, Hors-scène

Yotam Ottolenghi
« Je rends leur liberté aux légumes»

Le chef anglo-israélien vient d’inaugurer son restaurant au Mandarin Oriental de Genève. Portrait d’un homme qui refuse la course aux étoiles, mais qui a changé notre regard sur la cuisine et les… légumes.

PAR JEAN-DANIEL SALLIN

Crédit : Guillaume Cottancin

Il passe de table en table, serre la main de ses convives, s’installe quelques minutes à leurs côtés pour s’enquérir de la qualité de la nourriture ou échanger quelques paroles bienveillantes, prend volontiers la pose pour un selfie… Ce soir-là, Yotam Ottolenghi tient parfaitement son rôle d’hôte. Il n’a pas besoin de goûter les plats qui sortent des cuisines. Il les connaît par cœur. Ce qui lui importe le plus ? Que ces recettes conviennent au palais des Genevois, peut-être moins coutumiers des saveurs orientales et de cette cuisine qui voue un culte aux légumes et à la fermentation.

Dans l’assiette, c’est l’explosion des sens ! Les épices se bousculent sous les papilles. Les textures, elles, jouent les contrastes, souvent fondantes, parfois croustillantes. Mais, chaque bouchée transporte le gourmand vers une île de l’océan Indien, au cœur de l’Atlas ou au Proche-Orient. La cuisine d’Ottolenghi invite au voyage. Un simple coup d’œil au menu et vous êtes téléportés à des centaines de kilomètres de là. Shawarma, lángos, épices hawaij, kofta de poisson, houmous de fèves… Ces noms sont gorgés de soleil. Ambassadeurs d’un terroir, qu’il soit tunisien, yéménite ou turc, ils s’unissent, dans les casseroles du chef, pour créer des plats joyeux et conviviaux.

UNE PREMIÈRE HORS DE LONDRES

Désormais, les disciples d’Ottolenghi n’auront plus besoin de traverser la Manche pour aller déguster ses recettes. Il a pignon sur rue à Genève, au Mandarin Oriental, face au Rhône. Un sacré pari pour le chef anglo-israélien ! Il s’est installé au rez-de-chaussée, en lieu et place d’un autre restaurant franchisé, le Yakumanka, lancé par le cuisinier péruvien, Gastón Acurio en 2020. « Voilà des années que j’envisage d’ouvrir un restaurant ailleurs qu’à Londres », explique Yotam Ottolenghi. « J’avais commencé à négocier avec le Mandarin Oriental avant le Covid-19. J’aime leur manière de gérer leurs restaurants, je leur avais demandé de sélectionner différents emplacements en Europe. »

GAMBERO ROSSO GRILLÉES
Servies avec une salade de pamplemousse et un aïoli aux feuilles de curry.
LÉGUMES SUR LE BARBECUE
C’est l’une des spécialités d’Ottolenghi ! Poireau, céleri-rave, carottes, chou, artichaut… Ses légumes passent sur le gril pour mieux se marier aux épices.
CRÈME CARAMEL À LA NOIX DE COCO
Avec ses feuilles de keffir au soja et son pain d’épice, ce dessert est 100 % végane et… super bon !

UNE PREMIÈRE HORS DE LONDRES

Désormais, les disciples d’Ottolenghi n’auront plus besoin de traverser la Manche pour aller déguster ses recettes. Il a pignon sur rue à Genève, au Mandarin Oriental, face au Rhône. Un sacré pari pour le chef anglo-israélien ! Il s’est installé au rez-de-chaussée, en lieu et place d’un autre restaurant franchisé, le Yakumanka, lancé par le cuisinier péruvien, Gastón Acurio en 2020. « Voilà des années que j’envisage d’ouvrir un restaurant ailleurs qu’à Londres », explique Yotam Ottolenghi. « J’avais commencé à négocier avec le Mandarin Oriental avant le Covid-19. J’aime leur manière de gérer leurs restaurants, je leur avais demandé de sélectionner différents emplacements en Europe. »

La Suisse s’est imposée d’elle-même, car le chef y a déjà des connexions. Son associée, et CEO de l’entreprise, Cornelia Stäubli, est originaire de Goldau, dans le canton de Schwytz et, marraine de l’un de ses deux garçons, elle a pris l’habitude de les emmener faire du ski dans les Alpes. « Genève a cette particularité d’être une ville internationale, les gens ont une expérience de la gastronomie et beaucoup connaissent mes livres de cuisine… » Yotam Ottolenghi sait pourtant que, malgré son aura, le défi est de taille. « Je ne pourrai pas monter dans ma voiture pour venir goûter les plats ou rendre visite à l’équipe, comme je peux le faire à Londres. Je dois trouver un autre moyen de communiquer avec Maxime. »

ENTRE STREET-FOOD ET CUISINE FAMILIALE

Chef d’Ottolenghi Genève, Maxime Martin, lui, a déjà passé plusieurs semaines, à Londres, au ROVI ou ailleurs, pour apprendre les rudiments de cette cuisine si particulière et, peut-être, déconstruire tout ce qu’il a appris sur la Côte d’Azur. « Nous l’avons complètement endoctriné », rigole Yotam. « La cuisine française est différente de la mienne, surtout au niveau de l’esthétique : je la trouve trop travaillée, trop uniforme. Je préfère les plats plus organiques, plus simples à regarder dans l’assiette. » Il l’admet volontiers : il a apprécié la haute gastronomie. Il en était même un consommateur averti. Mais, c’était avant qu’il n’impose son style et ses recettes dans les foyers…

« Ma cuisine est inspirée par les pratiques de la street-food et de la cuisine familiale. J’ai toujours été plus intéressé d’aller voir ce que faisaient les gens à la maison plutôt que dans les restaurants gastronomiques. » Yotam Ottolenghi prend l’exemple de son shawarma de céleri-rave : tous les ingrédients, utilisés dans cette recette, sont inspirés de la cuisine traditionnelle. « Dans la pita, vous trouverez un condiment appelé bkeila. C’est une manière traditionnelle, venue de Tunisie, de préparer l’épinard : vous le cuisez lentement, pendant plusieurs heures, avec de l’huile d’olive, pour obtenir ce que j’appelle l’essence d’épinards. Avec Neil (ndlr. Campbell, son chef exécutif écossais !), nous l’avons testé dans le shawarma, c’était délicieux ! » Vous y ajoutez du céleri grillé au barbecue et une sauce aux tomates fermentées, inspirée, elle aussi, d’une recette séculaire qui permettait de conserver les fruits dans une jarre pendant l’hiver, et vous obtenez le plat signature du chef anglo-israélien, désormais permanente sur la carte de ROVI dans le quartier de Fitzrovia.

DIALOGUES AUTOUR DE LA TABLE

Depuis vingt ans et l’ouverture de sa première épicerie à Notting Hill, avec Sami Tamimi, Yotam Ottolenghi n’est jamais tombé en panne d’idées. Il vient de sortir son douzième livre de recettes, Confort, et continue de rédiger ses chroniques dans The Guardian. Comment tenir un tel rythme sans s’essouffler ? L’homme s’est doté d’un atelier, un creative hub, dans le nord de Londres, où il réunit d’autres chefs, auteurs ou créateurs pour imaginer, tester, goûter, de nouveaux plats. « Une recette commence toujours par une conversation, autour d’une table », raconte le chef anglo-israélien. « Nous nous réunissons une fois par semaine et nous partageons nos envies, nos idées… Les meilleures recettes sont souvent celles qui ont suscité un dialogue entre différentes cuisines, nourri par les insights que chacun amène. »

Yotam Ottolenghi tient d’ailleurs à ce que ses chefs cultivent une certaine polyvalence dans cette test kitchen. « Parce que mes plats sont le résultat de plusieurs manières de cuisiner », précise-t-il. « Vous devez donc être flexible, connaître les bases de la cuisine asiatique ou orientale, mais arriver aussi avec votre propre héritage culinaire. C’est important ! » Il prend l’exemple de Chaya Pugh, d’origine mauricienne, dont le savoir-faire – avec la noix de coco, le gingembre, le piment, l’ananas – s’inspire largement de la cuisine indienne ou ilienne. « Chaque chef doit avoir son propre sens de l’identité. »

SE RECONNECTER À SES RACINES

Le style Ottolenghi défend surtout une forme de joie et de liberté dans les assiettes. Comme si les aliments, dégagés de leurs chaînes, pouvaient exprimer toute leur singularité. « Ce matin, je suis descendu au restaurant pour prendre mon petit-déjeuner et on m’a servi deux œufs au plat parfaitement ronds », raconte-t-il. « Pourquoi ces œufs doivent-ils tous se ressembler ? Moi, j’ai envie que mes œufs se répandent dans la poêle, avec de l’huile d’olive, qu’ils soient plus croustillants d’un côté, plus mous de l’autre… C’est peut-être un détail, mais il est important. Dans la cuisine, on veut toujours tout uniformiser. Mais, quand je mange de la betterave, je ne veux pas qu’elle ressemble à une pomme de terre ou à une carotte. Dans mes plats, j’essaie donc de rendre leur liberté aux légumes et aux œufs ! »

Yotam Ottolenghi remarque cependant que, depuis le début du XXIe siècle, notre relation avec la nourriture a changé. Parce que notre société a dû affronter de nouveaux traumatismes : les réseaux sociaux, la pandémie, les guerres… « Le Covid-19 est le plus symptomatique », relève-t-il. « Confinés chez eux, les gens ont vécu une sorte de crise d’inexistence : ils ne pouvaient plus se rendre au restaurant, les étals des magasins étaient vides, il leur était impossible d’acheter du pain frais. Ils ont donc commencé à cuisiner. Mais, c’était plus que de la cuisine : en affrontant leur propre mortalité, ils se sont reconnectés à leurs racines, à quelque chose de plus grand qu’eux qui les ramenaient aux confins de l’humanité. » Par sa philosophie, par son style, Ottolenghi est arrivé à point nommé pour répondre en écho à ce besoin d’authenticité.

Chef d’Otto-lenghi Genève, Maxime Martin est arrivé au Mandarin Oriental en 2018. Le Français a passé plusieurs mois à Londres pour apprendre tous les secrets du chef anglo-israélien.

Yotam Ottolenghi

1968 Naissance le 14 décembre à Jérusalem.
1997 Il s’installe à Londres.
1999 Rencontre avec le chef palestinien, Sami Tamimi.
2002 Ouvre sa première épicerie à Notting Hill.
2008 Publie son premier livre de recettes. Plus de 100 000 exemplaires vendus !
2012 Mariage avec son partenaire, Karl Allen. Deux enfants, Max (2013) et Flynn (2015).
2018 Le ROVI ouvre ses portes à Fitzrovia.
2025 Inauguration de son restaurant à Genève.
1968 Naissance le 14 décembre à Jérusalem.
1997 Il s’installe à Londres.
1999 Rencontre avec le chef palestinien, Sami Tamimi.
2002 Ouvre sa première épicerie à Notting Hill.
2008 Publie son premier livre de recettes. Plus de 100 000 exemplaires vendus !
2012 Mariage avec son partenaire, Karl Allen. Deux enfants, Max (2013) et Flynn (2015).
2018 Le ROVI ouvre ses portes à Fitzrovia.
2025 Inauguration de son restaurant à Genève.