Reportage

Week-end au bord de l’eau Entre poissons et flamants roses

Mélangeant musique, cirque, arts visuels et activités ludiques, le festival sierrois se démarque par son atmosphère intimiste et son décor unique. Nous vous emmenons au cœur d’une 17e édition épique, dans l’écrin idyllique du lac de Géronde.

Par Marine Gillain   Photos David Zuber Photography  


Photos : David Zuber Photograph

Lorsque l’eau turquoise du lac de Géronde apparaît sous nos yeux quelques mètres après avoir passé l’arche d’entrée, un sentiment de dépaysement et de quiétude nous envahit immédiatement. Sur l’eau, Léon et Letizia sympathisent avec Bird Force One. Les premiers sont des flamants roses, l’autre est un cygne. Trois pédalos, avec lesquels festivaliers et festivalières embarquent pour une balade au fil de l’eau. Tout près, un paddle s’approche du phare rouge et blanc au bout du ponton, emblème du festival. Des transats rayés font face au plan d’eau, des hamacs arrivés tout droit de Colombie sont accrochés entre les peupliers, tandis qu’à gauche, des équipes de potes, du nom de Pink Ladies, La Fessée ou encore Les Bretons Savoyards s’affrontent dans un tournoi de pétanque bon enfant. Derrière les platines de la scène, Flamingo Nest, les DJ de Terres de Groove, diffusent une musique parfaite pour peaufiner l’ambiance « vacances les pieds dans l’eau ». Le décor est planté : bienvenue dans le chill et cosy festival Week-end au bord de l’eau.

Cette année, la neige au sommet des montagnes sublime le lac de Géronde, petit coin de paradis à 20 minutes à pied du centre de Sierre. Voilà dix-huit ans que ce lieu magique a inspiré une équipe de jeunes du coin, mus par un fort désir de faire bouger la ville. L’idée naît lors d’une discussion de bar durant le marché de Noël à Sion. Le « Club des cinq » fait ses armes en s’unissant à l’association Artsonic pour organiser des soirées à l’Hacienda. Quelques mois plus tard, les 29 et 30 juin 2007, environ 2000 personnes découvrent le premier Week-end au bord de l’eau, un festival gratuit, qui se déroule sur deux soirées. Pour installations principales, un bar à cocktails et un bus VW avec des platines à l’extérieur où mixent les DJ. « Nous avons eu Bonobo comme tête d’affiche, ce qui n’était pas des moindres », lance Michaël Pont, coordinateur de la Fondation du Week-end au bord de l’eau.

Pieds nus, le Valaisan tourne sur le site durant les quatre jours de l’événement, avec la mission d’avoir une vue à 360° sur tout ce qu’il s’y passe. « Durant les dix premières années, le festival a grandi, mais pas trop », poursuit-il. « Nous avons toujours voulu garder cette atmosphère relax, familiale, mélangeant concerts, street art et animations pour enfants. Au bout de dix ans, nous nous sommes demandé si l’on continuait ou si l’on s’arrêtait en beauté. Ce fut la première option… Entourés d’une famille et d’un comité opérationnel sans qui rien ne serait possible, nous avons créé la fondation pour professionnaliser et pérenniser le festival, et c’est cette même année que le logo du phare est né. » Les cinq oiseaux qui volent au-dessus du phare représentent ainsi les cinq membres de la fondation : Christophe Zwissig, programmateur, Julien Berthod, Manu Salamin, Olivier Ganzer et Michaël Pont.

La suite ? Une édition passe à la trappe durant le Covid, le festival s’agrandit en 2022 avec un chapiteau qui accueille les arts du cirque, et se déroule pour la première fois sur quatre jours au lieu de trois en 2023. « On avait fait venir un humoriste le jeudi, mais nous avons souffert d’une très mauvaise météo », note Michaël. « On a dû baisser le budget et se serrer la ceinture pour cette édition. On n’a rien à gagner, on veut juste que les gens viennent, qu’ils soient heureux, qu’ils kiffent et que ça vive. C’est ce qui fait la beauté du festival : on est une bande de potes, on vient de nulle part et on est toujours là au bout de dix-sept ans, malgré tous les rebondissements. »

« On n’a rien à gagner, on veut juste que les gens viennent, qu’ils kiffent et que ça vive. »

Un petit air de vacances flotte autour du lac de Géronde. Transats rayés face au plan d’eau, hamacs tendus entre les peupliers, parties de pétanque… L’ambiance du festival valaisan se veut relax et familial.
Photos : David Zuber Photography

Une histoire de rencontres

Lorsque la nuit tombe sur cette première soirée de festival, Inês, alias Vulcana Flow, originaire des Açores, embrase les lieux avec son spectacle de feu, dansant et maniant les flammes et les cerceaux avec une certaine classe. Le dancefloor se remplit, les oiseaux de nuit sont sortis, certains se sont enguirlandés de petites lumières LED pour mieux briller. « Ici, la musique rencontre la nature et c’est juste magnifique », s’extasie Marjo, Valaisanne qui découvre le festival. « J’adore l’ambiance ‹bord du› valaisanne : raclette, jeux, arts, pédalos, transats où l’on peut boire l’apéro, tout en découvrant des artistes d’ici et d’ailleurs… Les flamants roses, le phare et le requin dans le lac sont un joli clin d’œil décoratif et festif ! »

Un petit air de vacances flotte autour du lac de Géronde. Transats rayés face au plan d’eau, hamacs tendus entre les peupliers, parties de pétanque… L’ambiance du festival valaisan se veut relax et familial.
Photos : David Zuber Photography

Au festival Week-end au bord de l’eau, pas de grosses stars qui rameutent les foules, mais une programmation pointue, vers laquelle on peut se diriger les yeux fermés. « Beaucoup de gens viennent sans regarder la line-up », assure Michaël Pont. « Ils viennent pour l’expérience, pour s’immerger dans cette atmosphère de détente, de vacances. Le spot y est pour beaucoup et surtout, il y a une vraie âme. » Cette âme, elle, semble en partie provenir des rencontres et des affinités qui se tissent au gré des ans. « J’ai rencontré Christophe, le programmateur, lors d’une randonnée à la Réunion », raconte Maxans, qui en est originaire. « Il marchait derrière moi et m’a demandé quelle musique j’écoutais. » Le courant passe, et cela fait désormais quatre ans que le jeune homme vient à Sierre pour faire de la peinture ou du mapping vidéo : « Le Week-end au bord de l’eau est conçu pour les familles, on le sent, mais c’est aussi le cas dans l’équipe. On est très unis, des affinités s’installent et ça donne une belle énergie tout autour. » Lui qui aimerait concevoir son propre festival à la Réunion dit se sentir inspiré par cette philosophie.

Improvisation sans son

Les concerts du vendredi démarrent avec deux groupes du cru. Loris Mittaz & Friends ouvrent le feu. Dès les premières notes, le talentueux pianiste malvoyant attire le public comme un essaim, et sa reprise parfaite de Sofiane Pamart laisse bouche bée. Juste après, le groupe Kalpetrane monte sur scène. La chanteuse et ses musiciens se sont rencontrés au collège à Brigue. La bande a commencé à jouer dans des restaurants et des bars pour le fun, avant de décider de se lancer plus sérieusement, visant les salles de concert et les festivals.

Face au lac, Tami et Juliana peignent des tableaux. Ceux-ci seront ensuite exposés dans la galerie du Week-end au bord de l’eau, qui regroupe les œuvres des artistes ayant collaboré avec le festival. « J’ai déjà dessiné en public, mais c’est la première fois que je fais ça sans avoir rien prévu en avance », raconte Tami, Brésilienne installée à Vevey. « Je voulais me laisser inspirer par les lieux. En arrivant face à ces flamants roses en plastique dans le lac, j’ai eu l’envie de dessiner l’histoire d’un oiseau qui tombe follement amoureux d’une bouée en plastique. » L’artiste peintre, illustratrice et tatoueuse, découvre sur place le mélange des disciplines artistiques, qui donne une énergie « hyper vivante » au lieu. Justement, tout près, des artistes de cirque amusent petits et grands avec des numéros de clowns, notamment en soufflant des bulles de savon géantes.

Un câble mal branché fait sauter le système de son. Pat Kalla & The Super Mojo poursuivent leur concert en acoustique au milieu de la foule.
David Zuber Photography

Il est temps d’embarquer sur Letizia avec Pat Kalla pour une interview au fil de l’eau, quelques heures avant qu’il ne monte sur scène avec ses compères du Super Mojo. « J’ai l’impression que je vais croiser le monstre du Loch Ness… Vingt dieux, un requin ! », lance le chanteur, peinant à garder sa concentration, alors que ses acolytes quittent le navire pour sauter dans l’eau rafraîchissante et regagner les coulisses à la nage. « Nos chansons abordent les choses de la vie, parfois certains points sensibles, mais toujours avec légèreté », souligne Pat Kalla. « C’est comme si l’on réunissait les gens à une table et qu’on leur disait que dans la vie, il ne faut pas s’en faire. » Le Lyonnais, originaire du Cameroun, est aussi conteur dans les écoles, les hôpitaux ou les maisons de retraite : « Si je faisais uniquement de la musique, il me manquerait quelque chose et il y aurait un risque à être trop autocentré. »

Durant le concert, un câble mal branché fait sauter le système de son. Pat Kalla & The Super Mojo descendent de scène et improvisent en acoustique, au milieu d’une foule ravie qui les encourage sans faillir. Le son rétabli, le groupe remonte sur scène, plus enflammé que jamais : « On n’a jamais vécu un concert de la sorte, c’est complètement fou, on s’en souviendra toujours ! »

Dans un monde de poissons dorés

La nuit est tombée. Des lanternes, fabriquées durant l’après-midi, flottent sur le lac, offrant un spectacle enchanteur. Le duo sud-africain Goldfish monte sur la scène décorée de méduses, poissons et algues colorées, pour l’unique date européenne de leur tournée. « C’est si bon d’être de retour dans ce coin du monde, après notre premier passage en 2011 », nous avaient-ils confié un peu plus tôt, large sourire aux lèvres. « Tout ressemble à une carte postale, c’est si accueillant ! » Ceux qui se sont rencontrés lorsqu’ils étudiaient le jazz à l’université de Cape Town et qui se sont produits à Coachella et au Burning Man assurent qu’un tel événement intimiste leur fait le plus grand bien, au milieu de grands festivals parfois « too much ». Pour ne rien gâcher, les musiciens profitent de leur séjour en famille, en randonnant dans les vignobles ou encore en allant déguster des raclettes à Château de Villa : « C’était une expérience légendaire ! Et comme on adore tester des spots de surf partout dans le monde, demain on va aller surfer à Alaïa Bay. C’est génial de penser qu’on va surfer en Suisse ! »

Week-end au bord de l’eau

2007 Naissance du festival. Environ 2000 personnes se rendent au bord du lac de Géronde.
2008 Affluence de 4500 personnes pour la 2e édition. Premier festival de Suisse romande à utiliser des verres réutilisables consignés.
2013 Il fait 7 degrés lors de l’ouverture le vendredi et le public passe le samedi sous la pluie. Des chameaux sont invités parmi les festivaliers.
2014 Nouvel emblème du festival, un phare créé par l’artiste Pierrot des Ballons est érigé.
2016 Pour les dix ans, la fondation sort un vinyle, un livre, organise une expo et crée une immense fresque au centre-ville. Le Guardian le classe parmi les 10 meilleurs festivals en Europe.
2022 L’espace s’agrandit, avec un chapiteau dédié aux arts du cirque. Record d’affluence : 8000 spectateurs.
2023 Première édition sur quatre jours.
2007 Naissance du festival. Environ 2000 personnes se rendent au bord du lac de Géronde.
2008 Affluence de 4500 personnes pour la 2e édition. Premier festival de Suisse romande à utiliser des verres réutilisables consignés.
2013 Il fait 7 degrés lors de l’ouverture le vendredi et le public passe le samedi sous la pluie. Des chameaux sont invités parmi les festivaliers.
2014 Nouvel emblème du festival, un phare créé par l’artiste Pierrot des Ballons est érigé.
2016 Pour les dix ans, la fondation sort un vinyle, un livre, organise une expo et crée une immense fresque au centre-ville. Le Guardian le classe parmi les 10 meilleurs festivals en Europe.
2022 L’espace s’agrandit, avec un chapiteau dédié aux arts du cirque. Record d’affluence : 8000 spectateurs.
2023 Première édition sur quatre jours.

Retour au concert. De Moonwalk Away à If Summer Was a Sound, les titres du duo transportent le public dans une autre dimension. Entre flûte traversière et contrebasse électrique, les solos au saxo font tout leur effet. « J’ai adoré ce mix dj-instrumental », s’enthousiasme Marjo. « Ces deux artistes nous ont fait rêver, danser, ils nous ont emmenés hors du temps dans un monde de poissons dorés. » « Je ne connaissais pas ce festival et je me suis vite senti comme un poisson dans l’eau ici, pris dans un courant de bonne humeur et de gentillesse », confie pour sa part Samael, un Breton qui porte un costume de licorne multicolore. « L’atmosphère est envoûtante, c’est un flow continu de rencontres et de partage au rythme des vibes et des basses… »

Le lendemain, des cœurs seront brisés. Le site sera évacué en début de soirée à cause de rafales de vent, rouvert à 22 heures avec un programme musical réduit, avant d’être évacué une seconde fois vers 2 heures et annulé le dimanche, à cause du débordement du Rhône. Une semaine après ces crues historiques, il était encore trop tôt pour évoquer l’avenir du festival, alors incertain. « C’est un coup dur pour nous, mais il y a des gens qui ont perdu bien plus, ce qui nous fait relativiser », réagit Michaël Pont. « Ça restera dans tous les cas une édition riche en émotions, que l’on n’oubliera pas ! » Quant à nous, nous suivrons les pas de Goldfish, direction Château de Villa, pour éponger la déception et rêver d’une prochaine édition.