La notoriété en question : Des poules, des stars, et nous
Réunis au Côté Square, le restaurant de l’hôtel Bristol, a Genève, Kety Pezaku, Shana Pearson et Laurent Deshusses ont beaucoup discuté, au cours d’une conversation débridée, sur les mystères de la célébrité. Exemples à l’appui.
«Saviez-vous que, dans un poulailler, il existe une certaine hiérarchie? Les poules A sont plutôt dans la catégorie des meneuses; les B forment le groupe des suiveuses; quant aux C, elles ont tendance à rester dans leur coin sans se soucier des autres.» Laurent Deshusses, lui, a choisi son camp: il se place d’office dans la troisième tribu. Il n’a pas besoin d’avoir une cour pour exister et n’est pas friand des mondanités. Son agenda, lui, reste linéaire: peu de rendez-vous, à l’exception de ses répétitions et de ses obligations professionnelles au théâtre! En revanche, lorsqu’il est «sur la même fréquence» que ses interlocuteurs, le comédien genevois se sent pousser des ailes.
Ce jour-là, à l’hôtel Bristol, il était à l’aise, même s’il est arrivé avec quelques minutes de retard. Plongé dans les préparatifs de la Revue, il avait oublié l’heure et, pour le coup, son portable n’a pas joué les sauveurs. Il a sauté sous la douche, puis sur son vélo, et, dix minutes plus tard, il nous a rejoints au restaurant Côté Square. Est-ce l’écriture du spectacle, à quatre mains avec Claude-Inga Barbey, ou l’approche des premières journées de répétitions avec toute la troupe? Cabotin et séducteur, Laurent Deshusses avait le verbe facile. Régalant le déjeuner de ses traits d’humour et de ses anecdotes succulentes. À se demander si, finalement, il ne serait pas mieux avec les poules A…
«Un jour, j’ai rencontré Gainsbourg ici, dans cet hôtel», raconte-t-il. «Il avait l’habitude de se mettre au piano en fin de soirée.» Manger avec Laurent Deshusses, c’est la garantie de «croiser» du beau monde dans la conversation! Car l’homme a de la bouteille. Théâtre, séries TV, one man show, il a participé à la tournée du Cirque Knie en 2012 et signé un carton avec Les Gros Cons sur Canal Plus dans les années 90.
De Clara Morgane à Jean-Jacques Debout
Dans son album de souvenirs, forcément, les rencontres sont rarement banales. Clara Morgane? «Un petit bout de femme super photogénique!» Alain Morisod? «Je l’ai au moins une fois par semaine au téléphone, je vais jouer son rôle dans la Revue.» Pete Doherty? «Je lui ai proposé un petit rôle dans une série (ndlr. Photo Sévices), parce qu’il sortait avec l’une des comédiennes. Nous avons dû le faire sortir de prison avant qu’il puisse venir sur le plateau…» Et puis, il y a ce dialogue surréaliste avec Jean-Jacques Debout, mari de Chantal Goya, dans une loge de la RTS. Le Genevois lui demanda de quelle musique il était le plus fier. Et le compositeur lui parla de cette mélodie, écrite sur un coin de table en un quart d’heure, une commande qu’il accepta du bout des lèvres, mais qui lui rapporta des milliers de yens tout au long de sa vie: c’était la musique du dessin animé Capitaine Flam!
«J’ai rencontré Gainsbourg dans cet hôtel. Il avait l’habitude de se mettre au piano en fin de soirée.»
Autour de la table, alors que les entrées concoctées par le chef Bruno Marchal arrivent, omble des Cévennes pour les uns, tartare de crevettes pour les autres, Kety Pezaku et Shana Pearson rient de bon cœur aux fulgurances de l’humoriste. Un artiste qu’elles ne… connaissaient pas avant de partager ce déjeuner. Est-ce une histoire de générations? Ou la notoriété reste-t-elle à ce point compartimentée? Vaste débat. Tout cela ne nous dit pas pourquoi Laurent Deshusses s’est lancé dans cette théorie sur les gallinacés. «Et toi, quelle genre de poule es-tu?», finit-il par demander à sa voisine de gauche, au moment où le plat principal est servi. Sortie de son contexte, la question pourrait être mal interprétée. Mais la discussion est tellement débridée que personne ne la trouve saugrenue. Kety Pezaku est plutôt une «meneuse». À 26 ans, elle vient de créer sa propre marque de cosmétiques naturels pour les cheveux et le corps: Homnès. La Française, d’origine albanaise, vit en Suisse depuis trois ans et, après un passage chez Audemars Piguet, s’est engagée sur la route de l’entrepreneuriat. Avec des situations parfois cocasses: «Mon associé est plus âgé que moi et, au moment de signer les papiers pour la création de la SA, le notaire l’a placé d’office au poste de directeur. Quand nous lui avons signalé son erreur, il m’a regardé et m’a juste dit: c’est beaucoup de responsabilités, mademoiselle!»
Sus au patriarcat! Kety Pezaku est bel et bien la CEO de Homnès. Elle négocie les contrats avec ses partenaires. Jongle avec les formules chimiques. «De la conception à la distribution, nous avons choisi de tout internaliser», ajoute-t-elle. «Nous fabriquons tous nos produits (ndlr. savons et shampoings solides) en Suisse, à Arnex-sur-Orbe.» La stratégie est-elle bonne? La question reste en suspens. La marque est jeune. Elle doit faire ses expériences. Tester d’autres marchés. Affronter la concurrence des grandes maisons de cosmétiques – dont les tentatives sur le terrain du «green» ne sont pas toujours couronnées de succès. «Il n’était pas prévu que je gère, en plus, les influenceurs», sourit-elle. Mais n’est-ce pas le meilleur moyen aujourd’hui d’augmenter la notoriété de Homnès? Passer par les réseaux sociaux pour que cette marque de niche, ambitieuse. mais raisonnable, exporte son nom au-delà des frontières romandes?
«De la conception à la distribution, nous avons choisi de tout internaliser, en Suisse.»
Son visage sur la carrosserie
Shana Pearson pourrait devenir une future cliente. Elle voyage beaucoup, aux quatre coins du monde, pour vivre de sa passion: la musique. Autant dire qu’avoir des savons ou des shampoings solides dans sa valise pourrait s’avérer pratique: ça prend moins de place et on peut les prendre en cabine… Si son nom révèle ses origines américaines, la jeune femme habite à Lausanne depuis 10 ans. Elle vient de chanter sur la scène des Swiss Talents au Venoge Festival, mais elle a déjà plusieurs premières parties à son actif: Gad Elmaleh, Vitaa, Matt Pokora et, même, Justin Bieber. Aujourd’hui, après avoir quitté son label, pour des histoires de royalties non perçues, elle prépare son troisième album. «Avant, j’étais impatiente, je voulais tout faire vite. Cette fois, je veux prendre mon temps, j’ai déjà huit chansons, j’aimerais en avoir une douzaine…»
Shana peut compter sur une jolie communauté de fans. Un public qui la suit sur la route ou sur les réseaux sociaux. Un garage a décidé de la soutenir en lui prêtant un véhicule. «Un jour, j’avais même mon visage sur la carrosserie de ma voiture», rit-elle. Difficile de passer inaperçue! Mais ce n’était pas l’objectif, non? Je me rends compte que, par voie détournée, il a souvent été question de notoriété au cours du repas. Percer. Se faire connaître. Devenir une référence ici ou ailleurs. Pourquoi l’univers de Mylène Farmer plaît-il autant? Qu’est-ce qui a convaincu Bastian Baker de faire une deuxième tournée avec Knie? Pourquoi l’inventeur du web, ingénieur du CERN, n’est-il pas devenu célèbre?
Les sujets sont lancés sur la table, en vrac, au fil de la conversation. Sans trouver de réponses toutes faites. Cela permet à Laurent Deshusses, là encore, de faire valoir son esprit caustique et d’asséner quelques vérités de son cru. Difficile de les glisser ici sans froisser certaines susceptibilités! En revanche, il en est une qu’il ne manquera pas de partager dans un sketch de la Revue: «Genève devient la ville de l’ennui», plaide-t-il. «Elle est en train de tout perdre au profit de Lausanne…» Le débat est ouvert. Il ne manque pas d’intérêt. Et on se réjouit d’observer la réaction de nos édiles à la sortie du spectacle.