Léo Tardin « Je me suis mis à regarder au-delà du piano… »
Il surfe entre les notes, dessine le passage du temps sur rose flétrie, saisit la beauté en ralliant audacieusement les couleurs et les tonalités. Le Genevois est de retour avec son nouveau spectacle, Le Piano illustré.
Par Mélanie Chappuis
Photos : ©Magali Giradin
Enfant, il dessinait autant qu’il étudiait le piano. Adolescent, il s’est imposé de choisir une seule passion, pour ne pas se disperser, devenir vir-tuose. Il a obtenu une bourse pour étudier la musique à New York, il a fait des rencontres, signé avec un label prestigieux, il est resté 10 ans pour faire décoller sa carrière de pianiste jazz, l’asseoir, jouer dans les salles du monde entier… « J’ai foncé dans la musique et je n’ai laissé de la place pour rien d’autre dans ma vie, je ne vivais que pour et par la musique. J’ai tenu longtemps ainsi. » Aujourd’hui, la musique occupe toujours une place centrale dans sa vie, mais elle la dispute au dessin. « Je pensais m’y remettre à la retraite, et puis, il y a eu le Covid… » Les tournées annulées, un album sorti entre deux vagues. La pandémie lui a imposé un nouveau rythme. Plutôt que la course en avant, la marche en campagne dans sa Genève retrouvée. La contemplation de la nature, ses couleurs, ses harmonies. « Je me suis mis à regarder au-delà du piano, à simplement lever la tête. Ne serait-ce qu’à regarder le ciel, on a l’impression d’avoir un décor de théâtre sous les yeux, avec la lumière, la texture des nuages, j’ai commencé à être très ému en regardant des choses toutes simples, des instants de magie qu’avant, je ne laissais pas venir. » Léo a fait des milliers de photos, du ciel, des fleurs, des arbres. Et, il a ressorti ses crayons, son papier, pour la dessiner.
Léo Tardin
« Je sollicite quasiment les mêmes sens qu’avec le piano, on parle de couleurs, d’harmonie, de compositions, de motifs, tant dans la musique que dans les arts visuels, ce sont les mêmes sensibilités qui s’expriment, on peut partir de couleurs primaires comme d’accords parfaits, de triades, de choses simples. Puis, on ajoute des couleurs, des extensions, des notes, il y a des mélanges audacieux… » Le dessin est entré dans la musique de Léo Tardin, probablement pour longtemps. Son spectacle Le Piano illustré tourne à vitesse raisonnable, pendant qu’après la vigne et les roses, il s’attaque aux hortensias, « si beaux dans tous leurs états, mais si difficiles à dessiner. Il faut éduquer l’œil, le reste suit. » La vue est probablement le sens que le compositeur a le moins développé. Quand son piano accompagne ses dessins, que Léo appuie sur ses pédales pour nous révéler à l’écran des illustrations évanescentes et japonisantes, ou plus contrastées et abstraites, sa musique est moins dense. C’est une langue qui en apprivoise une autre, une ambiance sonore qui ouvre sur des images. Mais, regretterait-on les fougues et les audaces du pianiste jazz que Léo délaisse ses illustrations, le temps d’un morceau, pour se libérer à son instrument, jouer pour un public qui se laisse transporter les yeux fermés. Le Piano illustré est un va-et-vient entre l’artiste d’hier et celui de demain.