Bande dessinéeReportage

Zep Sur les pas d’un artiste hyperactif

Entre dessin et musique, son cœur balance depuis l’enfance. Avec Automatic Songs, un album folk des plus réussis, réalisé avec sa compagne, Valérie Martinez, le papa de Titeuf fait rimer crayon avec partition. Cela ne l’a pas empêché de mettre sur pied une rétrospective de sa carrière au Château de Saint-Maurice. OFF a suivi le tempo de cette période riche en émotions.

The Woohoo. Un nom qui sonne comme les chœurs entêtants de l’immense Sympathy for the Devil, des Rolling Stones. Et qui baptise le projet commun de Valérie Martinez et Zep. Ce mercredi 27 mars, ils sont environ 200, fans, famille et amis, à se presser aux portes de l’Alhambra de Genève pour les applaudir à l’occasion du vernissage d’Automatic Songs, leur premier album. Douze titres folk mélancoliques et planants, en anglais, « parce que l’écriture automatique nous vient naturellement dans cette langue », explique Zep. « C’est bizarre, dit comme ça, mais c’est ce qu’on aime et ce qu’on écoute. »

La musique, le dessinateur genevois la pratique et l’adule depuis ses 12 ans. Son premier 45 tours ? I Was Made for Loving You de Kiss. Suivi de Highway to Hell d’AC/DC. Ses idoles ? Hendrix, Deep Purple et Led Zeppelin, à qui il doit son pseudo. Aujourd’hui, la collection de vinyles compte un bon millier d’exemplaires et occupe une pièce entière du domicile. Dont 200 au bas mot sont de Bob Dylan, l’inamovible héros.

Si The Woohoo n’est de loin pas sa première expérience musicale, Zep s’était plutôt illustré dans le registre potache jusque-là, avec des titres comme Moi je suce des Sugus ou Dieu m’a changé en Suisse-Allemand. Valérie, pour sa part, rêve de chanter depuis sa plus tendre enfance. Auteure-compositrice-interprète, elle affiche une solide expérience musicale et de très belles collaborations internationales. Elle a même été invitée en 2018 par Robert Smith, leader de The Cure, à se produire au South Bank Festival à Londres. Pour autant, l’artiste n’est pas du genre à vendre son âme au diable. Elle a préféré rester indépendante plutôt que de signer avec une major américaine qui comptait la façonner selon ses standards. Ce qu’elle aime, c’est la musique et la scène. Pas le star-système.

Le trac pour habitude

Lorsqu’on les retrouve dans les loges de l’Alhambra en fin d’après-midi, juste après la dernière répétition, l’ambiance est plutôt calme, voire studieuse. Zep avoue un brin d’angoisse. Ce soir, il réalisera un dessin en direct, qui sera projeté sur le fond de la scène pendant que Valérie chante. Il craint que le système de caméra ne fonctionne pas. Il a pratiqué l’exercice avec le chanteur Aldebert il y a peu, et la technique leur a joué des tours. « Deux traits et boum, plus rien », se souvient-il. « Sortie de scène pendant 15 minutes, annonce micro, la salle en délire. Les enfants, c’est un public qui ne rigole pas. Parfois, on n’est pas loin de la guerre civile. » Et Valérie de se rappeler une avant-première au cinéma Bio à Carouge, où les petits fans en délire l’ont escaladée et piétinée pour arriver jusqu’à leur idole. « J’ai failli mourir écrasée par une horde de gamins par ta faute », lance-t-elle dans un éclat de rire à son amoureux. Elle a la voix fragile aujourd’hui, fatiguée. Mais pas de quoi l’inquiéter. « Ça va le faire », assure-t-elle en avalant des litres de tisane de thym au miel. « Quant au trac, on l’a tout le temps, alors on ne fait plus attention. » Il faut dire que leurs agendas mutuels sont pour le moins chargés. Photographe, Valérie travaille sur une exposition et compose la musique du court-métrage de Gary Grenier, pour le Musée d’Art et d’Histoire de Genève, tandis que Zep met la dernière main à la rétrospective de sa carrière, qui doit s’ouvrir dans quelques jours à Saint-Maurice, en Valais. « Je m’inquiète pour des trucs bizarres », confie-t-il. « Je me réveille en sursaut en me souvenant que j’ai oublié de répondre au gars qui voulait savoir si je venais à un vernissage en Hongrie. C’était dur jusqu’il y a trois jours. Je pense que je n’étais pas prêt. Maintenant, tout ce qui dépendait de moi est OK. Le reste, on verra bien. » Avant d’ajouter : « Je vais quand même aller accorder ma guitare. Et revoir Burn. »

« Ça m’aurait convenu de composer avec elle, de produire des chansons sans les défendre sur scène. »

Dessin que Zep a réalisé en direct durant un concert à l’Alhambra à Genève.

dessin par Zep, créateur de Titeuf
Pendant le concert à l’Alhambra, Zep a réalisé un dessin en direct, projeté sur le fond de la scène pendant que Valérie chantait. PHOTO : Claude Dussez

Il passera la demi-heure suivante à gratter tout ce que la scène compte de guitares. Même le ukulélé y passe. Et dire qu’il n’est venu qu’avec une petite partie de sa collection. « J’ai été un peu brimé, je voulais en amener plus », rigole-t-il. « Je trouve que chaque morceau mérite presque une guitare différente. En fait, ce qui est génial, c’est de jouer sur un instrument qui n’est pas le sien, d’avoir la surprise du son qui en sort. C’est très inspirant. » Puis il retourne à son accordage. Assis en tailleur à même les planches, dans un halo de lumière bleutée, il semble flotter dans un univers parallèle.

Setlist du concert de Zep et Valérie Martinez à Genève.

setlist concert Zep
Une demi-heure avant d’entrer en scène, petit sursaut de trac dans la loge : Zep et Valérie vérifient la setlist. Tout est fin prêt pour le concert ! PHOTO : Claude Dussez

Un duo studieux

Valérie finit par le rejoindre, une énième tasse fumante à la main. Elle prend place auprès de lui pour l’accompagner. À 45 et 56 ans, ils ressemblent à deux ados. Ravis de vernir leur album dans cette salle mythique de l’Alhambra, ils concèdent aimer jouer dans des lieux atypiques, comme le Planétarium à Sion. Quand la taille du lieu l’exige, le couple se produit en acoustique. « On préfère jouer à cinq en formation complète, mais c’est difficile de faire rentrer la batterie dans la salle d’un dentiste », s’amuse Zep.

Les guitares accordées, les derniers morceaux répétés, l’heure de monter sur scène approche. Un verre de vin avec les musiciens pour se détendre, une pizza pour se sustenter, il est temps de se préparer. Les plus pudiques se changent dans les toilettes. Les autres, comme Zep, dans un coin des loges, à la bonne franquette. Il en profite pour raconter quelques souvenirs de concert : « Le truc le plus punk que j’ai vu sur scène, c’est Willy Deville. Il est arrivé hyper classe avec une redingote et une chemise à jabot. Il joue trois morceaux comme ça, puis il enlève le manteau, retrousse les manches de sa chemise et enlève le jabot. Il continue comme ça pour finir presque à poil. C’était complètement décadent ! »

À 19 h 30, petit sursaut de trac. Il demande à Valérie de vérifier la setlist. Quelques vocalises, deux ou trois rires nerveux. Il reste dix minutes avant l’entrée en scène. Certains, jusque-là volubiles, deviennent étonnamment silencieux. On échange des banalités. Une voix complimente Zep sur sa veste. « 20 balles au kilo shop à Paris, c’est une bonne affaire, non ? »

Zep et sa compagne Valérie Martinez

Zep et sa compagne Valérie Martinez

Concert de Zep et Valérie Martinez à Genève.

Concert Zep et Valérie Martinez
Très complices, Valérie Martinez et Zep s’amusent de leurs rivalités artistiques et prennent un plaisir manifeste à présenter le fruit de leur collaboration sur scène. PHOTO : Claude Dussez

La scène comme terrain de jeu

C’est sur ces considérations vestimentaires que la petite troupe se dirige vers la scène. Le concert s’ouvre dans une semi-pénombre, sur Calling You, la chanson phare du film Bagdad café. La voix de Valérie est chaude, profonde, légèrement éraillée. La guitare de Zep, cristalline, lui fait écho. Leurs silhouettes se dessinent à contre-jour, à peine éclairées par la reproduction géante de la pochette de l’album, projetée en fond de scène. Des volutes de fumée s’échappent d’un mug posé sur un ampli entre eux. Moment suspendu.

Et soudain, par la magie d’un spot, Valérie se dévoile gracile, drapée dans une longue jupe qu’elle a hésité à enfiler de peur d’avoir froid. Son timbre particulier et sa guitare en bandoulière évoquent la parfaite icône seventies, à mi-chemin entre Joan Baez et Joni Mitchell. Elle assure préférer l’ombre à la lumière. Pourtant, sa présence magnétique éclipse presque ceux qui l’entourent. « C’est elle la chanteuse, et ça me va bien », avouera Zep plus tard.

« Ça m’aurait convenu de composer avec elle, de produire des chansons sans forcément aller les défendre sur scène. Mais elle tenait à ce que je sois là, parce que c’est notre projet à tous les deux. Je ne vais pas dire que j’ai dû me faire violence, mais un petit peu quand même. Je ne suis pas quelqu’un qui est transfiguré parce qu’il est sur scène. » Très complice, le couple s’amuse de ses rivalités artistiques, joue avec le public et prend un plaisir manifeste à présenter le fruit de sa collaboration.

Après le concert, point de fête jusqu’au bout de la nuit, mais un moment convivial partagé avec une assistance conquise et une séance de dédicace. Le lendemain, il y a du pain sur la planche pour mener à bien les multiples projets en cours.

Retour à la BD

On retrouve le duo samedi 6 avril, au deuxième étage du Château de Saint-Maurice. Une fois encore, et malgré les cinq autres vernissages qui ont lieu dans la cité valaisanne ce jour-là, la foule est dense pour découvrir cette vaste exposition qui retrace l’entier de la carrière de Zep. Tout sourire, le dessinateur attend sagement que Valérie ait terminé de faire le tour pour pouvoir lui rendre Wilson, leur chienne labrador. Il en profite pour saluer les visiteurs et embrasser les amis.

Ça sent encore la moquette neuve et la peinture fraîche. Un gamin d’environ 8 ans pique une crise parce que sa mère l’empêche de rentrer dans la salle dédiée à Happy Sex, réservée aux plus de 16 ans. « Pour une fois qu’il y avait un truc marrant à voir ! », hurle-t-il tandis que sa maman le traîne vers la sortie. L’alcôve en question est bondée.
On y croise un chanoine de l’abbaye voisine, goguenard en diable. À l’étage du dessous, consacré à Titeuf, c’est une religieuse qui occupe l’espace dédié au Guide du zizi sexuel, réservé pour sa part aux plus de 9 ans.

Au cours de sa carrière, Zep a publié 55 albums de bande dessinée, dont 18 de Titeuf. Sans parler des romans graphiques, des affiches de festivals, des pochettes de disques et tant d’autre choses. C’est dire si l’exposition est riche. « En fait, c’est bien d’être mort quand on fait une rétrospective comme celle-là », plaisante-t-il. « Comme ça, on laisse aux autres le soin de trier. » Trois heures ne sont pas de trop si l’on veut avoir la chance de tout voir. Et de tout lire ! Il est d’ailleurs vivement conseillé de procéder à un deuxième tour, pour découvrir tout ce que l’on a manqué lors du premier. De ses premiers croquis d’enfant à la pochette d’Automatic Songs, on découvre son amour pour les arbres et on réalise à quel point sa passion du rock est présente dans son œuvre. « Certains dessins ne sont jamais sortis de l’atelier », certifie le dessinateur. « Ça va être sympa pour les fans. Pour ma part, j’arrive à tout dater à une année près. C’est assez facile, parce que mon dessin a évolué au fil du temps. »

Zep en bref

1967 Naissance le 15 décembre de Philippe Chappuis à Onex, dans le canton de Genève. Son père est policier, sa maman couturière.
1979 Création de Zep, premier fanzine en hommage à Led Zeppelin.
1985 Débuts au journal Spirou.
1988 Parution de Victor n’en rate pas une, son premier album de BD.
1992 Naissance de Titeuf. Le premier album paraîtra l’année suivante aux éditions Glénat.
1995 Premier album musical avec Zep’n’Greg, intitulé Badaboum vol. 1. Suivront les groupes Blük Blük et Alice in KernerLand.
2002 Invitation de Jean-Jacques Goldman à partager La vie ne vaut rien, d’Alain Souchon, sur scène à Genève.
2020 Rencontre avec Valérie Martinez.
2022 Formation de The Woohoo.
1967 Naissance le 15 décembre de Philippe Chappuis à Onex, dans le canton de Genève. Son père est policier, sa maman couturière.
1979 Création de Zep, premier fanzine en hommage à Led Zeppelin.
1985 Débuts au journal Spirou.
1988 Parution de Victor n’en rate pas une, son premier album de BD.
1992 Naissance de Titeuf. Le premier album paraîtra l’année suivante aux éditions Glénat.
1995 Premier album musical avec Zep’n’Greg, intitulé Badaboum vol. 1. Suivront les groupes Blük Blük et Alice in KernerLand.
2002 Invitation de Jean-Jacques Goldman à partager La vie ne vaut rien, d’Alain Souchon, sur scène à Genève.
2020 Rencontre avec Valérie Martinez.
2022 Formation de The Woohoo.


Une exposition foisonnante

On trouve également des gadgets, des carnets de voyage, des souvenirs, prêtés par des passionnés ou des galeries, ainsi que des objets exclusifs issus de la collection personnelle de l’artiste. Comme ces distributeurs de bonbons PEZ, détournés en édition spéciale ZEP, reçus pour ses 40 ans. L’apéritif, servi dans la cour du Château, est évidemment l’occasion de dédicacer nombre d’albums, de lithographies et d’affiches. Comme toujours, Zep est d’une délicatesse et d’une disponibilité fascinantes. « Exhumer tout ça était sympa et je me réjouis du résultat. Mais je me demande parfois si je ne suis pas arrivé au bout de ce que j’avais à dire et à montrer. Je dessinerai toujours parce que j’adore ça, mais peut-être que je vais passer les dix prochaines années à me donner à fond dans la musique et garder le dessin pour le plaisir. »

Philippe Duvanel, directeur du Château de Saint-Maurice, semble ne pas en croire un mot. Il présente ici sa troisième exposition consacrée au dessinateur et ne boude pas son plaisir. « J’aime l’écriture, la finesse du propos et les différents niveaux de lecture qu’il propose », confie-t-il. « Ce n’est toujours pas l’édition parfaite, mais je pense que je n’y arriverai jamais. Je manque de place. » Un problème qui n’est pas près de s’arranger, eu égard au penchant hyperactif de son protégé.

Zep au Château de Saint-Maurice.
Jusqu’au 17 novembre 2024.
Infos sur www.chateau-stmaurice.ch.

The Woohoo en concert.
Samedi 6 juillet au Festival Musiques en Stock à Scionzier, en Haute-Savoie.

Découvrez l’exposition de Zep au Château de Saint-Maurice, qui retrace toute sa carrière.

exposition de Zep au Château de Saint-Maurice
L’exposition au Château de Saint-Maurice retrace l’entier de la carrière de Zep. Albums, gadgets, carnets de voyage, pochettes de disques, originaux… Trois heures ne sont pas de trop pour tout voir. PHOTO : Séverine Rouiller

INTERVIEW
« 2024 est mon année rétrospective »

Après ces quelques jours de « digestion », quelles impressions gardez-vous du concert à l’Alhambra ?

Un soulagement, parce que c’est fait. J’aime les préparatifs « off », mais à partir du moment où on présente les choses, je n’aime pas forcément être sur le devant de la scène. C’est pour ça que j’adore faire des livres. Je m’occupe de toute la préparation en amont, ensuite, il sort et il vit sa vie tout seul. Mais je reconnais que j’ai éprouvé beaucoup de plaisir pendant le concert, c’était vraiment un bon moment.

Vous vous sentiez plus à l’aise lors du vernissage de l’exposition à Saint-Maurice ?

C’est assez différent. Les gens viennent découvrir les dessins. Je les vois regarder mon travail, je me promène et j’ai droit aux réactions en direct, ce qui n’est jamais le cas lors de la sortie d’un livre. Bien sûr, on les croise pendant les dédicaces, mais ce n’est pas là que l’on a vraiment le temps de discuter avec eux. Voir les réactions du public, les entendre parler de notre travail comme si on n’était pas là, c’est top ! Ce sont des moments précieux dans une carrière. L’expo, ça cumulait un peu tout ça. C’est l’exercice de la scène sans être au premier plan.

Quels sont vos projets à venir ?

Un beau livre d’entretiens avec un journaliste du Point, qui reprend mes dix années de romans graphiques chez l’éditeur Rue de Sèvres. Un cheminement depuis l’enfance pour montrer le « back office », c’est-à-dire le dessin préparatoire, le repérage des carnets, la manière de travailler et de décortiquer la matière. Et la transformation de mon dessin humoristique de Titeuf pour aller vers ce dessin réaliste. C’est aussi l’occasion de montrer énormément de dessins inédits. Là encore, j’ai dû ressortir quantité de planches. Entre l’expo et ce projet, ça a été mon année rétrospective. Le livre vient d’être bouclé. On peut dire que ça a été un mois chargé.

Nostalgie de se replonger dans le passé ou envie de continuer ?

Les deux. Revoir tout ça donne des idées. On mesure aussi les étapes franchies, le chemin parcouru, ce qu’on ne fait pas du tout quand on travaille. On avance naturellement d’un album à un autre sans se poser de question. Je ne relis pas mes livres et je n’ai pas conscience de tout ça. Devoir remettre le projecteur sur l’ensemble de ce que j’ai fait, ça permet de jauger le parcours, les virages, mais aussi les hasards de la vie, qui font qu’on a cette histoire ou cette carrière-là et pas une autre.