Clara Morgane « Au cabaret, on peut tout se permettre ! »
La Française débarquera en Suisse romande avec son nouveau spectacle, Au 7ème, une ode à la femme qui fait la part belle à l’art circacien, la musique et le glamour. Elle vient aussi de sortir son premier roman, Ne m’appelez pas Emmanuelle, qui raconte son histoire personnelle. L’occasion de parler avec elle de cette « nouvelle » vie…
Par Jean-Daniel Sallin
Crédit : CM PROD
Il suffit de voir apparaître les douze lettres de son nom pour provoquer des sourires entendus. Oui, Clara Morgane s’est fait connaître en tournant des films pornos. Est-ce un crime ? Non. De toute façon, c’était il y a une vingtaine d’années, il y a donc prescription… Cette carrière, qui n’a duré que quelques mois, cette « crise d’adolescence sur le tard », comme elle le dit, pour s’émanciper d’une éducation rigoriste, lui colle pourtant toujours aux talons aiguilles. Aujourd’hui, si elle a élevé l’érotisme au rang d’art, la fée Morgane est devenue une artiste polyvalente, couplée d’une cheffe d’entreprise, qui vole de projet en projet avec gourmandise, faisant de son pseudonyme une marque chic. Une ambition qui ne date pas d’hier. En 2003, déjà, Clara fondait Péché Capital Média, sa propre boîte de production, pour gérer ses actifs, avant d’ouvrir la Fabrik 48, à Nanterre, avec son mari, Jey Olivier, une résidence d’artistes équipée de studios de tournage et d’enregistrement. Mais, entre son calendrier, sa boutique en ligne et ses disques, la Française de 43 ans continue d’explorer d’autres territoires. Elle vient de sortir son premier roman, Ne m’appelez pas Emmanuelle, dans lequel elle raconte son histoire personnelle à travers les yeux d’une écrivaine – son double littéraire. C’est surtout sur scène qu’Emmanuelle Munos, « Emma » comme l’appellent ses amis, s’éclate, avec ce cabaret qu’elle a imaginé, rêvé, créé, et qui fait la part belle à l’art circacien, à la musique et au glamour. En 2025, elle repartira d’ailleurs sur les routes avec un nouveau spectacle, Au 7ème, une ode à la femme, portée par des chansons orignales, dont une, Et bleu, composée par Pascal Obispo. L’occasion de discuter une petite demi-heure avec elle, en attendant le retour de l’école de sa fille…
« Aujourd’hui, on reproche beaucoup aux femmes d’être déconnectées de leur corps… »
OFF : Pourquoi avoir décidé de créer votre propre cabaret ?
Clara Morgane : Par le passé, lorsque je chantais ou je présentais des émissions de télévision, j’ai toujours été entourée par des artistes de talent, notamment des femmes. Comme j’ai la chance d’avoir la lumière sur moi, j’avais envie de me mettre à leur service pour les présenter et les pousser sous les projecteurs. Le concept a plu, il a grandi… Pendant six ans, nous avons pu profiter de partenariats intéressants avec les casinos Barrière et Partouche, nous avons commencé à nous produire en salles. Et puis, en 2023, j’ai souhaité donner un sens à ce spectacle. J’avais des choses à dire, à partager avec le public. C’est devenu une ode à la femme, une histoire qui raconte l’évolution de son parcours au fil des siècles, depuis la monarchie jusqu’à nos jours. Il y a de l’humour, de la chanson, des performances…
OFF : Si je comprends bien , le spectacle a beaucoup évolué depuis sa création ?
CM: Cela a été une longue évolution, oui, car il a fallu chercher la meilleure équipe, trouver les artistes, peaufiner le message que j’avais envie de transmettre… J’aime le cabaret pour toutes les possibilités qu’il peut m’offrir. Quand vous donnez un concert, vous êtes au service d’un album. Lorsque vous jouez une pièce de théâtre, vous êtes au service d’un texte et d’un auteur. Au cabaret, on peut tout se permettre ! C’est un terrain de jeu plus vaste pour proposer des numéros originaux, circaciens ou non, – comme ma petite Margot, 24 ans, qui empile jusqu’à six chaises pour y performer tout en haut. J’ai des tableaux, plus athlétiques, avec la vice-championne de France de pole dance ou la championne d’Europe de cerceau. Je descends même de scène pour avoir des interactions avec le public.
OFF : Comment trouvez-vous ces artistes ?
CM : Nous tournons en France depuis longtemps, alors, lorsque nous organisons un casting, ils viennent se présenter spontanément. En règle générale, j’en fais un par an. Vu les filles que j’ai rencontrées en 2023, j’ai dû faire l’impasse cette année. Je n’ai pas eu besoin de changer l’équipe, à l’exception d’une danseuse, Kate, une ancienne du Crazy Horse. Ce n’est pas si facile de trouver les bonnes personnes. Parfois, ça ne colle pas avec nous, parce que les caractères sont différents. Mais ce sont souvent des coups de cœur, de belles âmes qui ont envie de faire un bout de chemin avec nous. Aujourd’hui, notre équipe est très soudée, avec des femmes qui s’entraident et qui sont dans la sororité. Comme c’est le message du spectacle, nous devons aussi montrer l’exemple en coulisses. (rires) Cela demande beaucoup de compassion, de compréhension et d’humilité.
OFF : Il n’y a donc pas d’hommes avec vous ?
CM : Si, si, il y en a deux ! Il y a le Monsieur Loyal qui est le symbole de la masculinité à travers les âges. Il apparaît en noir et blanc au début et prononce un discours humoristique, plutôt discriminatoire à l’endroit des femmes… Et puis, il y a un danseur, de l’émission Danse avec les Stars, à laquelle j’ai eu la chance de participer, en 2019 (ndlr. Yann-Alrick Mortreuil), qui m’accompagne à la fin du spectacle. Sur une chanson que j’ai écrite pour mon mari, cette danse réconcilie les genres féminin et masculin pour en faire une entité à part entière qui se doit de coexister. C’est un message plutôt humaniste !
OFF : Est-ce vous qui avez écrit et mis en scène ce spectacle ?
CM : Oui, mais j’ai aussi des gens incroyables autour de moi. Quand il s’agit de créer une chorégraphie, toutes les filles amènent leurs idées et nous en discutons ensemble. Mes ingénieurs sons et lumières sont à l’écoute de mes envies et trouvent des solutions pour habiller le show. Quant à Thomas Boissy, il insuffle sa personnalité dans ce personnage de Monsieur Loyal – comme il pourrait le faire dans ses propres spectacles. Tout le monde ajoute sa pierre à l’édifice.
OFF : Le message du spectacle semble plutôt féministe et engagé…
CM : (elle coupe) Je n’ai pas la revendication de faire de la politique ou de forcer les choses. Je veux juste rappeler que nous, les femmes, nous sommes parties de loin. Nous n’avons le droit de vote que depuis 1944 (ndlr. en 1971 pour la Suisse). Mais, aujourd’hui, nous avons beaucoup de choses et nous pouvons nous féliciter de ces avancées. Je suis une femme, j’ai une fille, j’ai aussi une mère et une sœur, j’ai simplement envie de parler de nous de manière positive, en musique ou en acrobatie, pas juste avec cette histoire de pouvoir qui n’est pas intéressante en soi. Je souhaite mettre en avant un féminisme humaniste qui réconcilie tout le monde dans ce spectacle porté par des femmes.
« Vous ne verrez pas de plumes dans le spectacle. Il y a beaucoup de véganes dans l’équipe. »
OFF : La France est connue pour ses cabarets. En quoi êtes-vous différente ?
CM : Je ne connaissais pas ce milieu-là avant de me lancer. J’ai rencontré ce genre, parce qu’il me permettait de chanter, de raconter des histoires et de rencontrer le public. Mais je n’en avais jamais fait avant. Cela a changé, puisque, désormais, on m’invite en guest dans d’autres spectacles… En fait, nous avons une liberté totale. Vous ne verrez pas de plumes dans notre show : il y a beaucoup de véganes dans notre équipe, nous préférons donc les strass aux plumes ! Nous n’avons pas, non plus, 40 danseuses sur scène, nous ne sommes que sept, mais chacune amène son style, une identité qu’elle affirme. C’est ce qui nous différencie du Lido ou du Moulin Rouge.
OFF : Est-ce facile de s’imposer dans ce milieu-là quand on s’appelle Clara Morgane ?
CM : Je ne me suis jamais posé la question dans ce sens. Je suis plus dans l’être que dans le faire ou le devoir. J’essaie d’écouter mon cœur, de sentir ce que le public désire et, si je me rends compte que ça coince, c’est que le chemin n’était pas le bon. Comme on dit, l’important n’est pas l’objectif, mais la route pour y arriver.
OFF : Vous avez lancé ce cabaret en 2016. 4 ans après, il y a eu la pandémie. Avez-vous craint que ce projet tombe à l’eau ?
CM : Ah oui ! J’ai eu peur que tout s’arrête. J’ai beaucoup souffert durant cette période. J’ai l’habitude de rencontrer mes fans pour des dédicaces ou pendant mes spectacles, mes talks… Là, j’ai complètement changé de vie. J’ai cuisiné, j’ai jardiné, j’en ai aussi profité pour écrire mon premier roman, Ne m’appelez pas Emmanuelle (ndlr. sorti le 24 octobre). Mais je crois que cela m’a rendue plus forte. Chaque épreuve nous met face à nous-mêmes et nous force à nous réorienter un peu plus vers ce que nous sommes censés faire ici-bas. (rires)
OFF : Pourquoi cette envie d’écrire ce roman ?
CM : J’ai toujours eu cette envie d’écrire. Je l’ai toujours fait depuis ma première chronique pour un magazine masculin en 2001. À l’âge de 14 ans, pendant les cours de maths, j’écrivais déjà sur le désœuvrement et le concept d’anarchie. (rires) J’ai toujours eu ce besoin de m’exprimer. Même à mes débuts (ndlr. dans le X), c’était une façon de m’extraire d’une condition qui m’était prédestinée. Un refus d’être enfermée et que l’on m’impose quoi que ce soit. Aujourd’hui, j’ai 43 ans, je me suis calmée, mais je me suis toujours exprimée. C’est comme ça que je vois ma vie !
OFF : De quoi parle ce roman ?
CM : C’est l’histoire d’une écrivaine, parce que c’était ce que j’étais au moment de la rédaction, mais je lui ai trouvé un autre pseudonyme : Roman Lagrace, qui est, en fait, l’anagramme de Clara Morgane. J’avais envie de raconter tout ce qui m’était arrivé au niveau du cœur et des sentiments, sans citer ou confondre les gens. Ce roman est donc mon histoire, mais j’en ai évincé Clara Morgane, parce qu’elle prenait trop de place. Pour une fois, je n’avais pas envie de parler d’elle.
OFF : Pour vous, il était plus facile d’écrire une autofiction ?
CM : C’était plus amusant. Mais il est compliqué de tout transposer. Je me serais facilité la tâche si j’avais tout raconté tel quel, sans changer les noms. Mais j’adore la littérature et j’aime bien jouer avec les situations. C’est un exercice délicat, mais je le préfère comme ça.
OFF : Dans le livre, il est aussi question de sororité, un terme que vous appréciez beaucoup, et de développement personnel. Est- ce important pour vous d’être bien dans votre tête et dans votre corps ?
CM : À 40 ans, j’ai eu la chance d’avoir pu réfléchir à tout ça et d’être tombée un petit peu… Petite, j’ai été caractérisée hyperactive, j’ai donc toujours eu beaucoup d’énergie. J’adore ce que je fais, donc je n’ai aucune limite en termes de temps. Mais, quand l’énergie vient à manquer, on se demande pourquoi et on remet tout en question. Ce chemin qui a été le mien, j’avais envie de le raconter à ma manière. Dans le chapitre 3, par exemple, je parle de ma retraite de féminité sacrée au Maroc, parce que j’avais envie que les femmes sachent que ça existe. Aujourd’hui, on reproche beaucoup aux femmes d’être déconnectées de leur corps et d’être en manque de libido. Parce qu’on veut cocher toutes les cases et qu’on ne se laisse plus assez de temps pour se demander ce que l’on désire vraiment, toutes ces choses qui nous paraissent sans intérêt à des moments où l’on est très occupée. Je l’ai été toute ma vie. Et, lorsqu’on s’offre ce temps, on prend du recul, on tombe, on se relève et on a envie d’écrire des livres. (rires)
OFF : Cette retraite était quelque chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?
CM : Pas du tout. C’est incroyable, mais c’est mon compte Instagram qui m’a popé ça à un moment où je pleurais et où beaucoup de questions résonnaient en moi. C’est arrivé comme une réponse et, sur un coup de tête, chose que je n’ai jamais fait de ma vie, j’ai réservé ma place. Mon mari m’a encouragée à y aller. Et, sur place, j’ai rencontré Lisa Azuelos, la réalisatrice de films (ndlr. LOL, Dalida et La chambre des merveilles). Nous sommes devenues amies et c’est elle qui a signé la préface de mon livre. Comme si tout ça était quelque chose que je devais faire et vivre…
OFF : Était-ce facile pour vous d’écrire ?
CM : Étonnamment, oui. Je ne savais pas que j’en étais capable, mais je ne me suis jamais assise à mon bureau sans savoir ce que j’allais écrire. Toute la nuit, ça se construisait dans mon esprit, ça prenait beaucoup de place dans mes rêves et, du coup, je me levais à 6 heures du matin avec une obligation absolue d’écrire pour ne rien oublier. Je déroulais comme ça pendant des heures, jusqu’à huit par jour. Il fallait que ça sorte ! Cela a duré quatre mois non stop et j’ai eu une baisse de moral quand cela s’est terminé. Mais j’ai déjà commencé le prochain…
Clara Morgane
OFF : Qui dit fin d’année, dit aussi calendrier. Le vôtre ne connaît pas la crise. C’est un passage obligé pour vous ?
CM : Je trouve hallucinant qu’à l’ère du numérique, il y ait des gens qui l’achètent depuis 20 ans. Pour moi, ce n’est plus de la fierté, c’est de l’étonnement. Et je pense qu’ils m’en voudraient, si je décidais d’arrêter… Alors, je continue de le faire, mais je reste créative. Désormais, j’aime bien inviter des filles du spectacle autour de moi. J’ai la championne de France de pole dance, une acrobate, j’ai aussi Noémie, la femme qui a organisé la retraite au Maroc. J’aime bien tout lier.
OFF : Cela vous prend-il du temps de créer ce calendrier ?
CM : Là encore, j’ai la chance d’être bien entourée. J’ai une équipe qui se charge de chercher les lieux et le stylisme en fonction de ce que l’on veut raconter. Après, c’est une journée de shooting au maximum… Ce qui prend le plus de temps, ce sont les dédicaces ! Cette année, j’ai arrêté à 600, parce que je n’avais qu’une journée de disponible pour monter à Paris. Et, comme c’est au prénom, vous commencez tôt et vous finissez tard. (rires)
OFF : Entre le cabaret, le calendrier ou la musique, vous êtes une PME à vous toute seule !
CM : Non, je ne suis pas toute seule. J’ai une collaboratrice incroyable, Caroline, mon mari m’aide beaucoup dans la société et toutes les filles du spectacle sont aussi à fond dans l’organisation. Mais il m’a fallu du temps pour que tout cela soit aussi cohérent, cela n’a pas toujours été le cas !
« Au 7ème », Le Cabaret de Clara Morgane. Le mercredi 19 février au Théâtre du Bas, à Neuchâtel (20h) et le jeudi 20 février au Bâtiment des Forces Motrices, à Genève (20h).
Informations sur www.lecabaretdeclaramorgane.com