La magie de l’enfance : Comment croire en ses rêves
Sur la terrasse de la brasserie du Royal Savoy, à Lausanne, Marc Voltenauer,
Fanny Leeb et Gerald Metroz se sont retrouvés autour des plats concoctés par le chef, Ludovic Doutau. Il a été question d’écriture, de projets et de monde virtuel.
Peut-on conserver son regard d’enfant même si le destin s’est montré brutal? Tous les rêves sont-ils amenés à se réaliser, si l’on y croit très fort? En ce joli mois de mai, la terrasse du Royal Savoy est baignée d’un soleil généreux. À l’ombre d’un parasol, alors qu’un petit air venu de nulle part vient rafraîchir les méninges, Gérald Métroz se souvient de cette rencontre improbable avec Gabriela Sabatini à la sortie d’un restaurant à Paris. Enfant, il fantasmait – comme beaucoup d’autres! – sur la joueuse de tennis, mais, quand on grandit dans le village de Sembrancher, en Valais, on n’imagine pas qu’on puisse, un jour, croiser la belle Argentine. Et pourtant… Devenu manager sportif, il s’occupait de Séverin Lüthi – oui, oui, l’entraîneur de Roger Federer! – et, alors qu’il se trouvait à Roland-Garros, il l’a rejoint pour boire un verre. Et, là, miracle, Gabriela est présente, avec ses cheveux de jais. Elle se présente et lui colle une bise. «J’ai appelé mes potes, je leur ai dit que, maintenant, je pouvais mourir tranquille», rigole-t-il.
Fanny Leeb a aussi connu son instant d’apesanteur. C’était à Montreux, dans une boîte de jazz où elle terminait un jam. Soudain, son musicien lui adresse un signe de la tête: Quincy Jones est dans la salle. «Il était deux heures du matin, j’avais un verre dans le nez, le moment était plutôt mal choisi», se souvient-elle. Pourtant, le producteur américain demande à lui parler à la fin du concert. Il viendra ensuite tous les soirs l’écouter. Avant de l’inviter chez lui à Los Angeles. «J’ai grandi avec sa musique, il est l’idole de mon père et là, j’ai vraiment eu de longues discussions avec lui, j’ai même pu jouer sur son piano.» Lorsqu’il a été élevé au grade de commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, Quincy Jones a invité Fanny et son père, Michel, à Paris pour la cérémonie. «Mon papa était comme un enfant face à lui…»
«J’ai grandi avec la musique de Quincy Jones et là, à Los Angeles, j’ai pu jouer sur son piano…»
«Le Dragon du Muveran» au cinéma?
Cabossés par la vie, Fanny Leeb et Gérald Métroz partagent cette légèreté, ce regard hédoniste sur le monde. Elle s’est battue avec détermination contre un cancer du sein, agressif, diagnostiqué en 2019. Lui a été privé de ses deux jambes à l’âge de deux ans à la suite d’un accident de train. Mais ils n’ont pas perdu la foi. Croquent dans l’existence comme si l’urgence de profiter de chaque minute l’emportait sur tout le reste. On observe la même étincelle dans les yeux de Marc Voltenauer, lorsqu’il raconte ce jour béni où il vit son premier roman, Le Dragon du Muveran, en tête de gondole dans une librairie, entre Camilla Läckberg et Stieg Larsson. Les deux maîtres du polar suédois. Quelle reconnaissance pour l’auteur débutant qu’il était encore! Sept ans et quatre romans plus tard, il révèle qu’un projet d’adaptation de ce livre au cinéma est en discussion. Verra-t-on bientôt son héros fétiche, l’inspecteur Andreas Auer, sur grand écran? Ce n’est pas impossible. Entre Cannes et Berne, la question du financement est en attente de réponses…
Y aura-t-il un rôle pour Fanny Leeb dans ce film? La jeune femme ne le cache pas: elle a des envies de cinéma. Avec un frère, Tom, qui figurera au générique de la prochaine série de TF1, Les combattantes (aux côtés de Julie de Bona, Audrey Fleurot et Camille Lou!), et qui se prépare à passer derrière la caméra, et une sœur, Elsa, attachée de presse pour le septième art, elle est bien entourée. Elle a pris des cours d’art dramatique. S’est trouvé un agent. Mais Fanny n’est pas pressée: elle a d’autres projets sur le feu. Ainsi, elle souhaite raconter son histoire: sa lutte contre la maladie, sa passion pour la musique, la sortie de son album, The Awakening, juste avant la pandémie… Ce qui devait être un récit autobiographique pourrait bien se transformer en une bande dessinée. «Mais je n’ai pas encore trouvé l’illustrateur», souffle-t-elle. «J’ai une idée bien précise de ce que je recherche comme dessin.» Elle imagine un livre truffé de QR-codes qui permettraient aux lecteurs de s’immerger totalement dans cette histoire. En écoutant une chanson. En découvrant des notes personnelles. «J’ai un ami musicien, Christian Meyer, dont le prochain album sera justement un livre, là aussi avec des QR-Codes: l’auditeur pourra écouter les morceaux au fur et à mesure de la lecture», ajoute Marc Voltenauer. Une tendance se dessinerait-elle dans la culture?
Fanny Leeb travaille également sur un nouveau disque. Et en français. Si elle a quitté sa maison de disques, Decca Records, pendant le Covid-19, elle est restée fidèle à son compositeur, Keni Arifi. «Nous avons commencé à enregistrer à Montreux, mais je dois encore trouver un label et, surtout, d’autres textes…» Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd: Gérald Métroz lui propose directement de lui envoyer quelques-unes de ses chansons – qui n’ont pas encore trouvé leurs mélodies. «J’en ai dix-sept qui attendent dans un tiroir», admet-il. Comme les chats, le Valaisan a plusieurs vies à son actif: ex-journaliste sportif, il a longtemps fréquenté les patinoires de Suisse. Agent de joueurs influent, il avait créé sa propre structure pour gérer la carrière des meilleurs hockeyeurs du pays. «J’ai arrêté en 2019, j’ai vendu ma société, et maintenant, je regarde les matches comme je le faisais dans mon enfance. Juste par plaisir, sans pression…»
«Maintenant, je regarde les matches de hockey comme je le faisais dans mon enfance: par plaisir!»
«C’était mieux avant?»
Désormais, Gérald Métroz donne des conférences dans les entreprises autour de la motivation, la résilience et l’entrepreneuriat. Il voyage. Surtout, depuis quatre ans, il s’est glissé, avec délectation, dans la peau du chansonnier. Encore un rêve d’enfant? «J’écris les paroles moi-même et, ensuite, je les envoie à des potes pour qu’ils composent la musique.» Un nouvel album est annoncé pour l’automne. Dans le précédent, il a une chanson, intitulée Le Passéiste, qui pose un regard amer sur notre société. Est-ce que c’était mieux avant? Sans les réseaux sociaux? Sans le natel? Fanny Leeb aurait aimé vivre dans les années 80. Et imagine un festival sur le bien-être à Villars où les visiteurs laisseraient leur portable à l’entrée. «Comme les cow-boys qui déposaient leurs colts à l’entrée du saloon», sourit Marc Voltenauer. L’écrivain, lui, se dit dépassé par toutes ces histoires de métavers et de NFT: «À quoi cela peut-il bien servir de s’acheter des objets virtuels?», s’interroge-t-il. Ajoutant qu’en Suisse, il ne vend que 7-8% de livres numériques. Comme le vinyle ou les produits régionaux, le papier revient à la mode. La preuve: Marc Voltenauer a été contacté par un professeur de l’école de Blonay-Saint-Légier pour «coacher» ses élèves. L’auteur a proposé à ces 21 élèves, âgés de 12 ans, d’écrire un polar pour la collection Frissons suisses. «Quand je suis rentré chez moi, je me suis dit que j’étais fou…» Pourtant, ces enfants se sont pris au jeu. Ils ont organisé une campagne de crowdfunding pour financer le projet, ils ont rédigé eux-mêmes le communiqué de presse, réalisé une vidéo de promotion. Quant à l’écriture, chacun a pu intervenir dans le déroulé de l’intrigue. «Ils seront tous invités au Livre sur les Quais, à Morges, pour dédicacer leur polar!» C’est aussi ça, la magie de l’enfance…