Salif Gueye «Je veux devenir le plus grand danseur actuel»
Grâce à sa vidéo de moonwalk devenue virale en 2018, le jeune parisien a été propulsé du jour au lendemain sur la scène internationale. Mais il a su se montrer à la hauteur de l’engouement mondial qu’il a suscité.
«Avant, personne ne voyait ce que je faisais. Et regardez où je vais maintenant!» Le streetdancer français Salif Gueye savoure sa réussite et ne s’en cache pas. En trois ans, il a tenu la vedette du clip Stay (Don’t Go Away) de David Guetta, fait une battle avec Will Smith pour la promotion du film Gemini Man et enseigné des pas à Novak Djokovic. Il a dansé à Bercy à l’invitation du légendaire Quincy Jones, sur TF1 pour Danse avec les stars et à Cleveland pour la NBA. Il est l’égérie de Lacoste et, en ces temps de pandémie, il a incarné l’optimisme pour une campagne internationale de Zalando. Actuellement, l’artiste de 25 ans négocie une tournée américaine de shows, où il mêlera la danse à divers arts, et pour laquelle la production veut lui donner carte blanche.
Quelques hauts faits sur une longue liste. Au téléphone, Salif Gueye lui-même a de la peine à évoquer son actualité, tant les beaux projets s’enchaînent. Surtout qu’il vient d’ajouter une nouvelle dimension à sa panoplie de talents: des projets de cinéma plein la vue, il a intégré la prestigieuse agence Adéquat, rue de Paradis à Paris. Celle-là même qui gère les carrières d’Omar Sy, Marion Cotillard, Xavier Dolan ou Léa Seydoux, entre autres grands noms du septième art.
Une vidéo devenue virale
Une minute suffit pour changer de vie: l’expression n’est pas galvaudée dans le cas de Salif Gueye. L’enfant d’Épinay-sur-Seine, frère cadet d’Ormaz du groupe Panama Bende, est passé de l’anonymat à la lumière grâce à un travelling de 60 secondes le montrant sidewalkant et moonwalkant sur le parvis de Beaubourg au son de Rock With You de Michael Jackson. «C’était la vidéo la plus simple que j’avais jamais faite. En une seule prise! Je ne voulais même pas la publier. Mais mon ami Anderson m’a convaincu de la laisser en ligne au moins 24 heures.» Il n’en aura fallu qu’une poignée pour que sa performance devienne virale: vite repérée et repostée par le basketteur star LeBron James et par l’acteur le mieux payé de Hollywood, Dwayne «The Rock» Johnson, elle est ensuite relayée par Chris Brown et Bruno Mars. Le compte Instagram de Salif «La Source» Gueye passe en cinq jours de 9000 abonnés à 1,5 million! Incroyable? Non, tant le jeune homme, qui compte aujourd’hui 2,3 millions de followers sur le réseau et totalise près de 10 millions de vues sur cette vidéo, ensorcelle par son art. Sa reprise du moonwalk (en baskets et sur le bitume!) et autres pas de Michael Jackson, mais aussi son mouvement signature qui le voit descendre de dos au sol sans appui, puis remonter à la force d’une seule jambe, la précision de ses pas, l’originalité de ses mimes donnant vie à la musique, ses gestes qui semblent incarner chaque instrument, souligner chaque phrase, chaque intonation, l’ont placé dans la cour des grands. The rest is history, diraient les Américains qui ont accueilli le phénomène français à bras ouverts: le 6 novembre 2018, Salif Gueye est invité sur le plateau d’Ellen DeGeneres, reine du talk-show. Rebelote le 13 février 2019. Le danseur de Beaubourg profite de cette nouvelle opportunité aux États-Unis pour laisser le devant de la scène à ses amis de toujours, danseurs avec lui du crew Undergroove. L’émission est likée par le compte officiel de Michael Jackson, comme un clin d’œil de l’idole disparue, à l’origine de sa vocation. «J’ai commencé à danser à 3 ans, selon ma mère, mais je ne m’en souviens pas, raconte-t-il. En revanche, je me rappelle bien le jour où, en vacances à Dakar peu après, j’ai été scotché en découvrant le clip Bad de Michael dans un best of de M6. Je n’en croyais pas mes yeux!»
Dans les pas de Michael Jackson
Dès lors, le petit garçon s’entraînera sans relâche pour reproduire les pas du King, décortiquant ses chorégraphies et rembobinant sans cesse ses cassettes VHS pour l’imiter au plus juste. «C’était aussi stimulant pour moi que peuvent l’être les jeux vidéo pour d’autres. Vers 8 ans, quand mes potes venaient me chercher pour jouer dehors, je refusais. Je préférais profiter de mon temps libre pour m’améliorer et faire comme si j’étais Michael Jackson. C’était stimulant, et ça l’est toujours.» Comme Michael, Salif n’a jamais pris un seul cours de danse. Comme Michael, rappelant ce qu’il devait à ses prédécesseurs James Brown, Jackie Wilson, Fred Astaire, Chuck Berry, Sammy Davis Jr ou encore Charlie Chaplin, Salif assume les mêmes influences. Il cite aussi souvent Les Twins et leur parcours, depuis La France a un incroyable talent en 2008 jusqu’aux États-Unis, où ils ont notamment été les danseurs de Beyoncé.
Avant de devenir célèbre, Salif Gueye, né un 4 septembre comme Queen B, a passé cinq ans à danser dans la rue, cette scène exigeante où il faut mériter son public à chaque prestation. Et le fidéliser. Au départ, lui et ses amis passionnés de danse cherchaient à gagner un peu d’argent de poche à l’adolescence. Ils prennent vite goût à ces représentations. «Après mon bac STMG (ndlr. sciences et technologies du management et de la gestion, avec économie et droit), j’ai arrêté mes études pour me consacrer à ma passion. Le temps, c’est la seule chose qui ne se rattrape pas et si on n’en investit pas beaucoup sur ce qui compte pour nous, un jour il sera trop tard. J’ai eu de la chance, oui. Mais j’ai aussi et surtout provoqué cette chance.» Chez les Gueye, Salif est le seul danseur. Son assiduité lui vaut toutefois le soutien sans faille de ses parents, malgré l’inquiétude de son père. «Pour lui, les études, c’était le plus important. Et il a raison. C’est vrai que j’ai pris un risque. Mais que serait la vie sans risques? Je suis croyant. Je pense qu’il y a une énergie au-dessus de nous, Dieu, qui veille sur tout le monde quand on fait les bons choix. Mais c’est à nous de nous bouger, de nous motiver.»
Avec ses street shows, le jeune homme se construit une petite notoriété à Paris. «Je crois qu’on m’aimait bien parce que je donne le sourire, je diffuse des bonnes ondes et on voit que j’aime ce que je fais», détaille celui qui se décrit comme «un vrai gentil, toujours positif». Certains passants lui donnent des bonbons ou des préservatifs, mais dans l’ensemble, les recettes sont bonnes. «Une fois, alors que je venais de perdre mon téléphone, j’ai gagné 800 euros et je suis allé directement m’en racheter un. Je l’ai payé en petite monnaie!» Entre les séances à la maison et les spectacles de rue, il danse à l’époque 10 heures par jour, week-ends compris. Aujourd’hui, son agenda ne lui laisse que 2 à 4 heures quotidiennes pour s’entraîner. « Mais il n’y a pas un jour où je ne danse pas. J’en ai besoin pour vivre comme on a besoin de respirer.» Salif s’est désormais entouré d’un entraîneur pour peaufiner ses mouvements et d’un coach sportif: «Il m’aide côté nutrition parce que mon péché mignon, c’est la malbouffe, les fast-food, les sodas. » La rue, Salif Gueye aime y danser encore parfois. Retrouver cette liberté, ce contact direct avec ses spectateurs. «C’est bien de se ressourcer, retourner dans la rue pour montrer que tout est possible, pour inspirer les gens.» Pourtant, tous les souvenirs n’y sont pas agréables: «Parfois, on se faisait traiter de losers ou on nous dénonçait pour nuisance sonore. Les policiers nous confisquaient les sonos. C’est dommage qu’on en soit encore au stade de ne pas comprendre le hip-hop et un artiste qui veut juste s’exprimer, gagner de l’argent avec ce qu’il fait, être heureux et se sentir libre.» Ironie de l’histoire: c’est à Paris en 2024 que le break dance fera son entrée au Jeux olympiques. Si Salif Gueye ne concourt pas, car il n’y a pas de catégorie danse debout, il a été engagé par le comité pour des ateliers et des shows. «Quand je pense qu’avant, on m’empêchait de danser à Paris, et maintenant, c’est Paris qui me réclame!»
«La positivité, même dans la galère, et la confiance en soi, c’est le début de la réelle aventure.»
Pas fait pour placer des produits…
En danse, la reconnaissance reste trop difficile à acquérir, rappelle l’artiste: «Il faut un mental d’acier parce qu’on ne te voit pas tant que tu n’es pas célèbre. On te met toujours derrière un chanteur. Je suis fier d’assister aujourd’hui à des événements où l’on me place sur un piédestal aussi important que celui des chanteurs.» Et la musique? Salif admet y penser depuis longtemps, mais préfère pour l’instant se concentrer sur la danse et ses débuts d’acteur. «Je ne veux pas partir dans tous les sens en même temps. Au cinéma, je commence à zéro et je veux obtenir ce qu’il y a de mieux. J’ai déjà passé des castings et fait un essai. J’attends les réponses», confie-t-il. «Pour mon essai, j’incarnais un homme qui découvre que sa mère est morte depuis trois ans, alors que, tout ce temps, il recevait des lettres de sa main. C’est difficile de sortir ces émotions tristes, pour moi qui suis très joyeux. J’ai beaucoup répété, seul, avec ma mère, avec ma copine. J’étais très content du résultat, mais je sais que je devrai travailler énormément pour devenir un grand acteur.» Devenir un grand acteur, comme ses nombreux modèles – George Clooney, Omar Sy, Daniel Radcliffe, Denzel Washington, Brad Pitt, Ben Stiller, Jean Dujardin. Mais aussi «le plus grand danseur actuel», son souhait depuis l’enfance. Pas question donc de s’éparpiller: «Je ne fais par exemple aucun placement de produits. Je n’ai pas transpiré pour ça, mais pour pouvoir vivre de ma passion et être reconnu pour mon art.» Il n’a jamais douté de son succès, concède-t-il. Ce qui l’a surpris par contre, ce 17 octobre 2018, quand son téléphone n’a cessé de vibrer sous le poids des likes, c’est l’ampleur qu’il allait prendre. «La positivité, même dans la galère, et la confiance en soi, c’est le début de la réelle aventure, c’est la clé de tout», répétera-t-il plusieurs fois au cours de notre entretien. «Je ne peux que sourire, je n’ai jamais le temps d’en vouloir à quelqu’un. La vie est tellement courte. Si on me fait du mal, je m’en vais. Je continue à vivre ce que j’ai à vivre, ce que la vie me réserve et ce que je mérite.»