POMME : “Toute une vie pour être en paix avec soi-même…”
Deux Victoires de la musique, une vraie signature vocale et un univers qui offre tant à explorer : à 26 ans, elle est une figure incontournable de la scène française. Elle fait ses premiers pas au cinéma et sera à l’affiche de Festi’neuch en juin.
Elle est partout, sur tous les fronts, incontournable. Et c’est d’autant plus rare que, comme elle le répète souvent, les grandes radios ne passent pas sa musique, jugée pas assez mainstream. Depuis 2019, année de sortie de sa pépite folk acoustique, Les failles, Pomme est devenue une figure majeure de la scène française. Sur ce deuxième album, l’autrice-compositrice excellait de sa plume à révéler ses fêlures et traumatismes de sa voix onirique, chantant l’anxiété, le manque de confiance en soi, la peur de la mort en s’accompagnant à la guitare, au piano ou à l’autoharpe. La Lyonnaise à la mèche décolorée touchait le public en plein cœur en onze titres, dont les génialissimes Je sais pas danser et Grandiose.
La consolation ? Un élément central
Grandiose : un adjectif dont on aurait bien qualifié tout l’opus, écrit en douze jours lors d’une retraite en Bourgogne et enregistré en cinq avec Albin de la Simone. Trois mois après sa sortie, Pomme dévoilait en bonus, le 14 février 2020, Les failles cachées, une version augmentée contenant cinq inédits. Le même jour, Les failles était couronné album révélation de l’année aux Victoires de la Musique. Un album resté sans concerts en cette année de confinement. En 2021, Pomme – Claire Pommet de son vrai nom – est sacrée artiste féminine de l’année. Puis vient enfin la tournée. Un succès de plus. Le 10 février, jour des Victoires de la Musique toujours, Pomme jouait sur les mots et nous offrait (Lot 2) consolation, une réédition, à nouveau, de son troisième album Consolation, sorti en août. Avec cinq inédits. Derrière cette stratégie, l’envie d’en dire davantage au public après avoir retenu son attention avec une version courte, dans cette époque où tout va vite : « C’est difficile aujourd’hui de proposer des albums longs et d’espérer que les gens les écoutent en entier », nous explique-t-elle. « La version courte met dans une ambiance. Ensuite, je propose les autres chansons qui font partie du projet. Ces rééditions, je les anticipe déjà dans ma façon de composer. Mais il est possible d’acheter uniquement les inédits sous forme d’EP. C’est important afin que ce ne soit pas juste une opération commerciale. »
Avec Consolation, l’artiste s’est concentrée cette fois, non plus sur les peines qui ravagent, mais sur ce qui les éteint. Elle y célèbre aussi les femmes qui l’inspirent : Nelly Arcan et Barbara notamment. Des titres enveloppants et réconfortants, habillés de sonorités électroniques nées de sa collaboration avec Flavien Berger. La consolation, trop souvent réservée aux enfants, Pomme la rend centrale, offrant une parenthèse de douceur bienvenue après deux années marquées par les crises. Un projet avec lequel elle a aussi souhaité consoler l’enfant qu’elle a été. « Mais écrire Les failles et Consolation, pouvoir les chanter sur scène et avoir la chance d’avoir des gens qui m’écoutent, c’était déjà une consolation en soi. Je trouvais que c’était un beau titre pour un album qui englobait pas mal de choses qui me touchent. »
Animaux et mondes imaginaires
De son enfance à Caluire-et-Cuire, près de Lyon, avec une mère institutrice et un père agent immobilier, Pomme parle peu en dehors de ses chansons, confiant au détour d’interviews, comme dans En aparté sur Canal+, s’être longtemps sentie en décalage par rapport au monde, aux autres. Ses refuges alors : l’amour qu’elle porte aux animaux et les mondes imaginaires, expliquait encore cette fan du Voyage de Chihiro qui a appris le japonais. Deuxième enfant d’une fratrie de quatre, très sensible, en recherche constante d’attention, la petite Pomme suit des cours de cirque, chante dans une chorale où sa professeure lui fait découvrir Barbara, à 8 ans. Mais elle veut surtout être actrice. Elle passe même le casting pour incarner Marion Cotillard enfant dans La Môme. Mauvaise expérience : elle est recalée d’entrée, car ses yeux sont verts et non bleus. Elle rêve ensuite de devenir chanteuse comme Lorie qu’elle admire. À 14 ans, elle découvre la folk avec Joan Baez et Joni Mitchell. Fan absolue de Cœur de Pirate (dont elle fera des années plus tard la première partie), l’adolescente n’a dès lors qu’une idée : découvrir un jour le Québec. Elle y part seule, à 19 ans et s’y sent si bien qu’elle y vit depuis, une partie de l’année.
« Il y a des choses de mon enfance avec lesquelles je suis plus en paix aujourd’hui », poursuit Pomme avec pudeur. « En parler dans mes chansons m’a fait du bien. Mais je pense que ça prend toute une vie d’être vraiment en paix avec son passé et avec soi-même. » En 2019, dans un documentaire signé Hugo Pillard retraçant la genèse de l’album Les failles, elle ouvrait grand son âme à ce sujet : « Mes failles, c’est de manquer de confiance à tel point que je n’ai pas envie de sortir de chez moi, d’avoir l’impression que je suis hyper moche (…), c’est de trouver que je ne suis pas assez créative, que je ne fais pas assez de trucs dans ma vie… C’est de la non-confiance en soi, et même de la haine de soi. » Chanter ses failles, c’était commencer à les accepter : « Elles seront toujours là et j’aurai beau travailler, faire des thérapies, essayer d’aller mieux et essayer de les contrer, il y en aura d’autres. On en a tous. Et c’est cool d’en avoir conscience parce que cela permet de les apprivoiser. »
Seule maîtresse à bord
La chanteuse avait aussi évoqué en 2021, à la veille de son sacre aux Victoires, une part de ses blessures dans une lettre ouverte parue sur le site de Mediapart. Elle y décrivait son arrivée traumatisante dans l’industrie de la musique : « De mes 15 à mes 17 ans, j’ai été manipulée, harcelée moralement et sexuellement, sans en avoir conscience à cette époque évidemment. J’ai été l’objet de quelqu’un, façonnée selon ses fantasmes et déviances psychologiques. Je ne choisissais rien de ma vie (comportements, fréquentations), ni de mon apparence (vêtements, maquillage, épilation), ni de la direction artistique de mon propre projet musical naissant à l’époque. J’ai été manipulée jusqu’à en perdre totalement confiance en moi, confiance si fébrile à cet âge-là. »
Après le succès mitigé de son premier album À peu près, Pomme décide de se libérer de toute influence pour Les failles et de ne suivre que son intuition. Le désir d’émancipation de l’artiste trouve son paroxysme avec Consolation : elle l’a entièrement produit afin d’être libre de ses choix artistiques et propriétaire de sa musique. « J’avais fondé mon label en 2018 déjà, mais j’ai dû attendre d’avoir les fonds nécessaires pour produire un album. Il faut avoir les épaules solides, car c’est très cher. C’est aussi beaucoup d’organisation, de logistique, d’administratif, il faut donc savoir s’entourer des bonnes personnes. »