Eux, quand ils regardent la série Stranger Things par exemple, truffée de références aux années 80, ils croient que tout est nouveau. Un jour, en voyant Claude François à la télévision, ma fille m’avait même dit «Regarde, il a pris la chanson de M Pokora!»

Le calme du confinement a suivi la tempête du surmenage que l’artiste évoque sans détour: «Ma tournée Phoenix s’était terminée peu avant le début de la pandémie. J’étais tellement fatigué que le confinement m’a beaucoup aidé. J’étais juste à la limite du burn-out. On faisait cinq dates par semaine, je gérais la promo de l’album et à côté j’étais encore juré dans The Voice et The Voice Kids. J’étais KO.» Raison pour laquelle la tournée Chasseur d’étoiles ne compte que cinq villes, toutes espacées de sept jours. «Les Zéniths reviendront, mais pour l’instant, on se concentre sur les stades pour ne pas refaire la même erreur», ajoute-t-il, en toute transparence.

Cette sincérité, on la retrouve toujours dans ses mots, ses raps et ses chansons. Comme dans  Parle-moi qu’il a composé il y a 15 ans pour son fils aîné, né sous X et placé à la DDASS à son insu quand il avait 16 ans. Un enfant qu’il espère toujours retrouver, révélait-il récemment sur TF1. En 2014, sans évoquer cette blessure encore vive, il dévoilait dans son autobiographie Mélancolique anonyme, comment au soir du 3 décembre 2004, il avait voulu en finir. «Un sursaut de lucidité, où famille et religion se mélangeaient», lui avait été salutaire, écrivait-il: «J’ai repris lentement confiance en moi et dans la vie. Un peu plus tard, en 2005, j’ai commencé à fréquenter ma future femme, Alexia. Alors, j’ai décidé de divorcer définitivement de la mélancolie, et de l’épouser, elle.»

Puisqu’il faut vivre, le nom de son premier album solo en 2007 souligne ce tournant. «Je soignais mes démons. Je revenais à la surface après la dépression et j’ai décidé d’atteindre le bonheur.» Depuis, Soprano, quatrième personnalité masculine préférée des Français, n’a cessé de viser les étoiles, symboles d’espoir. Le dernier morceau d’un album annonce le nom du prochain qui s’élève toujours plus haut, explique-t-il. La colombe et le corbeau, Cosmopolitanie, L’Everest, Phoenix puis Chasseur d’étoiles… En toute logique, on pourrait bien le suivre prochainement sur Mars.

Photo : Elisa Parron

Faire des choses irréalisables…

Escale à la Pontaise: Michael Drieberg nous dévoile les aménagements prévus pour recevoir Soprano, en arpentant la pelouse où il a sonné les grandes heures du stade, de Michael Jackson à Johnny Hallyday en 2000. «Quand on commence dans ce métier, on veut avoir les plus gros artistes, en faire un maximum. Après plus de 3000 concerts, c’est devenu la routine. Ce qui me fait vibrer aujourd’hui, c’est de faire des choses qui paraissent irréalisables.»

Il fait froid cet après-midi-là sur la Pontaise. Le jour est blanc. Mais à entendre Michael Drieberg décrire ce 4 juin, on sent déjà la chaleur de la foule. Comme un pied de nez au Covid, après deux ans de quasi chômage technique. Le challenge est de taille à lui plaire. «En général, un tiers des places est situé derrière la scène et donc inexploitable. Là, on utilise les 100% des gradins. On a donc dû remettre à jour le système de billetterie, recompter et numéroter tous les sièges.» La disposition demande également une sécurité renforcée pour protéger les cinq scènes et les passages qui les relient. Restent également les 6000 m2 de tartan, en plus de la pelouse, à protéger, le problème des entrées du stade trop petites pour accueillir les semi-remorques acheminant la scène et ses mats de 18 mètres à contourner, les grillages entre les tribunes à démonter, les chemins de fuite adaptés aux cinq scènes à créer. «Soit une bonne semaine de travail, contre deux jours habituellement. On a même prévu des doubles équipes au cas où il faut travailler la nuit à cause d’imprévus.»

Irréalisable, l’aventure ne l’est pas. Mais elle reste un immense coup de poker, reconnaît Michael Drieberg, accusant la taxe sur le divertissement, exception lausannoise, qui amputera les recettes de plus de 400 000 francs. «J’ai organisé tous les concerts de Soprano ces dernières années et ça me fendait le cœur de ne pas pouvoir l’accueillir avec Chasseur d’étoiles. Aucun stade en Suisse romande n’était assez grand pour ce show, à l’exception de la Pontaise, plus large grâce à sa piste d’athlétisme. Je prendrai sur moi le risque de rentabiliser ce concert. On est davantage dans l’émotionnel que dans le rationnel ici parce qu’avec cette taxe, soit on gagne des cacahuètes, soit on ne gagne rien.» 

Soprano

1979 Naissance le 14 janvier à Marseille.
1994 Fonde le groupe KDB, qui deviendra Psy 4 de la rime.
2003 Crée son label: Street Skillz Records.
2006 Mariage avec Alexia.
2007 Premier album solo, Puisqu’il faut vivre.
2016 Sortie de son cinquième album, L’Everest.
2017 Remplit le Stade Vélodrome à Marseille: 53 000 spectateurs.
2021 Chasseur d’étoiles, son septième album.
1979 Naissance le 14 janvier à Marseille.
1994 Fonde le groupe KDB, qui deviendra Psy 4 de la rime.
2003 Crée son label: Street Skillz Records.
2006 Mariage avec Alexia.
2007 Premier album solo, Puisqu’il faut vivre.
2016 Sortie de son cinquième album, L’Everest.
2017 Remplit le Stade Vélodrome à Marseille: 53 000 spectateurs.
2021 Chasseur d’étoiles, son septième album.