exposition

LA TOUR DU FANTASTIQUE À LA DÉCOUVERTE DES MONDES DE JOHN HOWE

L’ARTISTE CANADIEN EST L’UN DES FONDATEURS DE CE PROJET AUX CÔTÉS DE L’ÉTAT ET DE LA VILLE DE NEUCHÂTEL, AINSI QUE DU NIFFF. RECONNU POUR SON INTERPRÉTATION PICTURALE DE L’ŒUVRE DE TOLKIEN, IL SERA LE SUJET DE L’EXPOSITION INAUGURALE DANS CET ANCIEN CORPS DE PRISONS, AVEC PLUS DE 250 DESSINS ET PEINTURES.

Par JEAN-DANIEL SALLIN

Lorsque John Howe se promène dans les rues de Neuchâtel, peu de gens osent lui adresser la parole. L’homme habite dans cette ville depuis près de quarante ans et il n’est pas spécialement connu pour son arrogance. Mais le personnage impressionne par son parcours. Pensez donc ! Dans l’inconscient collectif, il est l’artiste qui a su mettre l’œuvre de J.R.R. Tolkien en images, indissociable de la double trilogie cinématographique de Peter Jackson : Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit. Son nom n’est peut-être pas aussi célèbre que ceux de Cate Blanchett, Orlando Bloom ou Elijah Wood, mais, pour la Communauté de l’Anneau, le Canadien est une star. Qu’on le veuille ou non. « Des personnes finissent par m’aborder et m’avouer que cela fait dix ou quinze ans qu’elles me croisent sans avoir jamais osé me saluer. Je leur explique alors que je ne mords pas… C’est touchant, cela témoigne d’une bienveillance retenue, typique de la Suisse ! »

Bientôt, les Neuchâtelois n’auront plus à se poser la question : avant Noël, la ville inaugurera en effet la Tour du Fantastique et invitera le public à découvrir les mondes de John Howe au travers de 250 dessins et tableaux. Mieux : au rez-de-chaussée, l’artiste y installera son atelier, son « cabinet de curiosités » comme il le décrit, pour y rencontrer le public et échanger sur ses sources d’inspiration et sa manière de travailler. Des instants privilégiés pour tous les passionnés de fantastique ! « Dans cet espace, permanent, les visiteurs pourront apprécier ses recherches graphiques effectuées pour l’horloger Jaquet Droz, mais aussi de nombreux croquis originaux », précise Diane Launier, directrice du lieu. « John a toujours un carnet et des crayons avec lui. Pour le public, ce sera l’occasion de voir l’évolution de l’œuvre étape par étape. »

DIX ANS POUR CONCRÉTISER LE PROJET

Ce projet de Tour du Fantastique est né il y a dix ans, lorsque l’architecte cantonal, Yves-Olivier Joseph, contacta John Howe pour lui proposer de créer un lieu culturel dans les… anciennes geôles de la ville. Bâti en 1828, composé de six niveaux, dont quatre dévolus aux cellules, le corps de prisons était fermé au public depuis 1996. Quant à la tour médiévale, datant du Xe siècle, elle est l’un des plus vieux édifices de Neuchâtel, abritant d’ailleurs deux anciens cachots en chêne. Depuis l’incendie qui ravagea son sommet en 2015, elle n’était plus que partiellement accessible pour profiter du panorama exceptionnel sur la Vieille-Ville et sur le lac.

Pour John Howe, cette proposition tombe des nues : le plus souvent à l’étranger, il n’entretient que peu de relations avec les autorités. Mais comment refuser cette opportunité ? L’artiste participe aux réunions, donne son avis, découvre la complexité de la démarche. « J’étais la seule personne non spécialiste dans cette histoire. J’étais entouré d’architectes, d’historiens, d’experts… Moi, j’étais l’électron libre qui apportait une vision transversale sur chacun des aspects. » En revanche, il ne s’attendait pas à ce que le projet s’étale sur une décennie. « J’ai appris à être patient », sourit-il. Assainir et rénover un monument historique soulève beaucoup de questions. Qui financera les travaux ? Comment transformer cette prison en espace d’exposition sans dénaturer le bâtiment ? Qui exploitera le site après son inauguration ?

Réunion après réunion, les pièces du puzzle finissent par s’emboîter. Ville et canton s’entendent pour subventionner les coûts de rénovation. Une fondation, présidée par Didier Boillat, ex-conseiller communal de la Ville de Neuchâtel, est créée pour gérer l’exploitation du musée. Quant au NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival), il rejoint logiquement les rangs des fondateurs de la Tour du Fantastique. Dans la foulée, en novembre 2024, Diane Launier est engagée comme directrice et commissaire d’exposition. À elle de suivre les travaux, de recruter son équipe et d’organiser le premier accrochage ! La Française n’a pas eu à chercher très loin pour en déterminer la thématique. « Il nous a paru évident de commencer par John Howe », explique-t-elle. « Nous sommes dans sa ville, Neuchâtel est fière d’avoir dans ses murs un homme comme lui, qui travaille dans le monde entier, et, franchement, rendre hommage à un artiste encore vivant, ça fait plaisir ! »

SUR LES TRACES DE TOLKIEN EN SUISSE

Né à Vancouver en 1957, John Howe est arrivé en Europe à l’âge de 20 ans. Il fait ses études à Strasbourg, finit par s’installer à Neuchâtel en 1987, après un crochet par Lausanne, parce que, dit-il, « l’endroit lui paraissait joli depuis le train ». Depuis, le Canadien entretient une relation particulière avec cette région. On dit d’ailleurs que ses nombreuses balades, dans la nature environnante, carnet de croquis en main, ont largement inspiré son œuvre. « Par rapport aux Alpes, plus grandioses, que l’on peut apprécier de plus loin, le Jura est un lieu que je qualifierai d’intime. Plus concentré, ce paysage me donne beaucoup de matières. Il existe deux aspects dans une peinture sur la nature : d’un côté, le sentiment que l’on a, l’espace que l’on suggère, et, de l’autre, la responsabilité du détail, c’est-à-dire ce que les gens peuvent toucher et voir de près. Et ça, je le trouve beaucoup dans cette région ! »

Le fait qu’il marche sur les pas de Tolkien l’a-t-il influencé inconsciemment ? Peut-être. Durant l’été 1911, alors âgé de 19 ans seulement, l’auteur britannique a en effet entrepris son premier voyage sur le continent : il passe par la région de Neuchâtel, avant de traverser les Alpes suisses, avec une douzaine de compagnons – d’Interlaken jusqu’en Valais. Ce périple l’a profondément marqué et l’ont inspiré pour créer son univers fantastique. « Un tel voyage n’est pas anodin », admet John Howe. « On s’aperçoit que cette Suisse qu’il a découverte au début du XXe siècle n’existe plus. C’était avant les lignes à haute tension, avant les grands barrages, avant les stations de skis… Il a pu profiter d’un paysage extraordinaire. » Pourtant, ces souvenirs ne se sont imposés à lui qu’à la fin des années 20, lorsqu’il commença à coucher les aventures de Bilbo et Frodon Sacquet sur le papier. « C’est la nature même de l’inspiration : elle est intemporelle, elle n’a pas besoin d’être immédiate. Cela peut ressortir à n’importe quel moment, quand le contexte le favorise. »

« DESSINER, C’EST LÂCHER PRISE ! »

Chez John Howe, cela ne fonctionne pas différemment. Passionné d’architecture, de décoration et de tout ce qui touche à la création visuelle humaine, il ressent une obligation de recherches permanente. Comme s’il avait tout le temps faim d’informations. « Tout est intéressant, tout peut me surprendre ! On emmagasine, on absorbe cette matière et, ensuite, on la range au grenier, dans un coin de la tête, et on ne s’en occupe plus. Jusqu’à ce que les choses ressortent naturellement… » Le Canadien avoue d’ailleurs ne pas avoir peur de la page blanche, parce qu’il ne réfléchit pas. « Cela peut paraître facile comme ça, mais la meilleure façon d’aborder le dessin, c’est de lâcher prise, de prendre du recul. Du moment que vous avez identifié votre sujet, laissez votre main dessiner ! Les idées arrivent toutes seules. Si vous commencez à vous concentrer, à vous appliquer, à avoir une exigence de résultat, cela devient compliqué. »

Cet instinct créatif l’accompagne depuis plus de quarante ans et l’a certainement aidé à matérialiser l’univers de Tolkien avec une justesse remarquable, à lui construire la réalité qu’on lui connaît. Son origine anglophone lui a permis de lire ses romans en version originale, appréciant ainsi le lyrisme et la poésie du récit. « J’ai aussi étudié les sources de Tolkien et bénéficié du travail d’académiciens et d’historiens », indique John Howe. « Mais, si on illustrait Tolkien à la lettre, on arriverait à quelque chose de résolument ennuyeux… » Le problème ? L’auteur britannique, décédé en 1973, n’était pas un féru de descriptions et ne donnait pas beaucoup de détails sur les environnements. « En revanche, il décrivait bien les émotions de ses personnages dans ces situations, ce qui apporte des indices supplémentaires. » Le Canadien s’est donc attelé à traduire ces émotions en image. Avec une certaine liberté. « Heureusement, on ne fait pas de politique ou de sondage en dessin », sourit-il. « On ne demande pas aux fans comment ils imaginent tel décor ou telle scène. Ce serait une catastrophe ! »

UN MESSAGE ÉCOLOGIQUE ?

Aujourd’hui, John Howe est une référence en la matière. « C’est lui qui a offert un visage aux créatures et aux personnages de Tolkien, donnant vie à cette œuvre », résume Diane Launier. « Si on vous parle de Gandalf ou du Balrog, c’est celui de John Howe qu’on visualisera immédiatement. Il a su développer un univers fascinant ! » Malgré les années et la montagne d’œuvres consacrées à Tolkien, le Canadien n’a jamais le sentiment de se répéter. D’un projet à l’autre, il parvient même à se renouveler. Sans effort. « Rien n’est gravé dans la pierre. Quand on réussit à définir une image acceptable, même après quinze ou trente ans, on n’est pas tenté de faire différemment. Mais je ne compte jamais sur ce que j’ai fait pour me donner des idées sur ce que je vais faire… »

N’est-ce pas justement le propre du fantastique : permettre de s’évader, de se distraire et d’oublier la réalité, parfois maussade, de nos existences ? John Howe l’admet volontiers : cinéma, littérature ou jeux vidéo, les produits du fantastique sont le plus souvent destinés à une consommation ludique. Mais ils ne doivent pas être résumés à ça. « C’est ce qui me plaît dans cet univers : il permet de faire passer une opinion, une idée, sans que ça devienne pesant. On se laisse capter par une histoire et, une fois qu’on a refermé le livre, on se laisse pénétrer par quelque chose de plus important. Prétendre que Tolkien n’a pas de message serait une erreur ! Quand on observe la force de la nature dans les récits fantastiques, le propos, totalement d’actualité, est clairement écologique : il faut savoir apprécier la nature pour pouvoir la préserver. »

Cette nature que John Howe chérit et sublime dans ses œuvres sera largement présente tout au long des 600 m2 d’exposition. Mais, dans l’absolu, qu’elle expose les univers de Giger, Marvel ou Disney, la Tour du Fantastique constitue une plateforme idéale pour découvrir, échanger ou débattre. « Avec ce projet, je souhaite offrir une petite oasis où les gens, qu’ils soient consommateurs ou artistes, peuvent se réunir », conclut le Canadien. L’invitation est lancée. Et, à considérer la notoriété de l’hôte de ces lieux, il y a fort à parier que beaucoup de visiteurs convergeront vers Neuchâtel.

Exposition « Voyage dans les mondes de John Howe », à la Tour du Fantastique, à Neuchâtel, du 18 décembre 2025 au 18 octobre 2026.
Infos et billets sur www.tourdufantastique.com.

« LE ROI-SORCIER ARRIVANT À MINAS MORGUL »
Encre, aquarelle et gouache sur papier, 60 x 80 cm, 2007.

JOHN HOWE
L’artiste canadien conserve quasiment toutes ses œuvres originales. « Je n’ai pas envie de les vendre. Je n’ai jamais eu à vivre de la vente de mes œuvres. Alors, je les conserve et j’essaie de les exposer le plus possible ! »

« ELFES ET DRAGONS »
Encre, aquarelle et gouache sur papier, 63 x 93 cm, 2006.

« L’ŒIL DE SAURON »
Encre, aquarelle et gouache sur papier, 35,5 x 45 cm, 2007.

DIANE LAUNIER
Avec son mari, Jean-Jacques Launier, elle a ouvert le Musée des Arts ludiques, dans le XIIIe arrondissement de Paris, en 2013.

NEUCHÂTEL
Datant du Xe siècle, la tour médiévale est l’un des plus vieux édifices de la ville. Quant au corps de prisons, composé de six niveaux, il date de 1828.

« La Suisse que Tolkien a découverte au début du XXe siècle n’existe plus. C’était avant les lignes à haute tension, avant les grands barrages, avant les stations de skis… Il a pu profiter d’un paysage extraordinaire ! »

JOHN HOWE

1957 Naissance le 21 août à Vancouver au Canada.
1977 Arrivée en France. Il entre à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg.
1982 Illustre le livre de Joseph-Henri Rosny, La Guerre du feu, pour Gallimard.
1987 Il s’installe à Neuchâtel.
2001 Conception artistique sur la trilogie de Peter Jackson, Le Seigneur des anneaux.
2012 Conception artistique sur la trilogie de Peter Jackson, Le Hobbit.
2023 Exposition de 250 peintures à Landerneau, dans le Finistère : Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval.
2025 Inauguration de la Tour du Fantastique à Neuchâtel.
1957 Naissance le 21 août à Vancouver au Canada.
1977 Arrivée en France. Il entre à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg.
1982 Illustre le livre de Joseph-Henri Rosny, La Guerre du feu, pour Gallimard.
1987 Il s’installe à Neuchâtel.
2001 Conception artistique sur la trilogie de Peter Jackson, Le Seigneur des anneaux.
2012 Conception artistique sur la trilogie de Peter Jackson, Le Hobbit.
2023 Exposition de 250 peintures à Landerneau, dans le Finistère : Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval.
2025 Inauguration de la Tour du Fantastique à Neuchâtel.

DIANE LAUNIER
DES ARTS LUDIQUES AU FANTASTIQUE

Dans sa vie précédente, elle avait déjà travaillé avec John Howe. Avec son mari, Jean-Jacques Launier, Diane avait, en effet, organisé une exposition à Landerneau, dans le Finistère, en 2023 : Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval. L’événement présentait, en première mondiale, 250 peintures et dessins de l’artiste canadien, ainsi que des œuvres authentiques (tapisseries, armures, sculptures), prêtées par les musées du Louvre, des Invalides ou d’Orsay. En sept mois, cette exposition avait attiré près de 120 000 visiteurs.

Lorsqu’il a fallu trouver une directrice à la Tour du Fantastique, John Howe a forcément pensé à Diane Launier. Elle présentait le profil idéal. Passionnée par l’art figuratif et narratif, elle a d’abord inauguré, en 2003, sur l’île Saint-Louis, à Paris – déjà avec son mari – la première galerie dédiée au jeu vidéo, au manga et au design de cinéma. Pendant quinze ans, elle organise alors une nouvelle exposition, chaque mois, avec des artistes aussi iconiques que Giger, Mœbius, Otomo, Tim Burton ou Glen Keane. John Howe en fait évidemment partie.

Cependant, le couple cultive d’autres ambitions : il rêve d’ouvrir un musée, le premier au monde, consacré à l’art contemporain issu de l’industrie récréative. C’est chose faite en 2013, dans le XIIIe arrondissement de Paris ! Avec des expositions sur les super-héros de Marvel ou sur les studios Ghibli, puis Pixar, le Musée des Arts ludiques attire près de 400 000 visiteurs par année, devenant le cinquième musée de la capitale en termes d’affluence. Pourtant, quatre ans plus tard, l’établissement est contraint de fermer ses portes à cause d’une baisse de fréquentation provoquée par un contexte socio-politique complexe à Paris (camp de migrants, attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo).

Après avoir continué de faire voyager les Arts ludiques aux quatre coins de la planète, Diane Launier choisit de poser ses valises à Neuchâtel en 2024 pour se consacrer à ce nouveau projet. « Notre objectif est d’attirer 50 000 visiteurs par année », précise la Française. Le chiffre est ambitieux. Elle compte sur ce site hautement historique et mystérieux qu’est la Tour du Fantastique pour attirer les aficionados. « L’idée qu’une prison devienne un lieu d’évasion culturel et artistique m’a tout de suite plu ! » Si les murs ont été cassés dans les étages, quatre cellules ont été épargnées, au rez-de-chaussée, comme des vestiges du passé. Mais, désormais, les prisonniers ont laissé la place aux dragons et aux elfes.


© MIDDLE-EARTH ENTERPRISES / SOPHISTICATED GAMES

© LUCAS VUITEL

© RACKHAM ENTERTAINMENT, PARIS

© JOHN HOWE

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