Genève à la folie : Des Charmilles jusqu’à la lune
Ils se sont retrouvés à l’Olivo, le restaurant du Hilton, au Grand-Saconnex. Sandy Maendly, Anna Stern et Sarkis Ohanessian ont partagé leur amour pour le sport, l’humour et… la cité de Calvin. Avec spontanéité et sans langue de bois.
Depuis quatre mois, Anna Stern découvre un autre monde. Arrivée de Nîmes, où elle vit désormais, la comédienne a posé ses valises à Genève à la fin août pour intégrer la troupe de la Revue comme meneuse. «J’avais déjà tenté ma chance en 2021, mais l’équipe était déjà au complet», souffle-t-elle. «C’est ma belle-sœur qui m’avait envoyé l’annonce pour le casting…» La comédienne apprécie son quotidien dans la Cité de Calvin. Elle donne quelques leçons de piano. S’en va régulièrement piquer une tête aux Bains des Pâquis. Arpente les rues sur son vélo de course (avec, parfois, les pépins mécaniques qui vont avec…). Pourtant, lorsqu’il a fallu répéter les sketches écrits à huit mains par Claude-Inga Barbey, Laurent Deshusses, Thierry Meury et Christian Bugnon, elle a dû se rendre à l’évidence: elle ne connaissait pas le nom de tous ces hommes politiques cités dans le spectacle. Heureusement, Internet lui a permis de combler ces lacunes et de découvrir quelques-unes de nos Genferei.
Alors, forcément, quand Anna Stern se retrouve à la table de L’Olivo, le restaurant du Hilton, au Grand-Saconnex, avec Sandy Maendly et Sarkis Ohenassian, deux enfants de Genève, elle a encore tout le loisir de compléter ses connaissances sur cette drôle de ville. Elle apprend ainsi que l’omble chevalier est un poisson du Léman; que Servette n’était pas que le nom d’un quartier, mais aussi celui du club de football où Sandy a terminé sa carrière de footballeuse; que les Charmilles ne désignent pas seulement l’hôtel où elle loge jusqu’à la fin du mois, mais aussi un stade, désormais détruit, où ce même Servette a écrit quelques-unes des plus belles pages du football suisse. «J’habitais à cinq minutes de là, avec mes parents», se souvient la jeune retraitée – qui vient de raccrocher les crampons, à 34 ans, après une ultime mission avec l’équipe de Suisse, lors de l’Euro en Angleterre.
Danseuse au Crazy Horse
«En Suisse, vous êtes plus au courant de ce qui se passe en France au niveau politique ou culturel», finit par constater Anna Stern. «L’inverse n’est pas vrai…» Exact! L’Helvète, en tout cas sa version romande, est abreuvé jour après jour d’images du PAF. Pas certain que la RTS ait le même bassin de téléspectateurs du côté de Paris. C’est aussi pour cela que nous aimons nous moquer de notre cher voisin quand il nous prend parfois de (très) haut. Après la victoire de la Suisse contre la France à l’Euro, en 2021, Sarkis Ohanessian n’avait pas hésité à (re)poster une petite vidéo pour souligner l’arrogance des Domenech, Petit et autres «spécialistes» du ballon rond avant la rencontre. C’est de bonne guerre, mais cela restera culte.
«J’habitais à cinq minutes du stade des Charmilles, avec mes parents», se souvient Sandy Maendly.
Le sport a d’ailleurs occupé une partie de la conversation autour de la table. Tandis que nous dégustions les plats de la carte d’automne – crème de courge pour les uns, poêlée de champignons pour les autres – Sandy Maendly a été bombardée de questions sur ce sport féminin qui ne cesse de séduire les foules. Autour des terrains de foot comme sur les routes du Tour de France. Consultante sur Blue TV pour la Ligue des Champions, membre de la commission sportive du Servette FCCF, la Genevoise est consciente que la route est encore longue jusqu’à l’égalité. «Un salaire moyen en première division tourne autour de 2500 francs par mois», précise-t-elle. «Pour les meilleures qui jouent à l’étranger, on se situe plutôt entre dix et quinze mille francs…» On est donc très loin des millions de Kylian Mbappé ou Lionel Messi! Mais le football féminin renvoie une image plus positive du ballon rond. Moins de simulation, moins de réclamation, plus de fluidité dans le jeu: c’est un autre monde. Mais les mutineries existent aussi dans le vestiaire: 15 joueuses espagnoles ont ainsi quitté la sélection nationale pour se plaindre du comportement «dictatorial» de l’entraîneur. Et il semble que tout n’ait pas été tout rose, non plus, autour de l’équipe de Suisse pendant l’Euro. Passons!
«Mais 34 ans, ce n’est pas un peu tôt pour prendre sa retraite sportive?», s’interroge Anna Stern. «Au ballet de l’Opéra de Paris, par exemple, l’âge limite est fixé à 42 ans.» La Française a pratiqué la danse. Elle a commencé (très) tard, à l’âge de 16 ans. «Je rêvais d’entrer au Crazy Horse, mais, pour ça, je devais d’abord attester d’une formation classique», précise-t-elle. Alors qu’elle suit des études de traductrice à Paris, elle tente sa chance dans le célèbre cabaret de l’avenue George-V. Contre toute attente, elle est engagée et alterne pendant un an cours à l’ISIT et spectacles. «C’était l’époque où les danseuses étaient encore pesées chaque semaine», raconte-t-elle. «Le poids était un motif de renvoi. Prendre ou même perdre trois kilos pouvait être problématique.» Après douze mois à ce régime, Anna choisit de se consacrer à son master. Tout en caressant l’espoir de revenir ensuite au Crazy Horse. «Mais, à force de rester assise, mon corps avait changé: j’avais moins de muscles, un peu de cellulite… On m’a fait comprendre que mon retour au sein de la troupe était compromis.» Anna se rend compte aussi qu’elle devenait obsédée par son image, qu’elle scrutait son corps sans arrêt à la recherche de la moindre imperfection. «Je me suis dit que je représentais plus que cette enveloppe!» Sa carrière de comédienne a pu commencer.
«C’était l’époque où les danseuses étaient pesées chaque semaine. Le poids était un motif de renvoi.»
«Finaliste» pour la Revue
Sarkis Ohanessian, aussi, a dû se réinventer. Animateur incontournable de la RTS entre 2006 et 2015, le Genevois a disparu de la grille, en même temps que le divertissement perdait des plumes sur la chaîne romande. Est-il victime de la convergence avec la RSR qui a provoqué l’arrivée massive des animateurs de Couleur 3 sur les plateaux de TV? Ou a-t-il été sacrifié sur l’autel du jeunisme, comme on le lui a suggéré? À 47 ans, il est pourtant loin de la retraite. Aujourd’hui, s’il continue de pratiquer l’une de ses disciplines favorites, l’improvisation, il anime des événements et coiffe la casquette de formateur en entreprises. L’art de la répartie et de la prise de parole en public n’a plus aucun secret pour lui. Mais, dernièrement, il a aussi déposé son dossier auprès de la Ville de Genève, avec un groupe de jeunes auteurs, pour produire la… Revue. Sans succès. «Nous étions parmi les finalistes. Malheureusement, ils ont préféré reconduire l’équipe actuelle jusqu’en 2025.»
Sarkis Ohanessian n’a donc pas manqué d’aller assister au spectacle. Avec un regard critique. «Je n’ai pas regardé ma montre une seule fois», dit-il, beau joueur. En revanche, il a tiqué sur quelques gags misogynes, voire un brin lourdingues. «Je me demande si, aujourd’hui, on peut encore avoir ce genre d’humour», ajoute-t-il. Blâmant au passage cette sale manie du stand-up de viser systématiquement en-dessous de la ceinture pour éviter les sujets qui fâchent. Il y a pourtant un tableau que ce passionné de sport – et de tennis, en particulier – a apprécié: celui du match de football sur la Lune. Un sketch qui fait écho à ces rencontres organisées aux quatre coins de la planète par les clubs pour doper leur business. Anna Stern s’amuse beaucoup à y interpréter l’une des joueuses dans une tenue d’astronaute. On est loin des Charmilles et de la Servette, c’est certain!