Saype : Jeux d’enfants à L’ONU
L’artiste franco-suisse a réalisé une fresque géante au cœur de New-York: «World in Progress II». Ou comment construire le monde demain…
On avait d’abord découvert ce portrait de femme d’une tendresse infinie à La Clusaz, puis ce vieil homme en pleine contemplation sur les hauts de Leysin… Depuis 2015, ses fresques éphémères ont insufflé, à doses homéopathiques, un peu de poésie et d’optimisme dans notre quotidien. Ex-infirmier, Guillaume Legros, alias Saype – une contraction de Say Peace – a commencé à s’interroger sur le sens de notre existence, sur notre place dans le monde d’aujourd’hui, suite au Printemps arabe. Il a alors choisi le land art pour nourrir la discussion. L’artiste franco-suisse crée en effet des œuvres XXL sur l’herbe, la neige ou, désormais, le sable, avec de la peinture biodégradable composée de pigments naturels, tels que la craie et le charbon. Ses sujets de prédilection? La crise des réfugiés, l’écologie, l’insouciance de l’enfance… En 2018, apparaît, sur la pelouse de la Perle du Lac, à Genève, une petite fille qui jette un bateau en papier sur les eaux du Léman. Créée en soutien à l’association SOS Méditerranée, «Message from Future» fait le buzz sur les réseaux sociaux, vue par 120 millions de personnes. Conscient de sa capacité à mobiliser, Saype se met alors en tête de réaliser la plus grande chaîne humaine du monde. Son projet, intitulé «Beyond Walls», commence au pied de la tour Eiffel, à Paris, en 2019, et, depuis, l’emmène de ville en ville. Berlin, Istanbul, Ouagadougou, Cape Town, Ouidah… Il espère ainsi associer une trentaine de métropoles à sa réflexion sur l’urgence de vivre ensemble et la solidarité entre les peuples. Avant de rallier Dubaï et l’Exposition universelle, Saype s’est arrêté, en septembre, à New York pour investir la pelouse nord du siège de l’ONU…
Un premier acte à Genève
L’histoire a commencé en 2020 à Genève, au cœur du parc du Palais des Nations. Pour célébrer le 75e anniversaire de l’ONU, Saype y peint une œuvre de 6000 m2: deux enfants sont assis côte à côte sur la pelouse et dessinent leur monde de demain. On y voit une chaîne humaine, autour d’un arbre; quelques animaux se joignent à cette merveilleuse farandole. Dans le ciel, où brille un immense soleil, une colombe de la paix s’envole. Baptisée «World in Progress», cette fresque évoque «la construction collective de notre futur». En traversant l’Atlantique, l’artiste a estimé qu’il était temps de donner vie à ce monde…
Comment integrer l’œuvre
Saype a profité du lancement du Common Agenda, un rapport du Secrétariat général de l’ONU qui propose ses recommandations afin de relever les défis d’aujourd’hui et de demain, pour retrouver ses deux petits héros: cette fois, ils commencent à construire leur monde idéal en origami. «World in Progress II» s’étend sur près de 10’000 m2. Un sacré défi. L’artiste consacre beaucoup de temps, en amont, à choisir l’histoire qu’il veut raconter et, surtout, la manière d’intégrer l’œuvre dans son espace naturel. C’est pourquoi il tient à se nourrir de l’esthétisme et de l’histoire du lieu avant de concevoir son projet.
Des carrés comme repères
Derrière son masque, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, doit sûrement se demander comment Saype a réussi à transposer ce dessin sur un espace aussi large. Tout le secret tient dans ces petits carrés… L’artiste commence en effet par quadriller le terrain avec des piquets de bois – des quadrilatères de trois mètres sur trois qui lui permettent de se repérer dans l’espace. Ensuite, il s’agit d’une «simple» mise à l’échelle de son crayonné sur le sol. «Les gens croient que j’utilise un drone pour m’aider à peindre. Ce n’est pas le cas! En fait, je ne découvre l’œuvre qu’au moment de la photo finale…»
Prendre de la hauteur
Saype a mis plus d’une année pour mettre au point sa peinture éco-responsable à base de pigments naturels. Le principal défi? Qu’elle fixe suffisamment sur l’herbe pour éviter que l’œuvre ne disparaisse en cas de pluie. Celle-ci reste néanmoins éphémère: au bout de deux ou trois semaines, elle s’estompe, s’efface, la nature reprend ses droits avec la repousse de l’herbe… Mais, avant, l’artiste aime à se mettre en scène dans son tableau. Allongé sur un nuage ou accroché au bec du pingouin. «Quand on a la tête dans les problèmes, il est toujours bon de prendre un peu de hauteur, de s’en détacher, pour avoir les idées claires.»