ScèneA table

Mandarin Oriental du chocolat et des baguettes  !

Claude-Nnga Barbey, Patrick Chappatte et Caroline Buechler ont découvert la cuisine du Sachi, le nouveau restaurant japonais du cinq étoiles, à Genève. Et parlent de valeurs et de liberté d’expression…

Patrick Chappatte, Claude-Inga Barbey et Caroline Buechler dans le décor très épuré du Sachi. Derrière eux, l’Omakase Bar propose une dizaine de places où les clients assistent à la préparation en direct de leurs assiettes. Photo : Nicolas Dupraz

« C’est quoi, un usu-zukuri de bar ? Et le champignon koba-yaki ? » La découverture du menu du restaurant Sachi, au Mandarin Oriental, suscite beaucoup de questions autour de la table. Patrick Chappatte a l’âme voyageuse et, curieux, se laisse tenter par ces deux plats, signés par le chef Mitsuru Tsukada. Claude-Inga Barbey, elle, paraît un peu déroutée par tous ces vocables japonais. « Sachi, ça me fait plutôt penser à un restaurant italien, non ? » Elle finit par suivre son voisin dans son voyage gastronomique : un carpaccio de poisson au jus de yuzu et un émincé de champignons posés sur une feuille de mimosa, puis fumés.

Ces deux-là se sont déjà croisés par le passé. « Il m’a sauvé la vie sur un plateau de télévision », raconte la comédienne avec un filet de reconnaissance dans la voix. C’était dans l’émission Infrarouge, sur la RTS. Le thème, « Peut-on rire de moi ? », faisait suite à une capsule vidéo – diffusée par le journal Le Temps sur son site – jugée « transphobe » par le Collectif radical d’Action Queer. Ce soir-là, Claude-Inga se sent attaquée, oppressée – comme si on l’avait convoquée, sans la prévenir, à son propre procès. « J’ai failli me lever et partir. » À ses côtés, Patrick Chappatte la défend, elle, mais aussi le droit à l’humour, l’importance du second degré dans une société qui ne sait plus prendre de distance. Il sera d’ailleurs beaucoup question de liberté d’expression et de valeurs, pendant le repas. « Depuis trois semaines, avec tout ce qui se passe à Gaza et en Israël, cela n’a jamais été aussi compliqué », fait d’ailleurs remarquer le dessinateur de presse. Certains de ses dessins ont été refusés : trop sensibles, trop risqués… Une femme s’est même désabonnée d’un quotidien zurichois après la publication de l’un d’eux. Il y faisait mention du 11 septembre, mais avait pris soin de ménager les susceptibilités. Ça n’a pas suffi, visiblement ! Les médias ont-ils jeté l’éponge face à la dictature des réseaux sociaux et de son tribunal populaire ?

Une passion chocolat

« Et si on parlait de chocolat pour changer de sujet ? » À l’invitation de Patrick Chappatte, les regards se tournent vers Caroline Buechler, co-fondatrice de la marque Orfève avec François-Xavier Mousin. Ce duo d’autodidactes s’est mis en tête de produire « le meilleur chocolat du monde », en toute humilité, alors qu’ils sont totalement béotiens en la matière. Là aussi, il est question de valeurs, d’idéal, de convictions… Ils rêvent alors de filières éthiques et bio, de producteurs écoresponsables, visent une traçabilité totale de la matière première : la fève de cacao. « En 2016, nous avons appris comment fabriquer notre propre chocolat, en maîtrisant chaque étape de production. Un an plus tard, nous avons livré notre première tablette »,
raconte l’entrepreneuse.

« Notre cacao provient de petites exploitations inscrites dans une démarche durable. »

Comme pour le vin, on parle aussi de terroirs, de variétés et de millésimes avec le cacao. « Le nôtre provient essentiellement d’Amérique latine et de Madagascar, de petites exploitations et de coopératives de premier niveau inscrites dans une démarche de développement durable », ajoute Caroline. En 2018, Orfève installe sa manufacture à Satigny, Là encore, les deux associés s’improvisent peintres ou carreleurs, pour diminuer les coûts. Et, alors que tous les voyants sont au vert, avec des rendez-vous importants fixés à Paris, le Covid vient stopper les machines. « Nous avons eu de la chance : nous n’avions pas de boutique à gérer. Sinon, nos charges auraient explosé et nous aurions certainement fait faillite… » Aujourd’hui, la marque affiche une santé robuste et a, semble-t-il, trouvé son rythme de croisière. « Après huit ans à travailler à deux, sept jours sur sept, nous venons d’engager un employé pour la fabrique et notre production de chocolat pourrait atteindre les 10 tonnes en 2023. »

Photo : Nicolas Dupraz
Photo : Nicolas Dupraz
Claude-Inga Barbey s’est passionnée pour l’histoire d’Orfève, la marque de chocolat créée par Caroline Buechler, et a apprécié l’usu-zukuri de bar du Sachi. Photo : Nicolas Dupraz

Cheffe d’écriture pour la Revue

« Est-ce qu’on ne pourrait pas faire pousser des cacaoyers sous serre en Europe ? » À côté d’elle, Claude-Inga Barbey se passionne pour cette histoire. Elle bombarde Caroline de questions. Demande où elle peut acheter des boîtes de napolitains avant Noël. Donne son avis sur le logo ou sur le packaging. « Vous avez choisi un positionnement haut de gamme pour votre chocolat. Pourquoi ne pas avoir créé une deuxième ligne, au look bio, plus en accord avec votre esprit artisanal ? » La comédienne promet ensuite d’en parler autour d’elle. « J’ai mon petit réseau ici », souffle-t-elle. Avant d’évoquer un partenariat avec la Revue genevoise. Pourquoi pas ? Après avoir intégré la troupe en 2022, elle est en effet devenue, pour la première fois, cheffe d’écriture pour le spectacle, après le départ de Thierry Meury. « J’ai demandé à Marc Donnet-Monay de se joindre à nous, c’est une personne que j’aime beaucoup. » Sur scène, elle retrouve son personnage fétiche de Manuela, la femme de ménage espagnole à la langue bien pendue, mais incarne aussi la conseillère fédérale, Karin Keller-Sutter, dans un sketch sur le Credit Suisse. Entre autres. « Ça marche très bien », précise-t-elle. « Les gens rient énormément et plusieurs dates affichent déjà complet. »

« Quand Frédéric Recrosio m’a proposé de faire un spectacle, il y a deux ans, j’ai traîné les pattes.  »

« Et si je perds ma voix ? »

Patrick Chappatte se réjouit de découvrir cette cuvée de la Revue. Comme spectateur. Lui s’est lancé un sacré défi pour 2024 : monter sur scène avec son propre spectacle ! Son but ? Parler du dessin de presse, à travers ses expériences, rappeler l’histoire de la liberté d’expression (tiens, on y revient !), évoquer la place de l’humour dans la société et les questionnements qu’il provoque naturellement. « Cela fait déjà plusieurs années que je donne des conférences sur le sujet », explique-t-il. « Et quand Frédéric Recrosio m’a proposé de faire un spectacle sur ce sujet, il y a deux ans, j’ai traîné les pattes. Je me suis demandé si j’allais aimer ça, moi qui suis plutôt de nature discrète. » En janvier, il s’est lancé dans la création, avant de tout jeter à la poubelle. Pas le bon ton, pas la bonne direction !

À quelques semaines de la première au Théâtre Boulimie, à Lausanne, tout est prêt. Le spectacle a été rôdé, afin de régler les derniers détails. « Ma famille était présente », précise le dessinateur. « J’ai demandé qu’on les place au fond de la salle pour ne pas les voir… » Les retours ? Positifs. De quoi le rassurer totalement avant la première ? Désormais, Patrick Chappatte a d’autres doutes. Se lassera-t-il de réciter tous les soirs le même texte ? Et que se passera-t-il s’il perd sa voix entre deux représentations ? Claude-Inga Barbey lui dévoile l’un de ses trucs : « Tu prends une aspirine et un comprimé de vitamine C dans un peu d’eau et tu te gargarises avec ! » Il semble que ce remède soit radical… « En quarante ans de carrière, cela m’est arrivé plusieurs fois. Mais, même si tu n’as plus de voix, tu y vas quand même et, en général, le public ne se rend compte de rien. » Et ça marche aussi avec un carré de chocolat ? 

« La Revue genevoise », jusqu’au 31 décembre au Casino-Théâtre. Infos sur www.larevue.ch.
« Chappatte en scène – Le spectacle dessiné », du 23 janvier au 3 février, au Théâtre Boulimie, à Lausanne.

On fait les présentations…

Photo : Nicolas Dupraz

CLAUDE-INGA BARBEY

Son humour et sa plume aiguisée ont servi des émissions cultes comme Les Dicodeurs,  puis Le Fond de la Corbeille, à la RTS. Avant de créer le couple de Monique et Roger pour Bergamote avec Patrick Lapp. Récompensée pour son second rôle dans la série Anomalia à Soleure en 2015, elle a cosigné les sketches de la Revue genevoise. À voir jusqu’au 31 décembre !

Photo : Nicolas Dupraz

PATRICK CHAPPATTE

Son coup de crayon fait le bonheur du Boston Globe, du Temps, du Canard enchaîné et du Spiegel. À la fois dessinateur, conférencier et reporter, il se prépare à un hiver chargé avec la sortie d’un livre, Fins de règne, aux éditions Les Arènes (304 pages) et un spectacle à Boulimie, à Lausanne, dès janvier. Sans compter tous les dessins qu’il s’agira de livrer en temps et en heure…

Photo : Nicolas Dupraz

CAROLINE BUECHLER

Avec François-Xavier Mousin, elle décide un jour de quitter le marketing et l’univers du luxe pour créer une marque de chocolat: Orfève. Avec ce besoin de maîtriser le produit, éthique de surcroît, de A à Z.En 2017, ils livrent leur première tablette. Un an plus tard, ils ouvrent une manufacture à Satigny. L’histoire continue de s’écrire…

www.orfeve.com