Éric Devanthery : En route vers des horizons poétiques
L’ARBRE MONDE, LES RACINES DU CIEL ET UN LIEU A SOI : LE NOUVEAU DIRECTEUR DES SCENES DU GRÜTLI CONSTRUIT SES PREMIERES SAISONS A LA TETE DE L’INSTITUTION GENEVOISE EN EMPRUNTANT A LA LITTERATURE.
Les titres sont évocateurs de transcendance, d’utopie et d’engagement, même si on n’a pas lu, ou relu, Richard Powers, Romain Gary ou Virginia Woolf. À travers la littérature, « son socle », le vibrant metteur en scène genevois espère amener les publics aux questions fondamentales qui habitent les êtres humains. Pour l’instant, dans son nouveau bureau à peine investi, Éric Devanthéry s’entoure de plantes, remplit ses étagères de livres, et placarde deux grandes affiches sur ses murs, qui disent le théâtre tel qu’il le rêve et l’envisage. La première reproduit une citation de Hamlet, en allemand : « was für ein Stück Arbeit ist ein Mann », quel chef d’œuvre que l’humain, mais aussi, quel morceau auquel s’attaquer. La seconde affiche placarde une citation d’un autre de ses maîtres à penser, le metteur en scène, poète et acteur Antoine Vitez : « Un théâtre en activité comme on dirait d’un volcan ». Éric aime l’idée de bouillonnement qui s’en dégage, de magma aussi, composé de sa nouvelle équipe, celle du Grütli, de ses fidèles collaborateurs et comédiens, dont son épouse, l’actrice Rachel Gordy, et de publics à conquérir et à fidéliser. « Outre les deux scènes que compte le théâtre du Grütli, il y aura d’autres scènes, qu’on va déployer en territoires, avec des événements qui s’adresseront idéalement à des gens qui ne viennent pas forcément au théâtre, avec l’espoir, dans un deuxième temps, qu’ils franchissent les portes de notre institution. »
Chacune de ses saisons, déclinées en « horizons poétiques », proposera une vingtaine de spectacles, avec des artistes, des formes et des perspectives qui ne sont pas forcément les siennes mais qu’il défendra avec son énergie et sa passion, mises au service de la diversité. Le directeur se fera attendre un peu en tant que metteur en scène, préférant durant la première demi-saison promouvoir le travail d’autres que lui. Il savoure le luxe d’aller voir et dénicher des spectacles qu’il pourra ensuite accueillir au Grütli, tout en réfléchissant à son Moby Dick. Il travaille à sa version de l’œuvre de Melville depuis deux ans, et prévoit que son adaptation se déroule sur scène durant plusieurs heures.
Car Éric aime les spectacles longs, comme il l’a déjà prouvé avec sa mise en scène des Brigands de Friedrich von Schiller, qui durait six heures, et lui a valu le Prix Suisse du théâtre. « Ce temps passé se partage entre la scène et le public, il y a vraiment un arrachement au quotidien, une traversée, comme au cours d’un long roman. Ce qui me plaît dans les arts vivants, c’est précisément cela, des personnes vivantes devant d’autres personnes vivantes, cette cohabitation, ce partage essentiel, dans une même temporalité. » Public et comédiens, le temps d’un spectacle, forment une communauté, s’enthousiasme Éric Devanthéry, une communauté à laquelle il saura nous donner envie d’appartenir, jusqu’à ce que le Grütli devienne « lieu à soi ».