MusiqueDans Le Décor

Léo Tardin « Je me suis mis à regarder au-delà du piano… »

Il surfe entre les notes, dessine le passage du temps sur rose flétrie, saisit la beauté en ralliant audacieusement les couleurs et les tonalités. Le Genevois est de retour avec son nouveau spectacle, Le Piano illustré.

Par Mélanie Chappuis

Photos : ©Magali Giradin

C’est en marchant dans la campagne genevoise, pendant la pandémie, que Léo Tardin s’est remis au dessin. Rien qu’en observant et en contemplant la nature…

Enfant, il dessinait autant qu’il étudiait le piano. Adolescent, il s’est imposé de choisir une seule passion, pour ne pas se disperser, devenir vir-tuose. Il a obtenu une bourse pour étudier la musique à New York, il a fait des rencontres, signé avec un label prestigieux, il est resté 10 ans pour faire décoller sa carrière de pianiste jazz, l’asseoir, jouer dans les salles du monde entier… « J’ai foncé dans la musique et je n’ai laissé de la place pour rien d’autre dans ma vie, je ne vivais que pour et par la musique. J’ai tenu longtemps ainsi. » Aujourd’hui, la musique occupe toujours une place centrale dans sa vie, mais elle la dispute au dessin. « Je pensais m’y remettre à la retraite, et puis, il y a eu le Covid… » Les tournées annulées, un album sorti entre deux vagues. La pandémie lui a imposé un nouveau rythme. Plutôt que la course en avant, la marche en campagne dans sa Genève retrouvée. La contemplation de la nature, ses couleurs, ses harmonies. « Je me suis mis à regarder au-delà du piano, à simplement lever la tête. Ne serait-ce qu’à regarder le ciel, on a l’impression d’avoir un décor de théâtre sous les yeux, avec la lumière, la texture des nuages, j’ai commencé à être très ému en regardant des choses toutes simples, des instants de magie qu’avant, je ne laissais pas venir. » Léo a fait des milliers de photos, du ciel, des fleurs, des arbres. Et, il a ressorti ses crayons, son papier, pour la dessiner.

Léo Tardin

1976 Naissance le 27 mai à Genève
1996 Étudie à la New School University à New York.
1999 Remporte la première édition du concours international de piano solo du Montreux Jazz Festival.
2005 Premier album de Grand Pianoramax, et sortie de Lisboa Que Adormece.
2009 Conçoit et enregistre Smooth Danger de Grand Pianoramax à Berlin.
2014 Sortie de Dawnscape en piano solo.
2018 Triple album Collection complété d’un songbook.
2023 Création du Piano illustré.
1976 Naissance le 27 mai à Genève
1996 Étudie à la New School University à New York.
1999 Remporte la première édition du concours international de piano solo du Montreux Jazz Festival.
2005 Premier album de Grand Pianoramax, et sortie de Lisboa Que Adormece.
2009 Conçoit et enregistre Smooth Danger de Grand Pianoramax à Berlin.
2014 Sortie de Dawnscape en piano solo.
2018 Triple album Collection complété d’un songbook.
2023 Création du Piano illustré.

« Je sollicite quasiment les mêmes sens qu’avec le piano, on parle de couleurs, d’harmonie, de compositions, de motifs, tant dans la musique que dans les arts visuels, ce sont les mêmes sensibilités qui s’expriment, on peut partir de couleurs primaires comme d’accords parfaits, de triades, de choses simples. Puis, on ajoute des couleurs, des extensions, des notes, il y a des mélanges audacieux… » Le dessin est entré dans la musique de Léo Tardin, probablement pour longtemps. Son spectacle Le Piano illustré tourne à vitesse raisonnable, pendant qu’après la vigne et les roses, il s’attaque aux hortensias, « si beaux dans tous leurs états, mais si difficiles à dessiner. Il faut éduquer l’œil, le reste suit. » La vue est probablement le sens que le compositeur a le moins développé. Quand son piano accompagne ses dessins, que Léo appuie sur ses pédales pour nous révéler à l’écran des illustrations évanescentes et japonisantes, ou plus contrastées et abstraites, sa musique est moins dense. C’est une langue qui en apprivoise une autre, une ambiance sonore qui ouvre sur des images. Mais, regretterait-on les fougues et les audaces du pianiste jazz que Léo délaisse ses illustrations, le temps d’un morceau, pour se libérer à son instrument, jouer pour un public qui se laisse transporter les yeux fermés.  Le Piano illustré est un va-et-vient entre l’artiste d’hier et celui de demain.

© Magali Girardin

PAVÉ DE LISBONNE ET COQ PORTUGAIS

Les deux symbolisent un pays cher à son cœur depuis 20 ans. Il a découvert Lisbonne grâce à la chanteuse Paula Oliveira, qui l’invitait à donner un concert commun. « Cette ville a été une énorme claque, comme une sensation d’ivresse. J’y suis souvent retourné, car on a repris des chansons qui passaient à la radio pendant la révolution des œillets. » En est né un album de musiques parlant à chaque Portugais, « revisitées en quintets jazzy, qui a connu un joli succès ». « Les pavés, les façades de Lisbonne reflètent la lumière, une lumière qui me touche. La ville partage, avec Alger et La Rochelle, le surnom de ville blanche. Je ne connais plus l’histoire précise autour du coq, mais je crois que c’est un porte-bonheur. J’aimais surtout sa taille minuscule. » Une taille qui lui permet néanmoins de trôner sur le pavé et de régner sur ce petit îlot de Portugal dans l’appartement carougeois de Léo.

BOÎTE DE CRAYONS CARAN D’ACHE

« J’adore courir, parce que c’est le seul moment où je n’ai aucune responsabilité, à part mettre un pied devant l’autre. C’est un moment où je pense très peu, parfois j’ai des idées, ou de mise en scène ou de projets ou de personnes, c’est très fugace et je passe la fin de la course à espérer que je ne vais pas perdre l’idée. Quand je rentre, je prends vite des notes. » Il aime la course pour ses vertus « anti-stress », et ses baskets parce qu’elles sont nouvelles. Il court souvent au bord du Rhône, là où il peut avaler les kilomètres, qui sont nombreux. Une dizaine, environ trois fois par semaine. Il affectionne aussi les boucles qui intègrent le lac autour de Genthod, Chambésy, en passant par le Jardin botanique. Dans ce domaine, le marathonien n’aura pas besoin de l’expérience de Marilou. Il a fait le marathon de Berlin, son autre ville, dans laquelle ce passionné d’histoire contemporaine a habité plusieurs mois par an à partir de 2009, après une découverte émerveillée en l’an 2000.

© Magali Girardin
© Magali Girardin

L’ALBUM TILL THERE’S NOTHING LEFT DE GRAND PIANORAMAX

« C’est l’album sur lequel j’ai le plus transpiré, mais il m’a établi musicalement et internationalement. On a engagé un ingénieur du son phénoménal, mais qui coûtait une blinde, on était des personnalités complémentaires, mais presque antagonistes… Mes cheveux gris datent de là », plaisante Léo. Parmi ces personnalités, le batteur Dominik Burkhalter, son binôme pendant 15 ans, et le performeur et poète Black Cracker. « La tension créatrice était géniale, mais éprouvante. Black Cracker faisait sa transition, c’était volcanique ! » Lors de leur tournée européenne, ils ont vécu des moments de grand stress, lorsque le slammer du sud des États-Unis avait oublié de renouveler son visa ou lorsque l’infarctus d’un passager les poussa à atterrir à Madrid, alors qu’ils étaient attendus par leur public à Lisbonne. Depuis, Léo confie qu’il combat une tendance à s’attendre au pire ou au plus compliqué. « Aujourd’hui, le marché a beaucoup changé, je suis ravi d’avoir pu vivre une aventure pareille aussi aboutie artistiquement et aussi intense. »

SON DISQUE DUR

« Dessus, il y a 20 000 photos de tout ce que j’ai collectionné depuis le Covid, et antérieurement, lorsque j’ai progressivement appris à lever les yeux de mon piano. » Des photos de ciel, de nuages, d’arbres, de fleurs et de maisons en pierres. Le disque contient aussi un triple album de piano solo, enregistré dans une trentaine de villes. Pour chaque concert, il a gardé un morceau, « le plus chouette ou le plus emblématique », qui lui rappelle des lieux et des ambiances. Il y a eu ce concert dans une piscine vide, « ça sonnait comme dans une cathédrale », cet autre « dans un club où l’on entend les gens discuter dans le fond », ou encore ce concert durant lequel on entend la pluie tambouriner contre les murs de la salle de spectacle. Des images et des sons pour ses dessins et son piano. « Voilà, dans ce disque, on trouve un condensé de choses visuelles et musicales qui ont une certaine importance. »

© Magali Girardin
© Magali Girardin

SON MAILLOT DE BAIN

« Il arrive un peu au bout de sa vie. J’ai toujours aimé la piscine, nager, c’est ma façon de méditer, ce sont des moments de plaisir simples et sains qui ne faillissent jamais, quand je ne me sens pas bien, par exemple. Il faut quand même faire l’effort de me jeter à l’eau, mais une fois dedans, tout s’apaise. » Il aime particulièrement la piscine de Carouge, entourée de nature, et celle de Lancy, car le bassin était maintenu à 28 degrés en hiver, avant la guerre en Ukraine et les économies d’énergie. La nage dans le lac, c’est autre chose pour ce frileux qui préfère accueillir ses amis avec une serviette à la sortie de leur baignade que s’y risquer avec eux. Deux fois par semaine, il fait son kilomètre de natation, sème son anxiété et les scénarios catastrophes qu’il élabore malgré lui, avant de plonger et de renaître à une version plus sereine de lui-même.

MAQUETTE DE L’EMPIRE STATE BUILDING

« Je ne l’ai jamais construite, mais elle symbolise mon lien avec New York. » Il a 20 ans lorsqu’il obtient une bourse pour un bachelor dans la réputée New School University de New York. « C’est une ville qui m’a transformé, au niveau des cultures que j’y ai côtoyées, des rencontres, malgré le fait que j’étais complètement autiste dans mon activité musicale. J’ai noué des liens avec des musiciens portugais, j’ai habité plusieurs quartiers, le Bronx, Hell’s Kitchen, Brooklyn, Jersey City, l’Upper West Side, à la limite avec Harlem, car ça n’était jamais simple au niveau des colocations. C’était la fin des années 90, des années de relative insouciance, de découvertes et d’inspiration. » Face à sa maquette reçue de son parrain alors qu’il avait 10 ans, il ne rêvait pas encore de New York, mais il admirait l’architecture et les détails du building. « J’y retrouvais ce côté obsessif de mes dessins, ma recherche de la complication. » Et l’on sourit à cet homme pas tout simple.

© Magali Girardin